Isil décline nos identités au garde Hinïon de l'entrée, lequel nous laisse passer d'une salutation polie. L'intérieur est aussi fastueux que l'extérieur, son sol est de marbre rutilant et passablement de plantes ornent le hall d'entrée. Un deuxième garde se tient là, qui nous invite à patienter dans une petite salle aux luxueux fauteuils verts après qu'Isil lui ait également révélé nos noms. Des rafraichissements nous sont apportés et, peu de temps après, un Hinïon vêtu de beige aux cheveux pâles et aux yeux d'émeraude s'approche de nous, élégant et aimable:
"Dame Aísillyn d'Escalie, Messire Tanaëth Ithil, vous êtes les bienvenus. Je m'appelle Helevor Dearen, Ambassadeur à la cour de Tahelta, j'attendais votre venue. Comment se porte la délicieuse Dame Callirhoé?"
J'incline poliment le visage tandis qu'Isil sourit et lui adresse un petit signe de tête avant de lui répondre:
"Sire Helevor, elle se porte à merveille et vous envoie ses salutations."
Les deux Hinïons badinent quelques instants, puis l'ambassadeur nous invite à entrer dans son bureau au luxe bien plus sobre que celui qui constitue la norme Sindel à Tahelta. Nous nous installons sur de confortables fauteuils disposés autour d'une table basse sur laquelle se trouvent des fruits et des breuvages. L'ambassadeur nous engage à nous servir et je m'empare d'un fruit que je déguste en silence tandis que les deux Elfes Blancs échangent de nouvelles civilités. Ma compagne finit néanmoins par pouvoir aborder le motif de notre visite:
"La Dame Callirhoé s'inquiétait de nouvelles qu'elle a reçues sur des transactions qui ont été effectuées à Tahelta, en vue de sa reconstruction. Il semblerait que des chargements n'aient jamais reçu leur paiement."
Helevor acquiesce:
"Oui, nous craignons que ces fonds n'aient été détournés d'une quelconque manière car les seules explications que nous avons reçues au sujet de leur absence étaient vagues et peu convaincantes. En conséquence, cela fait des mois que la reconstruction des quartiers les plus pauvres n'avance pas."
Je plisse légèrement les yeux à ces mots, me décidant à intervenir après une seconde d'hésitation:
"Je présume que je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'une véritable guerre occulte d'influence se déroule présentement au Naora? Les "amitiés" coûtent cher, en politique, vos fonds auront servi à financer quelques fastueuses réceptions ou autres cadeaux savamment dispensés, n'en doutez pas un instant. Par ailleurs, certaines factions prônent un isolement total du Naora, soi-disant pour préserver la pureté de notre race et de nos croyances, en réalité pour assurer leur mainmise absolue sur les Sindeldi. Entraver les échanges commerciaux entre l'Anorfain et le Naora est un excellent moyen de susciter des tensions, à plus forte raison s'il s'agit de matériaux indispensables à un grand nombre de personnes."
Je marque une courte pause avant de poursuivre:
"Imaginez que l'opinion publique vienne à penser que vous êtes responsables du manque de fournitures, du retard dans la reconstruction, combien alors se tourneront vers ces factions extrémistes qui prônent le repli? Combien de temps s'écoulera-t'il avant que ces factions exigent la fermeture de votre ambassade? La colère gronde au sein du peuple messire, il suffirait de fort peu de choses pour que la situation dégénère."
Helevor plisse les yeux et hoche légèrement la tête avant de répondre:
"C'est en effet ma crainte et la raison pour laquelle j'ai contacté la Dame d'Escalie à ce sujet. Les conséquences pourraient être catastrophiques. Cependant, la position sur le devant de la scène de l'ambassade nous empêche d'agir directement pour dévoiler les coupables, si nos recherches étaient découvertes, elles se retourneraient immanquablement sur les relations Sindeldi/Hinïons."
Isil me lance un regard incertain en suggérant:
"Je ne possède aucun statut officiel au Naora, peut-être pourrai-je poser quelques questions."
Je prends quelques instants pour réfléchir, les yeux légèrement plissés de concentration, puis je regarde tour à tour mes deux interlocuteurs avant de reprendre la parole:
"Nous pourrions faire bien davantage que poser quelques questions. Les bonnes relations entre nos peuples doivent être préservées, cela me semble crucial pour l'avenir. D'autre part, il me déplairait que les intérêts de la maison d'Escalie soient mis en péril et je pense qu'il serait plus que temps de saper sérieusement le pouvoir totalitaire du Clergé. Révéler au grand jour la corruption qui le gangrène serait un premier pas sur ce chemin."
Je tourne mon attention vers Isil avant d'ajouter:
"Toutefois cela retarderait sans doute notablement tes projets et s'attaquer à ce genre de problème n'est pas sans risques."
L'Elfe balaye ma remarque d'un petit geste de la main:
"Mes projets n'ont rien d'urgent et je peux sans mal les délayer, il y a plus urgent et Callirhoé ne m'a pas envoyée ici pour rien."
Elle fait ensuite face à l'ambassadeur pour lui demander:
"Messire, y a-t-il un contact, quelqu'un qui pourrait nous aider dans cette tâche ?"
Il réfléchit quelques instants avant de répondre:
"Il y a bien un Ithilauster, l'Ithilauster Ephedyn qui supervise une partie de la reconstruction. Il s'inquiète sincèrement des retards ainsi imposés aux populations les plus pauvres."
Je n'ai jamais entendu le nom de ce prêtre, ce qui signifie qu'il n'est pas au sommet de la hiérarchie car Llyann m'en aurait parlé lors de nos palabres du côté de Mertar. Quant à savoir s'il est sincère ou non, nous le saurons bien vite si nous le rencontrons. Je souris légèrement et ajoute à la réponse de l'ambassadeur:
"Je ne suis pas sans avoir quelques relations dans la région, si le besoin s'en faisait sentir. Je propose que nous commencions par aller rencontrer ce prêtre afin de voir ce qu'il peut nous apprendre, où peut-on le trouver?"
L'ambassadeur nous informe que le prêtre se trouve dans un petit temple dédié à Sithi situé dans les quartiers modestes, puis Isil lui tend une lettre en hochant la tête:
"Merci, messire. Tenez, cette lettre est pour vous, j'avais pour charge de vous la donner, elle provient du Temple des Plaisirs de Kendra Kâr."
Helevor acquiesce comme s'il connaissait ce nom et prend la lettre. Nous repartons sur des sujets moins sensibles pendant quelques minutes puis prenons congé.
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Ce n'est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur. (Aung San Suu Kyi)
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