Célestion n’avait jamais pris cette route, je m’employai donc à le diriger à travers la télépathie, guidant également Ehemdim qui ne connaissait même pas l’existence de ce lieu en dehors de la ville. Il me suivait aveuglément, se disant que je savais où j’allais mais son silence était pesant. Je voulais qu’il parle, non j’en avais besoin. Même si mon état de santé ne permettrait peut être pas de lui répondre correctement, sans hacher mes propos au moins j’entendrais sa voix.
J’avais probablement du penser cela trop fort car j’entendis alors des bruits de sabots se rapprochant rapidement de moi. C’était Ehemdim qui pointait le bout de son nez.
- « Quel est cet endroit ? »
Je pus presque sentir une pointe d’admiration dans ses paroles.
- « Longue histoire… Nobelium… guilde à laquelle… mon père appartenait… Aenarion a tué mon père… pour prendre sa place… pris sa place… »
Chaque fois que je m’arrêtais, c’était pour me concentrer de nouveau sur mes fluides. Je ne pourrais plus retenir très longtemps cette puissance en moi.
- « Ne t’emploie pas trop. Tu sembles connaître les personnes y vivant, je te fais confiance. »
- « Merci. »
J’enjoignis encore une fois Célestion à accélérer quitte à le pousser à l’épuisement, il aurait bien le temps de se reposer plus tard. Il obéit rapidement à mes ordres et je fus en vue du terrain d’entraînement du Nobelium. Je fis ralentir Célestion et Ehemdim comprit aussitôt que nous étions arrivés à destination.
Je vis alors arriver Nathanael et Kellan près de nous. Ils m’aidèrent à descendre de cheval avec Ehemdim. Sans que je n’eus à dire quoi que ce soit, ils me transportèrent au milieu du terrain où ne tenant pas debout, je m’écroulais à genoux. Ehemdim vint immédiatement vers moi pour m’aider à me relever mais Nathanael et Kellan le retinrent.
- « Non laissez-moi passer, elle a besoin de moi. »
- « Elle n’a besoin de personne pour le moment. »
- « Elle a besoin de laisser ses pouvoirs s’exprimer, ses nouveaux pouvoirs. »
- « Ses nouveaux pouvoirs ? Je ne comprends pas. »
- « Les explications seront pour plus tard maître d’armes. »
- « Suis-nous pour ta propre sécurité. »
Je les vis alors s’éloigner et rejoindre les contreforts du Nobelium, loin de moi, comme si j’étais porteuse de quelque chose de mauvais à l’intérieur de mon corps. Comme si j’allais causer leur perte. Cela me fit peur. Et si j’allais moi-même mourir ?
(Cela n’arrivera pas.)
(Comment peux-tu en être si sure ?)
(Tu as déjà réussi à exprimer tes nouveaux pouvoirs et j’ai vu ton futur, tu ne mourras pas ici.)
(Le futur…)
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que la douleur se fit alors bien trop forte pour que je puisse me retenir.
- « AAAAAAAAAAHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!! »
Levant la tête vers le ciel, je n’avais pu qu’hurler mon tourment. Sauf qu’évacuer tout ça vocalement n’aidait pas plus que cela. Je pouvais sentir mes fluides arriver à mes mains et se mélanger presque : l’éclair au vent et la lumière au feu. C’était extrêmement déroutant et en même temps tellement grisant.
Une fois que mes fluides furent au bout de mes doigts, la douleur s’estompa progressivement ce que je trouvai sur le coup particulièrement reposant. Je sentis que lentement je reprenais le contrôle sur mon corps et sur ma magie. Je ne comprenais pas du tout ce qu’il se passait en moi mais pouvoir maîtriser de nouveau mes 4 éléments était quelque peu rassurant.
Je pouvais maintenant montrer toute ma puissance à toutes les personnes présentes sur le terrain d’entraînement. Je me relevai donc et regardai dans la direction des trois garçons. Je ne pouvais distinguer leurs traits mais apparemment de me voir debout les soulagea. Je vis Ehemdim amorcer un mouvement vers moi mais de la main droite je lui enjoignis de rester là où il était.
Je me concentrai légèrement et fit sortir chacun leur tour une boule de lumière, une boule de vent, une boule de feu et une boule d’éclair. Elles se mirent à danser devant moi formant un cercle puis d’un simple mouvement des deux mains, je fis en sorte qu’elle se réunisse pour ne former qu’une seule boule d’énergie. Je devais maintenant trouver une cible pour lancer mon attaque.
