Du fleuve jusqu'au Col Blanc, le chemin de Ziresh fut déjà très long. Quatre longues heures s'écoulèrent jusqu'au moment où il eut atteint l'altitude nécessaire pour voir les villages aux alentours. Mais ce n'était là qu'une infime partie de l'ascension qui l'attendait. Et effectivement, il cessa de compter les heures qu'il dû passer à parcourir les montagnes. Devant lui, seul un voile blanc semblait se dresser. Mais pire encore, la tempête de la veille semblait s'être déplacée jusqu'ici pour accabler le loup d'un vent glacé, fouettant son museau à mesure qu'il avançait. A force de bourrasques, il n'arrivait plus qu'à voir à quelques mètres devant lui. Exception faite, heureusement, des villages nains, au loin, qui se dressaient comme de petites tâches brunâtres sous les yeux mi-clos du jeune liykor. Mais ce n'étaient bien là que les seuls. Même Ren avait cessé de manifester sa faim, comme à son habitude. Le Lutinora s'était simplement décidé à s'engouffrer l'épaisse crinière du loup d'argent. Dans sa nuque, alors, les vibrations du petit être grelottant se faisaient ressentir. Et plus ils avançaient, pour Ziresh sentait la nécessité de trouver un abri, quel qu'il soit. Mais sur le Col Blanc, il n'y avait rien de cela. Pas même quelques grottes. Seulement la neige, la roche et au loin, les quelques structures des villages nains bien trop éloignés pour pouvoir compter éventuellement sur eux. C'est alors qu'au moment où tout semblait être perdu, l'espoir prit place à nouveau. La nuit était tombée et désormais, seules les rares lumières des villages nains en contrebas pouvaient l'aider à se repérer. Mais plus haut, il ne pouvait pas même voir la lune. Et pourtant... Toujours au loin, dans les hauteurs cette fois-ci, une légère lumière avait percé la tempête de glace. C'était la seule lueur qui lui permettait encore de voir vers quoi il avançait. Et Ziresh n'avait pas été le seul à percevoir cette image : Ren s'était déjà élancée vers le petit éclat, laissant son maître seul au bas de la colline qu'il lui restait à gravir.
"Allez mon vieux... T'es plus si loin du but..."
Ses pattes lui brûlaient à mesure qu'il s'enfonçait dans la neige épaisse. Ses tassettes semblaient en plus emporter la poudreuse derrière lui. A un moment, il dût reposer le maximum de son poids sur sa lance, qui lui faisait désormais office de canne. Mais même si la progression était lente, il sentait qu'il arrivait au but. Quand la pente lui céda enfin une surface plane, il remarqua qu'il était au même niveau que la lumière. Mais celle-ci semblait plus éclatante. Ce n'est qu'après quelques longues secondes de contemplation que Ziresh comprit alors que lueur devait son éclat à un filtre des plus étonnants : une paroi de glace, de bien vingt mètres de haut. Compte tenu de l'obscurité, il pouvait seulement dire qu'il s'agissait d'une sculpture, mais il était bien incapable d'avoir ne serait-ce qu'une idée de ce que cela représentait. Malgré ce aspect abstrait, l'immensité d'une telle construction le fit presque vaciller. Par ailleurs, les courbes semblaient réfléchir la lumière d'une torche de manière tout à fait surnaturelle. Ren resurgit alors en faisant le tour de la statue de glace, allant tirer les poils de son maître pour le forcer à contourner l'obstacle.
"Doucement, doucement, j'arrive..."
Ziresh disait cela pour calmer le petit lutinora, mais au fond, il était bien trop fatigué pour presser le pas. Maintenant qu'il était proche du but, il se permit de se reposer contre la structure gelée pendant quelques secondes. Bien entendu, c'était sans compter sur la hâte de Ren, qui s'impatienta jusqu'à aller mordre le poignet du jeune loup. La douleur se fit vive et poussa immédiatement le liykor à terminer ce qu'il avait commencé. Cela lui avait surtout rappelé que ce voyage était des plus cruciaux pour son village. Sans doute avait-il fini par oublier cela à cause de la fatigue... Enfin, après avoir dépassé la statue de glace, il put voir la véritable source de la lumière. Il s'agissait bien d'une grande torche plantée à quelques mètres de l’œuvre d'art. Ce n'est que là qu'il put voir, alors, l'entrée d'une grotte. Mais quelle entrée ! Elle constituait un véritable gouffre d'une dizaine de mètres de haut pour environ vingt mètres de large. Il était clair que pour un village de fujoniens, de telles galeries devaient faire office d'un habitacle respectable. Timidement, sans vraiment être sûr de savoir ce qu'il faisait, Ziresh s'avança jusqu'à ne plus ressentir la neige qui le fouettait. Après quelques pas, il semblait même que le silence avait totalement pris possession de la caverne. Seules quelques gouttes tombant de sa cape, complètement trempée, faisaient de petits clapotis soutenus par un écho aigu, témoignant de l'immensité du dôme.
"Il y a quelqu'un?"
Une réponse on ne peut plus claire fut donnée. La silhouette familière d'un loup fut entraperçue par le jeune bratien. Elle s'approchait de lui, doucement, mais gardait une taille relativement petite. Effectivement, le fujonien qui était venu le saluer n'excédait pas le mètre soixante. Il était vêtu d'une longue toge grise, sans aucun autre accessoire ou équipement. Quand enfin, il ouvrit la gueule, une douce voix se fit entendre. Une voix que Ziresh n'aurait attribué à aucun de sa race.
"Il y a bien longtemps que personne n'est venu nous rendre visite. Et il y a encore bien plus longtemps que nous n'avons vu de frères gris parcourir ces murs. Nous vous attendons dans la salle commune."
"Vous m'attendiez ?" s'exclama Ziresh.
"Pinga, notre prêtresse, a annoncé votre arrivée. Nous voudrions cependant nous entretenir avec vous. Nous savons que votre mission vous presse, mais je vous en prie, suivez moi."
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