<<<Une nuit avait suffi à l’hiver pour s’installer. Après les dernières recommandations de l’infirmier j’avais regagné ma chambre pour y dormir. Au matin, le vent s’était levé. La neige tombait à gros flocons. La température avait encore chuté alors que je pensais que ce n’était plus possible. Je quitte ma chambre pour pénétrer dans le couloir qui est devenu un glacier. Je m’emmitoufle dans ma couverture pour rejoindre le réfectoire où des moines s’occupent d’ajouter du bois dans le foyer. On me sert une bouillie épaisse qui tient au corps et assez chaude pour me remettre d’aplomb. Je monte ensuite à l’étage et entre dans une des nombreuses salles d’étude. Je découvre alors que ce ne sont pas des pièces séparés mais une immense bibliothèque possédant plusieurs accès. Je suis ébahi par le nombre de livres, par la hauteur des étagères contenant tout un bouquet de support différents. Des livres, des parchemins, des morceaux de cuir gravés, des feuilles volantes. J’aperçois même, tout en bas d’un meuble, une pierre gravée.
" Hey ! Vous ! "Je reprends mes esprits, tourne la tête vers l’origine du bruit. Un vieux moine. Chauve, la barbe courte, un air sévère. Sourcils épais, froncés, des petits yeux gris, des joues creusées. Il s’approche de moi en s’aidant de sa canne.
" Je… "" Silence ! "Je reçois un coup sec de la canne dans la jambe tandis qu’il me scrute d’un œil sans le cligner. Il m’inspecte ainsi quelques secondes avant de reprendre la parole.
" Une tête d’ahuri. Un physique difficile. Vous êtes Xël. "" Je… "Nouvelle douleur à la jambe alors qu’il éjecte vivement un chut d’entre ses lèvres.
" Taisez-vous ! Ce n’est pas un dialogue ! Je suis Maitre Junad. Vous m’appellerez ainsi. Ni Maitre, ni Junad, ni monsieur, ni Juju ou que sais-je quel sobriquet idiot votre cervelle de moineau pourrait trouver. "J’ouvre la bouche mais son regard me dissuade de continuer. Il me tourne le dos et s’avance dans la salle en m’ordonnant de le suivre. Je lui emboîte le pas rapidement. Malgré ses trois pattes il progresse rapidement.
" Le temps est excellent pour commencer une formation. Rien de mieux que de se plonger dans la théorie quand le temps nous empêche d’aller à l’extérieur. "Il s’arrête à côté d’une table et d’un geste m’ordonne de m’y installer. La table en bois est tellement remplie de livres qu’on ne la distingue plus.
" Vous allez commencer par ces quelques ouvrages. Les bases. "" Mais je… euh… "Il tape le sol de sa canne pour couvrir ma voix avant de continuer.
" Ensuite nous passerons à des grimoires parlant plus précisément de la magie de l’air et commencerons peut être quelques exercices pratiques. "" Mais je ne sais pas lire ! "J’ai craché mes mots assez rapidement pour ne pas qu’il m’interrompe. Je me rends compte par la suite que j’ai parlé un peu fort. Les moines autour de nous se tournent mais retournent rapidement à leurs lectures, baissant les yeux pour ne pas croiser ceux du vieillard qui m'autorise à parler pour la première fois.
"Qu'avez-vous dit ?""Je ne sais pas lire."Un silence lourd s'abat, plus personne n'ose tourner une page. Maitre Junad s'exclame soudainement.
" Balivernes ! J'ai entendu parler des sorts que vous avez lancés hier. Comment auriez-vous pu les apprendre sans savoir lire ?! "Je l'observe en plissant les yeux, la bouche entrouverte.
"Bah..."J'ai l'impression d'être sur le point d'expliquer une évidence mais face au regard insistant de Maitre Junad, j'explique:
"Je me concentre sur l'effet que je veux donner à mon sort. Je le visualise dans ma tête et ... "Je souffle en agitant ma main devant moi. Le regard sévère du vieillard se transforme rapidement. D'abord en suspicion, en admiration, en étonnement. Je sens les yeux des moines se river sur moi. Je suis mal à l'aise. Est-ce que je venais de dire quelque chose d'idiot ?
"Etes-vous en train de me dire que vous avez appris des sorts seul et sans l'aide de parchemins ?"Des chuchotements s'élèvent un peu partout. Les moines s'agitent. Stupéfaits, admiratifs, rieurs.
"Silence ! "Le vieillard se retourne, frappant le sol de pierre si fort qu'il en fait trembler la table.
"Nous sommes dans une salle d'étude ici ! Pas dans une taverne de Mertar !" Silence instantané, mais les regards restent rivés sur moi. Certains moines choisissent cet instant pour s’éclipser, sentant que la tempête est sur le point d’arriver.
" Vous ! "Pas de chance pour l’un deux. Le jeune moine interpellé sursaute avant de se retourner avec le regard de l’animal de compagnie qui vient de faire une bêtise.
" Allez prévenir l’intendance que celui-ci est dispensé de corvées. " Dit Junad en me désignant.
" Si ils osent se plaindre dites leurs d’aller voir directement Maitre Samna. C’est lui qui m’a collé un illettré dans les pattes. "J’hausse un sourcil alors que le vieillard presse le moine de partir avant d’en interpeller un autre pour lui ordonner de ranger la table où je me trouve.
" Venez avec moi Xël ! Nous avons énormément de travail. "