L'Univers de Yuimen déménage !


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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 15 Juin 2016 20:11 
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Comment osait-elle la traiter d'idiote ? Qui avait décodé leur code enfantin ? Certainement pas cette impure !
Elle chassa ces pensées, submergées par un sentiment de honte de culpabilité ; tout le monde mérite le respect, même les êtres inférieurs. Elle ne devrait pas penser ces choses-ci et plutôt se dire que l'ignorance lui brouillait le jugement. Rien de plus. C'est de la compassion et non de la rage qu'elle devrait avoir pour cette pauvre petite chose.
Toute à ses pensées elle se dirigeait donc vers la cabine avant. Un des deux idiots la suivait, sans discrétion aucune - de toute façon, dans un tel appareil, cela aurait été impossible. Il s'arrêta à la porte tandis qu'Itsvara entrait dans la cabine de pilotage. La pièce était bien plus vaste que celle qui servait de couchage aux deux femmes. Des caisses étaient entreposées sur la paroi du fond, et un semblant de couchages occupait le côté opposé.
À la barre se tenait l'homme qui dirigeait tout cela. Il ne se retourna pas quand elle fit son entrée bien qu'elle ne le fît sans discrétion aucune, comme à son habitude. Elle regarda aussi bien qu'elle le put les environs mais ne vit pas Gabriel.
Finalement, elle s'avança vers le chauve et avec la voix la plus prétentieuse qui soit lui demanda s'il ne se trompait pas de direction.

"Dégage ! Va voir ailleurs si j'y suis."

"Vous n'y êtes pas puisque vous êtes ici. Cette remarque est stupide, je doute que vous possédiez le don d'ubiquité."

La réponse était sortie spontanément, comme une évidence, sur un ton professoral.

Devant l'absence de réaction, elle haussa les épaules et entreprit une inspection de la pièce, toujours sans gêne. Lord Andrew jeta un coup d'œil vers la jeune femme avant de lui ordonner, brusquement et brutalement de quitter la pièce.

"N'aviez-vous pas dit que nous pouvions sortir de notre… cabine. Enfin, ce qui sert comme telle ?"

"Ouais, mais tu viens pas ici."

Et il l'ignora de nouveau, estimant sans doute qu'elle avait compris le message. Mais c'était bien mal connaître la Sindel qui reprit son exploration, cherchant à comprendre ce que Lord Andrew avait prévu aussi bien en ce qui concernait la destination précise que ses intentions quant aux deux jeunes femmes une fois sur place.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 22 Juin 2016 18:18 
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Toujours est-il qu'elle est désormais libérée de cet affrontement. Elle s'affaisse et son regard se perd dans le vide. Elle perçoit à peine les éclats du combat qui se déroule à quelques pas d'elle. Elle est ailleurs ; Elle retrouve sa ville et sa forêt chéries, elle entend le bruissement du vent dans les feuillages, les piaillements des oiseaux, le tintement des armes dans la salle d'entraînement. Ah non, ça, c'est ce qui sonne non loin d'elle, à l'instant présent. Elle retrouve ses esprits et se traîne un peu plus loin encore, ses jambes refusent de bouger alors c'est à la force de ses bras qu'elle s'écarte du théâtre sanglant. L'air hagard elle réalise que le coffre n'est plus si loin.

Il semble inaltérable, malgré le chaos qui se déchaîne autour, les corps qui jonchent le sol et les ténèbres qui enveloppent les cieux. Il la fascine et la questionne. Son grand-père savait-il dans quels affres il l'envoyait ? Elle en vient à douter de lui. Qui était-il ? Pourquoi possédait-il ce coffre si convoité ? Une fois le mystérieux réceptacle à portée de mains, elle tente de jeter un coup d'œil vers les deux humains pour s'assurer de sa sécurité, mais son buste est toujours bloqué, aussi verrouillé que ce fichu coffre. Tant pis. S'ils se rapprochent et que son heure sonne, alors qu'il en soit ainsi.
Elle n'ose pas le toucher ; Sa puissance l'inquiète. Elle l'observe et est de plus en plus convaincue que le coffre irradie d'une force incommensurable. Elle repense au passage si étrange par lequel elle a dû passer pour le récupérer. Oui, clairement, Valy' savait qu'il envoyait sa petite-fille dans une périlleuse galère. On ne garde pas un objet commun ainsi et, les objets non communs sont enviés, si bien que ceux qui les détiennent se retrouvent dans une tourmente continuelle, subissant les assauts des envieux.

"Et les envieux ne sont pas des péons, visiblement…"

Elle pose enfin sa main dessus. Rien ne se passe. Après tout, rien ne s'était passé jusqu'alors, pourquoi en serait-il autrement maintenant ?! Elle veut savoir ce qu'il contient. Elle veut savoir ce que gardait si précieusement Valy', elle veut comprendre pourquoi elle doit traverser ce continent au risque de sa vie. Et que ce soit une demande de son grand-père n'est plus une raison suffisante. Et pourquoi au temple de Rana ? Elle laisse glisser ses doigts sur les motifs finement ciselés qui ornent et enserrent le bois. Des volutes et des éclairs s'entrelacent et rejoignent la serrure qui résistent aux essais d'Inès pour l'ouvrir.

"J'vais finir par le défoncer ce foutu coffre !"

(Ou… La bague ? Peut-être que la porte et le coffre ont le même système d'ouverture !)

Elle cherche frénétiquement un serpent, ou ce qui y ressemblerait. Rien. Absolument rien ! Son cœur s'emballe d'impatience, elle en aurait presque oublié ses blessures si un goût ferreux ne lui était pas venu en bouche. Elle porte sa main à ses lèvres et regarde ses doigts, sur lesquels du sang s'est déposé.

"Merde… Ils m'ont bien amochée quand même."

Elle crache, ou plutôt bave, une boule de sang noirâtre qui s'écrase sur le sol, juste à côté du coffre. La douleur refait surface, elle lui comprime le torse, depuis l'épaule jusqu'aux entrailles. Son cou, toujours bloqué, ne lui permet pas de voir surgir, dans son dos, une vague sombre qui lui inflige le même effet qu'une lance lui transperçant les reins. La surprise et la souffrance lui arrachent un hurlement tandis qu'elle s'effondre sur le coffre devant elle.
Le sang envahit de nouveau sa bouche, elle tousse et en éjecte plus encore. Son cœur est comprimé, ses battements résonnent dans son crâne, sa vue se trouble.

(C'est fini… Cette fois-ci, c'est fini…)

"Faut que j'arrête de penser ça…" gémit-elle "Je suis pitoyable."

Elle ne trouve pas la lance, pourtant posée au sol non loin d'elle, alors elle reprend sa dague, la belle inutile. Elle se laisse tomber sur le côté et voit l'ombre fondre sur elle, son seul réflexe : lever sa main et l'abattre sitôt elle sent la masse l'impacter, elle place dans ce coup toute la puissance et la détermination qui lui restent. Des cris et râles démarrent une symphonie de terreur et de douleur. Le poids du chauve l'écrase, il se tord et trésaille mais ne parvient pas à la blesser plus. Inès s'acharne, elle plante comme une furie, un nombre incalculable de fois, sa dague dans l'amas de chair et d'armure qui la surplombent. Elle ne vise rien et tout. Elle veut déchiqueter cette saleté de brute, cet immonde mage. Il faut que tout cela cesse. Épuisée, sanglotante et sanguinolante elle arrête finalement de taper. Un silence de mort assourdit les environs, plus rien ne bouge, le voile noir s'est évanoui et le soleil revient l'éblouir.
Serait-ce fini ? Elle repousse difficilement le corps amorphe qui l'étouffe et, une fois fait, soupire avant de rire nerveusement. Elle se redresse lamentablement et regarde devant elle. Le Capitaine tient à peine debout, son teint est livide, il la regarde et esquisse un sourire qui aurait pu être enjôleur si la situation n'était pas aussi morbide. Elle fait de même et reporte enfin son regard sur le coffre. Le fameux. Le responsable de toute cette boucherie. Il est retourné, Inès n'a aucune idée de quand cela s'est produit, par contre, ce qu'elle aperçoit la saisit : un semblant de serpent ! Terriblement similaire à celui de la porte ! Et, comme pour cette dernière, le bout de la queue est creusé… Sans y croire tellement cela lui semble impossible, elle enfonce la dague donnée par son grand-père dans l'encoche. Un cliquetis inespéré se fait entendre… Inès remet le coffre à l'endroit et, hésitante, essaie de l'ouvrir. Ses gestes sont solennels et tout à la fois emprunts d'angoisse. Valy' aurait-il accepté qu'elle l'ouvre ? Il est, de toute façon, trop tard pour y renoncer.

Le couvercle est désormais grand ouvert et Inès est stupéfaite par ce qu'elle y trouve. Le soleil fait resplendir deux larges lames arrondies et dorées. L'une est fort grande et son profil fait penser aussi bien à une faux qu'à une épée courte et mortellement effilée. La seconde est plus petite, plus compacte mais tout aussi aiguisée. Les deux lames sont merveilleusement ouvragées, des motifs renforcent leur silhouette, la plus grande comporte également une sorte de croix ; une poignée la prolonge, longue et recouverte de cuir tressé, et s'achève par un système d'attache complexe la reliant à une longue et relativement fine chaîne, recouverte elle aussi d'un cuir sombre sur lequel est brodé des volutes d'or. L'ensemble repose sur une sorte d'oreiller bleu nuit qui fait un peu plus encore ressortir la splendeur de cette arme.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Jeu 7 Juil 2016 15:32 
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La vaste cabine contenait moult caisses aux contenus inconnus et l'humain ne laissait pas à Itsvara la liberté de les ouvrir pour en observer le chargement. Elle tenta bien une fois, puis une deuxième… à la troisième, elle se vit happée vers l'extérieur par la grosse brute qui lui collait les basques. Ses deux énormes mains avaient enserrés ses épaules et il l'avait soulevée avec une facilité déconcertante, elle faisait deux mètres tout de même ! Cette brute est indéniablement puissante.

