Je fais la moue lorsque le guide, suite à mon hypothèse, saute sur la conclusion que c’est bien évidemment l’Ombre qui doit être responsable. Je n’en suis pas entièrement convaincu, si Têtu est peureux, n’importe qui ou quoi a pu lui faire peur. Mais l’explication semble rationnelle et contredire Tobak maintenant ne serait de toute façon pas constructif.
Voyant que le nain est bien mieux équipé que moi pour la réparation du cuir, je range mes affaires et attends patiemment qu’il ait terminé avant de me mettre en selle. Je souris silencieusement à sa remarque sur la prudence dont nous devons maintenant faire preuve, c’est déjà ce que je fais depuis hier.
Son raccommodage est rapide et semble tenir la route, notre départ n’est guère retardé et nous voilà de nouveau gravissant les flancs des montagnes de Nirtim.
Observant la déclivité qui va s’augmentant, je me dis qu’il y aura peut-être des passages où il nous faudra passer à pieds plutôt que sur le dos de nos montures mais aucun grand obstacle ne vient finalement se dresser devant nous. La seule autre chose qui s’élève c’est le vent, arrêtant un instant Tobak qui se couvre d’une couche de vêtement supplémentaire. Captant son regard, je lui fais signe qu’il peut continuer sans attendre que je fasse de même. Ma cape est à portée de main mais il ne fait pas encore assez froid pour moi. En fait je commence tout juste à me sentir bien plus à l’aise dans ces températures descendantes qui sont encore à plusieurs degrés de celles des monts de Nosvéris.
La végétation autour de nous se raréfie, comme la faune, les allures printanières de notre randonnée d’hier sont oubliées. Mais c’est un autre élément naturel qui me donne le sourire, du haut de la masse nuageuse qui s’accumule depuis plusieurs heures au-dessus de nous, tombent bientôt des flocons de neige que je suis fort heureux d’observer, les sentant glisser sur ma peau encore nue. Entouré par les manifestations de Yuia, je me mets à doucement chantonner.
"Tombe la neige
Des doigts de la divine beauté
Tombe la neige
En minces flocons de tout côté
Ce soyeux cortège
Tout en notes blanches
L'oiseau sur la branche
Chante son florilège
Odes à la dame de Glace
Sa force et majesté, sa grâce
Et tombe la neige
Impassible manège
Tombe la neige
De cette souveraine du Nord
Tombe la neige
Avec calme dans ce blanc décor
Belle certitude
Le froid de sa présence
Agréable silence
Blanche solitude
Odes à la dame de Glace
Perfection et pouvoir, sa grâce
Et tombe la neige
Impassible manège"Lorsque je me tais, j’entends qu’au loin d’autres se joignent à mon chant… A moins que ce ne soit les compatriotes de l’Ombre qui s’informent de notre avancée. Tobak ne dit rien et poursuit la route, imperturbable. Le vert des bois a maintenant laissé entièrement place à la douce et moelleuse couche de neige immaculée pour mon plus grand plaisir. Blanche n’a pas l’air d’être perturbée par ce changement de climat et je me dis qu’il doit aussi neiger à Amaranthe suivant la saison. Je l’encourage tout de même de quelques doux mots dans les passages les plus délicats.
Lorsque nous arrivons en vue d’une petite maisonnée faite de bois, je me dis que c’est peut-être là que vit le cousin de Tobak mais les paroles du guide m’indique que ce n’est là qu’un simple refuge, la rencontre d’un autre nain sera donc pour demain.
Remettant pieds à terre, je marche un peu pour me dégourdir les jambes avant de m’occuper de Blanche, la débarrassant de son harnachement, j’entreprends cette fois-ci de la panser entièrement et pour qu’il n’y ait pas de jaloux, fais de même avec Têtu. Déposant ma propre cape sur le dos de Blanche le temps que son corps refroidisse de l’effort fourni, je laisse alors les deux équidés ravis du toilettage et ramène l’ensemble de l’équipement à l’intérieur. Il ne faudrait pas qu’il soit encore saboté cette nuit !
L’abri n’est pas bien grand et doit être utilisé par ceux de la race de Tobak, aucune fenêtre n’est visible ce qui n’est guère pour me plaire, une fois dedans nous n’aurons aucune idée de ce qui se passe dehors. Après avoir déposé le matériel à l’intérieur, je reviens sur le pas de la porte que je n’ai pas encore fermé, j'observe le foyer et m’adresse au guide.
"Comme vous l’avez sagement suggéré ce matin, il nous faut être vigilants, seriez-vous pour tenir des tours de garde cette nuit ?"Attendant sa réponse, mon regard se reporte sur les montures à quelques pas de là.
(((Chanson adaptée de Tombe la neige, Salvatore Adamo

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