A peine l'Aynore a-t-il atterri que je délivre Sinwaë et descend d'un pas nerveux la passerelle de l'engin, le visage figé en un masque d'impassibilité qui n'est trahie que par l'éclat trop vif de mes prunelles. Je marque un arrêt juste avant de toucher le sol, baissant brièvement les yeux sur la terre de mon pays natal avant de le relever sur la cité qui se découpe sur le ciel non loin de là. Un ample soupir, puis je pose le pied au Naora, pour la première fois depuis près de quarante années, depuis le jour où j'ai été banni de chez moi. Quelques pas encore puis, indifférent à la cohue de voyageurs qui débarquent et coulent autour de moi en s'écartant prudemment à cause de mon fauve, je m'accroupis pour ramasser une poignée de terre et la laisser couler lentement entre mes doigts en murmurant:
"Cette fois ça y est..."
Isil fait quelques pas pour se rapprocher de moi et pose une main sur mon dos, comme si elle comprenait ce que j'éprouve. Je ne doute pas que ce soit le cas d'ailleurs, le mois que j'ai passé en sa compagnie et la relation qui est devenue la nôtre m'a appris à quel point sa sensibilité était grande. Je me relève et passe doucement un bras autour de sa taille pour la serrer contre moi et lui adresser un sourire:
"Bienvenue au Naora, Isil, sur l'île de Tolénya, ce qui signifie île verte, et plus précisément dans le Domaine d'Arnân."
Puis, de ma main libre, je lui désigne les différents points marquants que nous apercevons depuis l'endroit où nous sommes, ce qui semble l'amuser à en juger par le sourire qu'elle me retourne:
"La grande forêt que l'on aperçoit là-bas, à droite de la ville, c'est le Domaine de Fuinil. Les mages Météorologues y ont fait un peu trop d'expériences, c'est une forêt inextricable et dangereuse. Derrière la ville, c'est l'Ithilély, la montagne de la lune, de l'autre côté de ce massif se trouve Cyniar, la ville agricole du Naora. Le grand fleuve qu'on aperçoit se nomme Nartraîm, il provient des plus hauts sommets de la montagne de la lune. La citadelle de mon ordre est bâtie à sa source."
Elle arque un sourcil surpris et me demande:
"Des mages météorologues ? Je pensais que c'était un mythe. Mais c'est... aberrant. Mais enfin, pour quoi faire ? La nature n'a-t-elle aucune prise, ici ?"
Une petite moue prend place sur mon visage à cette question:
"Mon peuple n'est pas précisément connu pour son respect de la nature, de tout temps il s'est efforcé de la contrôler. Ici le climat dépend de l'humeur des mages, ce qui ne va pas toujours sans quelques anicroches."
Un sourire amusé remplace ma moue alors que j'ajoute:
"Tous les habitants de Tahelta se souviennent d'un certain hiver qui fut particulièrement rude, nos souverains avaient pris des décisions qui ne plaisaient pas aux mages, elles ont très vite été abandonnées."
Isil semble si médusée de mes explications que j'éclate d'un rire léger alors qu'elle remarque que mon peuple est étrange, de fait ce n'est pas moi qui la contredirai sur ce point. Je lui réponds néanmoins avec malice:
"Les Sindeldi disent la même chose des autres peuples, enfin, souvent de manière moins aimable."
Je désigne ensuite la cité du menton:
"On y va? Tu vois le grand bâtiment bleu au centre de la ville? C'est le palais Royal, l'ambassade de l'Anorfain est juste à côté. Et regarde, sur les hauteurs, juste à côté de la cité, c'est le temple de Sithi, l'un des plus beaux monuments de notre pays."
Isil se contentant d'approuver d'un signe de tête, nous nous mettons en marche et ne tardons pas à entrer dans Tahelta.
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