Chapitre 7 - Petits pas de deux.Chapitre II-8. Tu m'as dit d'aller siffler là haut sur la colline.
Après avoir caché le corps de l’elfe bleue, Relonor quitta sa demeure pour rejoindre son lieu de travail. Quelques regards hostiles à son encontre, mais aucune accusation. Les gardes n’avaient visiblement pas vu l’homme qui s’était introduit durant la nuit. Le Shaakt fit semblant de s’intéresser aux problèmes survenu et après avoir été rembarré, prit le cheval à sa disposition avec quelques vivres et quitta la ville.
Relonor aurait dû voyager jusqu’à Kyorn, mais le lieu pour attirer l’elfe se situait non loin de Kendra Kâr. Sur la route il guetta un lieu où il serait capable de surveiller les aller et venu des personnes entrantes et sortantes de la ville. Il trouva une colline en hauteur avec un arbre qui pouvait servir, autant pour attacher le cheval que pour surveiller les alentours, ainsi que de logement de fortune. Intérieurement il se maudit de ne pas avoir de matériel pour camper, ni même pour s’occuper. A défaut d’avoir une activité valorisante, comme déchirer les confections aux fuseaux ou botter les culs de ces sales mioches, il sortit son épée et fit quelques passes d’armes dans l’air. Il s’exerça plusieurs fois à reproduire le désarmement qui avait été victime contre une branche de l’arbre où il avait élu domicile, mais le manque de réaction du bois n’était pas le meilleur compagnon d’arme. De temps à autre il jetait un regard vers ceux qui venaient de Bouhen et lâchait des regards noirs aux petits curieux qui s’approchaient trop près de lui. Il attendit ainsi deux jours avant de voir un elfe bleu seul sur son cheval, alors que les lumières du jour laissaient de nouveau place aux danses nocturnes des aurores boréales.
Relonor avait eu de la chance, même s’il attendait Kyorn voyageant en solitaire, il aurait très bien pu faire connaissance et faire voyage avec d’autres personnes. Cependant ce n’était pas dans la nature de l’elfe, d’après les rumeurs qu’il avait entendue sur lui et cela aurait grandement compliqué la rencontre. Relonor descendit de son perchoir avec son cheval et s’arrêta sur le chemin de l’elfe. Ce dernier dégageait une aura sombre. Peut-être était-ce simplement la vue d’un Shaakt lui barrant le chemin qui le faisait réagir ainsi. Equipé de la tête au pied en armure de cuir, suffisant pour se protéger de quelques coups et projectile et assez léger pour une retraite rapide, l’Earion faisait peur au premier venu. Le cheval était à peine chargé. De quoi camper à la belle étoile, quelques gibiers sur le côté pris récemment. On pouvait également discerner une arbalète et une imposante épée à deux mains sur les côtés du cheval.
"Ecarte-toi de mon chemin Shaakt, ou je t’ouvre le corps en deux !" Menaça-t-il en posant la main sur la garde de son épée.
"Kyorn." Fit le Shaakt en minimisant un maximum la crainte que lui inspirait son homologue bleu.
"Ca fait longtemps qu’on ne s’est vu !"Après un instant de réflexion, les yeux de l’Earion s’ouvrirent comme s’il venait de recevoir la sagesse divine.
"Toi…tu es le Shaakt qui garde l’entrée. Qu’est-ce que tu fous là, tu ne devrais pas attendre ton maître et aboyer les passants dans la rue ?" Continua t’il en le provoquant.
Relonor connaissait cette méthode, mettre une personne en colère ou la stresser d’une quelconque façon pouvait lui faire cracher des informations sans qu’elle ne le veuille. Hélas pour lui, l’elfe noir n’était pas dupe. Plutôt que de répondre, il sortit les bijoux qu’il avait dérobés sur le corps inerte de la femme de l’Earion et les lui lança.
"Comment as-tu eu ça ?" Rugit-il en sortant une partie de son épée du fourreau.
Relonor le fixa comme s’il n’était rien, instillant un début d’impuissance chez Kyorn.
