Background détaillé 5/6:
Code couleur : Hilimielle Kipion Maniko Fripin PNJ divers
Seules ses chorégraphies déconcertaient quelque peu ses consœurs. Elles lui avaient été enseignées par le lutin. Les après-midi, elle travaillait d'arrache-pied à la confection de l'habit de sa mère. Non qu'elle souhaitait tant lui plaire, mais cela était partie intégrante du plan. Elle rentrait toujours de son atelier à une heure avancée. En vérité, la raison de ces retours tardifs n'était pas le prolongement de son labeur de couture, mais le bon temps qu'elle s'octroyait en la compagnie de son ami, et quelquefois de son aînée, loin de l'hypocrisie de ses pairs.
Au bout de deux mois, la robe fut prête. Hilimielle la livra à la matriarche en grande cérémonie afin que toutes la voient. Elle était réellement splendide. La créatrice y avait vraiment insufflé tout son talent. Alors que sa mère présentait sa somptueuse parure, sa fille observait les regards émerveillés et envieux des Aldrydes. Le lendemain, les commandes pleuvaient. La jeunette devint en quelques lunaisons « la coqueluche de ruche ». Elle refusait par contre que quiconque vienne assister à son travail pour « ne pas perturber sa créativité ». Sa célébrité n'avait pas pour autant fait sombrer ses projets dans l'oubli. Elle préparait son final avec l'aide de Maniko.
Elle avait choisi que le jour de la célébration de son premier accouplement devienne celui de la grande mystification. Quelques mois auparavant, Maniko et Fripin avaient passé beaucoup de temps à produire d'importantes quantités d'hydromel qu'ils avaient stocké dans les soubassements de l’atelier de mode. L'apprenti fut ravi de prêter main-forte à son amie et plus encore de découvrir la recette de cette boisson délicieuse.
À la veille de l'événement, Hilimielle révéla ses intentions à son féal. Celui-ci, loin de s’offusquer de ne pas avoir été mis dans la confidence plus tôt, s’exclama :
"Oh la malicieuse ! Je suis fière de toi ! Tu vas leur jouer un bien bon tour dont elles se souviendront ! — Merci, mon ami, je ne t'oublierai jamais. Je reviendrai te voir lorsque je le pourrai."
Ils se donnèrent l'accolade puis se quittèrent. Le lutin sentait que sa camarade ne souhaitait pas sa présence à la fête, peut-être pour le protégé, sans doute pour ne pas faire capoter ses plans. Toujours fut-il que le boute-en-train ne louperait cela pour rien au monde. Le lendemain, à la chute du jour, il serait là.
Le grand jour était arrivé. Toute la journée fut consacrée aux préparatifs. Tout le monde s'y était mis. Les deux sœurs avaient apporté leur surprise alcoolisée, acclamées par l’ensemble de la communauté. Des lampions et guirlandes avaient été accrochés partout. La vaste terrasse arboricole était magnifique. La chaleur s'était montrée précoce cette année. Bien que l'on ne soit qu'à la moitié du printemps, la soirée profitait d'une touffeur modérée. Au crépuscule, on festoya. Hilimielle, à l'honneur, s'était parée de ses plus beaux atours. Pendant que ses pairs mangeaient et chantaient, elle veillait à ce qu'aucune ne reste sobre. Elle, buvait de l'eau ; elle aurait droit à l'hydromel une fois le rite accomplit. Dans l'ombre, une petite silhouette au chapeau pointu surveillait la scène.
La nuit avançait, la moiteur de l'air s’intensifiait, les godets s'entrechoquaient et les danses s’enchaînaient. Alsaran, le reproducteur qui avait été choisi, s'approcha de la jeune vierge. Il lui présenta sa main dans laquelle elle déposa la sienne puis ils s'envolèrent vers le nid de feuilles douillet qui leur avait été préparé en vue de leurs ébats, à l'abri des regards et des oreilles. L'homme lui caressant la joue lui glissa :
"Ainsi tu es revenue et t'es à nouveau intégrée parmi les tiennes. Moi qui te croyais différente, tu ne nous as même pas une fois regardés depuis ton retour."
