Lysis n’est pas revenue lorsque dans ma profonde méditation, j’entends le déclic de la porte de ma chambre se faire. Pas de grincement, mais la certitude que la porte s’ouvre doucement. Furtif, je hasarde un regard vers celle-ci, pour ne voir, dans l’entrebâillement, que la délicieuse jeune femme à la peau mate qui m’a quitté si seul voici quelques instants. J’ignore combien de temps, exactement, en vérité. Lorsque je somnole de la sorte, les minutes deviennent des heures, ou les heures des secondes, sans distinction aucune du temps qui passe autour de moi, même si mes sens restent aux aguets. Curieux, piqué au vif par cet intéressant revirement de situation, je referme les paupières, me concentrant sur mon ouïe pour entendre ses pas légers, lents sur le parquet de la chambrée. Elle est discrète, telle une souris qui s’approche d’un piège près à se refermer sur elle sans qu’elle ne le sache. Et le traquenard que je suis n’hésitera pas une seconde à la croquer si elle s’approche trop près. L’alléchant rongeur, aux mouvements lents et calculés, ne tarde d’ailleurs pas à s’arrêter à mon côté. J’entends sa lente respiration filtrée entre ses lèvres. Elle se veut retenue, mais ne manque pas d’une certaine ferveur, d’une excitation notable. Je m’en délecte d’avance.
Elle reste immobile quelques secondes, comme pour me regarder dans mon sommeil illusoire. Puis, un fluet mouvement d’étoffe me signale qu’elle bouge la main, qu’elle la soulève pour la poser, peut-être, sur moi. J’attends de sentir la chaleur effleurer ma peau à travers le lin de ma chemise pour ouvrir les yeux prestement, et lui agripper le poignet avec vivacité, avant même qu’elle n’ait eu le temps de le poser sur mon torse. La jeunette sursaute, et laisse échapper un soupir voisé, de surprise.
« Alors, on voulait me surprendre ? »
Une expression interdite barre son visage. Prise à son propre jeu, elle ne sait que répondre. Je l’attire à moi, plaquant ma main libre dans son dos nu, pour approcher mon visage du sien. Proche, très proche. Alors que la chaleur de nos souffles se croise, je murmure :
« C’est donc à mon tour de jouer… »
Et je laisse glisser mes lèvres sur les siennes. Elle se crispe, je sens son poignet se tordre dans le mien, aussi je la libère, remontant la main dans son dos sur son épaule, et posant chastement l’autre à côté de sa cuisse. L’attirer à moi l’a à moitié allongée sur le lit, dans une position un peu scabreuse qu’elle ne quitte cependant pas. Après une hésitation notable, et notée, elle consent à rester contre moi, et me rend mon baiser. Prudemment, d’abord, avec l’hésitation d’une découverte qu’on ne veut précipiter, et puis, de l’effort enivrant d’une envie naissante, la passion détruit toute raison, emmenant toute pudeur sur son passage. Le baiser devient fougue et ferveur. Je sens la chaleur de sa bouche fondre sur moi. Je mordille la pulpe de sa lèvre, alors que ma main glisse doucement vers sa cuisse offerte, écartant les pans lâches de ses voiles purpurins. Alors que j’atteins sa hanche, la prisant avec plus de poigne, elle s’écarte de moi, le regard illuminé d’une lueur nouvelle, et met son index sur ma lippe, avant de se pencher vers mon oreille.
« Chhhht. Pas ici. Il existe des lieux où les secrets sont mieux gardés. »
Une chambre surveillée, donc ? Voilà toute la politesse et l’affirmation d’une volonté de paix du maître des lieux. En vérité, il se défie de tout, craint pour sa vie et sa sécurité. Il regagne un peu de mon estime. Il est plus intelligent qu’il ne parait au premier abord. Mais ce n’est pas le moment d’y penser : la belle m’attire hors de ma couche, et je me laisse faire, laissant mes doigts lâchement s’entrelacer aux siens. Elle rouvre ma porte, avec moins de ménagement cette fois, et entame une marche rapide et cadencée dans le couloir. Je la laisse devancer de quelques secondes, une fois de plus hypnotisé par sa démarche basculée. En voilà une qui sait user de ses reins comme il faut ! Je la rattrape cependant vite, dans de grandes enjambées de loup affamé. La plaquant dans notre course contre un mur, je lui flatte la hanche en l’embrassant, guidant sa mâchoire vers la mienne d’une main qui glisse dans ses cheveux, à l’arrière de son crâne. Cela ne dure qu’un temps, avant qu’elle se dérobe à nouveau à moi, ma laissant soupirer de désir à son égard. J’ai envie de sa chair, de la chaleur de sa peau. Mes pensées se troublent et s’extrémisent vers une seule cible, instinctive. Je la suis, avide, serrant les dents d’une envie contenue.
