Confiné à un espace restreint, Daemon se tournait et se retournait en adressant des regards furieux à ses assaillants. Une douleur aiguë montait de son poignet, qu’il tâchât de ne pas montrer, car même dans un cas de figure comme celui-ci, révéler ses faiblesses était une très mauvaise idée. Autour du cercle, d’autres hommes sur leurs chevaux décrivaient une large et hâtive circonvolution, prêt à l’intercepter à la moindre dérobade de sa part.
Alors, des félicitations montèrent au dessus du tumulte. Azra le congratula de si bien jouer avec sa mort, et les autres, oublieux de sa présence, eurent le sang glacé par sa voix d’outre-tombe. Le nécromancien évolua lentement vers le chef des bandits, délaissé dans sa pâmoison, et il tira une dague dont, même à distance, Daemon pu constater son anormalité. Il ajouta sur le ton du maitre qui donnait sa leçon que pour accomplir la volonté de Phaïtos, il était nécessaire de savoir rendre la justice de la mort. Les âmes tumultueuses qui semaient la souffrance ne devaient pas rester en ce monde, car leurs victimes gêneront le travail de leur dieu.
Si les circonstances avaient été différentes, Daemon aurait levé les yeux au ciel devant une énième tirade qu’il eut pu entendre des dizaines de fois au château. Mais cette fois-ci il en était plus que reconnaissant. Azra plongea alors sa dague dans la poitrine du brigand, et, lorsqu’il la retira, sous les yeux horrifiés de l’assistance, elle captura avec voracité une effluve bleuté émanant du cadavre. Il expliqua que son âme n’ira ainsi pas en enfer, mais le servirait dans une cause plus noble.
Des bandits fondirent aussitôt sur lui. D’un jeu de passe avec sa main libre, Azra fit jaillir des mains squelettiques du sol qui lacérèrent et précipitèrent homme et chevaux à terre. Les ennemis n’en démordirent point et furent accueillis par la dague, qui, à la surprise de Daemon, était magnée à la perfection. Trois hommes furent mis hors d’état de nuire avant qu’il n’ait eu le temps de dire ouf. Azra saisit alors son bâton et le brandit vers le ciel, et les trois victimes se relevèrent. Une véritable vague d’effroi investit les maraudeurs qui hurlèrent à l’abomination, tandis que d’autres tournaient déjà bride vers l’horizon. Azra réagit promptement et Rendrak, son compagnon liykor, sortit du sol et hurla à la lune, mettant en déroute les chevaux.
Daemon n’eut cependant pas le loisir d’en voir davantage. Il évita de justesse la pointe d’une lance et, profitant de la confusion générale, il roula hors du cercle. Un bandit qui n’avait pas l’intention de l’oublier le prit en chasse, avant de négliger l’aspect hâve et claudiquant d’un de ses ancien camarade. Daemon le regarda se faire déchiqueter sans trop savoir quoi penser, puis, songeant que l’occasion était trop bonne, il retourna dans la mêlée se saisir des montures dont les rennes étaient libres. Après avoir réussit à subtiliser deux chevaux, non sans douleurs avec son poignet en feu, il rejoignit son compère qui supervisait les finissions à distance avec son invocation.
« Pff… Merci bien. Même si ce fut un peu tardif. »
Le liykor squelette, lugubre créature aux orbites vides et à la cage thoracique béante, les rejoignit en trainant un prisonnier au bout de sa chaine.
« Bonsoir Rendrak. Ca fait longtemps. »
La créature lui renvoya l’amabilité, puis balança le captif aux pieds de son maitre. Azra soupçonnait quelque chose et le pressa de questions. Le bandit émit des mugissements étouffés et desserra les anneaux qui enserraient son cou. Après quelques balbutiements, il parvint à expliquer qu’une voix avait parlé dans leur tête. Certains avaient cru voir une dame blanche, mais pas lui. Elle leur aurait demandé de retrouver un semi-shaakt qui voyagerait sur ces contrés, mort ou vif, et ceux qui l’accompagnaient. Il jura ne pas en savoir plus et les supplia d’épargner sa vie.
Azra lui fit alors la morale (comme d’habitude, pensa Daemon), et relâcha le malheureux. Une fois qu’il fut assez loin, il proposa de charger leurs affaires sur les chevaux, tout en le félicitant pour sa prestation. Daemon acquiesça, se désista de ses quelques vivres pour les charger dans la sacoche qui pendait de la selle.
« Il a parlé d’un semi-shaakt… Il n’y a pas de doute à avoir, c’est moi qu’ils cherchaient. La dame blanche, je la connais et je t’en parlais juste avant. Il s’agit de Kadria, la plus puissante des Lords. »
Il se fit réflexif, se demandant comment elle avait pu savoir qu’il était dans les environs. C’est alors qu’il se souvint d’un élément non négligeable.
« Comment ai-je pu l’oublier !? » Son cheval hennit et tira sur la bride sous la surprise. « MORGOTH ! MORGOTH MONTRE TOI ! »
Il resta un instant immobile, puis une perle noire frémissante se détacha de son ombre. Elle virevolta autour de lui, grossissant à vue d’œil, et deux yeux d’un blanc immaculé apparurent, puis quatre pattes et une queue. Sa faera matérialisée sous sa forme de chaton lui fit face.
« C'est maintenant que tu te soucies de moi ? » dit-elle avec sa petite voix triste.
« Je t’ai appelé de nombreuses fois, sans aucun signe de ta part… »
Le ton de sa voix avait perdu toute agressivité, partagé entre le doute et le plaisir de retrouver son compagnon. Il n’avait plus eu de nouvelles depuis des semaines, alors que le chaton fantastique ne se dérangeait pas, à son habitude, d'émerger régulièrement pour se jouer de lui.
« Tu es parti arpenter un monde aux fluides instables. Si je sortais de ta relique, d’une manière ou d’une autre, je risquais de me disloquer ou que sais-je encore… »
Daemon voulut objecter, mais il dut admettre que les fluides se comportaient de manière imprévisible en Aliaénon. Il revoyait encore le déluge de flammes au dessus de Treeof.
« D’accord, d’accord. Mais dis moi, tu entretiens de bonnes relations avec le cygne de Kadria. Tu lui as parlé de notre venue ? »
Le chaton fit un signe de dénégation.
« Non, non. Pourquoi cela ? »
Evidemment Morgoth feignait de ne pas savoir pourquoi. Il n’attendait même pas de réponse et invoquait déjà ses bulles d’eau en suspension pour jouer avec, tel des boules de laine.
Daemon se tourna vers Azra et conclu.
« Elle nous attend. »