Manifestement épuisé, Gwerz, aussitôt la tête sur l’oreiller, se met à ronfler.
Afin de ne pas le déranger, sur la pointe des pieds, je récupère mon sac près du lit, puis silencieusement mais à pas rapides, je me rends à l’endroit indiqué, impatiente de faire ma toilette.
Une grosse bassine! C’est plus que ce que je ne pouvais espérer. Une cruche et un bol, taille lutin, auraient suffi. En approchant davantage du dit récipient, je constate avec déception qu’il est vide. À la recherche d’eau, mes yeux scrutent les moindres recoins du plancher de cet espace non cloisonné, sans succès. Rebroussant chemin, je me dirige vers une armoire en quête d’une serviette tout en réfléchissant à mon petit problème d’ordre domestique.
(Dois-je me rendre dehors pour y puiser de l’eau? La nuit est froide et sans lune. Et puis, l’accès à l’extérieur, cette petite fenêtre ronde, n’est pas pratique pour y circuler avec un seau. Sans compter le nombre de voyages que je devrai faire.)Serviette en main, trouvée dans la seconde porte ouverte, je retourne vers le paravent toujours à mes réflexions.
(En plus, je n’ai pas la moindre idée d'où se trouve le puits. S’est-il moqué de moi? Ma demande n’était peut-être pas raisonnable. J’aurais tout de même préféré qu’il me dise « non » franchement au lieu de me diriger vers un contenant vide.)Contrariée, assise sur le petit tabouret de merisier, je fixe le vide immobile jusqu’à ce que mon regard s’attarde sur un tuyau situé juste au-dessus de ce qui aurait pu faire office de baignoire. À quoi peut bien servir ce truc en fer? En levant les yeux, je remarque enfin que ce conduit est relié à ce qui ressemble à un gros réservoir d’eau. Il était là tout ce temps devant ma face, je le voyais sans le regarder. Décidément, je n’ai pas fini d’en apprendre. À la campagne, tout est si différent: l’été, c’est au lac que je me lave et l’hiver avec mes sœurs, je partage la corvée de chauffer l’eau et de la transporter pour ensuite se baigner dans le même baquet, à tour de rôle, il va sans dire.
En tapotant sur ce tube de métal, je réussis assez facilement à en faire couler le liquide tant convoité. Après m’être rapidement déshabillée, j’entre précipitamment dans le bassin; l’eau est précieuse, je ne peux la gaspiller. Ma tête directement sous le robinet afin de bien arroser ma chevelure souillée, je réussis à étouffer un cri, par contre je ne peux réprimer quelques frissons. Une fois bien mouillée et la valve fermée, je me frotte vigoureusement comme si ce savon, aux doux arômes de fleurs sauvages, pouvait effacer toutes les traces de mes mésaventures. J’ouvre une dernière fois le clapet pour bien me rincer. Le tout terminé, je m’empresse de me sécher puis de me revêtir. Avisant un petit trou dans le plancher, je renverse la bassine afin que le liquide s’y déverse. J’empoigne ensuite mon sac pour en extirper mon peigne. Les cheveux démêlés, je les tresse en une seule natte; coiffure plus appropriée pour la journée qui m’attend.
Rafraîchie et installée à la table de travail, j’entreprends soigneusement la réparation de la nappe. Point par point, je m’applique comme s’il s’agissait d’une précieuse pièce de soie. Grand-mère ne m’a que trop souvent répété que peu importait l’ouvrage effectué, il devait toujours être soigné. Et mieux valait reprendre une tâche que de la laisser bâclée.
« Faire et défaire font partie de l’apprentissage du métier, » me répétait-elle.
Après un temps, dont je ne saurais préciser la longueur, je termine le dernier point de couture. Afin de bien mesurer la qualité de mon travail, je prends du recul pour apercevoir un de mes cheveux roux sur ce tissu vert. Durant un bref instant, ponctué par un sourire, je réfléchis puis j’enlève cet intrus. Cependant, au lieu de le jeter négligemment, je le mets sur mes genoux. Délicatement, de ma tignasse rousse, j’en arrache une bonne dizaine que je dépose à côté du premier.
En groupe de trois, je les torsade tout comme avait procédé Adèle pour la confection de mon précieux collier, pour ensuite les enfiler par le chas de mon aiguille. Avec beaucoup de précaution, je brode un petit motif, sans prétention, à chaque coin du carré de tissu.
Satisfaite de ma besogne, je quitte la table et m’approche du foyer pour y ajouter quelques bûches. Je laisse, pendant un délicieux moment, la chaleur des flammes me caresser le visage. Inspirée, je fouille dans mon sac pour en retirer quelques baies de sureau, un peu défraîchies mais non flétries, et les jeter dans les flammes. Une délicate odeur de fruit envahit instantanément la pièce qui, bien que très grande, s’avère plutôt encombrée. Entre autres, quelques bouquins, pas plus d’une demi-douzaine, gisent un peu partout dans l’appartement du lutin. L’envie de les ranger ne me manque pas, je me retiens cependant de peur de l’insulter.
Ça me rappelle la fois où tante Rosa avait voulu faire plaisir à son frère veuf en remettant de l’ordre dans sa maison. Pauvre tantine y avait mis beaucoup d’efforts, mais l’oncle Édouard, au lieu de la remercier, l’avait rabrouée en la renvoyant chez elle et lui proférant qu’en agissant ainsi, elle avait bafoué ses souvenirs et son intimité. La réaction de M. Porsal n’aurait sûrement pas été aussi brutale, néanmoins, je ne veux pas abuser de son hospitalité en jouant l’invitée qui s’ingère dans ses affaires. J’ignore donc le léger désordre et je me dirige vers l’étagère bondée de livres.
Je commence tout juste à parcourir des yeux les diverses reliures des ouvrages que mon ventre, à force de gargouillis, me rappelle qu’il serait temps que je me nourrisse. Obéissant docilement à sa demande, je fouille dans les armoires à la recherche de victuailles et de couverts. Ayant trouvé tout le nécessaire, je dresse la table. Au centre, j’y place le pain frais, le beurre et deux bleuets. J’y ajoute ma part : un appétissant morceau de fromage acheté à la dame, bien malgré elle. Pour finir, je mets de l’eau à bouillir. À son réveil, le sympathique vieux lutin en aura sûrement besoin pour préparer son thé.
Il ne me reste plus qu’à attendre le début de la nouvelle journée.