Nous parcourons ainsi rapidement quelques couloirs, où je me sens chat fébrile et joueur laisser filer sa proie pour mieux la rattraper. Enfin, elle bifurque dans une pièce aux nombreux voiles suspendus, comme dans la salle où Salaa’tin nous a reçu plus tôt. Une mode décorative utile, dans une salle d’audience, mais un peu plus incongrue dans une salle commune. L’ambiance est cependant agréable. Les voilent diffusent la lumière de nombreuses bougies allumées et tenues par des chandeliers en métal noir forgé, que je repère aux pieds posés sur le sol plus qu’à leurs embranchements masqués. Tout est tamisé, et assez sombre, au final. La demoiselle m’y a devancé, et en pénétrant l’endroit, je ne l’aperçois pas. La devinant joueuse, je la cherche du regard comme un prédateur de cauchemar, sans cligner des paupières ni ciller. Mais elle se révèle bien vite à moi, claquant la porte dans mon dos. J’ai à peine le temps de me retourner qu’elle se jette sur moi pour me renverser par terre… Droit sur un gros coussin plat comme plusieurs ornent l’endroit. L’ayant aperçu en entrant, je m’y laisse tomber sans résister, pour la voir s’approcher d’une démarche plus que langoureuse. Son déhanché est si prononcé qu’on dirait qu’elle va se déboiter la colonne à chaque pas qu’elle fait. Et pourtant, irrésistiblement, mon regard est attiré. J’imagine déjà la danse passionnées de nos deux corps unis, ondulant de concert dans une chaleur moite.
Un peu trop, d’ailleurs… Je ne vois pas la longue dague torsadée qu’elle sort de sous ses couches de voile, attachée à sa cuisse, sans doute, sans que je m’y sois aperçu. L’éclat de l’acier ne vient que trop tard à mon œil, croisant l’éclat de la flamme d’une bougie. Elle se rue sur moi et porte un coup auquel je ne m’attends pas. Je tente de l’esquiver en roulant sur le côté, mais le froid de sa lame vient déchirer ma chemise et glisser le long de ma peau, ouvrant une belle estafilade sur le côté de mes côtes. Une blessure peu profonde, mais qui se met néanmoins à saigner aussitôt.
(La garce !)
Je me relève tant bien que mal, lui faisant face, alors qu’elle aussi se redresse, un sourire mauvais collé sur le visage. Sur son vrai visage, cette fois : celui d’une tueuse. Je me sens désemparé : je n’ai ni armes, ni protections à part ma chemise et ma maîtrise naturelle au combat. Mais que puis-je, à mains nues, moi qui ne me suis jamais battu qu’avec des lames ? Elle semble une experte du combat rapproché, au vu de la posture qu’elle adopte, poignard inversé dans sa main, et garde haute, agressive. Elle lance deux coups dans ma direction, battant l’air alors que je fais un bond en arrière, laissant sa lame siffler sans toucher. L’expression de son visage est loin de celle de la simple esclave rencontrée plus tôt. Dents serrées, sourcils froncés, regard combattif et meurtrier, on peut dire que je suis dans une belle merde.
Et comme pour confirmer cette sombre pensée, j’entends un frottement à ma gauche, j’aperçois du coin de l’œil une ombre se mouvoir, trahie par les nombreux points de lumière. Je bondis sur le côté, évitant de me faire trancher par un nouvel ennemi inattendu, et sa lame dentelée. Un sabre, cette fois. Un dans chaque main, même. Alors que je me relève d’un bond, je le lorgne plus attentivement. Et son accoutrement ne peut que me laisser pantois, alors que deux de ses compagnons se joignent à lui, tout pareillement vêtus. De rouge et de noir, dans une armure qui semble de cuir ou de chitine, ils arborent une cape de lin noir semblable à deux ailes repliées qui pendent dans leur dos. De nombreux poignards aux lames dentelées sont accrochés à leurs jambes. Mais ce n’est là le plus surprenant de leur accoutrement : ils arborent tous trois un masque insectoïde étrange, rouge aux gros yeux de mouche, avec deux antennes dépassant de leur chef. À la fois ridicule et terriblement perturbant. Mais je n’ai le temps de me laisser distraire par l’incongruité de leur accoutrement : je fais face, seul et désarmé, contre quatre adversaires bien entraînés. Une seule chance de m’en sortir : discuter.
