AvantLes bois s'étendaient menaçants sous le Soleil couchant et imperturbable. Helboldt était descendu du cheval et l'avait laissé là, s'attendant à ce que celui-ci revienne jusqu'aux portes de lui-même – mais non, il profitait de l'absence de maître pour brouter quelques unes des herbes présentes. Le professeur était certain d'avoir vu Ferdinand pénétrer dans la forêt par là, mais il ne reconnaissait rien : ni traces entre les vertes fougères, ni léger bout de tissu arraché après un passage dans des ronces qui pourrait le guider. Il fronçait les sourcils à mesure qu'il s'avançait dans la forêt, un pas après l'autre, sentant quelques gouttes de sueur couler sur sa tempe. Plus il attendait, plus Ferdinand s'éloignait, mais plus il se précipitait, plus il risquait de se tromper – un hululement sinistre le fit sursauter.
- Ferdinand ! cria-t-il.
Seul le silence de la nuit lui répondit. Il pesta à mi-voix et s'aventura plus profondément dans la forêt, écartant du bras les plantes qui entravaient le passage.
- Ferdinaaand ! répéta-t-il en hurlant. Je n'ai pas volé un cheval pour rien, quand même ! marmonna-t-il en continuant de s'enfoncer.
Mais les arbres bloquaient la vision dans toutes les directions. Il était ardu de marcher sans chuter sur le tapis des lichens et des plantes basses. (Il n'a pas pu courir... C'est un enfant... Il n'a pas pu aller bien loin...) Il s'agissait plus d'un espoir fou que de véritables raisonnements. Le gamin courrait et montait aux arbres dans le jardin de ses parents, il était absurde de supposer qu'il ne pourrait pas faire de même ici !
Pris de doutes, Helboldt chercha la bouille maline de l'enfant entre les branchages alentours, mais il n'y avait rien. Il avança encore.
- Ferdinand, viens ici ! ordonna-t-il impérieusement.
Il crut entendre un pouffement retenu non loin et se tourna rapidement, plissant les yeux pour distinguer quelque chose. La luminosité baissait. Sans prendre le temps de vérifier, il se rapprocha de l'endroit supposé du rire révélateur.
- Ferdinand... gronda-t-il.
L'enfant dut sentir l'approche du précepteur et surgit de derrière un imposant tronc pour se mettre à courir entre les bois. (Mais comment fait-il pour aller aussi vite ?) se plaignait intérieurement Helboldt en essayant tant bien que mal de suivre la cadence.
- Ferdinand, ça suffit ! La... La plaisanterie... a assez duré !
Mais il s'essoufflait à crier ainsi dans le vent, frais et nocturne, tandis que l'enfant prenait de la distance, se retournant néanmoins pour rétorquer, par pure provocation :
- M'en fous ! J'vais vivre tout seul dans la forêt, moi !
Et il repartait de plus belle. Ils coururent encore dans le brouillard de la nuit qui s'épaississait mais il arriva le moment fatidique où Helboldt ne tenait plus. Il s'effondra au sol, haletant, Ferdinand disparaissant aussitôt dans l'obscurité à présent maîtresse des lieux.
- Ferdinand... Ferdinand...
Il enrageait – soudain on entendit un cri, un bruit de chute, plus rien. Il n'y avait plus que le vent qui soufflait entre les feuilles, les petits cris des animaux nocturnes, le souffle rauque d'Helboldt tandis que l'air froid embrasait ses poumons à chaque respiration. Mais les sons étouffés de la course de l'enfant s'étaient tus. Il se releva et crut distinguer un gémissement et quelques frottements.
Avançant lentement, chacun de ses pas testant le sol devant lui, il guettait un autre son. Mais seuls quelques pleurs ténus lui parvinrent. Enfin, il sentit le sol descendre brusquement devant lui et demanda, presque inquiet :
- Ferdinand ? J'arrive.
Car c'était bien lui qu'on entendait quelques mètres plus bas, au fin fond de la fosse trop peu éclairée par la Lune pour qu'on distingue le corps de l'enfant. Helboldt s'accroupit, s'avança : puis il se laissa glisser sur le tapis de feuilles mortes jusqu'en bas, un léger crissement accompagnant sa descente contrôlée. Sitôt arrivé au fond, sitôt il sentit contre son pied un corps qui s'écarta un peu. Il se baissa à nouveau, le saisit entre ses bras pour le remettre sur ses pieds et demanda :
- Mon garçon, tout va bien ?
