Inconscient CollectifLa Première Inspiration
La quête d'Agadesh, qui s'était décidé jusque là plutôt à l'aveuglette, prenait enfin un sens. Yuimen soit loué d'avoir mis ce prêtre sur son chemin !
Il savait maintenant où aller et que chercher et, bien que beaucoup d'éléments soient encore inconnus, il comptait sur les ancêtres pour lui venir en aide au moment voulu.
Cithéron lui montra une carte des continents, pour bien lui faire localiser l'endroit où il devait se rendre. C'était la première fois qu'il dût se repérer sur une carte, mais la notion s'encra bien. Il vit à quel point il était déjà loin de son désert et le chemin qui lui restait à parcourir. Son objectif était par-delà les flots, à une distance qui lui semblait inimaginable. Comment passer d'Imiftil à Nirtim et surtout, combien de temps cela prendrait ?
Communiquant son empressement, le prêtre lui confia que le moyen le plus simple et le plus rapide d'arriver sur Nirtim était en aynore, mais qu'il arriverait sur Kendrâ Kar et non pas à Oranan ou Bouhen. La distance restante pour trouver la forêt devrait de toute façon être ensuite assez semblable, il n'y aurait certainement qu'un ou deux jours de marche de différence.
Lorsqu'il demanda ce qu'était un aynore, il répondit simplement qu'il s'agissait d'un navire des airs. Agadesh ne comprenait pas ce prodige, les airs n'étaient-ils pas réservés aux créatures qui l'habitent ? Il demanda ensuite combien de jours cela prendrait de traverser tout l'océan, et Cithéron lui répondit simplement que cela ne prenait qu'environ deux heures trente avant de débarquer.
Le nomade avait du mal à le croire et craignait un quelconque retour de bâton pour un tel avantage... Un prix exorbitant ou quelques graves dangers peut-être ? Après tout, il ne savait rien des créatures pouvant peupler les airs. Mais malgré ses inquiétudes, il savait que cela resterait le moyen le plus rapide d'avancer dans sa quête et accepta de suivre le prêtre jusqu'à la zone d'embarcation.
Ils traversèrent d'abord un port sur lequel Agadesh regardait avec curiosité s’affairaient marins, dockers, pêcheurs, poissonniers et autres gens de la mer et leurs navires avant d'arriver dans une grande plaine d'herbes sèches, à quelques mètres de là, où était arrêté un cynore. On aurait dit un petit bateau au-dessus duquel était fixé un corps qu'Agadesh avait du mal à comparer à quoi que ce soit, auquel étaient liées deux grandes hélices, actuellement immobiles. Une trentaine de personnes aux origines variées faisaient la queue devant une large et longue planche en bois qui allait du sol jusque dans l'appareil. Entre les deux, quatre elfes gris, armés d'hallebardes et sabres à la ceinture, semblaient bloquer le passage de la foule vers deux autres qui, au milieu, laissaient passer les gens un par un en récoltant la monnaie. Le tout se passait dans un calme certain.
"Est-ce donc cela, un aynore ?", dit Agadesh, fasciné, à Cithéron.
"Non, ce sont des cynores. Les aynores sont plus grands encore."Plus grands ? Mais comment... Comment arrivent-t'ils à faire voler ces navires ? Est-ce une sorte de magie ?""Je ne peux rien vous en dire, c'est là un mystère que les elfes gris gardent depuis longtemps. Au fait, j'espère que vous n'en avez pas contre eux ?"Agadesh eu un petit souffle de rire, voyant très bien l'allusion qu'il faisait à propos de l'elfe bleue de la bibliothèque.
"Non, je ne savais même pas qu'ils existaient jusque là... Quand arrive cet aynore que je dois prendre ?""Il ne devrait plus tarder. Surveiller le ciel, vous le verrez arriver."Agadesh regarda tout autour de lui en silence. Des groupes de personnes étaient éparpillés autour de la zone d'embarcation, qui devaient attendre eux aussi l'aynore. Mercurio reconnut une petite communauté de bratiens, comme celui qu'il avait rencontré sur le chemin de Yarthiss. Il vit aussi une femme-tigre, race dont il ignorait l'existence jusqu'à maintenant ainsi que des elfes à la peau blanche... Combien de races, de communautés et de peuples différents pouvaient donc peupler Yuimen ? Qu'est-ce qui rythmaient leur vie, quels étaient leurs buts, leurs motivations, leur façon de penser ? Il trouvait cette question à la fois fantastique et terrible. Comment savoir lesquels étaient amicaux et lesquels étaient néfastes ? Il repensait ne serait-ce qu'aux autres tribus nomades esclavagistes et autres adorateurs de Phaïtos, Thimoros et Moura, aux lances d'El Abhar qui attaquaient sans ménagement quiconque s'introduisait sur leur territoire... Ils constituaient un danger permanent mais pouvait-il y avoir des périls autrement plus graves qui pourraient menacer les siens ? Cette idée soudaine lui fit froid dans le dos.