« Heu… bonjour ? »
Mais ils ne semblent pas de mon avis, et sans qu’aucun son ne sorte de leur masque d’insecte, ils se ruent tous trois sur moi, alors que la belle disparaît dans les voiles. Les voiles ! Voilà ma chance. Ils se sont retournés contre moi, et je dois m’en servir désormais. Usant de cette vieille technique que j’ai fini par maîtriser, je décide de prendre la même direction qu’eux, et cours droit vers le mur. Je souris d’avance, sachant pertinemment que cette technique a toujours terriblement désorienté mes ennemis. Car je cours droit vers le mur, certes, mais je ne m’y arrête guère, et au dernier moment pivote de ma course pour bondir sur ma gauche, deux pieds sur le mur, en poursuivant mes foulées vives pour atterrir sur le sol sans avoir perdu mon élan, continuant encore plus loin, derrière les voiles pendus dans la salle. Mes adversaires sont surpris, certes, mais pas aussi désorientés que je ne l’aurais espéré. L’un d’eux stoppe directement sa course pour se tourner dans la même direction que moi, alors que le second profite de son élan de course pour se repousser du mur et me poursuivre. Seul le troisième freine et perd de la vitesse, et la vision générale du combat.
(Trouver un plan, trouver un plan…)
Pour le coup, je suis à court d’idée pour me sortir de cette mauvaise passe. Et derrière moi, j’entends l’un d’eux qui me rattrape Je réfléchis trop, et perds en efficacité. D’autant que je ne sais tout bonnement pas vers où je vais.
(J’vais m’payer un mur que ça sera encore ça d’bon pour moi.)
Mais un soudain éclair de lucidité me traverse, avant la lame de mon adversaire, ce dont je lui en suis reconnaissant : avant qu’il ne se fende vers moi pour m’embrocher comme un poulet, je me saisis d’un lourd chandelier et pivote brutalement sur moi-même en espérant le toucher. Je ne fais que violemment heurter sa lame, ce qui en soit est déjà une victoire monumentale, puisqu’au lieu de me retrouver avec un trou entre deux vertèbres, je me vois muni d’une arme improvisée, et d’un adversaire désarmé, se tenant la main meurtrie. Son sabre a glissa sur le sol, derrière d’autres tissus, tout comme les bougies de mon chandelier, envoyées valser à travers la pièce en s’éteignant et recouvrant le sol de cire fondue.
Pour le coup, ce truc en métal, quoique bienvenu, est complètement impossible à manier correctement. Lourd, sans prise correcte, son seul avantage pourrait résider en la laideur des plaies qu’il peut infliger, si tant est qu’il puisse toucher des adversaires si rapides.
Sans perdre de temps, je me hasarde donc à un nouveau pivot, envoyant un coup latéral vers lui. Un peu trop optimiste, comme coup. Il l’esquive facilement, et roule sur le côté en ramassant son arme, alors que son semblable arrive comme une furie, tranchant le pan de tissu le plus proche pour se mêler à notre petite réunion privée. À deux contre un, avec cette masse impromptue pour seule arme, lente et peu maniable pour la défense, j’ai peu de chance de m’en tirer. Alors dans un sursaut de clairvoyance, je la leur balance sans considération de visée. Ça ne les blesse certes pas, mais ça a au moins le mérite de les bousculer tous deux, et de me laisser ainsi le temps de me coucher sur le sol pour rouler en dessous des voilures translucides, baignées de pénombre. Après plusieurs tours sur moi-même, sans que j’ai pris la peine de les compter, je me relève, aux aguets. Le bruit de métal du chandelier tombé sur le sol résonne encore, et les pas frénétiques de mes poursuivants à ma recherche dans ce champ de tissu m’indiquent leur position.
Sauf celle de la demoiselle, qui m’arrive par derrière sans crier gare. Aussi silencieuse qu’une panthère, elle se glisse dans mon dos et tente de me transpercer de sa dague. À l’instant où la lame me touche l’épaule, déchirant ma peau, mais épargnant par bonheur les muscles en dessous, je m’abaisse avec réussite pour minimiser sa blessure. Bien joué. Dans un grognement, je me tourne vers elle. Je suis vraiment mal barré ici : mes ennemis connaissent mieux que moi l’endroit, et j’ai beau me jouer d’eux avec des tours de passe-passe, ça ne durera guère, si je ne parviens pas à les blesser ou les faire plier.
