La voix du Serpent.
Petites paillettes temporelles. La forêt dansait au rythme de la nuit. Une faible activité y régnait à l'aide d'insectes et de rongeurs qui se cherchaient mutuellement. L'un pour sauver sa vie, l'autre pour la prolonger. Un bruit rapide dans les broussailles : un petit rongeur y trouvait son repas.
Silmeria restait frustrée. Le meurtre de Yorel avait été particulièrement catastrophique et bien que la magie que Hrist avait lancé le contraignait à ne pas pouvoir hurler les flots de douleur qui anéantissaient son esprit et compressait son âme jusqu'à la démence, elle avait su lire dans les yeux de l'homme une petite perle d'innocence qui dégageait un aura de pitié presque palpable. Silmeria s'en voulait de n'avoir pas pu le tuer, qu'il ait fallu le torturer jusqu'à ce que mort s'en suive. Ce n'était pourtant pas le style de Hrist que de prononcer les sentences longues. Elles qui avaient toujours tué rapidement, les voilà devenues tortionnaires. Cruelles et de plus en plus connues pour leurs noires actions, les deux âmes grondaient dans le corps de la Sindel. Pour une fois et depuis longtemps, Silmeria en voulait à Hrist. Adossée à un grand chêne, elle restait silencieuse. Hrist renaissait dans l'étroit couloir de sa moralité d'Elfe.
Telle une lame trop affutée, elle découpait lentement et tour à tour les dernières parcelles d'humanité de Silmeria. Plus le temps passait, et plus la Douce avait l'impression que la Frémissante prenait de plus en plus de place, qu'elle pesait davantage sur son cœur. Celle qui avait toujours été d'un grand secours à cette jeune femme distraite qui ne rêvait que de richesse et d'aisance, se retrouvait à l'exil, si tant était que Silmeria pouvait exiler Hrist. N'ayant mieux à faire, elle se contentait de ne plus lui parler. La Frémissante le savait, elle n'en avait cure, elle se doutait bien que la raison l'emporterait vite et qu'une fois que la Douce comprendrait qu'elle n'avait rien d'autre à faire que de vivre avec son passé, ses crimes et bienfaits, elle s'en voudrait d'elle même à tel point qu'il n'y aurait plus rien à reprocher.
La pauvre Silmeria était au bord des larmes. Elle était tellement perturbée qu'elle se perdait dans d'anciens souvenirs, la cave dans laquelle ses prétendus tuteurs la tenaient captive, les soirs où ils la battaient, ses sœurs se faisant violer devant elle... Une larme coulait le long de sa joue, c'est du bout de ses doigts graciles qu'elle caressait la goutte chaude et salée qui roulait sur sa peau froide. C'est à genoux qu'elle tombait sur les feuilles mortes, elle se pliait de tristesse et frappait le sol de ses poings liés, réveillant la vie nocturne qui se terrait sous les feuilles déchues.
Toute cette tristesse et cette colère s'évacuait en elle, Hrist quant à elle se contentait de la contenir en son sein. Non, il fallait que la Douce se libère de sa colère, elle y voyait là, la seule issue pour échapper à la folie. Chacune des feuilles mortes étaient martelées par les mains blanches quand soudain...
Le silence s'installait. La nuit et son silence reprenait leurs droits, les animaux de la nuit, ombres cachées dans le noir observaient la Sindel pleurer. Elle serrait la mâchoire, plissait les yeux et se retenait de hurler à la lune si lointaine sa mélancolie. En passant sa main dans ses cheveux, son casque tombait et roulait à quelques centimètres de sa tête. C'est pendant quelques minutes qu'elle conservait cette position de révérence à la nature silencieuse. Ce fut Hrist, qui de sa voix éthérée s'adressait à Silmeria.
« Peut être un jour viendra où tu verras l'enfant
Auréolé de honte, le pardon implorant
Ravissant le divin d'un sourire étoilé
Dont la frêle caresse enchante les amantes.
Or l'ondée de joyaux qui suinte de tes paupières,
Noie mon plus pur amour dans ton désir amer. »Silmeria, écoutait, mais restait silencieuse, elle cherchait à comprendre pourquoi Hrist lui disait ceci, elle qui était adepte des phrases aussi tranchantes que la Scélérate et aussi courte que la largeur des feuilles qu'elle écrasait.
