Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis sa dernière rencontre avec son maître, Aeglos passait désormais ses journées près du temple de la déesse de la beauté et de la glace. Il priait chaque jour que la déesse lui accorde du répit, que les tempêtes de neige cessent afin qu'il puisse accéder au col des plus hautes montagnes de Nosvéris en quête de l'artéfact maudit contenant l'âme du premier élémentaire de glace. Rien n'y faisait, la neige et la glace arrêtaient sa progression comme si la déesse elle-même l'empêchait d'en apprendre plus. A l'extérieur du temple, assis en tailleur, le Sindel admirait les reflets du soleil se reflétant sur les épaisses couches de glace qui formaient comme une muraille tout autour du lieu de culte. Quelques flocons épars tombaient ci-de-là tâchant sa tunique rehaussée de plumes noires et son bâton composé d'un alliage de métaux couleur ébène. Le mage pouvait réfléchir calmement en ces lieux paisibles et n'accueillant que très rarement quelques pèlerins en quête de l'adoration de la déesse qui avait emprisonné le continent de Nosvéris dans les glaces éternelles. Le Sindel se sentait lié à ce continent tout particulièrement, était-ce à cause du grimoire ou de toute autre chose, il n'en sut rien, cependant une certaine sérénité le possédait depuis quelques jours. La frustration des derniers jours passés à fouiller Lebher et à dénicher le moindre parchemin ou ouvrage ancien narrant la légende de Yuia-Thù et sa défaite contre son frère élémentaire, sans rien trouver de concret quant à l'emplacement exact de ladite relique, avait laissé place à un calme olympien.
L'air vivifiant du lieu saint lui permettait de méditer sur ses prochaines actions. La quête du grimoire se soldant par un échec cuisant, il se demandait s'il devait rester à Lebher ou s'il devait rejoindre le Naora en prenant le risque d'être assassiné par un prêtre ou une prêtresse de Sithi. Parfois quelques souvenirs lui revenaient en mémoire alors qu'il était assis dans le froid à méditer. Le prêtre de Yuïa se souvenait avoir voyagé à travers différents mondes et se rappelait de l'effervescence qu'il ressentait à chaque fois qu'il rencontrait des décors majestueux et diversifiés. Aeglos se remémorait également éprouver de l'affection lorsqu'il dialoguait avec ces différents peuples, sa curiosité le poussant toujours à en apprendre plus sur leurs coutumes et leur mode de vie. Pourtant bien vite ceux qui se faisaient appelés faussement Ithilausters surgissaient soudainement d'un fluide spatial pour le forcer à fuir encore et encore. Pourchassé, il ne pouvait rester plus d'un mois au même endroit et préférait depuis ce temps éviter de créer des liens avec les autochtones pour ne plus se sentir coupable de les abandonner par la suite. Parfois pendant ses méditations, il faisait d'étranges rêves d'un monde entièrement couvert de glaces, l'absence de vie aux alentours ne le dérangeait pas, cependant une étrange tristesse l'étreignait lorsqu'il parcourait les calottes glaciaires, ses pas étouffés par la poudreuse.
Lorsqu'il se réveillait, le plus souvent lorsque le soleil atteignait son zénith, le grand prêtre, un sindel à la peau grise aussi lisse que celle d'un bébé et pourtant doté d'un regard presque éteint, érodé par le temps comme l'eau creusant au fil du temps la roche. Ses cheveux blancs étaient attachés en un chignon sophistiqué fouetté par quelques bourrasques glacées. Le grand prêtre de Yuïa, de ses grandes mains squelettiques, lui tendait parfois de la viande séchée ou du poisson fumé. Le plus souvent, la nourriture constituait en un amas de baies épargnées par le permafrost. Aujourd'hui, le Sindel du nom d'Aadën lui apporta un peu de viande séchée et fait plus étonnant, resta près de lui lorsqu'Aeglos eut fini sa méditation. Le grand prêtre semblait vouloir converser avec le prêtre des Maenausters, ce dernier l'enjoignit d'un léger signe de tête à parler. Le vieux Sindel semblait chercher ses mots avant de se décider de se lancer.
- Vous qui honorez notre mère à tous et la déesse dont nous vouons un culte, j'ai entendu d'étranges nouvelles des pèlerins. Des êtres étranges ont foulé les terres de Yuimen, certains raconteraient même qu'ils viennent d'un autre monde...
Aeglos se tourna vers le vieil elfe posant ses yeux d'un bleu glace sur le prêtre dont les paroles éveillaient un intérêt certain, néanmoins il s'efforça de ne point montrer sa joie à l'idée d'un autre monde, car cela pouvait être tout aussi une ruse des prêtres de Sithi pour le faire sortir de son abri.
- Est-ce des Sindeldi ou sont-ce vraiment des étrangers ? lui demanda-t-il d'un ton posé.