Rageuse, Nessah veut me porter un nouveau coup, mais je la vois heureusement venir, cette fois. Prenant les devants, je bondis vers elle, en hauteur, et agrippe un rideau léger pour l’arracher à ses attaches, et lui abaisser sur la tête, l’enfermant comme un rétiaire dans son filet. Emmêlée, elle ne termine pas son geste, et se laisse emmener par l’élan de mon assaut. Je me sers de l’inertie pour la balancer à travers la pièce, où elle s’effondre en roulant dans un cri rageur, arrachant de nouveaux voiles sur son passage. Le chaos du combat commence à se faire sentir, et les quelques voilages troublés finissent par toucher la flamme destructrice des chandelles, s’embrasant tout aussitôt, et faisant grimper de quelques degrés la chaleur de la pièce, et l’échelle du danger de s’y trouver.
En plus, avec tout ce bazar, la vision se fait plus nette, ici. La fumée n’a pas encore envahi les lieux, et les flammes rendent l’éclairage bien plus ardent. Les voiles masquent moins la vue, et je me retrouve effectivement face à mes trois ennemis, si l’on excepte l’esclave prisonnière, se débattant comme une forcenée pour se libérer avant de prendre feu. Et les trois n’hésitent pas à se ruer vers moi. Connaissant désormais les points forts de la pièce, j’esquive leurs coups d’un bond leste, et saute vers un chandelier encore pourvu de ses chandelles. Un des plus grands en taille. Un des plus lourds aussi, mais du coup ça me laisse le plaisir de l’allonge.
Le trio me fait donc face, dans cette ambiance incendiaire, et je les tiens à distance en les menaçant de mes flammes. Si l’un d’eux esquisse un mouvement d’attaque, je dirige vers lui mon manche, jusqu’à ce que les flammes et la cire bouillante le fasse repenser à celui-ci. Mais d’assaut, je ne peux en donner moi-même. Je suis contraint de me battre en défensive, sachant pertinemment que désormais, ils attendent une erreur de ma part pour me molester de coups et tenter de m’ôter la vie.
(Non. Ils ne peuvent. Lysis, bon sang, où restes-tu ?!)
Comme par magie - ou en est-ce réellement, après tout – je la sens revenir à la vitesse de la lumière, et pénétrer ma tête avec empressement, jaugeant d’un éclair la situation. L’esclave s’est libérée de ses entraves, et s’approche de ses sbires humano-insectes.
(Oh, tu ne t’ennuies pas, à ce que je vois. Voilà à quoi ça te mène de ne penser qu’avec ta…)
(Cesse ces sermons et aide-moi, bon sang !)
Le trio s’organise, pendant les critiques de la première qui aurait plongé sur une occasion pareille de fondre dans le plaisir de la chair. Ils attaquent par deux, désormais, et je ne peux plus les tenir à distance qu’en parant leurs coups de ma trique d’acier, réduisant ma portée, et la distance entre eux et moi. Ils m’acculent de plus en plus, et me repoussent dans un coin qui ressemble désormais à un véritable brasier.
(Hmmm non. Montre-moi comment tu te débrouilles.)
(Lysis !)
Elle ne m’a jamais fait le coup de ne pas m’aider en combat. Depuis qu’elle peut prendre forme, elle ne m’a jamais prouvé ses capacités martiales, et semble même carrément se désintéresser de ma survie. Repoussé dans mes derniers retranchements, je ne peux plus me reposer que sur mon instinct. Mon regard rougeoie des flammes de l’endroit, mais n’est pour une fois pas empreint de colère. En solo, un de mes adversaires tente un assaut, une nouvelle fente vers moi. Je dévie sa lame en lâchant mon chandelier dessus, et l’agrippe par les antennes pour le tirer vers moi avec la force de son élan. Je me dérobe au dernier moment, l’envoyant tête la première dans les flammes derrière moi. Et là, alors que son costume ridicule s’enflamme, j’entends sa voix. Une voix d’homme humilié, vaincu, terrorisé par le feu qui commence à consumer ses chairs. Il ne sera plus pour moi un danger… mais les autres le sont toujours, et se lancent vers moi à nouveau. Je n’ai plus le choix. Aussi suicidaire que ça puisse paraître, je fonce vers eux aussi, me faufilant avec souplesse, et énormément de chance, entre leurs lames, pour plonger dans leurs jambes. Mais leurs réflexes sont bons, et l’un d’eux en profite pour m’envoyer un coup de son pommeau pointu dans les reins. Je tombe au sol, meurtri, mais trouve encore la force de m’agripper à la patte du plus proche pour lui mordre à pleine dents le mollet, dans un geste aussi rageur que désespéré. Mes dents ne transpercent bien sûr pas le cuir de ses chausses, mais cela le déséquilibre suffisamment, et perturbe son allié. Je me relève d’un bond leste, profitant de ma souplesse légendaire pour me soustraire à leurs griffes.