"Si tu veux le savoir…suis-moi." Répondit-il simplement en lui tournant ouvertement le dos et en prenant un chemin hors de la route vers KendraKâr.
Il espérait que l’elfe mordrait à l’appât. S’il se doutait un instant que sa femme était morte, Relonor serait incapable d’assurer sa survie. L’elfe palmé était un bien meilleur bretteur que lui, qui avait déjà eu du mal face à un jeune homme à moitié mort quelques nuits auparavant. Le bruit des sabots lui confirma que Kyorn le suivait docilement. Cette pensée lui tira un large sourire. Il continua ainsi jusqu’à atteindre la lisère d’un petit bois, le lieu de rendez-vous convenu.
"Où est-elle ?" Cracha l’elfe palmé.
Relonor ne lui jeta qu’un bref regard avant de porter son attention à ce qui devait probablement venir de la forêt. Rapidement, les trois mêmes hommes qu’il avait vu il y a quelques jours firent leur apparition. Relonor descendit de son cheval et sortit son arme, faisant face aux trois arrivants et laissant le doute chez l’elfe bleu quant au lien qui unissait le Shaakt et ces hommes, en prenant une posture agressive avec ces derniers.
"Qu’avez-vous fait de ma femme ?" Interrogea Kyorn qui commençait à s’impatienter.
Un bref regard du meneur habituel du groupe vers l’elfe noir qui retourna rapidement vers celui en bleu. A ce moment Relonor resserra fortement son emprise sur son épée. Tout pouvait basculer sur la réponse de l’homme au milieu.
"Le colis d’abords !" Répondit-il simplement en déstabilisant l’elfe noir.
(Ainsi il semble jouer le jeu. Mais pourquoi fait-il cela, pourquoi ne pas nous laisser nous entretuer et profiter de l’occasion pour nous faire la peau à tous les deux et profiter d’un instant de faiblesse ?)N’étant clairement pas en position de force, Kyorn fit quelques pas vers son cheval en croisant le regard avec le Shaakt. La colère était présente dans ses yeux, mais aussi l’incompréhension. Le manège de Relonor portait ses fruits et l’elfe palmé doutait du rôle qu’il était en train de jouer. Il revint avec dans une main un parchemin enroulé dans une ficelle, dans l’autre sa grosse épée prête à croiser le fer.
"Apporte le-moi.""Ma femme d’abords !" Répondit l’elfe en grognant de colère.
"Ce n’était pas une proposition." Lui intima son unique interlocuteur.
"Je ne donnerais rien tant que je ne l’aurais pas vu.""Si vous voulez la voir, la tête seule vous suffira ?" Répondit-t-il avant d’ordonner d’un simple geste de la tête à son homme à droite de rentrer dans la forêt.
Tandis que l’un des hommes brandit sa hache en s’enfonçant dans la forêt, L’Earion capitula enfin.
"D’accord, d’accord !"Ces mots arrêtèrent immédiatement le bourreau à la hache. L’elfe s’avança vers le meneur, en scrutant les trois individus en face de lui et tendis le parchemin au meneur.
"Ma femme maintenant !" Intima-t-il simplement en resserrant la poigne sur son arme.
A peine à quelques centimètres l’un de l’autre, l’homme et l’elfe se jaugèrent du regard sous une tension palpable. Un duel invisible semblait se jouer entre eux, pas de lame ni de flèche en guise d’arme. Ils se bataillaient par l’intensité du regard, promesse muette de massacre, sans heurt ni coup bas. Dans d’autres circonstances, où les duels où les coups physiques sont interdits, l’échange sourd pourrait passer pour noble. Mais avec de tels individus, la noblesse et l’honneur ne sont que des mots sans valeur, comme une lame sans désir de sang. Une épée se figea dans le corps de l’Earion puis ressortit en tournoyant, arrachant davantage de chaire. L’elfe palmé se retourna pour faire face à Relonor dont le bout de la lame rougeoyait avec l’ambiance lumineuse du ciel. Le Shaakt voulant jouer avec l’elfe bleu ne le perça pas de part en part, mais laissa une importante blessure juste au-dessus de la hanche droite.