"Veuillez me lâcher immédiatement ! Je ne vous permets pas de me toucher ainsi ! Cessez cela incessamment !"

Mais ses réclamations n'eurent d'effet qu'une fois déposée hors de la cabine. De retour sur le pont principal elle eut un frisson, tant à cause des bourrasques de vent qui balayaient l'espace que par la vue des régions de l'Omyrhy.

(Cela ne me dit rien qui vaille. Être entourée ainsi par des Noirs et par les Ombres…)
(Fais-moi confiance.)

Elle ricana dans un soupir.

(Si je me retrouve ici, c'est uniquement de votre faute !)
(Ton analyse est incorrecte. Ce sont tes décisions et actions qui te mènent ici. Mais vois le bon côté ! Tu voulais voir le monde et le juger de tes propres yeux.)

Itsvara ferma les yeux et s'efforça de faire le vide dans son esprit. Avoir ses pensées ainsi observées et commentées l'importunait, ce qui ne l'empêchait pourtant pas de s'adresser spontanément à cette conscience - si tant est qu'on puisse la qualifier ainsi - quand le besoin s'en faisait sentir.

Elle s'avança prudemment vers la balustrade et s'y accrocha pour regarder les alentours. Les hauts sommets s'étiraient devant eux et l'appareil survolait des montagnes acérées et décharnées sur lesquelles les routes et sentiers serpentaient et disparaissaient. La sylve formait ça-et-là des larmes qui ruisselaient sur ses fortes pentes. À cette altitude, Itsvara semblait percevoir déjà les ténèbres qui régnaient de l'autre côté du versant. Le territoire d'Omyre qui imprégnaient de noirceur jusqu'à la Nature environnante, si bien qu'Itsvara se voyait entrer dans l'obscurité. Allaient-ils là-bas ?
Étrangement, elle esquissa un sourire. Acknarav n'avait pas tort, l'expérience qui s'offrait à elle était incroyable. Aurait-elle seulement pu imaginer cela il y a encore quelques mois, tandis qu'elle lisait et classait les ouvrages dans la grande bibliothèque ?! C'était comme si elle entrait dans un de ces récits qu'elle parcourait circonspecte ; elle faisait partie de l'histoire. Incroyable.
Elle sortit frénétiquement son carnet et chercha un endroit pour y recueillir quelques réflexions quand elle vit Gabriel, assit sur une caisse de l'autre côté du ponton, mangeant tranquillement une pomme. Il jouait avec une pièce qui roulait entre ses doigts.
Elle le rejoignit d'un pas preste et l'interpella à mi-voix :

"Que faites-vous ici ?! Pourquoi connaissez-vous cette crapule ?!"

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Ven 8 Juil 2016 12:36 
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"Incroyable." souffle-t-elle. La splendeur de cette vue a totalement occulté les environs. Seule compte cette arme. Ce qu'elle représente. Que représente-t-elle d'ailleurs ? Pourquoi l'offrir au temple de Rana ? Pourquoi Valy' la gardait-il ? Pourquoi ces types la veulent ? Certes, elle semble incroyablement bien faite mais de là à s'entretuer pour la posséder ?!
S'entretuer.
C'est vrai, y'a des cadavres tout autour. Inès commence à s'en souvenir et à regarder le désastre. Le chauve gît juste à côté d'elle, le visage contracté et terrifiant en partie écrasé contre la terre. Ses yeux ouverts sont saisissant de cruauté, même dans la mort.
Elle frémit et parcourt des yeux les environs. Le premier type qu'elle a tué, ici du moins, n'est qu'à quelques pas. Sa tête est toujours enfoncée sur son petit rocher, comme un oreiller éternel. Au sol, des traînées et giclées de sang zèbrent l'herbe et la terre, labourée par les assauts.
L'hiniönne rit de nouveau.

"On l'a fait ! On les a défoncés !"

En entendant ses propres mots elle se tait, stupéfaite, avant de reprendre plus bredouillante :

"Enfin, je veux dire, on les a vaincus."

Le Capitaine Kedaw s'avance vers elle en souriant. Il a été blessé mais il se maintient le plus naturellement possible, comme si la douleur ne l'affectait pas.

"Vous avez fièrement combattu en effet."

C'est comme s'il lui rendait honneur, mais elle ne le prend pas ainsi. Ce qu'elle voit, à cet instant, c'est surtout qu'elle a été faible.

"Moui, enfin… Merci de votre aide surtout." lui répond-elle alors, un peu dépitée avant d'ajouter plus vivement : "Dans quel état est Gezabelle ?"

Il sourit de nouveau en soupirant.

"Emma est dans un état grave mais non critique. J'ai arrêté l'hémorragie mais elle est encore inconsciente. Je lui ai déjà donné une dose d'élixir de soin, j'en ai toujours une sur moi… Mais je pense qu'il lui en faudrait au moins une deuxième pour récupérer un peu plus vite, et mieux. On ne va pas pouvoir rester là éternellement."

Il prononce ces derniers mots en posant son regard sur le corps du mage puis sur les environs. Et Inès réalise plus encore la situation dans laquelle elle se trouve : trois morts, Gezabelle inconsciente et grièvement blessée, un Capitaine qui va devoir faire un rapport. Va-t-il le faire ?

"On fait quoi des corps ?"

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Jeu 14 Juil 2016 01:42 
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La milice m’envoie

« Guahaha ! »

La choppe de frêne s'élança en l'air en projetant un trait rosé. Daemon suivit le jet du regard.

« Trainé dans tout l'village le cousin ! L'a jamais pu se défaire de sa selle, comme quoi, les porcs ne seront jamais de bonnes montures. »

« Que lui est-il arrivé, ensuite ? »

« Mort ! La tête fracassée sur un rocher ! »

« Mais cette histoire est horrible ! » se scandalisa Daemon.

Le paysan émit un hoquet d'hilarité et son œil malin se durcit progressivement. Un silence orageux s'installa. Assit sur une pile de bois, le semi-elfe détourna le regard vers la pluie qui se déversait au dehors.

« Je te pensais moins sensible vu ce que tu as faits à mon bestiau. »

« Navré. » souffla Daemon en observant le sol. « Je me suis emporté... »

La honte l'envahissait.

Quelle idée, quelle folie l'avait-il emporté ? Un vrai milicien ne se serait jamais comporté ainsi. D'autant que le vieux Malegent n'avait pas réagi comme il l'escomptait. Il n'était apparemment pas du genre impressionnable et plutôt réactif pour son âge. Agile même. Il n'en revenait toujours pas de la célérité avec laquelle le paysan avait attrapé sa fourche pour l'agiter devant son nez.

(Quelle honte d'avoir bravé des hordes de squelettes, une meute de Liykors et un puissant nécromant pour se retrouver acculé par la fourche d'un vieillard...)

« BOIS ! » hurla le fermier en présentant sa choppe. Daemon émit une moue répugnée et secoua la tête en signe de refus.

« Oserais-tu refuser l'hospitalité de ton hôte !? »


« Non, non. » dit-il en s'empressant d'attraper le verre.

Le vin paraissait noir et une écœurante odeur sucrée en émanait. Il fit tournoyer le liquide suspect à l'intérieur et le porta à ses lèvres pour le boire à grandes gorgées. Il s'essuya avec sa manche et, ravis d'avoir passé le petit rituel de son hôte, engagea enfin la conversation.

« M'sieur, depuis combien de temps vos bêtes disparaissent ? »

L'homme tangua doucement d'avant en arrière puis se baissa en haussant un sourcil.

« Es-tu certain de vouloir plonger dans ce bourbier ? C'est qu'il se passe un tas de trucs louches. Le coin n'est plus aussi sûr qu'il l'était autrefois. »

Daemon darda sur lui un regard déterminé sans vraiment réussir à le maintenir.

« Je ne céderait pas et... de toute manière je ne viens qu'en reconnaissance. Mon rôle est simplement de collecter des informations afin d'apporter des éléments concrets à la milice. Enfin, s'il se passe réellement quelque chose ici. »

Le paysan émit une bruyante intonation à son allusion, reniflant sans gêne le temps de trouver les mots pour lui répondre.

« Après chaque pleine lune, dans le bosquet mauve, je retrouve une carcasse vidée de toutes ses entrailles... et toute la bonne viande... intacte ! Ce n'est pas l’œuvre des loups sinon je n'aurais pas appelé la milice. » précisa-t-il en saisissant le manche de sa fourche.

« Je n'en doute pas. » convint Daemon avec un frisson. « Qu'entendiez-vous par '' trucs louches'' ? »

L'homme darda sur lui un regard nocturne. Il parut hésitant à entrer dans les détails mais il finit par céder.

