Voilà, l'aynore arrive à proximité des côtes, après plusieurs heures de route. J'ai du mal encore à réaliser que j'ai quitté Tahelta et le Naora pour me lancer dans l'inconnu, voir d'autres gens, rencontrer d'autres personnes que les elfes gris qui peuplent la belle cité. J'ai du mal aussi à admettre que le maître est mort, lui qui, hier encore jouait de sa belle flûte, mais c'est ainsi, il m'avait prévenu que ça risquait d'arriver, qu'il était vieux. C'est lui aussi qui m'avait dit que, le jour de sa mort, je devrais prendre l'aynore et partir, que je serais ses yeux et qu'à travers mon tour du monde, il réaliserait son vieux rêve. Alors je suis partie, j'ai pris le premier aynore qui partait, je ne sais même pas où je vais.
"Mesdames et messieurs, nous allons bientôt arriver à Kendra Kâr!"Kendra Kâr, c'est donc là que je vais aller. Je me précipite aux fenêtres de la grande salle, espérant pouvoir découvrir un peu l'endroit où j'arrive, de la même manière que j'ai pu voir disparaître la capitale du Royaume. Dans le soleil montant, je découvre tout d'abord des plaines puis des hautes montagnes, semblables à celles de l'île verte. Un peu décevant.
"Hé, petite, si tu vas de l'autre coté, tu verras la ville!"Je me précipite, renverse presque une personne, mes pattes sont fortes et les coussinets amortissent les chocs. Je me plaît à croire que les gens n'ont vu qu'une ombre blanche passé, comme si un silnogure venait de traverser l'appareil. Cette simple pensée, me fait sourire, il ne m'en faut guère finalement.
Puis soudain, à travers les fenêtres, Kendra Kâr apparaît. Il me faut quelques minutes avant de comprendre pourquoi on l'appelle la blanche, car elle me semble très terne, par rapport à Tahelta. Mais quand les hautes murailles apparaissent, je comprends mieux. Elles sont blanches et brillent dans le matin. Nombres de points étincelants l'illuminent comment le feraient les étoiles dans un ciel d'albâtre.
"Ce sont les armures rutilantes des gardes que tu vois là."Je me retourne vers l'elfe qui vient de parler, c'est le même qui m'avait conseillé de changer de coté quelques minutes plus tôt. C'est un elfe gris, aux traits fins, aux yeux d'un bleu d'océan. Ses longs cheveux d'ébènes descendent jusqu'au milieu de son dos. Ils sont pas lisses et volent un peu partout et n'importe comment. Il est plutôt beau jeune elfe. Son ton de la voix est musical et captivant, je suis persuadée qu'il pourrait faire faire n'importe quoi à de nombreuses jeunes dames. D'un geste désinvolte, il chasse une mèche de son front. Il est vêtu de tissus précieux, d'une couleur bleu turquoise qui vient relever encore la beauté de son regard. Au-dessus de sa tunique de soie, il porte un manteau, long, bordée de fourrure rousse et noire, typique du lynx naorien.
"Vous êtes de la noblesse ?"Mon maître m'a appris à apprécier la compagnie des nobles, ils sont riches, ils sont aimables et protecteurs.
"Non, aniathy, juste l'armateur de ce navire.""Un commerçant ?""Exactement, c'est pour ça que je connais cette ville. Ah, mais j'ai oublié de me présenter : Naéris""Hailindra.""Et que viens faire une anyathi à Kendra Kâr ?""Accomplir le rêve de son vieux maître, rien d'autre.""Et quel est son rêve ?""Quel était, il est mort hier.""Excuse-moi, je ne savais pas."Pourquoi dès que je parle de la mort de mon maître les gens s'excusent ? Il n'y sont pour rien, eux. C'est juste un cycle naturel, on vit, on meurt et c'est tout. Même moi, je sais qu'un jour je m'éteindrais et redeviendra la simple poupée que j'étais, sans vie.
"Il n'y a pas matière à excuse. Et ce qu'il voulait, c'était faire le tour du monde. Visiter tout et apprendre les mélodies des pays.""C'est une mission dangereuse. Certains pays ne sont pas bons à visiter.""Ah ?"La nouvelle ne me surprend guère, même si elle n'est pas une source de joie pour si peu. Durant tout le voyage, j'ai tenté de m'imaginer ce que j'allais découvrir et les images s'alternaient entre des paysages magnifiques et enchanteurs, des gens agréables comme le sont la plupart des Sindels; et d'autres images de paysages dévastés, de morts et de coupe-jarrets. Les premières m'évoquaient la joie, les autres rien. Alors j'ai imaginé le voyage comme joyeux.
"Que connais-tu du monde hors du Naora?""Rien."J'ignore en effet tout du monde, je ne sais même pas le nom des villes que je pourrais rencontrer, ni le type de population. Je pars dans l'inconnu le plus complet.
"Je ne pourrais pas t'aider, j'ai d'autres choses à faire. Mais va voir le tenancier de la taverne du paladin, il pourra t'aider. Il est bavard, mais il connaît de nombreuses choses."C'est le moment précis que choisi l'aynore pour atterrir. Je répète dans ma tête le nom de l'endroit conseillé par Naéris, en me demandant comment je vais le trouver. Au moment où la passerelle de débarquement descend, je suis devant la porte, la première, prête à sortir. L'excitation est à son comble, je vais enfin pouvoir marcher sur le sol, mais surtout sur une terre étrangère. L'endroit où s'est posé l'aynore ressemble à une vaste prairie, décorée par une étrange statue. L'herbe est douce sous mes coussinets, même si le terrain est légèrement boueux, comme s'il avait plu dernièrement. Le ciel est bleu, magnifique avec le lever de soleil au loin. En bondissant plus qu'en marchant, j'atteins la statue, il émane d'elle une puissance qui me fait reculer. Avec un petit mouvement d'oreilles, je m'en écarte, allant voir ailleurs, cherchant comment atteindre la ville.
"Départ pour Kendra Kâr !"C'est l'appel d'une calèche. Je me dirige droit vers elle et me faufile entre trois elfes gris pour me trouver une petite place sur une des banquettes.
(((Vers les portes de la ville)))