Le gamin essaya bien de se débattre un peu, mais c'était peine perdue et, sans prévenir, il se mit à pleurer – pardon, à hurler. Ses cris se répercutaient loin dans la forêt et, si cela avait peut-être un effet dissuasif sur certains petits animaux, leur position pouvait maintenant être localisée avec précision pour tout prédateur nocturne.
- Ça suffit, il faut rentrer. Chut, s'il te plaît, chuuut...
Mais le garçon continuait à pleurer à chaudes larmes. Soudain, un hurlement lugubre lui répondit au loin et il s'arrêta net.
- Qu'est-ce que - qu'est-ce que - qu'est-ce que c'était que ça ? finit-il par balbutier, commençant soudain à s'agripper nerveusement aux frusques du professeur.
- C'est un loup, ça, répliqua Helboldt du tac-au-tac, donc tu ferais mieux de retenir tes cris si tu ne veux pas qu'il nous trouve.
En vérité, le loup n'avait maintenant sans doute plus besoin de cris pour les pister, sachant qu'ils étaient là, et seule l'obscurité cachait l'anxiété croissante du professeur. D'ailleurs, un second hurlement fendit la quiétude nocturne, clairement plus proche.
- Ou plutôt sa meute, précisa Helboldt. Tu peux te lever ?
- Ou-oui...
- Monte là-haut. Je te rejoindrai ensuite. Attention ? Oh-hisse !
Ils avaient chuchoté ces dernières paroles et, dans un calme certain, Ferdinand atteint le sommet de la butte.
- J'arrive.
Quelques instants plus tard, ils se retrouvèrent tous deux en haut, perdus en plein milieu de la Forêt du Nord Kendran. Le petit garçon, étrangement, vint de lui-même chercher la main du précepteur pour la serrer fort.
- Comment... Comment on fait pour rentrer ?
- Eh bien, il ne reste plus qu'à faire un peu de géographie.
Un silence de mort lui répondit.
- C'est... c'est une plaisanterie, c'est ça ? demanda Ferdinand avec un petit rire nerveux.
- Absolument pas. Quelles sont les caractéristiques de la Forêt du Nord Kendran ?
Ce disant, le professeur commença à s'aventurer dans une direction, tirant doucement l'enfant vers lui, l'autre main palpant les ténèbres devant lui pour s'assurer de ne rencontrer aucun tronc trop brutalement. Bien que maître parfait de ses émotions, il ne savait réellement ce qu'il devait faire : rentrer était une excellente solution, mais que feraient-ils s'ils rencontraient l'une des bêtes qui les traquaient ? En tout cas, en faisant mine de tout garder sous contrôle et en mobilisant la partie rationnelle de l'esprit de Ferdinand, ça servirait à les calmer tous deux...
- Euh... Euh... C'est une forêt de feuillus ? Il y a des loups ?
- Mouais. Tout ceci nous importe peu pour le moment – attention, il y a des orties juste là. Réfléchis, Ferdinand, que pourrait-on utiliser pour se repérer au sein de cette forêt sans aucun repère visuel ?
- Les étoiles ? Je suis sûr que vous savez vous repérer avec les étoiles ! s'exclama l'enfant plein d'espoir.
Helboldt soupira.
- En effet. Mais j'aurais beaucoup de mal à monter aux arbres.
- Moi, je peux le faire ! Je vous dirai ce que je vois et on rentrera à Kendra Kâr...
- Il y a pourtant bien plus simple, répondit le professeur en retenant Ferdinand. Si tu montes à l'un de ces arbres, tu verras Kendra Kâr approximativement dans la direction que nous suivons grâce aux lumières de la ville, mais peut-être que non... Il est difficile de prévoir ce que tu verrais, tout dépend de la hauteur à laquelle nous sommes et de la hauteur de l'arbre : mais je refuse que tu te risques à grimper si je ne peux empêcher une chute, affirma-t-il. J'imagine que, dans le pire des cas, nous ressortirons environ moins d'une dizaine de kilomètres trop à l'Est ou à l'Ouest. Mais si tu regardes le sol...
- Mais oui ! La pente !
Aussitôt, le garçon plaqua de lui-même sa main sur sa bouche, s'attendant à un nouveau hurlement non loin.
- C'est exact, continua le professeur. La pente file vers la mer, c'est bien normal, donc vers la ville elle-même. D'ailleurs... Nous devrions même aller un peu vers l'Ouest, pour être sûrs.