« Cela date d'avant les disparitions de bétail, d'avant ta naissance mon p'tit gars ! La région à toujours été tranquille... jusqu'à ce que l'ombre tombe sur Falaise. »

« Falaise ? » répéta-t-il intrigué.

« Un village côtier, plus au sud, au-delà du bosquet mauve. »

« Mon instructeur ne m'en a pas parlé. »

Il eut beau se remémorer les dires de son instructeur, ainsi que ceux du marchand l'ayant escorté jusqu'à la Glandée, personne ne lui avait jamais soufflé mot sur ce village.

« Il est pourtant très proche, mais... ce port est dépeuplé et ne figure plus sur les cartes depuis longtemps. Il tient son nom des brisants redoutables qui parsèment la côte. L'endroit est trop dangereux pour y manœuvrer de gros navires et seuls les pêcheurs expérimentés s'y aventurent. Pendant mes jeunes années c'était un village tranquille et il y faisait bon vivre. »

« Je ne vois pas vraiment le rapport avec votre bétail. »

L'homme se frotta le visage avec un regard lointain, son attention détournée vers ses pensées. Cela intrigua le semi-elfe car il avait abandonné sa piètre mise en scène pour une attitude bien plus sérieuse et mesurée.

« À cette époque j'accompagnais régulièrement mon père à Falaise, histoire de vendre nos récoltes ou de les troquer contre quelques butins de pêche. Ce printemps-là, un noble avait élu domicile aux abords du village. Un homme discret qui se gardait d’apparaître en public mais qui avait établi un étrange commerce.

Quelque chose de louche s'y tramait. Je me souviens des grands navires au mouillage, loin au large. C'est à ce moment-là que les rumeurs ont commencés, des bruits étranges dans la nuit, des concerts de chien... Après cela les Falaisiens ont commencé à devenir distant avec nous autres, certains même méprisants. »

« Ce même bois qui vous sépare de cette ville ? » demanda Daemon dans un effort de figuration de la géographie locale.

« En effet, le bosquet mauve... Bref ! Les mauvaises histoires s'accumulaient jusqu'à cet hiver particulièrement froid où une terrible épidémie frappa le village. »

L'homme marqua un temps, comme s'il bénissait la perte des victimes, puis il reprit la parole en crachant de colère.

« Depuis, plus rien ! Falaise n'est plus qu'une ville fantôme occupée par des bouffeurs de crottin à peine Kendran, quelques métèques issus de cet affreux commerce ! Je l'ai vu une fois, ce noble, lui et son sourire méprisant. Je le déteste ! C'est de sa faute ! Tout est de sa faute ! Il m'a privé de ma... »

Daemon prit vivement ses distances. Le visage bouffit du vieil homme était devenu rouge. Son appréhension à l'égard de ses voisins ne devait pas dater d'hier et il semblait que l'âge n'avait pas assagi le vieux paysan. Mais bien qu'il ruminait sa colère, il ne semblait pas enclin à continuer son récit et lui offrir des détails plus probants. Au final, cet homme ne savait rien et ne faisait que colporter des histoires datant d'un demi-siècle.

« Vous ne semblez pas les apprécier. Selon vous les voleurs de bétail viennent de Falaise ? »

« Aucun doute possible ! » trancha le paysan avec dégoût.

« Bon, je vais suivre vos conseils et m'y rendre dès demain. Après tout j'ai encore un peu de temps avant la pleine lune. »

L'homme répondit par un grand bruit nasal semblable au grognement d'un ours, puis se leva de tout son poids pour s'en aller sans un mot. La pluie s'était tu et ne persistait plus que le ruissellement de l'eau. Daemon l'observa s'éloigner sans trop comprendre son brusque revirement.

(Les conflits entre villages voisins sont assez communs, mais si c'est bien le cas, il est possible que cette affaire se résume à une vulgaire et mauvaise blague. Vaudrait mieux. Ce serait toujours plus rassurant que des fanatiques issus d'un culte de Thimoros...)

Le semi-elfe éteignit sa lanterne et gagna sa couche au fond de la grange, à l’abri des courants d'airs. Observant les étoiles à travers les crevaisons du plafond, il eut du mal à trouver le sommeil, comme si une atmosphère délétère imprégnait les lieux.


Écorce blanche

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Dernière édition par Daemon le Sam 16 Juil 2016 04:20, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Sam 16 Juil 2016 04:19 
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Des histoires datant d'un demi-siècle

Daemon s'éveilla aux premières lueurs de l’aube. Après s'être repu de ces maigres provisions, il décida de faire le tour du propriétaire en explorant les masures séculaires. Une fois dans la cours boueuse, il vit de la lumière s'échapper entre les volets de la demeure principale. Il hésita à saluer le vieux Malegent, mais la discussion de la veille l'avait trop refroidi ; il s'abstint donc et partit étudier de cheptel. Un vaste enclos s'accrochait au flan du tertre jusqu'à l'orée du bosquet et il y dénombra dix bovins faméliques broutant paisiblement. C'était un beau troupeau pour un paysan seul et isolé et il se demanda comment le vieil homme parvenait à assurer la charge de travail. Il fit le tour de la barrière pour y repérer les passages et des ouvertures, sans rien trouver de notable, puis il scruta les environs.

Le bosquet mauve était terriblement proche, les premières branches dominaient les limites de l'enclos et cela ne l'arrangeait pas, les ravisseurs pouvaient s'approcher sans être vu et disparaître à la faveur de la forêt tout aussi facilement...

Il se tourna vers les contours de la ferme dans le levant.

(La nuit prochaine sera celle de la pleine lune, j'y verrai comme un plein jour. Le mieux sera de garder l'enclos depuis la ferme, en hauteur et avec une vision dégagée.)

L'apprenti milicien continua son repérage sous la surveillance bovine et décida de s'aventurer dans le bosquet. La pénombre et la fraicheur matinale encore vigoureuse offraient à ces lieux un cachet lugubre. Les branches grinçaient lentement, aucun oiseau ne chantait et seuls quelques bruits d'animaux invisibles lui parvenaient. Entamant une petite partie avec le destin, il laissa son instinct guider sa route. S'arrêtant sur un petit promontoire de pierre, une bourrasque vint à sa rencontre ; tirant sur son col afin de resserrer sa capuche, son attention fut captée par une couleur originale, une teinte qu'il appréciait tout particulièrement. Dévalant le dénivelé, il se précipita à travers les buissons et quand il en sortit, son regard fut flatté.

Pénétrant dans la clairière, il se baissa pour cueillir l'une des innombrables fleurs mauves tapissant le sol. Il apprécia délicatement les courbures de la corole ; une brise fit frémir l'arborescence du même mauve des grands arbres à l'écorce blanche.

« Alors voici d'où ce bosquet tire son nom... » dit-il en pleine contemplation.

Son cœur flottait, quand une ombre germa derrière lui. Tel un panache d'encre recouvrant pernicieusement la toile, les volutes aériennes s'accordèrent et s'approchèrent jusqu'à effleurer son épaule. Alors, dans un appel funèbre et terriblement éraillé, l'ombre prononça son nom.

« Daeemoon... »

Le semi-elfe abandonna sa fleur à la gravité et fit un mouvement de tête sur le côté ; à travers sa capuche, ses pupilles mauves brûlaient de fermeté.

« Une fois mais pas deux, Morgoth ! »

Un petit rire insolent résonna, puis les volutes se contractèrent pour laisser échapper un chaton d'ébène virevoltant autour de lui.

« Tu auras beau changer de forme et de voix, la méthode reste la même. Tu ne pourras pas éternellement m'effrayer de la sorte. »

« Hihihi... Pardonne-moi, un vieux réflexe. Tu sais, quand on erre trois mille ans dans les jardins d'Endor, il faut bien se trouver des occupations. »


« Voilà l'explication... » souffla-t-il. « Dis-moi, pourrais tu me conduire au village de Falaise ? Tu as bien dû entendre notre conversation de la veille. »

« Je le peux et... je dois avoir le droit. »

« Le droit ? Comment ça le droit ? » demanda le fanatique en suivant le chaton qui initiait la route tout en effectuant ses pirouettes aériennes.

« Les Faera sont soumises à de nombreuses règles. Nous ne devons pas influencer le destin de nos maîtres, ou du moins, nous ne devons pas abuser de nos compétences à dessein. L'espace-temps n'a pas la même emprise sur nous autre, nous percevons sans cesse les possibles et nous pourrions vous aiguiller... trop efficacement. Mais dans le cas présent, que je t'aide ou non, tu trouveras le village. Après d'autres règles viennent corréler celle-ci, certaines âmes plus puissantes peuvent faire frémir l'arbre des possibles, nous permettant plus de laxisme. Mais le destin corrige naturellement ces perturbations. »

« Hum... Je n'ai pas tout compris, mais tant que tu m'y amènes, je suis d'accord ! »

« Tsss. » siffla la créature magique en se glissant entre les ramures pâles. « Et je savais que tu allais dire ça. »


Un phare

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Dernière édition par Daemon le Jeu 27 Oct 2016 19:32, édité 5 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 27 Juil 2016 21:32 
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Guidé par les pirouettes de son chaton spirituel, Daemon sortit enfin de la forêt. Un vent puissant vint à sa rencontre et il découvrit, après une vaste étendue d'herbe, les dimensions océaniques à perte de vue, ainsi que le littoral escarpé et corrompu par les embruns salés. Il s'approcha du rivage et trouva les hauteurs d'une falaise, d'où remontait le chaos des vagues, suivi du bruit dilué du ressac. Quelques mouettes piaillaient en traçant des cercles, tandis que d'autres profitaient des courants ascendants pour rester en vol stationnaire. Accroupi et recroquevillé dans son manteau noir, il observa le spectacle avant de s'adresser à Morgoth.