(Une idée ?)
(Le bosquet derrière toi.)
(J’ai pas envie que le feu se propage à tous les arbres alentour.)
(Je vais prévenir Nathanael pour qu’il se tienne prêt à intervenir en cas de problème majeur.)
(Merci.)
En glissant mon regard vers les trois personnes qui observaient chacun de mes mouvements, je vis l’aquamancien acquiescer de la tête. Il avait reçu mon message, je pouvais donc laisser place à ce nouveau sort en ma possession.
Plaçant mes mains sur le côté de cette fabuleuse boule de fluide magiques, je les fis doucement glisser derrière ce projectile comme pour m’en protéger. Je me mis bien en face du bosquet et reculant d’un geste mes deux mains je poussais la boule dans cette direction.
Le résultat fut immédiat. Tout ce qui se trouvait autour fut anéanti sur une vaste largeur, plus rien n’existait, aucun arbre, aucune plante, pas même l’herbe devant le petit bosquet. C’était une œuvre de destruction massive que je venais d’entreprendre et j’étais plutôt douée à ce petit jeu là.
Après avoir lancé ce sort, je me sentis quelque peu diminué physiquement. Mes bras tombèrent le long de mon corps et mon souffle fut court. Je fus prise d’une soudaine lassitude due probablement aux douleurs que je ressentais encore quelques minutes auparavant mais également à la débauche d’énergie de ce sort. Baissant la tête, je repris difficilement mon souffle.
Ce ne fut qu’une main chaude sur mon épaule qui me fit réagir et sortir de cette position étrange.
- « Je ne savais pas que tu avais ça en toi Naria, c’est presque effrayant. »
- « C’était surtout incontrôlé. »
- « Tu devrais monter dans tes appartements te reposer un peu et te restaurer afin de reprendre des forces. Un tel sort a du pomper toute ton énergie. »
- « Tu n’as pas tort Nathanael. J’ai un léger ver… »
Je n’eus pas le temps de finir que j’atterris dans les bras d’Ehemdim qui me retint avant que je ne rencontre le sol. Mes jambes étaient cotonneuses, cette attaque m’avait vidée. Je m’agrippai au cou de l’elfe que j’aimais de toutes mes forces, celles restantes tout du moins. Je me remis tant bien que mal sur mes pieds.
- « Aenaria, est-ce que tout va bien ? »
- « Je pète le feu Kellan ! »
- « Tu fais de l’humour, tu ne dois donc pas être si mal en point. Je vais aider Ehemdim pour te ramener à tes appartements. »
- « Inutile, il peut le faire tout seul. »
- « En réalité, il ne devrait même pas pouvoir passer le premier étage de la tour. »
- « J’avais oublié qu’il n’était pas l’un des nôtres, j’imagine que votre réticence vient de là. »
- « Oui. »
Je me détachai doucement d’Ehemdim et le regardai droit dans les yeux. Ils étaient toujours aussi verts, au moins une bonne nouvelle, le sort de Tamìa n’avait pas encore repris le dessus.
- « Kellan, Nathanael, est-ce que vous pouvez aller là où vos oreilles ne capteront pas notre conversation ? »
- « Kellan, allons donc voir l’état de ce bosquet. »
- « J’allais te le proposer, il y a quelques braises qui méritent d’être éteintes. »
Je leur souris en retour de leur politesse. Lorsqu’ils furent suffisamment loin de moi, je reportai mon attention sur mon elfe.
- « Que sais-tu du Temple ? »
- « De quoi parles-tu ? »
- « Plutôt de qui. Je voulais dire que sais-tu des Amants de la Rose Sombre ? »
- « Pourquoi cette question ? »
- « Ne réponds pas par une question ! »
- « Ça a l’air sérieux. Ce que je sais des Amants, pas grand chose. Je n’ai servi que de coursier une fois pour une certaine Pulinn. Cela était mon rite de passage, un truc du style. Sur l’organisation je ne sais pas plus de choses que cela. Pourquoi ? »
- « Pour faire simple, si tu veux pouvoir me ramener à mes appartements, tout en haut de cette tour, il faut que tu choisisses de faire parti d’Equilibrium car seuls les membres peuvent entrer dans la tour que tu vois. »
Ehemdim regarda alors en direction de la dite tour de l’équilibre mimant un waouh du bout des lèvres. Il avait raison, cette tour était impressionnante lorsqu’on la voyait de près. Il se tourna ensuite vers moi, pour sa réponse, positive j’espérais.