Ces pensées terribles furent finalement interrompues par Cithéron :
"Agadesh, vous voyez là ?"Le prêtre pointa un point presque invisible dans le ciel, qui se dérobait à un nuage.
"C'est votre aynore qui arrive !"Agadesh n'arrivait pas à très bien le repérer, essayant de scruter s'il pouvait reconnaître les formes et les contours d'un bateau. Au bout de quelques temps, il put enfin le distinguer. On aurait dit un énorme navire de guerre maintenu dans les airs par un corps gris encore plus imposant que celui du cynore.
Son avancée fut rapide, puis ralentie jusqu'à son atterrissage. Une fois posé, l'équipage d'elfes gris déployèrent des planches pour faire évacuer les voyageurs. Ils furent plus d'une centaine à sortir de l'aynore, certains ayant même amenés leurs montures. Agadesh se dit alors que si même un cheval pouvait faire le chemin sans encombre, pourquoi pas lui ?
"Voilà Agadesh, c'est là que nous nous séparons."Agadesh fut surpris, il n'avait pas compris qu'il ferait le voyage seul :
"Mais... N'avez-vous pas dit que c'était Yuimen qui avait voulu notre rencontre et que vous vouliez m'assister dans ma quête ?""En effet et vous savez maintenant où aller. Chacun poursuit sa propre quête Agadesh. La vôtre est de rendre la paix à une âme tourmentée, la mienne est de faire mon office de prêtre dans le temple et d'être présent pour les gens de cette ville, comme madame Naéran. Que Yuimen vous garde Agadesh."Agadesh était un peu perdu, il répondit doucement :
"Qu'il vous garde aussi..."Cithéron commença à partir, puis se retourna après quelques pas :
"Evidemment, si jamais vous revenez sur Tulorim, la porte du temple vous est grande ouverte !", avant de repartir, cette fois pour de bon.
Il le regarda s'éloigner tranquillement, avec son bâton. Il lui donnait l'impression d'un mirage qui s'évanouissait au loin.
Il vit peu après le cynore qui décollait tranquillement, montant inexplicablement à plusieurs dizaines de mètres du sol. Ces hélices se mettent ensuite à tourner, le firent pivoter, et il partit au-dessus des champs. Ce spectacle le laissait pantois en commençant à s'imaginer l'usage que pourrait faire son peuple d'une telle merveille. Attaquer leurs ennemis par les airs, aller rechercher des vivres et de l'eau sans avoir à les porter pendant des jours entiers à dos de chameau, menacés par les créatures du désert... Tout cela l'inspirait. C'était une invention magnifique, quel dommage que ces elfes semblent ne pas vouloir partager leur secret. Seul Enkidu semblait ne pas apprécier le spectacle en aboyant sur le cynore qui s'éloignait.
Après un instant où il resta songeur, il vit que les passagers de l'aynore avaient quitté le vaisseau et que l'équipage avait déjà commencé à faire rentrer les autres voyageurs. Devant ce constat, il décida d'avancer à son tour, mettant son camïu sur l'épaule avant de se lancer un peu à contre-coeur dans la foule. Il n'avait jamais aimé se retrouver trop proches d'inconnus. Cela faisait parti de sa méfiance habituelle. Après quelques minutes, il arriva à la hauteur de l'un des elfes qui s'occupait de l'encaissement du prix du trajet. Il lui demanda quarante-six yus. Il ne lui dit rien en voyant Enkidu, et le prix semblait plus qu'acceptable pour un trajet de ce type. Il avait largement assez et il voulait accomplir sa mission au plus vite, c'était tout ce qui comptait à ses yeux.
Il lui donna l'appoint et arriva enfin dans l'aynore.
Les Vents Culminants