« Où se situe le village ? »

« Non loin. » répondit-il, avant de s'évaporer.

« Hum... » Daemon se leva et scruta les environs.

Clairement délimitée par les remous d'écumes, la falaise s'avançait sur les eaux et disparaissait dans une brume orageuse. Au-delà, il ne distinguait plus la côte, mais, surplombant l'étendue herbeuse, il vit une forme noire dénoter avec le paysage.

« Un phare ! »

Il longea hâtivement la falaise et ses criques inaccessibles, puis il gravit le dénivelé jusqu'à l'imposant édifice et aperçut enfin, de l'autre côté du promontoire, une ville portuaire morne et sombre. Il y dénombra deux rues serpentant jusqu'au quai, et à l'exception d'un temple de Moura coiffé d'une modeste coupole, il n'y avait que de pauvres habitations. La ville était organisée autour du port, un vieux quai avec ses appontements de bois pourris, où seules quelques barques battues par la houle y étaient amarrées.

La mer et le ciel se confondaient dans une masse uniforme et profonde, et son regard fut attiré par une ombre, plus au large, un trois mât aux voiles affalées semblait avoir jeté l'ancre. Aucun drapeau n'y flottait, mais le ruban rouge et or peint bien au-dessus de la ligne de flottaison lui était familier. Daemon fouilla dans ses souvenirs, faisant le tri parmi les nombreux navires qu'il avait croisé du temps où il officiait sur les docks de Dahràm, mais il ne parvint pas à fixer de nom. Il finit par s'y résoudre et se convainquit qu'aucun navire provenant des eaux Oaxienne n'oserait s'aventurer si près de Kendra-Kar.

Il descendit jusqu'à la ruelle et constata que les premières demeures étaient à l'abandon, les fenêtres étaient condamnées par des planches de bois et toutes arboraient un aspect triste et délabré. Quelque chose le dérangeait. Le son grinçant d'une enseigne rouillée persistait, quand il réalisa qu'il n'avait aperçu personne du haut de la colline. Il n'y avait aucune ferme avoisinante et aucun habitant n'avait pointé le bout de son nez, pas même un animal errant. Un sentiment pesant de vide l'investit tandis qu'il dévalait le chemin sinueux jusqu'au quai.

La vieille ruelle dégringolait en pente vers le sud, spectrale et hérissée de toits pointus, jusqu'au quai, où il aperçut enfin les premiers autochtones. Vêtus d'apparats ternes et crasseux, ils discutaient en cercle devant une gargote aux fenêtres encrassées. Daemon les salua de la main, mais le cercle se resserra sur des murmures inintelligibles.

Camouflant sa gêne, il poussa la porte de la taverne et découvrit un endroit sombre, extrêmement tamisé et poussiéreux. Une odeur infecte de poisson empuantissait l'air et malgré les quelques clients attablés dans l'ombre, un silence de mort retentissait. Un homme apparut au comptoir, ses cheveux désertaient le haut de son crâne et son regard torve le révélait d'humeur taciturne. Daemon s'arrêta devant lui et, prit d'une absence passagère, ne trouva rien à dire. Il émit un petit rire nerveux et inspecta les filets miteux et les fournitures maritimes accrochées au mur.

« En venant ici j'ai aperçu un navire stationné plus au large, un trois-mâts. Vient-il commercer ici ? »

L'homme à la peau luisante émit une grimace indescriptible, puis il répondit dans un grognement qu'aucun navire ne venait commercer ici. Jamais, souligna-t-il. Avant d'expliquer qu'il fournissait les pêcheurs du coin. Son accent était proprement désagréable et glougloutait comme un croassement. Il ne semblait pas enclin à reprendre la parole et Daemon remarqua chez lui un tic nerveux étrange, son interlocuteur basculait de la tête, tandis que ses yeux globuleux vrillaient vers la droite.

Le semi-elfe déglutit, émit un sourire et fit quelques pas en arrière. Alors, un homme se leva de sa chaise sans pour autant sortir de l'ombre. L'horrible marionnette continuait de tiquer au comptoir, comme s'il faisait partie intégrante d'un décor macabre. L'assemblée immobile l'observait dans un sinistre mutisme. Daemon ne savait pas qu'en penser, se tenant sur ses gardes, prêt à réagir à n'importe quel moment. Un silence pesant, ponctué par le fracas des bourrasques et le craquement du bois s'installa... Les effluves nauséabonds devinrent insupportables. Il décida de battre en retraite, doucement, en direction de la porte. Il l'ouvrit avec un grincement paniqué et une fois dehors, il constata que le groupe de badauds n'était plus là.

(Où peuvent-ils être?)

La porte de l'auberge, encore ouverte, claquait bruyamment. Son cœur battait la chamade et comme dans un mauvais rêve, il était à bout de souffle. Il fouilla les alentours du regard, se tourna et se retourna, sans voir personne. Le vent bruyant s'engouffrait dans le défilé de parois rocheuses tandis qu'une bruine opaque investissait les quais. Alors qu'il s'emmitouflait dans son manteau pour se protéger de l'humidité, il se trouva soudain ridicule, apeuré par quelques pêcheurs hostiles...

Tournant la page sur l’accueil glacial des Falaisiens, il décida d'explorer plus en détail le quai. Il sauta sur le ponton de bois, verdâtre et recouvert de mousse, et s'enfonça dans la brume à la recherche du formidable navire. Il plissa des yeux, croyant distinguer une forme apparaître et disparaître au gré des nuances. Le bruit de la porte battait toujours derrière lui. Il ne voyait plus rien, si ce n'est que les formes grossières des falaises.

(Si même la météo n'est pas de mon côté, autant repartir à la ferme.) se dit-il.

Mettant ses pensées en pratique, il fit demi-tour et porta plus d'attention aux alentours. Des barques étaient amarrées au ponton, l'une d'elles était inondée et apparemment depuis pas mal de temps. Personne ne semblait s'être soucié de la dégager, ce qui n'était pas le cas sur le port de Dahram, la carcasse aurait été extraite dans la semaine. Il laissa la pauvre épave sous les eaux noires et continua son chemin. Sur le quai embrumé, il devina un imposant tas de caisses recouvert par un filet, ainsi que des bacs de poissons, qu'il devina à l'odeur. Il finit par admettre que ce village de pêcheurs, bien qu'angoissant, n'avait rien de très particulier. Ce n'était pas ici qu'il trouverait des indices sur les disparitions.

Alors qu'il essayait de retrouver son chemin, la porte invisible claquait et claquait encore, puis s'arrêta subitement. Daemon fut rassuré qu'un de ces pêcheurs décérébrés eut enfin l'initiative de faire taire le vacarme, mais des bruits de pas furtifs se firent entendre. La brume avait complètement dilué la perspective et il ne distinguait plus que de vagues formes, celles des falaises, des maisons et d'ombres qui se mouvaient dans sa direction... Daemon n'y portait pas vraiment d'attention, mais se ravisa rapidement à l'écho d'un son étrange, à la frontière entre une intonation humaine et un croassement visqueux.

Trois silhouettes se dessinèrent dans le brouillard et une oppression fulgurante le motiva à s'éloigner. Elles avançaient avec une drôle d'allure, trainant d'un pied ou... bondissant presque. Des coassements désarticulés, semblables à celui qu'il venait d'entendre résonnèrent distinctement. Les choses déambulaient lentement dans la ruelle et Daemon continuait de s'éloigner discrètement en gardant un œil sur elles. Subitement, elles se figèrent au bruit de ses pas. Le semi-elfe réagit en conséquence et s'arrêta aussi, il eut un flottement, mais à sa grande horreur elles se dirigeaient dans sa direction. L'une d'elles était trapue et titubait misérablement, tandis qu'une autre, droite et raide, sautillait à pieds joints. Dans un premier temps, il n'osa réagir, mais voyant que la distance qui les sépare diminuait inexorablement, il entama un trottinement apeuré.

Il eut alors des beuglements stridents et des bruits s'agitèrent de toute part, même dans les masures abandonnées. Renversé par cette marée d'échos grouillants et indescriptibles, il voulut crier d'abomination, pourtant ses jambes furent plus rapides et il détalla dans la ruelle.

Il gravit la pente raide et escarpée comme un damné. Il courut, courut sans jamais oser regarder derrière et même une fois hors du village, loin de la brume et du vieux phare abandonné, il courait encore.


La pleine lune

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 15 Aoû 2016 22:39 
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Un phare

La seconde traversée de la forêt fut hâtive et moins portée sur la contemplation des feuillages mauves. Daemon gravissait le dénivelé de manière précipité, en s'y figeant de temps à autre pour guetter les alentours, incapable de contrôler ses angoisses galvanisées au moindre crépitement suspect. L'effroyable expérience se perpétuait dans son esprit, incapable d'oublier ces hurlements abominables.

(Quelles étaient ces choses ? D'où et surtout de quoi provenaient ces glapissements ? Les Falaisiens réservaient-ils ce genre de blague aux voyageurs pour conforter leur isolement ? Ou était-ce...)

