La bête me fixe de ses yeux jaunes. Visiblement, elle ne s’attendait pas à se faire surprendre ainsi. Qu’importe, elle va tâter de ma lame.
Je me crispe sur ma garde, prends bien appui sur mes jambes pour préparer l’assaut et observe quelques instant l’ennemi pour mieux le jauger. Bien que n’atteignant que ma hanche, il doit bien faire une fois et demi mon poids tant il est massif. Son poil hirsute et court est dans un déplorable état, montrant les traces crasseuses d’une vie mouvementée entre ses poils gris-brun. Son groin puant laisse surgir deux grès aiguisés. C’est alors que ses petits yeux sournois se détournent de moi. Je dois me faire violence pour ne pas me jeter sauvagement sur lui pour lui faire comprendre qu’on ne me tourne pas le dos aussi tranquillement, et décide d’une autre stratégie.
Le sanglier s’éloigne déjà à petits pas, reniflant le sol l’air de rien. Je ramasse une pierre pour la lui lancer de toutes mes forces en lui hurlant dessus.
« Tu dois laver l’affront fait à mon intimité ! Viens te battre si t’es un… Un animal ! »La pierre tombe non loin de lui et mes vociférations lui permettent de comprendre que ce n’est pas finit. Il se retourne pour voir la cause des troubles. Mais trop lentement.
Au pas de course, je charge sur lui, épée droite contre mon épaule et tenue à deux mains, les yeux exorbités et presque la bave au coin de la bouche. Dans un râle furieux, je stoppe à un pas de lui courbant les épaules sur le coté pour le faucher comme le ferait un bûcheron pour un tronc d’arbre. Mon arme de glace fait valoir son tranchant en débroussaillant le dos du sanglier, mais son cuir est bien épais et la trace de sang qui suit est trop légère pour que la blessure soit grave. Néanmoins, il grogne immédiatement, adoptant désormais une attitude plus agressive.
(Enfin… On va pouvoir vraiment se battre !)Fulminant, la bête démarre au quart de tour et esquinte le sol dans une prise d’élan courte mais efficace. Nasillant comme s’il était en rut, il me fonce dessus, voulant faire valoir sa masse et sa tête dure. Préparé à cette éventualité, je fais un rapide pas de coté et tourne sur moi-même pour lui planter ma pique dans la cuisse à son passage. Mon coup touche, mais pas comme je l’avais espéré. La pointe s’enfonce à peine, très vite amortie par sa peau décidemment bien solide, pour se coincer dans l’interstice. Ma main bien agrippée sur l’arme ne la lâche pas, tant et si bien que je suis projeté à terre sous le choc. Bien qu’il ne m’ait tiré que sur quelques dizaines de centimètres, le passage de debout à gisant au sol est un peu douloureux. Ma lame se déloge rapidement, mais il a réussit à me mettre à terre, sans défense et sans moyen chance de le blesser sérieusement.
(Il est plus coriace que je ne le pensais… C’était peut-être une mauvaise idée.)Je me relève hâtivement en le voyant faire demi-tour et démarre une seconde charge pour en finir avec l’importun qui le trouble dans sa ballade. Les dieux semblent contre moi, je suis bien plus lent que lui et ses défenses atteignent bientôt mes fesses pour une correction bien douloureuse. La situation empire, je dois trouver un moyen de me débarrasser de lui. Heureusement que je suis bien plus doué en magie qu’en combat. Je me redresse et reste à genoux plutôt que de perdre mon temps à me relever. Dans quelques instants, ce sera finit. Un pic de glace projeté à toute vitesse dans sa tête, son crâne transpercé, le gel se répandant dans les restes de son cerveau. Il n’aura même pas le temps de regretter son geste déplacé envers mon fondement.
Je ferme les yeux pour me concentrer et cherche à faire bouger mes fluides pour lancer mon sort mortel. Mais ça ne vient pas.
(Qu’est-ce qu’il se passe ?!)Je réessaye, mais me trouve face à un mur. C’est comme si mes fluides ne sont plus pareil et que l’accès à leur source m’est interdit. Et pendant ce temps, le sanglier se lance dans un autre assaut. Il faut vite que je retrouver mes sorts ! J’en tente donc un autre, pour voir si des différences auront lieu. Vu l’urgence de la situation, le bouclier des mages pourrait me protéger de la fureur de la bête. Mais je sens toujours la barrière qui m’empêche de lancer mes sorts.