- Pourquoi ça ? Nous ne risquerions pas alors de nous retrouver trop loin, justement ?
- Tu oublies que nous sommes partis dans la portion de forêt à l'Est de la route principale reliant Kendra Kâr aux Duchés. Si nous tombons dessus, il nous suffira de la suivre.
Ferdinand dut acquiescer de la tête dans l'obscurité et ils continuèrent leur marche. De temps à autres, il serrait davantage la main de son guide – à cause d'un hululement, du passage rapide d'un rongeur non loin ou simplement d'un coup de vent dans les branches des arbres. Ils alternaient zones d'ombre sous des feuillages denses et éclaircies à la lumière lunaire quand soudain, une clarté plus grande les surprit. Une clairière de quelques mètres. Ferdinand se laissa tomber au sol.
- Je suis épuisé... tenta-t-il de se justifier.
- Ça ne fait rien, prenons une pause. Nous devons nous rapprocher de la mi-nuit, quand bien même nous arrivions à Kendra Kâr maintenant, les portes n'ouvriraient pas avant six bonnes heures d'attente, expliqua-t-il en s'accroupissant à côté.
- Mais... Si je leur dis que je suis le fils du Baron ?
- Ça ne changera rien, crois-moi, objecta durement Helboldt. Tu t'es enfui, tout de même, peu de chances qu'un privilège tel que celui-ci te soit accordé.
Ferdinand grommela avant de rajouter :
- Pourquoi j'ai l'impression d'avoir plus marché qu'à l'aller ?
Helboldt claqua de la langue et rétorqua :
- Je ne peux pas être sûr avec exactitude de la direction à suivre. Il y a toujours une imprécision : la pente n'est pas si régulière que ça. Quant à ce que j'en vois là, fit-il en désignant la voûte céleste, nous avons pris la bonne direction, à peu près. Tiens, au fait, t'es-tu fait mal tout à l'heure ?
- Ça va, je crois. J'ai eu un peu mal aux fesses...
- Des bleus, sans doute. Si tu as pu marcher jusqu'ici, en tout cas, tu ne t'es rien cassé, mais on vérifiera ça à Kendra Kâr.
Ils restèrent quelques instants là à se reposer lorsque Helboldt se leva.
- Allez. Il est temps de repartir. Plus tôt nous serons proches de Kendra Kâr, mieux ce sera.
- J'ai pas enviiiie...
Mais il suivit tout de même. Ils se reprirent la main ainsi que la marche dans l'obscurité.
- J'ai une question, commença Ferdinand. Combien ça fait, du coup, la longueur de l'autre jour ?
- La diagonale du carré ? Je suis surpris que tu demandes ça en une telle occasion.
Et en vérité, il était étonné. Ce gamin était incroyable à un point...
- Oui, bah dites-le maintenant, répliqua-t-il agacé.
- Ça dépend. Je te le dirai lorsque nous serons rentrés, seulement si tu ne vas pas dire au Baron des bêtises et que tu lui dis bien fort que tu t'es enfui seul.
- Pas de problème, affirma le gamin.
- Ah, oui, et il faudra que tu le convainques que j'ai volé un cheval pour ton bien.
Ils passaient justement dans un rayon de pleine lune et Ferdinand écarquilla les yeux en le fixant soudainement.
- Volé un cheval ? répéta-t-il sans y croire.
- Tu cours vite, éluda le professeur. Mais je suis certain que ton père a les contacts suffisants auprès de la Garde pour étouffer l'affaire.
- Je ne sais pas si je le ferai, du coup... vous êtes un criminel, maintenant.
Helboldt s'arrêta et fixa l'enfant, une colère sourde montant en lui sans que, dans les circonstances présentes, il ne parvienne à l'en empêcher – n'était-il pas perdu en plein milieu d'une forêt avec des loups à leurs trousses ?!
- Bon, ça suffit Ferdinand. Tu t'es bien amusé à t'enfuir comme ça, moi pas. Je suis venu te chercher au fond de cette fichue forêt pour quoi ? Tu crois que je suis payé pour faire ça, moi ? Tu crois que j'ai le choix ?
Le ton s'était levé soudainement, mais cela avait rendu la figure du garçon dédaigneuse. Le contrôle de l'adulte revenait enfin.
- Pardon, Ferdinand. Allons-y.