Des tas d'interrogations se bousculaient en lui, le faisant douter, perturbant sa notion de réalité. Malgré sa confusion notable, il s'en voulut d'avoir détallé si promptement sans oser braver la brume à la recherche de réponses. Lui qui s'était pourtant juré de ne jamais fuir, car un serviteur de Phaïtos se doit de ne rien craindre, surtout pas la mort.

Après une longue marche d'intériorisation agitée, il passa enfin l'orée des bois surplombée par la vision lugubre du tertre dans le couchant. De retour dans la ferme, il retrouva Malegent, dans la cour, errant sans réelle occupation. Le vieillard proposa de souper et l'invita dans sa demeure baignée d'une obscurité latente. Daemon offrit ses services, mais son hôte gronda, bourru, et le relaya à attendre au bord du feu en l'enjoignant de ne toucher à rien. Le jeune milicien contempla les flammes en redoutant cette nuit fatidique, car après une telle expérience, son imagination commençait à échafauder les plus périlleuses perspectives.

L'homme vint lui porter une écuelle de soupe et un bout de pain compact. Daemon mangea silencieusement, plus discret qu'à l'habitude. Alors, au vu de son attitude strictement muette, le paysan se résolut à le questionner sur son escapade. Le semi-elfe éluda la question sans trop s'investir sur ses justifications, prétextant qu'à deux ou trois détails étranges, la visite fût terriblement ennuyante et les Falaisiens sans intérêt. Malegent n'insista pas et abrogea la conversation, bien que son œil torve exprimait très clairement ses soupçons...

À la fin du dîner, Daemon s'inclina en signe de remerciement.

« Votre souper fut délicieux. Si vous le permettez, je m'en vais à présent monter la garde. »

Son hôte eut à peine le temps de grogner quelque chose qu'il était déjà dehors. Après avoir soigneusement fermé la porte aux dimensions inadaptées, il constata que ciel était assombri par une épaisse couche de nuages. Lui qui comptait sur la clarté de la pleine lune pour surveiller l'immense enclos, il était bien embarrassé.

Il escalada un mur à demi écroulé, afin d'accéder au toit d'un des bâtiments. Comme il l'avait supposé plus tôt dans la journée, il jouissait ici d'un point de vue sur tout l'enclos en contrebas, du moins, si la clarté le lui permettrait. L'idée de descendre parmi les bêtes ne le séduisait pas, bien que cela semblât nécessaire. Car malgré sa bonne vision nocturne, il ne distinguait que vaguement le bas du talus et les silhouettes des paisibles ruminants. Il en dénombra dix, environ... et s'appesantit sur les ténébreux contours de l'orée.

Le vent charriait une fraîcheur nouvelle et ses bruissements mornes bercaient son ennui grandissant. Le temps semblait comme suspendu et les environs endormis, à l'exception de meuglements ponctuels provenant du troupeau nimbé dans les ombres, en proie à une somnolence mélancolique.


Soupir d’apaisement

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 29 Aoû 2016 18:23 
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La pleine lune

« Ouah ! » gémit Daemon incrédule.

Il s'était assoupi et s'éveillait à peine d'un sommeil incongru. Sursautant de panique et encore confus, il balaya les alentours du regard, comprenant qu'un détail avait changé... avant de réaliser que la lune avait fait son apparition. Les nuages s'étaient écartés et la vision sur les contrebas était présentement dégagée. Il se figea alors, car dans la clarté de cette nuit particulière, près la barrière de l'enclos, une silhouette humaine se déplaçait. Daemon s'accroupit vivement, comme un prédateur en chasse, et observa attentivement : l'individu était discret et malgré la luminosité opaline, il ne le percevait pas précisément, hormis qu'il était de dos. Son attention vira sur les vaches et le doute l'investit, mais après plusieurs comptages, furieux et certain, il réalisa que l'une d'elles avait disparu.

(Bon sang, mais quel idiot, quel idiot ! Pas question d'échouer, je ne le laisserai certainement pas s'échapper !)

Le milicien en herbe bondit du toit et fureta à toute vitesse d'ombres en ombres, la bouche encore pâteuse de remords. Il ralentit légèrement arrivé à proximité et constata que l’intrus progressait furtivement, une lance à la main. Daemon se glissa dans son angle mort et gagna un maximum de terrain, prêt à bondir pour le lacérer avec son gantelet, mais son approche précipitée fut détectée par l'intrus qui fit volte-face et lui présenta sa lance.

« Qui va là !? » hurla-t-il.

(Hum, ce n'était mon texte?)

Le semi-elfe s'arqua, prêt à bondir, et jaugea l'arme tendue de son adversaire, avant de comprendre que ces fers curieusement alignés étaient ceux d'une fourche. Les traits du vieux paysan se dessinèrent dans la nuit. Une estoque fusa en guise d'avertissement, Daemon recula et agita les bras.

« C'est moi ! C'est moi, M'sieur ! »

L'homme s'approcha doucement, sans abaisser sa fourche, il fit une grimace en le dévisageant, puis planta l'outil avec un grognement.

« Ah, oui... Le milicien, je te pensais déjà loin d'ici. » Il marqua une pause, l'air plus qu'agacé. « Puis-je te faire remarquer qu'il manque une de mes vaches ?! Misérable bon à rien ! » cria Malegent en pointant l'enclos du doigt.

« Oui, je l'avais remarqué... que, j'allais... en fait... »

« Alors retrouve moi cette satanée bestiole ! Je ne cède pas un tiers de mes récoltes au Royaume pour payer des incapables ! »

« Immédiatement ! » s'étrangla Daemon en contournant la fourche à nouveau levée, sans oser affronter le regard impitoyable du paysan. Terrifié par son employeur, il se précipita dans la forêt.

La voûte des arbres se referma sur lui comme un piège. Il chercha dans les alentours une quelconque trace sur le tapis forestier, un sillon, des empruntes ou des branches brisées.

Faute d'indice, il s'enfonça encore plus profondément dans les bois. Il ne redoutait pas les formes inquiétantes et tordues juchées çà et là, illusions abstraites nées des ombres, car l'échec de sa mission le révulsait au plus haut point. Une inextricable angoisse l'envahissait. La peur de rentrer bredouille à Kendra-Kar lui nouait le ventre.

Ainsi, quand un râle d'agonie résonna dans la nuit, Daemon ferma les yeux et soupira d’apaisement...


Écarlate et miroitant

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Dernière édition par Daemon le Mer 26 Oct 2016 16:36, édité 4 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 31 Aoû 2016 15:33 
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Soupir d’apaisement

Le meuglement sinistre se répercutait dans la nuit, une introduction éraillée et vibrante, qui diminua progressivement jusqu'à un chant inaudible. Daemon se tourna vers la direction présumée et faiblit d'une révérence ; son pouls pulsait déraisonnablement à la fois d'horreur et d’excitation. Son regard fulminait, il prit de grandes bouffées d'air, gonflant convulsivement sa poitrine, puis il fonça à travers les bois.

Il dévala le dénivelé en ignorant les branchages qui lui ceignaient le visage. Il bondit de pierre en pierre en brandissant son gantelet miroitant sous la lune, prêt à en découdre. Bien que les sons portaient formidablement bien dans la nuit morte, l'agonie avait été suffisamment proche pour qu'il puisse l'entendre et il ne doutait pas de trouver rapidement les coupables de cet odieux sacrilège. Les avenues interminables de troncs défilaient sous ses yeux, quand une légère clarté lui apparut subrepticement dans le dédale : des roches pâles luisaient distinctement.

Alors qu'il s'approchait d'un mystérieux cercle de pierres disposé au centre d'une menue clairière, il perçut des bruits furtifs et pourtant précipités. Restant brièvement sur ces gardes, immobile sous l'ombre mouvante d'un massif, il n'entendit rien de plus. En posant un premier appuie sur la large dalle centrale, il comprit qu'il était arrivé trop tard. La carcasse encore fumante, ouverte par la moitié, béait au centre de l'autel naturel. Le sang ruisselait, écarlate et miroitant, de l'ouverture béante et incontestablement vidée de tout organe...

« Fichtre ! Il s'en est fallu d'un rien ! Morgoth ! »

Le chaton maléfique apparut aussitôt au garde-à-vous et détailla la dépouille de son regard fantomatique.

« Piste moi ces charognes ! » ordonna le semi-elfe.

La faera ignora sa vélocité et prit son temps pour répondre.

« Débrouille toi... Si c'est à ce genre de tâches que tu souhaites me destiner, tu ferais mieux d'acquérir un limier. »

Daemon bouillonna face à son impertinence mais n'osa rétorquer quoi que ce soit.

« Recherche plutôt des indices, quelque chose qui pourrait te guider vers leur repaire. Il est clair que ces hommes ont obtenu ce qu'ils souhaitent : des entrailles fraiches. Il ne te reste plus qu'à découvrir pourquoi ils subtilisent des animaux, au risque d'éveiller d'importants soupçons, alors qu'un maigre élevage leur suffirait. »

« Peut-être n'ont-ils rien de sorcier et n'ont rien de civilisé. » souleva Daemon.

Le chaton émit une négation de la tête.

« Observe ces pierres. »

Son maître leva les yeux et y découvrit d'étranges inscriptions gravées verticalement, des symboles ésotériques n'appartenant pas à la langue commune, mais dont la disposition sur les différents piliers indiquait invariablement un caractère sacré. Il les détailla plus en détail sans rien déchiffrer, mais une étrange impression se dégageait de leur observation, une impression familière et fugitive qu'il ne parvint pas à saisir...

