Elle y est. La petite grille en fer forgé, séparant les égouts des souterrains. Enfin, Thaïs marche au sec. Non pas qu’elle ait dû piétiner la boue durant près d’une heure, mais l’aspect spongieux des canalisations kendranes n’était pas des plus agréables.
Les parois du souterrain étaient principalement faites de terre, tellement compacte qu’elles étaient aussi solides que la roche. Cet endroit était le repaire idéal pour les parias, les brigands et les voleurs. Elle y vivait, à une époque pas si lointaine. Mais même les escamoteurs avaient raison d’elle, n’appréciant guère son côté sombre et ses manies intempestives de propreté, et cette époque n’avait duré quelques jours, deux semaines à peine. Trouver sa bicoque actuelle avait été la meilleure chose qui ne lui soit jamais arrivée : entre ses quatre murs, elle se sentait enfin libre. Libre de vivre sans avoir honte de ce qu’elle est.
Thaïs progresse dans les tunnels à une allure qui lui plait. Son timing est parfait, elle le savait. Au loin, elle entend quelques cris. L’absence de résonnance l’avait toujours perturbée, les sons étant absorbés par la terre. Venant de la surface, elle perçoit également les coups de pelle et quelques beuglements, signe que les paysans sont toujours au travail et que l’heure du repas n’a pas encore sonné. Elle ne comprend pas comment des gens pouvaient vivre de cette façon, à travailler sans relâche une terre qui n’est pas la leur, mais se dit qu’en même temps, s’ils n’étaient pas là, tout le monde crèverait de faim.
Elle en est là, dans ses réflexions, lorsqu’au détour d’un mur, elle se trouve nez à nez avec un homme maigrichon et barbu. Le sursaut qu’il provoque la fait reculer de quelques pas, tant la proximité entre eux était inattendue. L’homme maugrée quelques mots incompréhensibles et la jeune femme l’observe d’un œil étrange. Pour une fois, ce n’est pas elle, la bizarre ! Sa peau est sombre de saleté et l’homme semble terriblement vieux. Pourtant Thaïs est persuadée que c’est son accoutrement qui lui donne cette impression. De longs cheveux grisonnants lui barrent le visage. Des guenilles l’habillent à peine, tombant en lambeaux sur son corps maigrelet. Ses yeux sont indescriptibles. D’un bleu intense et anormalement globuleux, ils s’agitent dans tous les sens, sans jamais se fixer un instant. Entre ses doigts noueux, l’homme triture inlassablement un vieux bout de chiffon, en effectuant toujours le même mouvement de ses ongles crasseux. Bouche bée, l’alchimiste ne sait quelle attitude prendre. Elle ignore totalement s’il est dangereux ou non. Et lorsque d’un coup, le regard du barbu s’arrête net pour se planter droit dans les yeux dorés de la femme, elle sent un frisson la parcourir. De la voix la plus claire qu’on puisse entendre, et en articulant chaque mot d’une voix sourde, il se met à parler sans cesser de tripatouiller ce qui semble lui servir de doudou.
- « Je vous attendais. Jamais ils ne me trouveront ! Jamais ! Vous entendez ? Dig Bayne a vaincu ces hommes et jamais ce ne sera le contraire. »
Puis, l’homme repart dans ses délires, à marmonner entre ses vieux chicots des mots que Thaïs ne comprend pas. Ses yeux se remettent à virevolter dans tous les sens et, en boitillant, l’homme repart dans la pénombre. Bientôt, ses susurrations s’éteignent.
Abasourdie par cette drôle de rencontre, la jeune femme reprend sa route, retrouvant rapidement le petit chemin menant vers la sortie des souterrains.
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Thaïs - Humaine - Voleuse
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