(Pas mal, pas mal.)
(Arrête, il est temps d’en finir !)
Je sens son consentement dans mon esprit. Une faille que Nessah perçoit en moi. Dans un élan désespéré, elle se rue sur moi, et nous roulons sur le sol, dans les coussins, alors que Lysis, majestueuse, sort de mon esprit pour prendre sa forme humanoïde. Esprit du feu et de l’ombre, elle se place, sûre d’elle et fière, devant les deux guerriers-insectes. Surpris, ils n’essaient pas moins de la blesser de leurs lames… Qu’elle ne cherche même pas à éviter. Son regard enflammé les transperce de suffisance, lorsqu’ils se rendent compte que leurs coups la frappent sans la blesser, et que la moindre plaie qu’ils pourraient causer est aussitôt soignée. Elle n’est pas de chair, mais bien de fluides… Nulle arme, si elle n’est pas enchantée, ne peut la meurtrir. Alors qu’ils se mettent à hésiter, elle se montre intransigeante, et lance un sortilège dont l’effet de destruction n’a jamais connu d’égal à mes yeux. Une vague de feu les submerge tous deux, et ils crament littéralement sur place. Ils meurent instantanément, carbonisés avec tout le reste de la pièce derrière eux. Plus de voilures, plus de coussin. Plus de bougie, ni de chandelier. Juste un tas de décombres calcinés, avec au centre, trois cadavres noircis par le feu.
L’horreur de la scène est immense, mais je n’ai le temps de m’attarder sur leur horrible sort : je suis toujours aux prises avec la donzelle, qui me chevauche alors que je suis sous elle. Pas exactement de la manière dont je me suis initialement attendu, mais tout de même. Et elle ne sait guère la position confortable et pour le moins coutumière que cela évoque chez moi. Alors qu’elle me croit à sa merci, et tente de me porter un coup fatal, je pivote sur moi-même, retournant littéralement la situation. Au-dessus d’elle, entre ses cuisses, je lui assène un coup de poing maladroit dans la mâchoire, qui me fait sans doute aussi mal qu’à elle.
(Mais merde, je vaux vraiment rien sans arme !)
Pensée lue aussitôt par Lysis, qui profite de sa forme physique pour m’envoyer un sabre dentelé épargné du brasier. Me relevant, je l’attrape à la volée, et retrouvant la force de mes doigts autour d’une lame équilibrée, je reprends irrémédiablement le dessus sur mon ennemie. Sans la laisser se relever, je glisse la pointe du sabre sous sa gorge après avoir frappé sa main du plat de mon arme pour la désarmer. D’un air soudainement sûr de moi, je m’adresse à elle d’un ton narquois.
« En d’autres circonstances, ça n’aurait pas été ta gorge, que j’aurais transpercé. Ce ne seraient pas ta vie, que j’aurais arraché, mais tes cris et gémissements. N’aurait-ce pas, alors, été une bien plus agréable mort ? »
Je jette un regard de défi à mon adversaire vaincue. Elle saura, ainsi, avant de périr, qu’on ne me piège pas sans en payer les conséquences. Qu’on ne me trahit pas sans directement le payer. Je laisse son regard se teinter de honte et de panique, mais ne lui laisse pas le temps de demander pitié pour autant : ma lame s’enfonce dans sa chair, l’égorgeant sans pitié, alors que la salle continue à brûler. Je ressors l’arme dans une gerbe de sang, et la laisse choir à mes pieds, l’abandonnant aux cendres. Il est plus que temps pour moi de quitter cet endroit, qu’elle a décrit elle-même comme étant loin de tout regard et oreille. Je passe la porte, et Lysis reprend sa forme féérique intangible, se logeant dans mon esprit. Essoufflé, pénétré de la chaleur je m’appuie sur la porte en la refermant. Et sa voix me vrille l’esprit.
(Tu pues la fumée, tes habits sont tâchés. Une chance que j’ai trouvé les bains. Ils avaient l’air déserts… Une bonne occasion pour se laver de tout soupçon.)
Je souris, appréciant l’humour grinçant de ma faera, sinistre dans une telle situation. Mais je me surprends avoir le cœur léger. Tuer ne me fait plus rien. J’arrache les vies comme on cueille une fleur. Sans remords ni considération. Et je ne m’en offusque même pas en m’en rendant compte. Suis-je un monstre ? Ou juste un guerrier franc, à l’esprit libéré de toute loi morale ou norme éthique.
Sans attendre, je prends la direction des bains, indiquée par Lysis, et me questionnant sur les motivations de cette esclaves à nuire à mes jours, elle et ses sbires insectueux.
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