Les deux gorilles qui s’avancent sur moi pour me molester ont des mines patibulaires qui feraient chier dans son froc à un môme, fut-il d’Exech. Mais je ne suis plus un gosse, moi. Alors leur mine, je vais leur faire ravaler fissa. Et je compte bien profiter de l’excès de confiance que leur confère leur surnombre pour tirer mon épingle du jeu. Il ne sera pas dit que je me suis laissé battre comme plâtre sans réagir. Et pour leur faire ravaler leur confiance, rien de mieux qu’une lame en travers de la gorge, comme en convient très vite le premier des deux, qui avant-même d’avoir esquissé le moindre geste pour m’attraper, s’est retrouvé la gorge percée de part en part par une lame d’acier feuilleté désormais terni du rouge de son sang, qui gicle abondamment de la plaie lorsque j’en ôte l’arme, le laissant tituber deux pas en arrière, l’air benêt, avant de s’effondrer comme une pucelle non consentante après le passage d’un bataillon de garzoks en manque entre ses cuisses. Pendant cet entrefaite, le second s’étant approché parvient à m’agripper le bras, mais surpris par le décès inopiné de son collègue, ne voit pas la lame virevolter dans sa direction et lui trancher net le poignet, laissant sa poigne tomber dans le caniveau, bien vite emportée par un rat gourmand qui trainait par là pour la cuisiner en ratatouille, sa spécialité. Atterré, il me regarde d’un air hagard alors que mes yeux d’obsidienne forcent les siens, et qu’un sourire malsain nait sur mes lèvres. À mon tour de me venger de leurs provocations stupides.
« Alors, on a perdu la main ? »
En tout cas, son moignon est bien rouge. Il pisse le sang, et recule en tremblant comme une feuille, choqué par la perte violente et inattendue de ce membre qui les représente tous tant. Leur chef éructe, écumant de rage :
« Bande d’incapables, désarmez-moi ce bon à rien ! »
Ah, il a laissé tomber les jeux de mots, pour le coup. Perdrait-il patience. Toujours est-il que maintenant, ce n’est pas deux pouilleux qui s’amènent vers moi, mais quatre. Un nouveau challenge, en quelque sorte. Et ceux-là sont sur leurs gardes, en plus, après ce que je viens de faire à leurs potes. Ils ne tardent pas à me saisir de toutes part, et j’ai beau remuer dans tous les sens comme un vers à peine sorti de terre pour se faire planter sur un hameçon de pêcheur, tailladant au passage dans leur costume pour laisser quelques traces zébrées et sanglantes sur leurs membres, blessures bénignes et bien moins grave que les deux précédentes, ils me font payer mon arrogance, et finissent par me maîtriser sans peine, l’un me tordant le poignet pour que je lâche mon arme, et les trois autres me maintenant de leur force de brute épaisse. Ayant retrouvé sa confiance et son impertinence, leur chef de bande s’avance d’un pas dans ma direction, et je ressens dans mon dos un violent coup de pied qui me fait choir à genoux devant lui, débarrassé de mes tortionnaires, mais désormais à la portée de tout leur groupe.
« La rose a beau se défendre de ses épines, rien n’empêche au final la main de l’arracher de terre pour en broyer les pétales cramoisis. »
Quel vieux donneur de leçons de merde. Et ses jeux de mots me gonflent. Mais ils me gonflent ! Cependant, je ne l’écoute qu’à moitié, car le sourire sur mes lèvres s’est une fois encore accentué, invisible à leurs yeux sous ma capuche noire. Une fois encore, ils m’ont sous-estimé, et désormais, nul ne fait barrage entre moi et ce dirigeant un peu trop agaçant. Subrepticement, je me dégante lentement, dévoilant mes mains aux extrémités aussi griffues que les pattes d’un fauve. Merci papa, on dit dans ces cas-là. Papa, pour sûr ce crétin ne le sera jamais. Vivement, je lance ma main en avant et lui attrape fermement l’entrejambe, perçant son futal de mes griffes acérées. Lui qui voulait me racketter, c’est moi qui tiens ses bourses à pleine main, et je n’attends pas la réaction de ses sbires pour lui broyer les noix sans compassion. Le bougre s’effondre littéralement sur lui-même alors que je ressors de son froc une main ensanglantée, couverte de bouillie de couilles.
Evidemment, ça sonne aussi la fin du combat pour moi. Ma défaite inexorable. Les sept restants se ruent sur moi et m’assènent coups de pieds, de poings, de genoux… Je finis bien vite à terre, submergé par leurs incessants assauts, la bouche en sang, les côtes en feu, le corps perclus de douleurs. Bordel, je déguste. Et pourtant, irrémédiablement, je me marre. Un rire se rapprochant de la folie s’étend de ma gorge déployée. Quelle bande de glands. Un novice comme moi qui étale trois de leurs mecs, dont leur chef d’escouade, avant même qu’ils m’aient donné un seul vrai coup. Voilà qui pourra porter préjudice à leur association de malfaiteurs, si tant est que quelqu’un ait été témoin de la scène. Alors j’ai beau m’en prendre plein la gueule, je m’en fous. J’ai réussi mon coup. Je peux crever la tête haute, molesté, frappé de toutes parts sans pouvoir même me défendre. Je me couvre, dans un réflexe de survie, la tête de mes avant-bras. Tout mon corps n’est que douleur et brisures.
Mais bien vite, une voix que je connais retentit dans la rue. Cette vieille merde de Hirman, patron du Tripot du Lys, accompagné de toute sa clique de gros bras.
« Les gars, c’est un des nôtres qui est en train de se faire battre là ! Allez, qu’on leur montre ce qu’on paie à s’attaquer au Lys Noir ! »
Et bien vite, c’est un vrai massacre qui se perpétue autour de moi sans que je puisse y participer. Les gardes du corps de Hirman sont armés, contrairement à ceux de la Main Rouge. Des dagues et des matraques qui transpercent les corps et fracassent des crânes. Un vrai bain de sang. Je ne peux que continuer à rire, encore et encore, comme un vieux psychopathe. Un rire fou, un rire libérateur, un rire qui n’a rien d’heureux. Et alors que je ris, et que le dernier de mes assaillants meurt en se noyant dans ses propres tripes, mon regard se pose sur leur chef, écouillé, que Hirman décide d’épargner pour le moment. Il aura tout le temps de crever plus tard, en souffrant longtemps et après nous avoir balancé les plans de ses petits copains. Ma respiration se fait difficile, je tousse plus que je ne ris, et puis je tombe dans les pommes, perdant connaissance. Étourdi, certes, mais vivant. Pas comme ces raclures de cabinet.
_________________ Dark Hood
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