Alors qu'il parlait, Hilimielle se saisissait d'une fine, mais robuste cordelette camouflée dans ses vêtements. Puis à la fin de sa phrase, elle lui empoigna les bras et, par une acrobatie aérienne, préalablement maintes fois répétée, les lui croisa dans le dos et les attacha si promptement qu'il n'eut pas le temps de réagir. Elle en fit de même avec ses ailes et ses pieds tout en lui disant :
"Ta première impression était la bonne. Je suis désolé que mon comportement t'ait peiné à ce point, mais je devais donner le change. — Que vas-tu faire ? demanda-t-il. — Libérer Kipion et nous enfuir tous les deux fonder une nouvelle communauté sans toutes ces coutumes absurdes, cracha-t-elle. — Alors va, mes pensées t'accompagnent. — Merci, maintenant excuse-moi, mais je vais devoir te bâillonner. Question de crédibilité. Pour la petite histoire à leur raconter, invente un truc, elle vous pense si faibles et soumis qu'elles te croiront."
Il acquiesça. Tandis qu'elle quittait subrepticement le lit nuptial, deux mots résonnaient dans la tête d'Alsaran : faible et soumis, faible et soumis...
Le lutin observait son amie redescendre furtivement. Pendant ce temps, Maniko avait entamé une chanson populaire reprise en cœur par toutes les Aldrydes, monopolisant ainsi l'attention.
La ravisseuse en devenir s'était introduite dans l'Arbre-Maison, elle savait que les mâles étaient retenus tout en bas. Elle arpenta donc avec prudence les nombreux escaliers en colimaçon qui la séparaient de son bien-aimé. Cela semblait désert. Elle arriva près de l'étage de la pouponnière. Deux nourrices s'occupaient des larves. Elle passa inaperçue. Elle se rendit plus bas encore, dans les niveaux les plus profonds de cet arbre gigantesque et millénaire, là où elle n'était jamais allée. L'atmosphère se refroidissait de plus en plus, elle sentait des frissons parcourir ses ailes. Une lumière lugubre dispensée par des mousses phosphorescentes achevait l’ambiance sépulcrale du lieu. Alors qu'elle foulait la dernière marche, elle se retrouva face à une porte. Dans celle-ci était enchâssé un élément métallique muni d'un trou à la forme singulière. Bien que poussant ou tirant la poignée elle demeurait close. Notre jeune aventurière restait perplexe devant ce dispositif abscons. Soudain, une voix dans son dos.
"Alors comme ça on est arrêté par une simple serrure ?"
Hilimielle fit volte-face, la peur au ventre. Mais en lieu et place des Aldrydes furieuses auxquelles elle s'attendait, elle découvrit Fripin, les jambes croisées, le coude appuyé contre la paroi, qui l'observait avec un sourire s’allongeant jusqu'aux oreilles.
"Tu verrais ta tête, c'est à mourir de rire. — Mais qu'est-ce que tu fais là ? chuchota-t-elle. — Je viens t'aider, pardi. Allez, pousse-toi, laisse-moi faire."
Le lutin lui passa devant et examina le mécanisme. Il sortit d'une de ses poches un petit crochet qu'il introduisit dans l'orifice. Après quelques manipulations, il y eut un déclic et la porte s’entrebâilla.
"Mais comment sais-tu faire cela, et d'où connais-tu cette étrange chose ? — Eh, tu n'es pas la seule à avoir des petits secrets."
Elle le regardait d'une mine renfrognée.
"D'accord, mais maintenant, file. — Dis pas merci surtout. — Si, si, merci, aller, ouste ! Tu vas nous faire repérer."
Il la gratifia d'un dernier sourire et s'en remonta.
