Au lieu de réagir à ma pique, le mâle prend un chemin détourné, m'expliquant qu'en me voyant émerger du terrier, il a préféré aller avertir les autres. Rien qu'énoncer ce fait me rend suspicieux à son égard. À quoi bon les prévenir ? Ce que je faisais ne le regardait pas. Il tente peut-être de déguiser ses réelles intentions. Malgré la hargne qui me fait résolument croiser les bras et camper sur mes jambes, je tends ma spirale auditive à ses paroles. Tenter une fuite en force ne ferait que renouveler l'intervention de l'écervelée féminine. Et voilà que Dae'ron met aussi ma situation sur le compte de mes actions, m'accusant de n'avoir rien fait pour paraitre amical.
(
Et un de plus dont ce n'est pas la faute... Tch ! )
Il est aussi hypocrite que les autres. Autres dont je me rends compte qu'il ne s'agit pas exclusivement de femelles. Je l'ai cru à cause de la longueur de leur chevelure assombrie, et parce qu'ils sont aussi mal fagotés que les créatures puantes les entourant. L'un deux s'approche mais ne fait pas attention à moi. Il fait un geste de la main et je peux sentir ma marque disparaitre de mon interlocuteur. Après son petit effet, il annonce posément qu'il s'agit de magie noire. De plus en plus suspect. Ce type serait lui-même adepte de magie ?
Contraint de rester immobile, et tenant fièrement devant des aldrydes majoritairement plus grands que moi, mes spirales auditives sont agressées à leur tour. C'est la mégère, demandant si je maitrise la magie noire.
(
Nooon. Il vient juste de l'annoncer, mais évidemment, faut que ça pointe des évidences. Imbécile. )
Et là, sans que je demande quoi que ce soit, elle commence à déblatérer sans discontinuer. Une affaire importante, une place qui l'est autant de la magie noire dans ladite affaire et un faux compliment sur mon air débrouillard et combatif. Oh non, on me l'a déjà faite celle-là, mais sur mon intelligence. Sauf que cela venait de la bouche d'une humaine coincée dans un bouquin, et que cela n'a pas mieux marché. Et voilà qu'elle tente maintenant de m'appâter avec une soi-disant récompense. Je ne lui accorde pas même l'ombre d'un regard. Il ne manque plus que la menace, et elle aura tenté la totalité des tentatives de persuasions. Ce qu'elle sous-entend me fait m'assombrir.
À son tour, le véritable meneur de ce groupe s'approche et sa taille supérieure à la mienne m'oblige à lever légèrement les yeux.
(
Grrr. )
D'un égocentrisme certain, il m'annonce qu'il se sentira moins seul entre cette femelle qui a du prendre un coup de trop sur sa caboche vide, et le tas d'incapables sachant parfois à peine parler. Si c'est affectueux, cela ne se voit pas du tout. Encore un qui se sent au-dessus de la masse, et cette dernière, dans sa grande crétinerie, l'appuie dans ce système.
Je penche un peu la tête sur le côté, présentant légèrement mon profil à cicatrice sous casque. Sarcastique, je lève la main droite en tendant les doigts à la verticale, comme pour bloquer ses mots.
"
Attends, là. Tu essaies de me dire qu'après avoir voulu me faire tuer, tu cherches à m'enrôler ?"
J'abaisse mon avant-bras et retrousse légèrement la lèvre supérieure. Il croit me flatter en m'élevant au-dessus de ses larbins ? M'amadouer en se montrant cordial ? J'ai fréquenté des hypocrites et des menteurs plus d'une dizaine d'années. Il ne me la fera pas à moi. Si ma rencontre avec Célestin m'a appris quelque chose, c'est bien de me méfier de ce genre de gentillesse. D'ailleurs, je ne suis pas dupe. La femelle a éventé son plan à mon sujet. S'il croit que je vais rejoindre sa troupe de bras cassés simplement parce que nous sommes de la même race, il se trompe d'aldron en mal de vie sociale. Et son clin d’œil confiant, se voulant peut-être complice à mon intention, ne fait que me hérisser le poil.
Je lui rends son regard et prends un ton froid.
"
Épargne-moi tes flatteries. Tu n'en as qu'après ma magie."
Je rive un regard assassin au visage de la femelle.
"
Comme celle-ci."
La sensation que je suis de nouveau pris au piège se niche dans ma poitrine. Ma liberté est en danger, au moins pour la troisième fois depuis ma fuite du manoir. Leurs paroles n'ont aucun poids ni valeur à mes spirales, mais s'ils ont besoin de mes pouvoirs, ils ne vont certainement pas me laisser partir facilement. Je suis toujours salement entouré et, pour me calmer, je prends la décision de ranger ma sarbacane dans ma manche. Cela ne signifie pas pour autant que j'abandonne la partie. Comme avec le lutin, il me faut prendre mon mal en patience et attendre le bon moment. Tant que Lyïl va bien et que j'ai toute ma tête, les occasions de leur fausser compagnie ne manqueront pas.
Mais en attendant, je mets Dae'ron au défi de réfuter mes paroles d'un regard appuyé. Se conduire comme un proche ne lui rapportera rien, et ses tentatives de se frayer un chemin dans mon cœur se heurteront à un mur. Le dernier aldryde envers lequel j'ai eu des sentiments m'a fait plus mal que tout ce que j'ai ressenti jusque-là. Sauf peut-être cette blessure au visage. J'ai retenu la leçon. Tout miel qu'il soit, il ne me bernera pas.
Je ne suis pas une femelle sans cervelle et en mal de mâle, moi !