« C’est pas vrai ! »Le sanglier fond sur moi, toujours en grognant furieusement. Je me penche sur le coté en me recroquevillant pour me protéger, mais ça ne me sauvera pas. Le choc avec son crâne d’acier provoque une explosion de douleur dans mon épaule. Emporté par sa vitesse, je roule au sol en geignant pour mon bras sacrifié. Loin de s’éloigner ou de se contenter de sa victoire, il s’acharne sur ma pauvre carcasse, me poussant de son groin et me piétinant de temps à autre avec une patte avant. Désespéré, je tente de rouler sur le coté, mais je n’arrive pas pour autant à le fuir. Je remarque alors que mon épée de glace repose pas très loin.
(Si j’arrive à l’atteindre, je pourrais contre-attaquer.)Je fais encore quelques mouvements difficiles au sol, rampant et subissant toujours la grogne du sanglier. Je tends mon bras encore valide, serre le poing sur la garde et dans un regain d’énergie, je pousse un hurlement et abat mon arme en me retournant. Le pic de glace transperce sa joue gauche et vient se loger dans son palais. La bête accompagne alors mon cri, tout aussi furieux et douloureux.
Je lâche l’arme et m’écarte comme je peux, profitant de ce temps de répit pour prendre mes distances. Le sanglier semble vraiment accuser le coup et ses grands mouvements de mâchoires indiquent qu’il cherche à se débarrasser de l’arme. Ces dents massives ne tardent pas à faire crisser la glace et la lame va bientôt se casser. Je n’attends pas d’en savoir plus et je me relève pour fuir.
Clopinant, je fonce vers mes affaires pour y trouver une quelconque aide. Je dois aussi trouver pourquoi ma magie est ainsi bloquée. Je prends mon sac et enfile la bandoulière, d’une main seulement tant mon épaule gauche me fait mal. J’attrape ma chemise et me retourne pour voir si le sanglier me suit.
Et grand bien m’en a prit. Mon adversaire increvable est déjà là. Plus de trace de mon épée de glace, mais du sang coule abondamment de sa bouche et de sa joue. Il a l’air encore plus terrible comme ça. Une brute sanguinaire, aux grès acéré et aux yeux de démon ! Et il m’a vu… Il se relance vers moi chargeant pour me tuer.
Dans une nouvelle tentative de diversion, je lui jette ma chemise dessus et bondit sur le coté pour esquiver. La méthode est concluante et le sanglier s’empêtre dans mon vêtement. Je saisis ma chance et m’éloigne aussi vite que mes pas peuvent me porter. Après une quinzaine de mètres, je pense avoir semé le sanglier, ou du moins qu’il ait lâché sa vengeance, mais des pas lourds et rapides m’indiquent le contraire. L’animal passe dans les fourrés en fulminant, se rapprochant dangereusement. J’ai atteint la berge de la rivière et pénètre dans l’eau sans sourciller.
(Il ne pourra pas passer la rivière, je suis tranquille.)L’eau n’est pas trop profonde à ce niveau et je peux la passer à pied, ce qui me soulage un peu car mon épaule n’aurait pas tenu la traversée à la nage J’en profite pour tenir de mon autre bras mon sac en l’air pour éviter d’abîmer mes parchemins avec l’eau. A mi-distance, je me retourne pour voir le sanglier rendre les armes, mais je constate que j’avais tort.
« Oh non ! Il fallait vraiment que tu saches nager Tête de lard ? »Je ne m’appesantis pas sur mes vociférations car la course reprend. Je rejoins la rive au plus vite, sans trop savoir quoi faire après. Il me battra très vite à la course, il nage, et même assez bien, ma magie ne fonctionne pas. Il ne me reste plus que la hauteur ! Je scrute les environs pour trouver un arbre qui ferait un bon abri. J’en vois un assez proche qui ne sera pas trop dur escalader, mais mon bras gauche risque de bien me gêner. Quittant la rive où le sanglier posera bientôt ses sabots, je me dirige dégoulinant vers le pin salutaire, laissant derrière moi une belle traînée d’eau. Les débuts pour ma grimpette sont assez aisés grâce à une branche si basse qu’on dirait un banc –je n’ai pas choisit cet arbre là par hasard–, mais la suite se complique vite. J’ai du mal à atteindre des branchages assez solides pour me soutenir et le sanglier sort déjà de l’eau.