Hilimielle poussa alors la porte découvrant une demi-douzaine de mâles statufiés. L'atmosphère glaciale et la lumière spectrale respiraient l'angoisse. Là-bas, au fond de la salle, elle le remarqua, le plus grand de tous. Une hauteur de trente-cinq centimètres, des ailes, chacune de la taille de deux des siennes et toujours son amulette autour du cou. À sa vue, le cœur de la petite bondit dans sa poitrine, ils s'étaient enfin retrouvés. À présent, il fallait le réchauffer. L'air était froid, mais sec, et des branchettes et feuilles mortes recouvraient le sol. Elle en rassembla un tas et sortit un autre des précieux cadeaux de son ami, un briquet. Elle ne s'en était jamais servie mais elle avait aperçu à plusieurs reprises Fripin l'utiliser pour enflammer quelques brindilles afin d'allumer sa pipe. Elle fit s'entrechoquer les pierres près des végétaux et regarda le feu prendre doucement... au début. Elle en observait un vrai pour la première fois. Aussi, fut-elle surprise, paniquée, devrais-je dire, lorsque celui-ci embrasa toute la pièce, consumant le parterre, mais également les meubles dans une épaisse fumée noire qui s'échappait par l'entrée. C'était une catastrophe, elle n'avait pas du tout prévu ça. Les nourrisses, qui avaient senti les âcres vapeurs, s'étaient enfuies avec les larves dans les bras en poussant de grands cris de terreur ; alertant ainsi toute la communauté. De son côté, Kipion commençait à reprendre connaissance. Il entrouvrit les yeux et avança une main vers le visage de sa dulcinée affolée.
"Hi-li-mielle..."
Puis sa vision se brouilla et son corps se refroidit à nouveau. Les Aldrydes mages étaient arrivées et avaient éteint le feu qui n'avait d'ailleurs occasionné que des dégâts superficiels, et ce en grande partie grâce aux enchantements entourant ce lieu. Hilimielle était hébétée, elle avait failli faire rôtir son bien-aimé, et, pensait-elle, réduire en cendre sa maison et toute sa famille. Elle ne savait plus où elle en était, elle semblait perdue, absente. Elle ne se rendit même pas compte qu'on l’amenait de force sur l'esplanade où l'attendait sa génitrice, le conseil, et le reste des Aldrydes. Fripin, caché dans un proche buisson de gui, impuissant, observait. Quand elle lui avait dit qu'elle voulait réchauffer Kipion, il n'avait pas imaginé un moyen si radical !
On déposa la captive au sol et on la dépouilla de ses possessions, son pendentif y compris, qui furent jetées par-dessus la terrasse. Elle se laissait faire, incapable de réfléchir de façon cohérente. Face à elle, les akrillas. Autour d'elle, les Aldrydes faisaient cercle. La matriarche vociféra :
"Hilimielle !"
Entendant son nom ainsi prononcé, elle reprit ses esprits, comme on sort d'un rêve.
"Comment as-tu osé faire une telle chose ! Comment as-tu osé après tout ce que nous avons fait pour toi, tout ce que J'AI fait pour toi ! Quelle folie est donc passée par ton crâne dégénéré ? Tu aurais pu tous nous tuer ! Cet acte odieux est inqualifiable et impardonnable ! Tu ne réalises donc pas que..."
L'accusatrice la vitupéra encore, l'accablant de chagrin. Elle pleurait à présent à chaudes larmes. Au terme de ces longues minutes :
"Ainsi, moi, Xillanda, et le conseil te renions, renions ton nom et t'en destituons. Pour finir, nous te bannissons pour toujours de Bois-d'Entre-Champ. Tu n'y reviendras jamais, sous peine de mort. Cette sanction prend effet immédiatement."
La pauvrette redressa la tête, regarda sa mère puis fit le tour des visages du cercle autour d'elle. Elle s’arrêta sur celui de Maniko qui arborait une expression indéchiffrable. Cette dernière se retourna et partit laissant sa cadette seule au milieu de la foule silencieuse. N'ayant plus que sa robe sur elle, les yeux encore embués de tristesse, elle se releva, déplia toutes ses plumes et s'enfuit à tire-d'aile vers l'est. Pourquoi cette direction ? Elle n'aurait pu le dire. Elle fonçait juste droit devant.
Pendant sa descente au plus profond du tronc, d'épais nuages s'étaient amoncelés dans l'obscurité humide. À la fin de ce jugement expéditif, tandis que les Aldrydes rentraient dans l'arbre à l'odeur que la fumée avait rendue nauséabonde, une pluie diluvienne s’abattit sur les plaines. Hilimielle n'en avait cure, elle volait loin, très loin de cette forêt de malheur. Les gouttes pourtant, alourdissaient son plumage. À bout de force, elle atterrit au milieu d'un champ, au sommet du large rocher qui y reposait.
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