« Je te le concède... Mais cela ne m'aide en rien à déterminer leur localisation. »

Morgoth ne répondit pas et ce n'était pas en peine, car il avait déjà disparu. Daemon dut s'en remettre à lui-même et fouilla les parages. En plusieurs endroits des marques indiquaient des déplacements et rapidement un sillon dans les feuilles mortes se présenta comme une piste. Il en remercia la lune pleine, car il parvint sans peine à suivre ce qui semblait être l'emprunte d'un sac sanguinolent traîné négligemment sur le sol.

Il suivit la piste avec attention un long moment, jusqu'à une partie plus dense et plus sombre des bois, dans laquelle son acuité visuelle ne suffit plus. C'est avec peine qu'il se résolut à concéder la piste avortée, perdue dans les massifs de fougères et de ronces, sur un relief nettement plus escarpé.

Mais au fil de rondes désespérées, une sensation humide et suave entra en contact avec sa main. Ses papilles lui apportèrent la confirmation : du sang était déposé sur les larges feuilles des fougères. La piste était mince et Daemon dut la suivre avec une infinie minutie. Il parvint à s'enfoncer suffisamment dans la luxuriance pour atteindre un vallon sombre et apparemment sans issue. La voute des arbres interdisait toute lumière et il finit sa route à tâtons le long de la paroi rocailleuse, pour y découvrir une surface lisse et anormalement froide.

Daemon la caressa de long en large et la constata droite et rectangulaire. Il toqua dessus et la rigueur de l'écho lui parvenant confirma la chose. Il s'agissait d'une porte de fer, massive et cloutée, dissimulée au bout du renfoncement. Ce genre de porte, réalisé intégralement dans un matériau peu commode, était proprement rarissime... Pourquoi une porte de cette solidité était ici présente ? Il n'en savait rien et n'en avait cure, car il l'avait enfin trouvé ! Le repaire de ces voleurs !

Malgré ses recherches, il ne trouva pas de loquet, ni de serrure. Alors, il glissa ses doigts aux extrémités et tenta de faire pivoter le battant de toutes les manières possible. Il fulmina dans ses efforts désespérés... mais aucun gond ne pivota.

À bout de forces, il se laissa glisser désespérément le long de la paroi en malmenant bruyamment l'entrée.

(Impossible... Elle ne bougera pas. Je suis sur le seuil de la vérité, prêt à résoudre cette mission qui me résiste tant, et me voici bloqué par une fichue et improbable porte !)

Alors qu'il pleurnichait pitoyablement de désarroi, Morgoth apparut. Il ne manqua pas de railler son maître, mais se fit progressivement compréhensif, puis de bon conseil.

« Pourquoi vouloir forcer cette porte ? Après tout, elle fut justement confectionnée pour résister. » Il s'approcha sensiblement. « Le sens-tu ? Ce fil d'air s'échappant de l'ouverture ? »

Daemon glissa ses doigts sur le sol humide et constata les dires.

« Si je t'ai choisi comme maître ce n'est pas par dépit, non. L'obscurité coule en toi, aussi naturellement que l'eau dévale les montagnes. Laisse les ténèbres t'imprégner et ne fais qu'un avec ton essence, entre dans ce mausolée par ta seule nature, car aucune porte, aucune grille, aucun rempart ne peut lui résister... »


Daemon passa sa main dans l’entrebâillement et ressentit, au-delà du mince courant d'air, une obscurité bien plus opaque. Il se laissa aller en libérant son fluide noir et coula sur le parvis, il fit corps avec son élément et disparut tout simplement.


MATERIA

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 12 Sep 2016 19:28 
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Écarlate et miroitant

Lorsque Daemon reprit sa consistance physique, il n'avait cependant pas quitté les ombres et quelques raies lumineuses filtraient des extrémités de la porte de fer, indiquant qu'il était effectivement rentré. Il tâtonna aveuglément les alentours afin d'en avoir le cœur net et découvrit le rugueux d'une paroi taillée dans la pierre. Comment avait-il réussit ce tour ? Il n'en savait rien et interrogea sa faera.

« Comment se peut ? Je... je n'ai pas pu me glisser dans une fente aussi petite ! »

« Toi non, mais l'ombre n'est pas tangible... Il est étonnant que tu n'ait toujours pas conscience de ta capacité à communier avec les ombres, car tu l'as déjà réalisé plusieurs fois par le passé. » lui expliqua la petite voie perdue dans les ténèbres.

Le semi-elfe fouilla dans sa mémoire et dû convenir que certains évènements passés étaient bien étranges. Il n'y avait jamais vraiment réfléchi, mais il est vrai qu'il excellait dans l'art de la dissimulation et même quelques fois, lors de ces périodes de déprime, Asad ne parvenait pas à le trouver alors qu'il se tenait juste à ses côtés...

« Si tu le dis. » convint-il. « Mais l'ombre à beau être mon essence, j'y vois que dalle. »

Il retira donc son sac et y sortit sa lanterne à huile ainsi que son briquet. Après s'être assuré que la mèche était encore humide, il dégrippa son briquet d'un coup sec et fit jaillir des étincelles. Il dut répéter la manœuvre plusieurs fois, mais parvint enfin à faire rougeoyer la mèche qui s'enflamma avec de petits crépitements. La lueur se propagea progressivement et révéla un long corridor disparaissant dans les ombres, ainsi que des empreintes de sandales sur le sol humide. Daemon les examina et bien qu'il n'avait rien d'un pisteur, il conclut que trois ou quatre personnes avaient emprunté ce chemin.

Rangeant son briquet et chassant ses appréhensions, il débuta l'exploration de la galerie. Le couloir, incroyablement long, s'enfonçait dans les profondeurs en croisant différentes couches sédimentaires qui se succédaient en un feuilleté de lignes pâles, cuivrés ou grisonnantes. Au plus profond des abysses, le corridor s'élargissait et les parois précédemment naturelles, avaient laissé place à des murs et agencements de pierres d'une taille surprenante. Ces murs étaient manifestement de main humaine, ou peut-être elfique, mais leur agencement simple et particulièrement primitif indiquaient que ce lieu datait de temps immémoriaux.

Ce qui dérangeait le plus Daemon dans ce temple de solitude, c'était ce silence absolu associé à cette obscurité sans cesse croissante, car le couloir s'était tant élargie et complexifié qu'il ne parvenait plus à l'éclairer totalement. Il ne se savait pas seul et à n'importe quel moment l'un de ces fanatiques pouvait apparaître d'un de ces coins sombres. Il eut l'idée d'éteindre sa lampe afin d'assurer sa discrétion, mais perdre tout repère dans ce tombeau incertain ne l'enchantait guère.

Il s'introduit enfin dans une salle aux hauts murs. L'absence de fenêtres et de lumière indiquait qu'il était toujours sous terre, mais enfin des premiers signes d'occupation s'offraient à lui. Sous la grande voute de pierres sculptées, il découvrit une table sur laquelle régnait un désordre de parchemins, quelques instruments énigmatiques en fer forgé et les restes d'une bougie consumée. Néanmoins, le plus surprenant était cette accumulation de jarres et de pots en terre cuite disséminés le long des murs en plusieurs groupes distincts. Les premières qu'il examina étaient vides, mais rapidement il y trouva du sable, ou des sortes de sels colorés. Il passa sa main dans l'une d'elles, en attrapa une poignée et la fit ruisseler entre ses doigts. Cette matière, tant par sa couleur que par sa légèreté, ne ressemblait à rien de ce qu'il connaissait. Les jarres contenaient des sels variant du bleu au vert alors que d'autres plus épais s'approchaient des tons orangés. Daemon redressa sa lanterne et aperçut une pancarte indicative fixée au mur, sur laquelle il put lire très distinctement : « MATERIA ».

Investi d'une curiosité investigatrice, il s'intéressa aux jarres situées à l'autre extrémité de la pièce et y découvrit d'autres matières, moins colorées et bien plus ternes. Il les examina au touché et réalisa qu'il s'agissait de cendres. Dans une autre reposait une pâle poussière d'os, lui indiquant l'horrible provenance des cendres.

Daemon en vint donc au dernier groupe de jarres. Il souleva le couvercle aussi négligemment que les autres, y jeta un coup œil et laissa échapper le couvercle pour masquer sa bouche et ses narines. Le milicien bondit en arrière en proie à des spasmes intestinaux, luttant contre une irrépressible envie de vomir. De cette nouvelle jarre, une pestilence abominable s'en dégageait. Elle contenait un magma indéfinissable d'organes en putréfaction et paradoxalement bien conservés. Dans cette mixture verdâtre flottait des orbites et des morceaux de mâchoire, ainsi que des organes marrons veinés de noir. L'insupportable puanteur envahit rapidement la pièce et contraignit Daemon à poursuivre son exploration.

Surement un rat

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Dim 9 Oct 2016 03:09 
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Un couloir relativement étroit était parcouru de plusieurs renfoncements donnant sur des geôles. Daemon les examina une à une à la lumière de sa lanterne, essayant de distinguer quelque chose derrière ces barreaux rouillés, sans rien y trouver. Elles étaient toutes verrouillées à l'exception d'une seule dont il souleva le loquet, mais il n'y découvrit qu'une masse indescriptible et morte au fond de la cellule, sur laquelle il ne s’attardât pas.