"Ainsi tu étais bel et bien avec ces hommes maudit chien !"Kyorn se positionna pour avoir les quatre individus dans son champ de vision. Pour toute réponse, le meneur croisa les bras pour montrer qu’il ne comptait pas participer au duel qui allait survenir entre les deux elfes. Cela laissa plus de liberté au grand guerrier pour attaquer. Deux pas rapides et assez sûr pour asséner une attaque en biais de l’épaule gauche à la hanche droite du Shaakt et le mettre en difficulté. Celui-ci dévia légèrement le coup et recula d’un pas, évitant ainsi une blessure mortelle. L’assaut de s’arrêta pas là. Relonor, para un rapide coup de taille en ramenant sa lame le long du corps, la garde au niveau de l’épaule. Profitant du manque d’inertie de l’épée adverse, il passa sa lame derrière lui en décrivant un large cercle. Le mouvement fit prendre à l’arme vitesse et puissance, en un coup en biais sur le côté droit de Kyorn. Ce dernier dut s’appuyer sur sa jambe droite pour parer le coup, gémissant de douleur en forçant sur sa blessure. L’elfe noir profita de cet instant de faiblesse pour accroître la pression sur l’Earion. Il multiplia les coups d’un côté puis de l’autre forçant son adversaire à bouger en ouvrant un peu plus la blessure. Alors que l’elfe bleu commençait à prendre ses marques et d’assurer sa défense, Relonor porta un coup d’estoc qui obligea l’elfe palmé à bouger brusquement pour éviter l’attaque.
Il était maintenant certain pour l’Earion que le Shaakt n’attendait qu’une chose, qu’il perde suffisamment de sang pour ne plus être capable de se défendre. Bien que supérieur à lui en terme de technique, la blessure était suffisamment handicapante sans que l’elfe noir n’insiste sur des positions qui ne nécessitaient pas l’usage de la jambe blessée. Relonor ne prenait pas de risque dans ses coups, préférant assurer une bonne défense en attendant la force de son adversaire défaillir. Cette stratégie lui permettait de ne pas subir les coups que le bretteur parvenait à lui asséner lorsqu’il reprenait une posture non douloureuse. Les coups s’enchaînèrent. Elfes bleu et noir paraient chacun les coups de l’autre, dans une danse aux milliers éclats nocturnes reflétant les lumières célestes sur les lames. Du coin de l’œil on pouvait observer les trois individus, impassible, regardant le combat comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, le confort en moins. Que pouvaient-ils se dire ? Quel but recherchaient-ils et que pouvait contenir le fameux colis ? A moitié pris par ces réflexions, Relonor perdait sa concentration et la maîtrise du combat.
Son adversaire profita de cette inattention pour prendre l’ascendance sur le duel, obligeant le Shaakt à reculer encore et encore en provoquant des déséquilibres dans sa posture. Une tactique à se souvenir s’il revenait vivant du combat. L’elfe noir tenta de reprendre le dessus sur son adversaire, mais positionné plus bas sur un terrain en pente l’empêchait tout contre efficace. Lentement il recula, attendant patiemment une opportunité. Bien que son adversaire ait probablement perdu beaucoup de sang, il enchaîna les assauts comme si de rien était. Relonor continua de reculer et sa posture fut plus stable grâce à un gros caillou ou un rocher sortant de terre. Il profita de cette stabilité pour foncer sur l’Earion et le repousser du plat de la lame. Ce dernier tenta de bloquer l’assaut et garder son avantage du terrain, mais aussi fort qu’il puisse être sa blessure ne pouvait plus être ignorée. Il céda face au Shaakt qui continua de pousser, ragaillardit par le rictus de douleur de l’elfe bleu.
"Vas-tu périr par la lame de ce chien ?" Fit la voix du meneur qui s’était rapproché ainsi que ses hommes pour regarder le combat.