Je m’empresse de grimper plus haut et me jette sur un appui plus protégé, mais plus instable. Pour tenir dessus, je dois me pendre en arrière à une autre branche, si bien que la position est précaire. Pendant ce temps, le sanglier m’a localisé et bat le sol de ses sabots pour me rejoindre et me déloger de l’arbre. Vu ma situation, le moindre choc me ferait tomber. J’essaye de bouger pour raffermir ma prise, mais mes mouvements mette à mal mon sac pendu de travers dans mon dos et la seconde fiole contenant un fluide glisse pour sortir de sa prison.
Je n’ai pas le temps de pousser un juron qu’elle touche déjà le sol, se brisant et gaspillant la précieuse énergie magique. A sa libération, le fluide réagit instantanément au point que j’ai du mal à suivre du regard son effet. De ce que je peux en voir, la magie glaciale se propage à toute vitesse dans le sol, givrant l’herbe, tuant les fleurs et perçant le sol de son froid implacable. Mais ce n’est pas tout : L’eau que j’ai déversé sur le sol pour mon passage se gèle immédiatement. La plaque gelée se propage comme de la poudre qui s’enflammerait, remontant ma piste jusqu’à la rivière.
Le sanglier se retrouve donc victime de cette glace invasive en plein milieu de sa course. Le sol sous ses pattes devient une vraie patinoire et sa vitesse le prend au piège du dérapage incontrôlable. Il part donc comme un boulet de canon droit devant lui, glissant, tombant et valdinguant. Je ne résiste pas à un sourire satisfait, même si la chance a beaucoup joué en ma faveur. La masse sur pattes finit sa course contre un autre arbre, faisant trembler celui-ci sous le choc. Je profite de ce répit pour continuer mon escalade. Terrorisé par l’idée de retomber au niveau du sanglier, j’oublie toute prudence et ma douleur à l’épaule pour grimper plus haut. Ca me fait un mal de chien, mais il faut bien ça pour me mettre à l’abri. J’atteins une branche assez épaisse à bien 3 mètres de haut et je m’y hisse pour m’asseoir à cheval dessus. Quelques instants plus tard, le sanglier se remet sur ses pieds et, même s’il est encore chancelant, commence à tourner autour de l’arbre, attendant que je redescende.
(Je suis coincé… Et ma magie qui ne fonctionne pas ! Et bientôt, mon sort colère du mage se dissipera. J’ai du épuiser les trois qua… Mais ! Si… Il faut que je vérifie !)Toujours en équilibre sur ma branche, je ramène mon sac contre mon ventre et fouille à l’intérieur pour retrouver le parchemin du sort. J’étends le rouleau et parcourt rapidement les lignes déjà lues.
(Oui c’est ça, la magie est déformée pour le sort et entièrement utilisée pour améliorer la force et la robustesse du corps. Et là, ils précisent que le sort… Non mais vraiment ! Quelle idée d’écrire ça aussi petit, dans le coin du parchemin ! C’est plutôt important de savoir qu’on ne peut plus lancer de sort pendant que celui-ci fait effet !)A mon grand damne, l’indication retranscrite discrètement avait échappé à ma vigilance la première fois, histoire de me mettre en danger plus qu’il n’en faut. Au moins je connais la cause de mon problème, mais ça ne l’arrange pas pour autant : je vais devoir attendre la fin du sort. Et j’ai beau être bien calé dans mon arbre, le sanglier n’a pas dit son dernier mot.
Impatient de me voir le rejoindre au sol, il se décide à donner quelques coups bien sentis dans le tronc. L’arbre étant un peu trop vieux et rongé par la vermine, chaque choc s’en suit de tremblements qui se répercutent jusqu’à ma planque. Me tenant fermement à la branche, je tente tant bien que mal de résister.
(Je ne tiendrais pas les quelques minutes de sorts à ce rythme ! Il ne me reste pas vraiment de choix... Si je ne peux pas utiliser ma magie, je vais utiliser celle des runes.)Je profite d’une accalmie entre deux coups du sanglier pour aller chercher ma bourse dans mon sac. Dedans se trouve un pouvoir dont je viens seulement de me rappeler et qui pourrait me sauver la mise : ma rune. Je fouille précipitamment entre les pièces d’or et d’argent pour trouver le petit galet brun que m’avait identifié Moboutou comme étant un puissant artefact magique.
