Retour du destin
Je finis de rassembler les enfants, soudainement très silencieux, et les emmène rapidement dans l’abri des pêcheurs à quelques mètres de là, l'une des rares demeures en pierre du lieu, et ce pour éviter les incendies lorsqu'une torche reste brûler durant la nuit pour guider les fous qui s'adonnent à la pêche nocturne. Je n’ai encore aucune certitude, mais tout me porte à croire que bientôt le chaos va s’installer en ville, et ils n’ont pas besoin d’y assister, ou pire d’en être les victimes.
«Restez là, bloquez la porte et n'ouvrez sous aucun prétexte à une voix que vous ne reconnaissez pas» dis-je gravement.
Les yeux qui me regardent reflètent l'incompréhension, mais ils me font confiance. Je tente de les rassurer avec un sourire
«Pas de panique, c’est un abri il doit y avoir de l’eau et des restes de nourriture quelque part pour ceux qui veulent, je reviens vous chercher. Gaïa veille sur vous »
Mes dernières paroles ne semblent pas avoir tout l’effet que je souhaiterais. Je ferme la porte et entends avec un soulagement l’un des aînés la verrouiller. Ils sont dans l'une des demeures les plus sûres du lieu. Retournant rapidement au bord du lac, jetant des regards de tous les côtés, je remarque le silence oppressant qui s’est abattu sur nous, pas un murmure n'accompagne le vent, pas une voix ressort de ce blanc auditif presque surnaturel. Plus inquiétants encore les oiseaux ne chantent plus et les haches des bûcherons se sont faites muettes. Nous sommes à l'extrémité sud du village, à une distance respectable de la zone boisée, mais tous les regards pointent vers le nord, fixant la forêt visible entre toutes les maisons alors que le cri qui en sortait semble avoir trouvé des compagnons. Je rejoins mes amis, qui comme tout le monde, semble absorbé par la contemplation d’un danger encore invisible, je ferme mon œil et adresse de brève parole à Gaïa, la remerciant de m’avoir prévenu le premier pour mettre les plus vulnérables à l’abri. Malgré cela, mes pensées sont obscurcit par de terribles souvenirs, des images plus ou moins nettes de marée inarrêtable de morts qui se déverse dans un vacarme infernal depuis la forêt, l’aspect terrible de leur monstrueux commandant, imprimé dans mon esprit. J'ai appris à vivre avec ses évènement, mais ils vont sans doute se reproduire encore une fois, apportant avec eux leurs nouveaux lots de cauchemars et de désolations
Les apprentis soldats se regardent, certains avec enthousiasme et excitation, principalement les plus jeunes, d'autre avec l’inquiétude et le désarroi inscrit dans leur regard, mais ils ont tous compris que leurs efforts vont être mis à l'épreuve, que les sacrifices qu'ils ont fait pour être entrainer vont enfin avoir une raison d'être. Marius croise le mien, loin des préoccupations de ses élèves, j’y vois la résignation, il m’adresse un rapide mouvement de la tête alors que je reprends contenance, un geste d’affirmation dont je n’avais pas besoin, car j’ai vu moi aussi le cheval partir à bride abattue, longeant le lac vers l’est, là où se trouve le village voisin, et si le maire a décidé que c’était nécessaire, c’est qu’il ne fait plus aucun doute sur ce qui va bientôt nous tomber dessus.
Il se lève, lui toujours assis au fond de sa chaise à fumer ou à regarder en riant ses élèves s’échanger des bleus. Il se tient le dos droit, le torse bombé, sans tituber, lui qui est mon compagnon de beuverie, un plus gros buveur que moi et je remarque seulement maintenant que la différence de taille entre nous deux est bien moindre que ce que j’imaginais. Son visage, balafré comme le mien, est fermé et sérieux, le sourire bienveillant qui décore sa fine barbe grise a disparu. Il sort sa précieuse épée sur laquelle il m'a raconté pléthores d'histoires et de mythes, dont la lame qui a mordu dans la chair de tant d’ennemis de Kendra Kar n'a jamais vu le soleil dans ce petit coin du monde. Alors pour la première fois depuis qu'il est arrivé il y a trois ans, disant vouloir s'éloigner de la grande ville et oublier la vie militaire, je vois le maître d’armes, imposant et déterminé, qu’il clame toujours être.
«Sortez ce que vous utilisez comme armes, portez ce qui vous sert d’armures, il va être temps de prouver que vous ne venez pas ici pour vous défouler ou taper sur votre voisin, mais bien pour apprendre à protéger ce qui vous est cher ! Il n’est pas question d’éliminer l’ennemi, juste de le retenir suffisamment longtemps, alors resté groupé » »Crie-t-il à ses troupes novices
Je regarde avec une pointe de fierté et de pitié les jeunes, les plus âgés, encouragé par la détermination de leur professeur, se dépêcher de s'équiper de ce qu'ils ont comme équipement, parfois de simple outil comme des haches, ou des armes acheté en ville, parfois prêté par Marius lui-même, enfilant de simple vêtement en cuir pas toujours épais, criblé de trous pour certains. Notre avantage réside dans le fait que nous savons ce qui va sortir de ses bois, même si la peur de se faire démembrer par un groupe de squelettes ne peut pas disparaître, nous ne serons pas surpris par la lente vague mort vivante qui arrive, le temps que l’aide salvatrice soit là, alors ce ne sera pas peine perdu s’ils peuvent ralentir l'avance du raid. Je ferme encore mon oeil, priant Gaïa car je sais que je vais avoir besoin de son don dans les instants qui vont suivre. Deux mains m’attrapent le bras et me sortent de ma communion.
«Joscius, c'est eux ? Qu'est-ce qu'on fait ? »Me demande Isabella, paniquée.
Je réponds en regardant Wilfried dans les yeux, un autre ami d'enfance. Un fier fils d'ébéniste qui a vécu les mêmes choses que moi, même si dame chance a été plus clémente avec lui, il n'y a perdu que des amis.
«Faites comme tout le monde, prenez une barque, fuyez, isolez-vous le temps que la cavalerie arrive, il n’y a pas d'autre solution si vous voulez survivre» Le son de ma voix fait sonner cette tirade comme une déclaration d’outre-tombe.
On peut enfin les apercevoir, arrivant depuis l’ombre, mais loin d’être le lent danger que nous aurions pu contenir un moment, la masse noire en mouvement semble être un groupe d’assaut bien plus dangereux, l’éclat du soleil se reflétant sur leurs nombreuses lames. Emmitouflés dans des étoffes noires comme la nuit pour se protéger du soleil, des yeux rouges luisant dans la pénombre de leurs visages, sur des montures infernales plus haute qu’un homme et qui semble aussi enragé que leurs cavaliers, un trio de furieux Garzoks mènent au combat des soldats anonymes en armure sombre, armés jusqu'aux dents, un petit contingent mais sans doute bien plus expérimentés que les conscrits qu'ils vont affronter.
Mon visage se fige, mon esprit se vide, je perd tout sentiment en voyant la mort surgir ainsi, je n’ai qu'une pensée stoïque avant que l'état de choc général crée par l’incrédulité et la surprise, une bulle de suspension temporel entre le calme et le chaos, ne soit rompu.
(Gaïa, est-ce ainsi que tout fini ?)
Et alors le massacre commença.
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