"C’est un ignare, il n’a aucun talent à l’épée. Il ne sait que violer des femmes avant de les tuer. Un peu comme la tienne en somme."Les paroles étaient destinées à l’Earion et il venait de lui apprendre que sa femme était morte. Il recula vivement et son regard s’assombrit, tout comme ses pensées. Sa lame se baissa, laissant une garde inexistante, le temps de digérer l’horrible révélation. C’était le moment ou jamais d’agir. Si l’elfe bleu reprenait ses esprits il risquerait d’être un adversaire mue par un puissant désir de vengeance, prêt à en mourir. Relonor asséna un coup mortel aussi rapide que possible à l’Earion, mais l’épée de ce dernier le protégea. Derrière sa lame, son regard n’était que noirceur. Il visualisait déjà la façon dont il allait le faire souffrir avant de l’achever. L’échange de coups reprit de plus belle, mais la domination de Kyorn était écrasante. Plus aucun de ses coups ne portaient en eux la faiblesse de la blessure, ni celle de sa femme captive. Bien au contraire, il semblait s’en nourrir pour alimenter sa rage et sa force.
Le Shaakt tenta de reprendre le dessus sur son opposant, mais en vain. Chacune des attaques qu’il tentait de porter l’obligea à reprendre une posture pour parer les contres éclair qu’il subissait. La maîtrise à l’épée supplantait Relonor, le forçant à employer une méthode par encore au point. Il rassembla toutes les forces qu’il pouvait pour arrêter son opposant, ne serait-ce que l’espace d’un instant. Il para un coup latéral sur sa gauche en maintenant la main sur sa lame et l’autre sur la garde, laissant l’épée adverse entre ses deux mains. D’un geste aussi rapide que possible, il saisit la pointe de l’arme et exerça une pression de haut en bas tout en déplaçant sa garde le long de la lame jusqu’à sa consœur, affaiblissant son maintien. Il mit tout ce qu’il avait, frappant garde contre garde pour projeter l’épée et désarmer son adversaire. La répétition de l’enchainement, en attendant Kyorn, aida fortement à réussir son assaut. Malheureusement pour lui, au lieu de projeter l’arme, les deux gardes se neutralisèrent l’une l’autre. Aussi vif qu’un serpent, l’Earion saisit la garde de l’elfe noir, la faisant pivoter autour de sa propre arme. Le poignet de Relonor ne put suivre le mouvement et retira rapidement sa main, en voyant les deux lames former un ciseau géant se refermant sur son bras. Le recul le fit tomber à la renverse, démunit et littéralement sur le cul, face à un adversaire animé par la vengeance et une arme dans chaque main.
"Une dernière volonté, un dernier mot pour clore ta pitoyable vie ?" Lança l’elfe bleu.
"Juste une chose alors. T’as femme a pris chère avant que je l’égorge et je suis presque sûr qu’elle a adoré ça." L’expression de fureur de Kyorn ne laissa aucune place au doute. Quitte à mourir autant bien asticoter son bourreau.
"Désolé, fallait pas demander."Les deux lames se levèrent simultanément, prêtent à donner le coup de grâce, quand une troisième transperça l’Earion en plein cœur. Le corps tomba au sol, accompagné des deux épées, laissant le meneur des maîtres chanteurs debout devant Relonor avec son arme ensanglantée. A première vue il semblait hésiter à tuer le Shaakt.
"Me demande pas pourquoi, mais le patron s’intéresse à toi. On te recontactera, alors d’ici là évite de semer les cadavres partout, j’aime pas devoir faire le ménage et en particulier dans ta grotte miteuse qui te sert d’habitat."Les trois hommes laissèrent le Shaakt livré à lui-même, affalé sur son cul devant le corps inerte du bretteur, seul avec ses incertitudes quant à une potentielle incursion à son domicile. Il avait échappé à la mort, mais combien de temps sa vie allait encore perdurer s’il devait encore affronter de tels adversaires.
Chapitre 1 - Retour à Kendra Kâr