Au bout du corridor, il aperçut un vieux bureau en bois en plutôt bon état sur lequel était disposé une masse de parchemins assez semblable à ceux de la pièce précédente, à présent envahie par une odeur nauséabonde. Une chaise était à l'écart et des marques sur la poussière du meuble indiquaient qu'il avait été utilisé récemment... Daemon parcourut les papiers du regard et découvrit d'étranges recettes en des termes ésotériques qu'il ne comprenait pas. Il y avait toujours ce curieux mot qui revenait sans cesse, Materia, et une abondance de schémas divers fait de cercles, de triangles et de pentagrammes.

Au bord de la chaise, disposé sur un lutrin, un imposant grimoire était ouvert à une page titrée : Appel et renvoi des mineurs et des majeurs, en lettres soigneusement calligraphiées. Il commençait à lire le premier paragraphe relatant un procédé permettant d’appeler quelque chose, quand un léger bruit, à peine perceptible, vint briser le silence... Daemon bloqua sa respiration et sans un bruit, se retourna le cœur battant. Le couloir sombre était apparemment désert.

(Surement un rat.) se dit-il.

Il feuilleta les pages sans réellement consulter les titres, s'arrêtant sur les illustrations représentant des créatures répugnantes dotées de cornes et de membres tentaculaires. Il était à présent évident qu'un groupuscule pratiquait la magie noire dans ces souterrains et cet ouvrage en était la preuve parfaite. Il le referma et put lire sur la couverture ancienne : Nécronomicon. Ce titre lui fit un étrange effet et il se dit qu'en plus de la milice, les Messagers du Corbeau pourraient être intéressés par un tel ouvrage.

« D'une pierre deux coups ! » s'exclama-t-il à hautes voix.

Et comme une réponse, un tintement métallique retentit, puis persista, semblable au son d'une gamelle roulant sur le sol dans un terrible écho se répercutant entre les murs... Daemon fut si surpris qu'il se retourna brusquement et buta sur sa lanterne posée sur le bureau. L'objet se brisa au sol et sa flamme grandit en suivant la trainée d'huile qui s'en échappait. Contemplant le désastre bouche bée, il marqua un léger temps, puis en réponse à un grincement provenant d'une des portes des geôles, il s'empara du grimoire pour se tapir dans un renfoncement. Dissimulé à l'ombre des flammes, il guetta la présence étrangère.

Des pas traînants se faisaient entendre dans le corridor et accompagnaient un immonde gargouillis. Quelque chose approchait et ce n'était probablement pas humain... Que pouvaient donc avoir concoctés ces nécromants ? Allait-il se retrouver face à une créature semblable à celle des illustrations de l'ouvrage qu'il tenait serré contre lui ? Le semi-elfe gela de nouveau sa respiration quand il vit une forme blanche apparaître. Elle déambulait sinistrement dans sa direction et plus elle approchait, plus la flamme dépérissait. Il parvint à distinguer un faciès repoussant aux orbites noires et à la mâchoire béante, surplombé par des lambeaux de mèches de cheveux. Puis une seconde tête apparut, plus hideuse encore et encore une troisième... toutes sur le même corps adipeux et pâle.

Alors, à sa suprême horreur, il fut plongé dans les ténèbres...


D'une pierre deux coups

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Dim 9 Oct 2016 18:12 
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Surement un rat

Accroupi dans l'obscurité la plus totale, il plaqua ses mains sur sa bouche et ses narines pour ne pas être trahi par sa panique. Il resta immobile, en tremblant. La respiration putride de la créature résonnait et s'approchait. Il l'entendit patauger dans les restes consumés de l'huile, buter contre la chaise. Elle aussi n'y voyait rien et semblait errer au hasard des obstacles et entrait dans une rogne dévastatrice à chaque encombre. Il eut un fracas de bois brisé et un hurlement qui n'avait rien de celui d'une bête, ni d'un homme. Les parchemins volaient, le meuble fut malmené, puis le silence retombât sur plusieurs respirations infiniment glauques...

À son approche, Daemon resserra ses pieds et se replia sur lui-même. Cela sembla durer une éternité. La créature erra aux quatre coins de la pièce, parfois avec une si dangereuse proximité qu'il put sentir l'abominable pestilence qui s'en dégageait. Il hésita plusieurs fois à se lever, à fuir de tout son être vers la sortie, avant de réaliser qu'une porte close l'attendait... Serait-il capable de renouveler son tour et de la traverser par les ombres ? Il l'ignorait et doutait. Il préféra rester immobile et attendre que la créature tricéphale s'éloigne.

Ce qu'elle fit au bout d'un moment, quand il l'entendit s'enfoncer dans le couloir, mais le mauvais couloir. Elle était retourné vers les geôles alors que l'option de s'enfoncer davantage dans le souterrain s'offrait à elle.

Toujours paralysé, le semi-elfe était totalement démuni.

(Que faire... Je n'ai plus de lumière et cette engeance se dirige vers la sortie. Devrais-je explorer plus loin, au risque d'en croiser de nouvelles ? Il fait trop sombre, trop sombre...)

(Et depuis quand les ténèbres te sont un obstacle?)

(Cesse de me railler!) rétorqua-t-il mentalement à sa Faera.

Morgoth émit un petit rire antiphonique.

(Tu as encore tant à apprendre. Le sang des Shaakts coule en toi et celui d'une grande famille, l'obscurité ne sera jamais une contrainte pour toi.)

(Vraiment ? Je suppose que tout vas bien alors.) ironisa-t-il.

(Ouvre les yeux ! Laisse ton héritage Shaakt prendre le dessus ! Ouvre les yeux!)

« Ils sont ouverts ! »

Il réalisa qu'il venait de parler à haute voix et se tut, attentif à la moindre réponse.

(Affranchit toi des contraintes des hommes, laisse-toi aller à tes instincts.)

(Asad m'en a défendu, à chaque fois cela finit mal...)

(Ouvre les yeux.)

Daemon se concentra et laissa son fluide vagabonder en lui, une impression glaciale et mauvaise l'investit. Il ouvrit les yeux à s'en décrocher les orbites, fixant désespérément les ténèbres et quelque chose se produisit. Il ressentit une légère douleur, son fluide pénétrait ses iris et semblait déchirer sa chair. Il émit un petit gémissement, se frotta les yeux, puis scruta les alentours. Des formes apparurent, les contours de la pièce et ensuite les objets qui la composaient. Il voyait. Mais d'une manière qui n'avait rien de commune, sans couleurs, seulement des contrastes, seulement quelques variations de gris.

Daemon se leva et évita les débris de la chaise pour jauger les deux issues. La créature était aveugle, peut-être pouvait-il passer à ses côtés sans qu'elle ne l'attrape... Il s'engagea donc dans le corridor aux geôles à pas discrets en scrutant chaque recoin. Elle était forcément là, quelque part.

Un bruit de pots cassés résonna et il comprit quelle avait atteint la pièce des jarres, une pièce assez large pour qu'il puisse la contourner. Profitant de cette opportunité, il accéléra le pas dans sa direction. La puanteur monta progressivement et enfin une forme claire apparut. Elle était là, à déambuler dans la salle en brisant les pots un à un. Avec de la chance, elle ferait assez de bruit pour qu'il puisse passer sans encombre. Daemon longea donc le mur sans quitter la chose du regard. Il la distinguait parfaitement, sa corpulence inégale et sa peau flottante, ses trois visages déformés et inexpressifs. Il serrait le Nécronomicon contre lui et avançait à pas chassés, trop effrayé pour la quitter du regard, trop effrayer pour regarder où il marchait.

Un morceau d'une des jarres se brisa sous son poids... Il se figea, la créature aussi.

Elle tituba sur elle-même et les trois horreurs cherchaient indépendamment en avalant bruyamment de l'air. Tandis qu'elle approchait sinistrement, Daemon attendait le moment propice pour s'échapper à toutes jambes, quand une couleur apparut. Un léger soupçon traversa la pièce, puis des voix se firent entendre au loin, dans le couloir. La créature fut elle aussi réceptive et réagit en conséquence.

Elle disparut dans leur direction et les voix d'abord abstraites, devinrent compréhensibles. Trois ou quatre personnes conversaient avec un accent caractéristique de Falaise, le même que celui de l'homme de l'affreuse gargote. Un premier ordonnait aux autres de se hâter pour retrouver le responsable du vandalisme, quand un autre l'arrêta en découvrant la porte de la cellule ouverte. Un vent de panique les investit et ils commencèrent à parler vite et fort, certains voulaient fuir, prétextant que seul leur maitre pouvait contrôler la matriarche blanche, alors que leur chef les sommait de continuer.

Soudain, les bruits de course de la créature ainsi que son cri à en glacer le sang se firent entendre, suivi par un véritable concert de hurlements. Il eut des cris de douleur, le tintement du métal et des détonations...

« D'une pierre deux coups. » ironisa-t-il.

Il se faufila vers la sortie et courut jusqu'à la porte de fer. Mais arrivé devant, posant une main sur le métal froid, il réalisa qu'il ne savait plus comment procéder. Un hurlement lointain résonna. Daemon essaya de se calmer et se lova contre la sortie.