Le grand prêtre lui confirma la présence d'étrangers et lui fit remarquer qu'il n'avait plus croisé d'autres Sindeldi depuis sa venue au temple de Yuïa. Cela était assez logique après tout puisque ces derniers n'honoraient en principe que leur déesse, leur mère protectrice, Sithi, et se moquaient bien des autres dieux yuméniens. Rares étaient ceux qui s'y intéressaient, cette tâche était souvent reléguée aux Sindeldi vivant à la marge de la royauté de Tahelta ou aux prêtres de l'ordre des Maenauster qui priaient Sithi et un autre dieu ou une autre déesse. C'était l'une des raisons qui justifiait sa présence ici même.
- D'étranges signes dans le ciel sont aussi apparus à travers notre monde, émanations de la volonté des dieux et de Zewen tandis que d'autres rumeurs font mention de l'éveil d'un ordre de Sindeldi.
Piqué sur le vif, Aeglos tenta d'en apprendre plus, cependant, soudainement, un Sindel sorti de nul part et son arrivé interrompit le grand prêtre de Yuïa dans sa diatribe. Il apparut au prêtre de Yuïa que le grand prêtre lança une œillade peu amène au visiteur qui n'était autre que son Maître. Sentant une ambiance devenue pesante, il posa sa main sur son cœur et inclina la tête pour remercier le grand prêtre qui reproduisit ses gestes et s'en alla retourner dans son temple de glace. Son Maître ne fit aucun mouvement, il semblait attendre patiemment que son ancien disciple ne le rejoigne pour discuter d'un sujet des plus graves s'il était venu jusqu'ici. Aeglos, l'ancien disciple, rejoignit son Maître d'un pas vif mais non dénué de grâce.
- Maître... Si vous êtes venu jusqu'ici pour me dissuader de retrouver le grimoire, ce n'est plus la peine, j'y ai renoncé.
- Je ne suis pas venu pour cela, fils des Glaces éternelles, je prenais simplement de tes nouvelles. Viens, marchons un instant et laissons nos yeux vagabonder pour admirer les cadeaux de notre déesse offerts chaque année à nous autres mortels.
Son ton affable ne le rassurait point, néanmoins il consentit à le suivre. De longues minutes s'écoulèrent alors qu'ils venaient de s'arrêter devant une fontaine complètement gelée mais dont la glace par endroits commençait à fondre. Des gouttes d'eau résonnèrent dans cette ambiance de mort. Ploc...Ploc...Ploc. Qu'allait dire le Maître ? Est-ce que les Ithilauster l'avaient retrouvé à Lebher ? Est-ce qu'un grand péril menaçait Tahelta, capitale des Sindeldi ?
- Je suis ravi que tu aies entendu raison, mais ce n'est pas pour cela que je souhaite te parler. Actuellement l'équilibre est précaire à Tahelta, le clergé de Sithi a une influence considérable et contrôle toutes les structures de la société. Depuis quelques temps, l'arrivée d'étrangers les affole, j'aimerai savoir pourquoi.
Aeglos considéra un instant son Maître en silence.
- Je ne me mêle plus des affaires des Ithilauster, je l'ai appris à mes dépends. De plus, pourquoi me demandez-vous d'enquêter alors que je ne suis qu'un prêtre de Yuïa ? Le roi et la reine de Tahelta sauront mieux diligenter une enquête en envoyant leurs espions, et puis vous pourriez aussi vous y rendre dans cette autre monde, vous êtes bien plus puissant que moi, surtout depuis que j'ai perdu une grande majorité de mes connaissances depuis une téléportation perturbée par les Ithilauster.
Le Maître lui fit part de la mort des souverains de Tahelta lors de l'invasion des forces d'Oaxaca, il ne restait plus que Naémin, mais celui-ci était bien trop proche des humains pour certains Sindeldi pour pouvoir régner un jour. Il l'informa également que s'il se rendait dans ledit monde, cela ne passerait pas inaperçu aux yeux des prêtres de Sithi. A présent, Aeglos comprenait pourquoi il était revenu.
- Tu as toujours été mon meilleur disciple, tu as des qualités que n'ont pas les autres, ton lien avec la magie est grand, si bien que j'ai pensé il y a longtemps que la déesse Yuïa s'était penchée sur ton berceau. Si ce n'est pas pour le Naora que tu le fais, fais le au moins pour toi. Tes connaissances pourraient revenir au fur et à mesure et tu as toujours défendu tous les peuples. De tous les Sindeldi, tu es le plus ouvert. Alors, acceptes-tu ma proposition ?
- Oui, lâcha Aeglos après un long moment.
De nouveau, son Maître disparut comme s'il n'avait été qu'une illusion. Aeglos adressa une courte prière à l'intention de la déesse qu'il vénérait, puis choisit de prendre en main son destin.
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