- « Si c’est pour passer plus de temps avec toi, je te suis aveuglément. »
L’orage entre nous était passé, du moins c’était ce qui semblait. J’approuvai sa décision en scellant nos lèvres dans un tendre et chaleureux baiser. Il me prit ensuite par la taille, me sentant encore un peu faible, et nous nous mîmes en route pour l’entrée du Nobelium.
(Va prévenir Kellan et Nathanael…)
(Qu’Ehemdim fait parti de la guilde, j’y vais.)
Nous marchâmes quelques instants puis je me rendis compte d’une chose importante.
- « Tu ne veux pas savoir ce que prône cette guilde ? »
- « Sans trop me tromper, je dirais l’équilibre sur Yuimen et en toute chose de la vie. »
- « Oui et bien d’autres choses encore mais tu auras l’occasion de voir cela plus tard. »
- « Tout à l’heure tu as dit que ton père en avait fait parti et que ton frère l’avait tué pour sa place. C’est vrai ? »
- « C’est la triste vérité. Ma mère et Gameleb sont ce qu’on appelle des dommages collatéraux. »
- « Ca a du être un choc d’apprendre tout ça. »
- « C’est vrai mais cela m’a également permis de voir le conflit qui m’oppose à mon frère sous un autre angle. »
- « J’imagine. »
Nos pas avaient fini de nous mener devant les deux hallebardiers qui gardaient jalousement l’entrée du lieu central de la guilde. Je montrai mon anneau sur ma main droite et leur fit comprendre du regard qu’Ehemdim était avec moi. Ils ouvrirent les portes et nous introduisirent au Nobelium non sans jeter un regard suspect à mon fiancé. Une fois dans la cour et loin de leurs oreilles, il me décocha ceci.
- « Ils ont pas l’air commode les deux gardes à l’entrée ! »
- « Ils ne font que ce pourquoi ils ont été choisi. »
Ma réponse sembla s’évaporer dans l’air car Ehemdim était en admiration pour la cour centrale. Il regarda à droite puis à gauche, notant probablement chaque détail dans son esprit.
- « C’est magnifique… »
- « Suis-moi, je vais te montrer mes appartements. »
- « Montre-moi la route plutôt, tu ne tiens pas encore toute seule sur tes cannes ma belle. »
Je souris et me remis en marche toujours soutenue par le sindel. Nous gravîmes les marches menant à la tour. Une fois à l’intérieur, je lui en fis une rapide description.
- « Ici tu te trouves à l’étage des professeurs, le supérieur est celui des diplomates et le dernier celui des Sages. »
- « Notre destination ? »
- « A mon grand damne, le dernier. »
Ehemdim me regarda interloqué, il venait de faire la relation avec ce que je venais de dire précédemment.
- « Tu es un des Sages ? »
- « Pas ici. »
Nous montâmes le premier escalier relativement facilement, pour le deuxième ce fut une véritable épreuve de force, Ehemdim voulut me porter mais je ne voulais pas paraître faible devant les membres de ma guilde. Cela faisait étrange de le formuler ainsi mais après tout c’était la stricte vérité, j’avais hérité de la place de mon père. Je devais donc considérer les membres d’Equilibrium comme mes enfants, devant les protéger et leur prodiguer mes conseils.
Au niveau du second, mes jambes me firent défaut, heureusement que mon fiancé était là. Il me souleva du sol et nous emmena dans mon quartier. Une fois au dernier étage de la tour, j’indiquai la porte menant à mes appartements. Je fus soulagée d’être chez moi et, quittant les bras du sindel, je rejoignis immédiatement le canapé où je m’allongeai de tout mon long. Ehemdim quant à lui fit d’abord le tour du propriétaire du regard. Il s’arrêta net devant le tableau représentant mes parents.
Tout en le pointant, il se tourna vers moi.
- « Ce n’est pas le tableau qui était chez toi et que vous pensiez disparu ? »
- « Exact, mon père l’a fait rapatrié ici pour avoir ma mère en permanence avec lui lorsqu’il était au Nobelium pour affaire. »
- « L’amour qu’il portait à Fania était tellement grand et tellement profond, ce fut un déchirement pour moi d’apprendre leur mort. »
- « Tu n’as pas encore tout vu. »
Je me relevais doucement, craignant de ressentir un nouveau vertige qui ne vint pas. Mieux valait être prudente quand même. D’un signe de la main, j’enjoignis Ehemdim à me suivre et je le conduisis dans la chambre. Je m’avançai dans la pièce alors que lui faisait un véritable arrêt sur image.