« Phaïtos, offre-moi tes ombres et ouvre ce passage vers les lieux incertains. Phaïtos... »

Il répéta sa prière un nombre incalculable de fois jusqu'à ressentir la brise du vent. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était dehors.

Sans vraiment s'en glorifier

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 10 Oct 2016 11:57 
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D'une pierre deux coups

L'aurore pointait à travers les feuillages et marquait la brume matinale de stries mouvantes. Daemon traversait le bosquet en direction du tertre de Malegent, le grimoire subtilisé sous le bras, et le poids de son aventure commençait à peser sur ses épaules. L'expérience terrible dans les souterrains était certes un succès, les fanatiques probablement tous massacrés par leur création, mais un goût de tâche inaccomplie persistait. Il restait tant de mystères et Daemon avait le sentiment que tout ceci dissimulait quelque chose de bien plus important. Il y avait ce commerce dissimulé par les Falaisiens, ces créatures qu'il avait croisé dans le brouillard et que pouvaient donc fabriquer ces fanatiques dans ce sombre cloaque ? Il se dit qu'une étude approfondie de cet ouvrage lui révélerait certainement des pistes, mais ce n'était qu'un prétexte, car au fond de lui son seul désir était de quitter ces lieux maudits au plus vite.

Il retrouva enfin la silhouette à présent familière du tertre et le gravit en s'assurant qu'aucun autre bovin n'eut disparu. Il frappa à la porte, puis aux volets de la demeure et le vieil homme vint ouvrir, manifestement tiré de son sommeil.

« Oh c'est vous... » distilla-t-il lentement. « Entrez donc. »

« Pas la peine, je ne vais pas tarder, ma mission est accomplie. » répondit le semi-elfe sans vraiment s'en glorifier.

Le vieil homme, qui avait commencé à s'éloigner, revint à la porte en plissant des yeux.

« Vraiment... ? » dit-il d'un air plus que suspicieux. « Et ma vache alors ? »

« Morte. Cependant vous ne devriez plus souffrir de ces larcins, les voleurs ne recommenceront pas. »

« Hum... Alors, qui était-ce ? » demanda Malegent en levant un sourcil.

« Je ne leur ai pas demandé et... »

Daemon marqua un temps. Il hésitait à évoquer l'état actuel des malfaiteurs, mais aussi la nature de leurs activités. Comment réagirait Malegent ? Sans doute valait-il mieux ne rien lui dire. Il avait vécu toute sa vie ici et à l'exception des disparitions de bétail, il ne lui était jamais rien arrivé. Il en savait peu sur Falaise et bien assez pour se tenir à l'écart...

« Alors ? Qu'est-ce que vous avez à rester la bouche béante comme ça ? »

Daemon lui adressa un regard pesant.

« Vous devriez déménager. »

Le tumulte des passants

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Dernière édition par Daemon le Mer 26 Oct 2016 14:57, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Sam 22 Oct 2016 15:06 
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Devant toi s'étendaient des plaines infinies, vertes, ondoyantes sous un vent doré. Pas d'immense forêt où te faire disparaitre, mais, séparant parfois les champs de propriétaires différents, des haies touffues ou des bois giboyeux où tu pourrais aisément te réfugier, ne serait-ce que pour prendre un repos mérité. D'épais sentiers longeaient ces champs de céréales ou de légumes, où les pierres grosses et aiguisées perçaient facilement la semelle trop légère de l'insouciant. Rapidement, tes pieds nus furent maculés de terre et la poussière s'accrocha à toi à cause de l'eau qui te recouvrait entièrement. Tu étais trempé jusqu'au os, le moindre de tes muscles te causait mille douleur à chaque fois qu'il était mis en mouvement. Derrière toi tu laissais un sillon plus foncé dû à tes vêtements qui s'épanchaient petit à petit sur le sol. Sous ta chemise devenue presque transparente, le jambon volé, dernier acte accompli en la ville de Kendra Kâr, te collait froidement à la peau. Tu avais faim, tu avais mal, tu étais exténué. Mais tu ne pouvais pas rester là.

Durant une heure, peut-être davantage, tu poussas ton corps à mettre toujours plus de distance entre toi et la capitale du royaume kendrane où tu ne ferais pas bon de retourner avant quelques jours au moins, le temps que ton visage se fût fait oublier. Tu croisas des paysans bêchant péniblement leurs avoirs, qui te saluèrent, la plupart du temps, quand ils te voyaient. D'autres se redressaient, un instant, s'appuyant sur leurs outils et te regardaient passer, le visage indéchiffrable. En tous les cas, tu continuas ton chemin sans t'arrêter, les yeux obstinément fixés sur le sol. Quand, enfin, tu te considéras assez éloigné de la ville pour n'avoir pas à redouter de quelconques soldats, tu quittas le sentier et t'engagea dans un bois quelque peu étendu qui se trouvait à ta gauche. Tu restas cependant à la lisière, n'ayant nulle envie d'être dévoré dans ton sommeil. Choisissant un vénérable tronc dont le feuillage jetait une ombre appréciée, tu t'y laissas choir brutalement.

"Ô Gaïa !"

Lentement, les yeux fermés, tu repris ton souffle et tes esprits. En grimaçant, tu te détachas du fût de l'arbre et prit l'épée qui gênait ton dos pour la poser près de toi. L'épée légendaire du roi Oborö. À sa seule évocation, la légende qui lui était attachée te coulait des lèvres, inconsciemment, en un murmure inaudible. C'était ta préférée. Tu pouvais la réciter à partir de n'importe quel passage, de n'importe quel mot, dans l'ordre et même dans le désordre, à l'endroit ou à l'envers. C'était à cause de cela que tu l'avais volée, cette arme rouillée à la garde défraîchie et dont n'importe quel forgeron te la reprendrait pour à peine un repas, tant sa facture qui, jadis fut peut-être considérée comme bonne, n'était plus, désormais, que mauvaise. Dans cette salle du trésor, le trésor des temps anciens, tout ce que le Roi du Yuimen avait amassé depuis qu'il s'était installé et avec lui son peuple, dans cette salle jalousement gardée, il y avait des montagnes d'or, des rangées de vases précieux, des fontaines de pierres précieuses, des trophées plus riches les uns que les autres... Et toi, tu avais pris cette vieille épée. Une arme dont il était fort à parier que les habitants de Nirtim ne connaissaient ni l'origine ni la légende. Pourquoi l'avais-tu prise ? Pourquoi avais-tu pris cette chose que tu ne pourrais revendre - ici, du moins - à prix d'or ? Pourquoi t'être encombré avec ? Pourquoi avoir accepté d'être banni de ta cité pour elle ? Pourquoi ?

Tu soupiras et te releva. Las, le corps courbé, tu entrepris de rassembler quelques morceaux de bois secs et un peu de mousse pas trop humide. Tu te rassis en tailleur et te mis à ton feu. Depuis ta fuite de Kers, voilà un peu moins de deux mois, tu en avais acquis l'habitude. Échauffer deux bâtons l'un sur l'autre, s'arrêter, remuer un peu la mousse, souffler légèrement dessus, recommencer à tourner. Parfois, tu t'arrêtais une seconde et soufflais plutôt sur tes mains qui paraissaient toujours vouloir s'embraser avant tes brindilles. Tu t'appliquais à ta tâche sans penser à rien. Ou plutôt, en essayant de ne penser à rien. La réponse à ces questions, tu la connaissais. Pourquoi avais-tu tant hésité à voler cette pomme, au marché de Kendra Kâr ? Pour la même raison. Voleur était infamant. Tu ne voulais pas porter ce titre. Mais tu étais obsédé. Obsédé par les légendes et les objets qui y étaient reliés. Une obsession nourrie par cet homme, cet étranger qui avait un jour fait halte à Kers, quand tu n'étais encore qu'un gamin et qui avait perverti ton cœur. Tu ne voulais pas être riche. Tu ne voulais pas voler pour gagner ta vie. Tu voulais posséder ces objets légendaires.

(Et maintenant, qu'est-ce que je vais en faire ?)

Le feu était prêt. Par un habile système de tréteaux, tu pendis au-dessus ton jambon. Celui-là, en revanche, tu ne regrettais pas de l'avoir dérobé. De toute façon, on était déjà en train de te pourchasser pour vol. Pendant qu'il cuisait, tes pensées te ramenèrent inévitablement à l'épée. Ta main s'étendit pour la saisir, tu la sortis de son fourreau pour mieux l'admirer. Tu fis quelques passes avec, en souriant. Peut-être un forgeron pourrait-il te refondre la lame pour que tu pusses l'utiliser ? Mais après tout, ce n'avait que peu d'intérêt puisque tu ne savais pas t'en servir. On t'avait bien appris à te battre, à Kers, mais pas avec une arme ou plutôt, avec l'arme que constituait ton corps. Dans ces conditions-là, même le maniement normal de ta dague t'était inconnu. La viande était cuite. Tu la tranchas avec ladite dague qui, au moins, pouvait servir de couteau, elle - pas comme l'épée dont la rouille aurait empoisonné l'aliment. Ce met chaud, bon, nutritif surtout, te fit grand bien. Avec tes muscles enfin détendus, il te poussa à une douce somnolence. Te frottant les yeux déjà empêtré de sommeil, tu éteignis ton feu en le recouvrant de terre puis te lovas en position fœtale au pied de l'arbre, l'épée d'un roi légendaire inconnu serré dans tes bras, qui accueillit avec bienveillance ton juste repos.

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