Mais cette fois-ci, c'était l'enfant qui n'avançait plus.
- Je suis fatigué. J'ai pas envie de continuer avec vous ! On n'entend plus les loups, de toute façon, ils sont loin. J'ai cru un moment que vous étiez sympa, mais je me suis bien trompé dites donc !
Il tourna agilement son poignet et se libéra de l'emprise du professeur pour s'asseoir directement sur place, les bras croisés. Helboldt leva les yeux au ciel, soupira, s'exaspéra à haute voix du manque de réflexion de l'enfant – mais rien n'y fit. Ce dernier restait impassible, cloué au sol, refusant à tout prix de bouger davantage son noble popotin.
Le professeur se tut et attendit un peu, sans bouger, simplement à fixer le gamin turbulent. Il crut que cette guerre froide durerait la nuit, avant de remarquer que l'enfant s'était soudainement mis à trembler.
- Ferdi... ?
Tournant le regard dans la direction que fixait le petit garçon, Helboldt s'arrêta net. De l'obscurité émergeait, grondant, un énorme loup à la crinière noire et épaisse. Ses pattes puissantes morcelaient la terre sous ses pieds à chacun de ses pas lents, tandis que ses yeux rouges luisaient et que ses dents aiguisées et éclatantes prophétisaient une mort certaine à quiconque se laisserait attraper par celles-ci. Ferdinand, doucement, s'était levé et avait attrapé de nouveau la main d'Helboldt, la serrant anxieusement. Ils reculaient aussi imperceptiblement que possible face au loup, mais celui-ci avançait de même, son grondement sourd s'amplifiant à chaque instant. Il était là : agressif et majestueux, terrible et mortel danger.
- Mon garçon... souffla Helboldt. Je vais essayer de le retenir. Tu vas reculer et monter à l'arbre juste derrière, et tu ne vas pas en bouger, compris ?
Il n'attendit pas de réponse et arrêta de reculer, le regard impassible face au loup. Les deux adversaires se jaugèrent quelques instants, et comme il apparut que l'un était bien plus costaud que l'autre, il attaqua brusquement. Les mâchoires du loup fondirent sur le bras du professeur qui se mit à incanter, doucement, quelques paroles arcaniques qui firent trembler – très succinctement – la terre alentours.
Les fluides d'Helboldt s'échappèrent de son corps, investirent la Terre et vinrent entourer le loup en un instant. Les yeux fermés, il suffit d'un petit mouvement de la base du poignet pour que le sol, transformé en boue, vienne entourer les pattes de la bête, écraser ses poils, figer ses muscles et l'emprisonner entièrement dans un étau de boue aussi résistant qu'une prison de métal.
Helboldt sourit, se retourna et fonça jusqu'à l'arbre. Commençant à grimper aux branches, non sans difficultés, il entendait déjà le grognement du loup qui reprenait derrière alors que son sort se craquelait. Ce n'était pas grand-chose, un simple tour de passe-passe appris auprès de ses lointains cousins Hinïons, eux-mêmes experts dans l'art de manier toutes les formes de magie, mais c'était bien utile dans ce genre de circonstances.
Soudain, son pied dérapa sur l'écorce et ses mains faillirent lâcher : de plus petites vinrent le rattraper. Ferdinand se tenait là, aussi agile entre ces branches qu'un de ces macaques qu'on voit dans les zoos des cirques ambulants ou dans les livres d'images pour les enfants. Le professeur lança un regard en arrière, donna un coup de pied sur le museau du prédateur autant pour le repousser que pour s'aider lui-même à se hisser et, avant que le loup ne puisse lui répondre par une morsure, il fut en haut, bien agrippé aux branches épaisses au-dessus du tronc.
Soupir.
- Vous allez bien ?
Il adressa un regard fugace au gamin, cette fois inquiet pour lui. En bas, le loup grogna plus fort et se mit à hurler.
- Il ne va pas monter ? demanda encore l'enfant.
- Les loups ne montent pas aux arbres, expliqua le professeur. Lorsque le jour se lèvera, il partira, de peur que des hommes viennent le traquer par ici. Il est déjà étonnant qu'il se soit aventuré si proche de la ville...
En toute rigueur, c'est sans doute parce qu'il avait entendu le cri d'un enfant à travers la nuit qu'il avait osé. Un instant, on n'entendit plus que le chant du vent et les murmures de la nuit, l'expression comme le souffle d'Helboldt s'apaisant doucement.
