Les jours passaient et se ressemblaient. Bien que Nimfea avait l'habitude de passer plusieurs jours en forêt, elle sentait une différence dans le fait que sa résolution ne la mènerait pas à nouveau vers Cuilnen. Elle avait fini par avoir une sorte de routine dans sa marche dans les bois, les moments pour chasser, pour se nourrir ou pour se reposer. Connaissant bien la forêt autour de la ville, elle allait vers des coins moins connus. Il n'y avait ni passage, ni chemin à suivre, mais elle savait garder sa direction sans problème. Circuler dans cet endroit, en tant qu'elfe aidait grandement. Ses sens aux aguets, la jeune femme se promenait avec l'arc toujours prêt à toute éventualité. Elle avait bien rencontré quelques bêtes sauvages, mais ces rencontres avaient été brèves et le plus souvent, elle changeait de direction pour ne pas être attaquée et pour laisser le terrain libre à ces bêtes. Après tout, elle se promenait sur leur territoire.
Depuis quelques heures, elle entendait faiblement le cri d'un loup. Une sorte de son larmoyant qui lui fatiguait l'oreille. Elle avait d'abord tenté de ne pas s'en préoccuper, mais il y avait de quoi dans le cri qui l'agaçait. Quelque chose clochait et elle finit par se dire qu’il valait mieux en avoir le coeur net. Suivant donc les ondes sonores, se fiant surtout à ses oreilles pour tenter de repérer le son dans la densité des bois, Nimfea marcha longuement avant d'avoir enfin l'impression de se rapprocher. Pas de doute, c'était bien le son d'un loup, mais certainement pas un loup en bonne santé et cela ne l’inquiétaient que davantage. Lorsqu'un loup était blessé après un combat, il était normalement mis à mort par les autres membres de la tribu ou agonisait rapidement de ses blessures. Le temps qu'elle avait pris pour enfin suivre le son et retrouver le chemin vers la créature, elle aurait dû être morte.
C'est au détour d'un buisson qu'elle finit par mettre pratiquement le pied dessus. L'aboiement de la bête, mêler à ses plaintes, la fit reculer. C'était bien un loup, probablement à la fin d'adolescence, au pelage d'un gris terne qui se mêlait bien à la noirceur des bois denses. Il avait tout l'air agressif, malgré tout, et s'en approcher était une très mauvaise idée. Observant rapidement la situation à quelques pas de l'animal, après avoir reculé, Nimfea réalisa le problème. Une vague de colère monta en elle et la chaleur de celle-ci lui fit rougir le visage. La patte arrière de l'animal se retrouvait coincé dans un piège de métal, broyant peau muscle et peut-être mêmes os de la jambe. Ce genre de mécanisme n'était pas du tout utilisé pour une chasse normale et Nimfea pensa au braconnage. Qui oserait traverser les bois si purs et venir ainsi capturer des bêtes de façon si cruelle? Songeant que les personnes qui en avaient eu l’idée étaient probablement perdue et mort déjà à cette heure en errant sans directions dans ces bois, elle se dit qu'elle devait faire quelque chose pour la bête. Ainsi blessée, elle ne pourrait remarcher sans soin à long terme et il y avait très peu de chance qu'un clan le prenne à nouveau parmi eux. Les blessés étaient toujours abandonnés pour laisser la place aux plus forts. De plus, l'animal refusait de la laisser s'approcher. Il n'y avait qu'une chose à faire pour l'aider : abréger ses souffrances.
Autant Nimfea avait participé à de nombreuses chasses, autant que cette fois-ci c'était une autre paire de manches. Son couteau était trop court pour l'aider à égorger la bête rapidement, son arc restait sa seule option. Elle encochait et tira la corde en prenant une grande inspiration. Ses yeux étaient braqués sur l'animal et celui-ci sembla un instant se calmer, comme s'il comprenait ce qu'il se passait. Viser la tête risquait de faire manquer la cible, le crâne étant plutôt solide et elle ne voulait pas prendre plus de distance. La gorge était facile, mais promettait une agonie plus longue. Elle visa donc le ventre, ce qui permettrait une mort plus brève, bien que douloureuse. Cependant, avec les heures de torture qu'il avait subite, cela serait plutôt une paix pour l'animal. Elle prit un temps pour se calmer, sentant son coeur battre à tout rompre. Fermant les yeux, elle les rouvrit, valant mieux par respect pour le loup de garder les yeux ouverts. Lorsque sa flèche partit, elle vit au ralenti les plumes vibrées dans l'air avant de s'arrêter nettes au bout du bois fiché dans le ventre de la bête. Elle émit un long gémissement avant de fermer les yeux puis son corps s'affaissa. Redescendant ses bras qui maintenaient encore l'arc, une larme coula sur la joue de Nimfea. Elle l'essuya du revers de la main et s'approcha de l'animal, entreprenant de dégager la patte du piège métallique. Après s'être assuré que le piège ne fonctionnerait plus, elle prit le corps de la bête et le souleva de tête. C'était tout de même lourd, mais elle voulait le déplacer de l'endroit où il avait été piégé. Trouvant une section de terre recouverte de mousse, elle déposa la bête sur ce lit de fortune. Elle resta un bon moment à observer la bête, perdue dans ses pensées.
Sa route devait continuer, et la vie de la forêt aussi. Elle se releva, essuyant l'herbe et les feuilles collées sur ses jambes et après un dernier regard à l'animal, elle reprit sa route, le coeur encore plus lourd qu'au départ. Elle n'aurait pas cru cela possible, mais cette situation l'avait fait réaliser à quel point certaines choses sont plus difficiles que d'autres. La signification derrière chaque mouvement a une importante capitale et si jamais elle tombait sur ceux qui avaient osé faire cela, elle leur ferait comprendre sa façon de penser...
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