Loin d'être un des fastueux défilés que l'on peut voir lors de certaines fêtes, notre groupe est à peine plus grand que celui des marchands et troubadours qui peuplent l'allée en ce jour ensoleillé. Nous sommes toujours que quatre, les deux gardes de la ville, mon père et moi, vêtus de nos équipements hétéroclites et montés sur des chevaux qui ne sont en rien Sindel, tant par leur maintient que par leur élégance, qui nous vaut le regard et les commentaires des gens bien-pensants qui habitent dans les quartiers chics que nous traversons. Tahelta n'a rien à voir avec Kendra Kâr, la cité est à la fois bien plus vieille, mais aussi bien plus belle. Cependant, je comprends l'amour de Naémin pour la cité blanche car elle est plus accueillante, moins réfractaire à la nouveauté et à l'étrangeté. J'avais oublié à quel point le royaume des Elfes gris pouvait, malgré la modernité de ses technologies, être bloquée dans un temps passé où seule sa race existait.
"Tu as l'air bien pensive ma fille.""Ca fait longtemps que je sais que je vais devoir revenir ici. Et je ne m'attendais pas à un accueil chaleureux, mais je n'envisageais pas de pouvoir traverser la cité sans chaîne ou autre."Les nombreuses fois où j'avais songé à mon retour dans cette cité, je l'avais vu couvert de chaîne, traité à l'opprobre avant d'être jetée aux cachots, spoliée par mon propre peuple. C'est cette peur du retour qui avait crée en moi cette haine de mon propre sang.
"Tu ne pouvais pas prévoir que ton retour se ferait sous la couverture d'un vagabond. Maintenant, il faut avoir confiance, une fois passé le fluide, nous aurons la paix, quoiqu'il arrive."Le brouhaha de l'avenue toujours pleine de monde nous permettait de parler à voix basse avec mon père sans être entendu des deux gardes, à 10 pas devant nous, selon la convenance.
"Je pensais à tout autre chose, par rapport aux mondes extérieurs. Pensez-vous que l'histoire du paradis perdu serait vraie d'une certaine manière? Et que nous venions d'un autre monde?""J'ai vu tellement de choses que je le pense bien. Il existe d'ailleurs un fluide sous très haute surveillance au fond de la milice, parmi les vagabonds on raconte que ce fluide mène à notre monde d'origine...""Mais qu'est-ce qui aurait pu nous chasser d'un monde complet?""De nombreuses choses poussent des êtres à fuir leur monde, j'en ai connu un de ces transferts y a de très nombreuses années.""Ah?"Mon père a toujours été un très bon conteur et j'aimais l'écouter durant des heures couchée devant l'âtre de la cheminée avec Nazca sur mon dos. Ses histoires m'avaient toujours captivée et je n'avais jamais compris à quel point ces légendes et histoires avaient un fond profond de vérité.
Tandis que nous continuons notre marche à travers l'avenue bordée de maison et d'échoppes, mon père me raconte comment, un peuple ressemblant à des hommes du désert avait dû fuir leur monde à cause d'un refroidissement brutal qui avait amené la pluie, fertilisant petit à petit leur précieux désert. Ils avaient été amené dans un autre monde où personne ne pouvait vivre tellement il était chaud, mais où logeait de nombreuses créatures de feu et de terre qui terrorisaient les natifs de ce monde en étendant leur territoire sur les zones cultivables. L'équilibre avait ainsi été rétabli et les deux peuples avait fini par coopérer et marchander, chacun restant malgré tout la majorité du temps dans son territoire, rencontrant les autres qu'à des périodes déterminées.
Les boutiques changent petit à petit, nous sommes passés du quartier orienté nourriture à celui, bien plus agréable à mes yeux d'aventuriers : le quartier des bijouteries. Je prends le partie de m'écarter du centre de la voie où nos guides s'obstinent à demeurer, nous maintenant à l'écart des boutiques.
"Cela vous dérangerais qu'on puisse prendre quelques minutes pour admirer les produits que seuls les elfes gris savent faire."Le sergent hausse les épaules avant de nous rejoindre et de nous laisser profiter des échoppes. Je me surprends à constater que les pierres ne dégagent que peu de puissance, voire aucune, quoi de plus normal en fait. Mais cela fait un certain temps que je ne me suis pas penchée sur une simple boutique. Passant devant une petite boutique un peu à l'écart, je descends de cheval pour voir le matériel de plus près, mais là aussi je suis déçue, les bijoux, bien que beaux et élégants, ne referment pas la puissance de ma petite bague. Je hausse à mon tour les épaules avant de me remettre en selle, rien ici ne vaut mes deux bagues et mon vieux bracelet.
(Lirelan, il me faut le nom du plus grand tanneur ou du plus grand couturier de la cité!)(Y a Karadël, le Tanneur. Il fait de l'excellent travail avec du cuir.)"J'aurais besoin d'aller voir Karadël. Avant ma mission, j'ai une petite chose à lui faire faire."Le garde me toise, jaugeant manifestement de ma puissance avant de décider s'il doit ou non accéder à ma requête. Il finit par céder devant le regard noir de mon père et mon geste des plus détachés exhibant mon épée en plus de mon bâton. Nous changeons donc de direction pour aller vers le quartier des tanneurs que nous atteignons quelques minutes plus tard à peine.
(((Vers la tannerie de Karadël)))