« C'est ce que les poètes humains nomment un acrostiche, il n'aura de valeur que si tu sais écouter, Silmeria. »La voix de la Frémissante était étonnamment douce, presque amoureuse, tellement différente du ton qu'elle employait lorsqu'elle annonçait à Yorel qu'il allait mourir. Silmeria n'avait plus qu'à répondre, sa compagne n'aurait de cesse qu'une fois qu'elle sera satisfaite d'une réponse.
« Nous allons trop loin... »« Tu sais que c'est faux. Ce n'était qu'un humain, un de ces pourceaux de mage, et il avait osé lever la main sur nous après nous avoir proposé des offres lubriques. »« Est-ce donc là le sens de notre vie? Sommes nous deux âmes éprises l'une de l'autre, condamnées à tuer ceux qui osent nous toiser d'un œil mauvais? »Silmeria avait appris que Hrist croyait en la réincarnation. Peut être elle même, était une guerrière morte et réincarnée par erreur dans un corps déjà vivant. Quoiqu'il en était, elle s'en moquait, il était trop tard, elles avaient dépassés trop de limites, trop de frontières pour un âge aussi jeune. Elle sortait presque de l'enfance et la voilà déjà tueuse. Craintes par endroit, inconnues dans d'autres, jamais elles ne pourraient s'échapper à elles-même.
« Quel mal y a-t-il, si les âmes sont réincarnées. »« Hrist... Je ne veux plus que tu justifies tes actes par ces propos, je voudrais... Je voudrais savoir ce que tu en penses toi! »Elle ne disait mot, un bruit se glissait sans qu'aucune des deux femmes n'y prêtent attention. Les instincts confus se mêlaient et elles restaient inconsciemment en alerte sans même s'en rendre compte. Les oiseaux quittaient les branches, les bouloums cessaient de chanter au loin, les rongeurs ne grattaient plus. C'était comme si toute la vie animale s'était éteinte comme une braise plongée dans le profond lac glacé d'Hymin. Même le vent arrêtait son soufflement éternel comme pour se tenir en respect d'un silence solennel face à une créature de la nuit... Qui observait la Sindel d'un œil fauve.
« Une âme renaît et revient, et derrière ces myriades de renaissance, attend le trépas de l'âme. Tel est le cycle de la causalité. Vois, quelle femme courageuse tu es devenue. C'est la véritable raison pour laquelle j'ai été réincarnée en toi... Alors je t'en prie, il n'y a pas de quoi sortir des violons et faire un requiem pour un type qui ne valait pas la poussière des semelles de pendus qu'on a trouvé en venant ici. »
La Douce ne pouvait se permettre de se montrer contestataire envers les propos de la fleur Violette qui régnait dans son crâne. Le temps passait, et l'impression que Hrist tirait sa beauté et sa puissance du néant de son âme grandissait. Silmeria s'était redressée et était maintenant adossée à l'arbre en fermant ses yeux verts. Le casque à plumettes était toujours au sol et au grès du vent, roulait doucement dans un bruit de feuilles écrasées. Les yeux clos, les sens se développaient, la vue était obstruée par ses paupières, ses oreilles la maintenait en alerte de tout ce qui pouvait surgir dans la forêt. Ses racines Sindel lui était d'une aide précieuse, sans même avoir appris les noms d'oiseaux et la parure de leur plumage, elle aurait su dire à quoi il ressemblait. Si tant était que les oiseaux chantaient. C'était un silence pensant qui la mettait en alerte. Rien de bon n'était à présager, lorsque la nuit, tout se faisait calme.
Un petit bruit, un cliquetis de griffes sur du métal attirait son attention, elle ouvrit les yeux. Hrist et Silmeria virent se déployer devant elles, une sorte de reptile étrangement anthropomorphe, une silhouette fine et élancée recouverte d'un pelage de rat. La chose grattait le casque, les plumes avaient dû l'attirer. Lorsqu'elle croisa le regard de Silmeria, elle se dirigea avec des mouvements de rongeurs vers la droite, emportant avec elle son trophée : Le casque à plumes!
La Sindel tarda tant à réagir que Hrist s'emparait de son âme dans un cri de contestation. Son casque ne serait pas un vulgaire objet pour... Mais qu'était-ce donc que cette chose ?