- J'ai... un peu peur, continua Ferdinand.
Le professeur s'arrêta à temps pour ne pas soupirer d'exaspération et, lorsqu'il tourna la tête vers le petit garçon, il constata que celui-ci ne regardait pas le loup qui continuait à leur tourner autour en-dessous mais le ciel étoilé. Levant à son tour les yeux vers les espaces entre les feuillages, Helboldt ne put que les écarquiller.
Des volutes de lumière parcouraient l'éther, verts, roses, orangés, dévoilant les couleurs divines aux simples mortels qu'ils étaient. Elles dansaient entre les étoiles, de longs rubans bariolés qui narguaient les vils êtres terrestres et rampants. Mais loin d'être impressionné par ce phénomène qu'on aurait raisonnablement pu qualifier d'étrange, Helboldt plissa les yeux et se mordilla le pouce en continuant de les observer. Pouvait-ce être... ?
- Nous ne craignons rien de cela, affirma-t-il à l'attention de son protégé. Es-tu capable de monter pour que nous les observions mieux ? Les branchages gênent légèrement...
L'enfant, quoique circonspect, hocha de la tête et se mit à grimper jusqu'à un point d'observation où les feuilles bloqueraient peu leur vision, aidant Helboldt à suivre ses pas en lui indiquant les prises. Le chêne sur lequel ils étaient montés était robuste et inébranlable, laissant par chance de larges branches sur lesquelles monter sans risque qu'elles cassent. Malgré une avancée lente et difficile à cause des difficultés qu'avaient le professeur, ils finirent par arriver à leur but.
D'en haut, le spectacle était encore plus magnifique. Les enroulements brillants chassaient l'obscurité de la nuit et éclairaient la forêt et toute la surface de Yuimen d'un éclat mystérieux, le professeur se prenant à sourire devant la scène féerique.
- On dirait les aurores boréales présentes uniquement sur le Nosvéris, si j'en crois les récits des quelques voyageurs qui en sont revenus et que j'ai entendus, ou lus, expliqua-t-il. Dans cette région, c'est tout à fait exceptionnel.
Il prit une pause pour continuer à les contempler, mais Ferdinand le pria d'une petite pression sur son bras à poursuivre.
- On dit par là-bas que ce sont les manifestations des Dieux. Lorsque ceux-ci font la fête, qu'ils chantent et qu'ils dansent, leurs fluides élémentaires se retrouvent éjectés sur la surface de Yuimen et forment ces longues traînées colorées.
- C'est vrai ?
- Oh, je n'en sais rien. Peut-être que c'est tout autre chose... Mais parfois, il suffit de les contempler pour s'en satisfaire, n'est-ce pas ?
Le garçon hocha de la tête sans les quitter du regard. À vrai dire, Helboldt ne croyait guère à ces explications. Il ne pouvait expliquer concrètement l'apparition de ces phénomènes – qu'il pouvait apercevoir pour la première fois de sa vie – mais il se doutait, ou espérait tout du moins, qu'un mécanisme indépendant des volontés divines était en place.
- Peut-être qu'avec ces lumières je peux voir si Kendra Kâr est pas loin.
- Tu peux... Ou tu peux continuer à les observer. Veille simplement à ne pas tomber.
Les yeux fatigués du professeur ne pouvaient se détacher de la vision enchanteresse qu'offraient ces aurores boréales au plus profond de la nuit. Mais Ferdinand affirma, après avoir jeté un regard vers le bas :
- Le loup est parti.
(C'était tout aussi bien comme ça,) songea Helboldt en se calant entre deux branches pour éviter de tomber, sachant qu'il ne se remuait que peu pendant son sommeil – encore un héritage des Hinïons qui se contentaient, eux, de méditer pour recouvrer leurs forces. La nuit était bien entamée, et si l'adrénaline l'avait tenu éveillé jusqu'ici ainsi que l'enfant, le contre-coup commençait à arriver. Et quoi de mieux que de se laisser tomber dans les songes les plus merveilleux, maintenant que les manifestations des Dieux mêmes venaient frapper de leur splendeur ses yeux d'humain, lui qui était condamné à disparaître dans les méandres de l'éternité, tandis qu'eux veilleraient toujours à la continuation de leurs disputes célestes et à la préservation de leurs intérêts divins ?
Sur cette pensée cynique, il s'endormit, après en avoir pris plein les mirettes.
Après