- « Je rêve où c’est ton lit ? »
- « Non, tu ne rêves pas, c’est sa copie conforme. Approche-toi. »
Je défis tout mon équipement et me jetai sur mon lit profitant pleinement de son confort et de ces draps de coton qui sentait bon l’eau de rose. Ehemdim se défit de son épée, de ses bottes et s’allongea à mes côtés. Apercevant le ciel de lit, il ne put s’empêcher de se mettre debout sur les draps pour toucher le bois. Il traça du bout des doigts le blason de ma famille qui était tatoué au creux de mes reins.
- « Le même dans les moindres détails. »
- « Les garçons m’ont plus ou moins fait comprendre que j’étais destinée à reprendre la place de mon père. Il tenait énormément à mon frère et moi mais il a toujours eu une préférence pour moi. »
- « Je suis sure qu’en te voyant de là-haut, il est très fier de toi. »
- « Tu crois ? Après ce que nous nous sommes promis de faire ? »
Ehemdim s’assit à mes côtés pendant que je plaçai mes bras sous ma tête tout en gardant les yeux rivés au ciel de lit.
- « Tu parles de notre mariage ? »
- « Oui ! Mon prétendant est mort, la tienne est une dangereuse psychopathe qui te manipule l’esprit à je ne sais quel fin. Si le conseil des 15 l’apprenait, je ne paie pas cher de nos têtes ! Je n’ai même pas la moindre idée de l’endroit où chercher cette garce. »
- « Il se peut que je puisse t’aider. »
Cette réponse aiguisa ma curiosité. Je me mis sur le côté gauche, regardant Ehemdim avec attention.
- « Je t’écoute. »
- « En réalité, c’est Licinia qui va pouvoir t’aider. »
La faera d’Ehemdim fit alors son apparition.
- « La dernière fois qu’elle a parlé à Ehemdim, elle a dit qu’elle devait s’occuper de plusieurs personnes de l’autre côté de l’océan. »
- « Elle n’a pas précisé qui. »
- « Oh non ! »
- « Quoi ? »
- « Tu es un peu long à la détente Ehemdim ! »
Je ne pus que rire pour acquiescer devant cette bien triste vérité. Je repris rapidement mon sérieux voyant la mine déconfite de mon fiancé.
- « Qu’est-ce qui se trouve de l’autre côté de l’océan ? »
- « Le Naora… le Naora ! »
- « Oui, notre continent. J’ai bien peur qu’elle s’en prenne aux personnes qui te sont chères. Et même aux miennes. »
- « Tu penses à qui à part mes parents ? »
- « Les parents de Gameleb, ses propres parents, les domestiques du domaine… »
- « Oh… Ca ne me dit rien qui vaille tout ça… »
- « A moi non plus, il faut penser à un plan d’action et vite car de nombreuses vies dépendent de nos choix. »
Licinia disparut de mon champ de vision. Nous nous murâmes alors dans le silence afin de réfléchir à différentes stratégies pour venir à bout du problème Tamìa. C’était ainsi qu’il fallait la qualifier, de problème. Qu’elle s’en prenne à Ehemdim et à moi par son intermédiaire, ça allait, mais qu’elle s’en prenne en plus aux personnes que je chérissais, cela était impardonnable.
Je me rallongeai sur le dos, posant ma main gauche sur mon ventre, l’autre se trouvant sous ma tête. Concernant Tamìa, j’avais juste envie de lui tordre le cou et de la tuer pour ce qu’elle avait fait subir à Ehemdim. Mais il fallait raisonner autrement, il faillait penser loi, il fallait échafauder un plan qui permette de mettre un terme à sa vie en restant dans le cadre de la loi. Réfléchissons. A part la trouver et l’arrêter, je ne voyais pas trop quelle autre alternative se présentait à moi.
Il semblait évident que je ne pourrais pas contrôler Ehemdim durant un temps trop long, il devrait rester à Kendra Kâr le temps que je mène cette mission à bien. Etant maintenant membre d’Equilibrium, je pourrais demander à l’un des nôtres de garder un œil sur lui. Je fermais les yeux quelques secondes afin de réfléchir à tout ça, cela me permis de me reposer quelque peu.