(Il avait dit quoi déjà ? Dai, ça veut dire arrêter. Ca peut ralentir le temps, voir arrêter quelque chose d’autre. Effet incontrôlable… il faut d’autres runes pour activer le pouvoir comme on l’entend… Ouais ben mon vieux, je me débrouillerais avec celle-là seulement, j’ai pas vraiment le choix. Avec un peu de chance, ça arrêtera mon blocage magique.)Je trouve la pierre, non sans perdre la moitié du contenu de ma bourse au sol, la cale entre mes doigts et caresse du pouce sa surface gravée. Un nouveau choc me force à m’agripper de nouveau sur la branche. Ca presse vraiment maintenant. Me rappelant de la méthode d’activation, je la sers dans ma paume et tend ma main vers le sanglier, au cas la rune puisse arrêté son cœur, sa colère ou je ne sais quoi. Mais à ce moment là, il provoque un nouveau soubresaut dans l’arbre. Un bras tendant la rune et l’autre blessé, je n’ai que mes jambes pour me tenir et c’est loin de suffire. Je bascule sur le coté et me retrouve tel un cochon pendu, jouissant d’un retournement de situation bien ironique –sans faire de mauvais jeux de mots–. Avant de lâcher, je me dépêche d’activer la rune en espérant un miracle.
« DAI ! »Je sens comme une petite décharge électrique dans ma main, tandis que des rayons lumineux s’échappent entre mes doigts. Et en même temps, mes jambes fatiguent et la chute démarre. Mais j’ai l’impression de tomber au ralenti. Le sanglier à mes pieds recule à la vitesse d’un escargot et le sol ne s’approche de moi que trop progressivement. Visiblement, la rune a ralentit la chute, mais aussi mon adversaire. Même mes mouvements pour essayer de rattraper la branche sont extrêmement lents. C’est comme si mon cerveau tournait une centaine de fois plus vite, mais que le reste demeurait inchangé. A moins que ce soit tout ce qui m’entoure qui ralenti par rapport au monde et ma tête. J’essaye de comprendre ce qui se passe et me lance dans des réflexions philosophiques sur la relativité du phénomène. Après tout, j’ai le temps maintenant.
Le temps semble si ralentit que ma chute peut encore durer quelques heures. C’est vraiment un drôle d’effet et je peux porter mon attention sur une foule de détails qu’on ne remarque pas d’habitude : Mon sac qui se vide à moitié sous moi ; les yus qui couvrent déjà le sol et reflètent l’éclat du soleil ; le sobre bruit du vent glissant entre les branches ; les aiguilles de l’arbre qui pleuvent autour de moi ; un couple de merles qui observent silencieusement la scène ; le sang qui suinte sur le visage furibond du sanglier…
Il se passe un long moment avant que j’atteigne la moitié du trajet et que je commence à paniquer sur la suite des événements. Heureusement, le temps semble avoir beaucoup avancer contrairement à notre scène et je sens un calme et une lassitude soudains, comme si mes forces s’étaient évanouis. Et dans le même temps, c’est comme si un glacier avait fondu soudainement, libérant les flots de mes fluides jusque là figés dans la glace.
(Je suis de nouveau libre !)Lâchant la pierre vidée de sa magie, je tends un index accusateur vers le sanglier et rassemble mes forces magiques pour l’abattre une fois pour toutes. La rune faisant encore effet, tous mes mouvements se font au ralenti, mais ma cible étant aussi lente que moi, ce n’est donc pas trop gênant.
Avant de toucher le sol, j’ai pu projeter un pic de glace, avec beaucoup plus de puissance et d’impact que lorsque que je le manipule en épée. Le porc, transpercé de part en part, exhale son dernier souffle avant que je ne mette pied à terre. Profitant de ma perception rapide des événements par rapport à la lenteur des actions, je comprends mieux ma chute et arrive à esquisser une position amortissant une partie de celle-ci.
Après une roulade au ralenti, je reste au sol, récupérant mon souffle et essayant de taire la douleur. Au bout d’un moment, la rune doit cesser de faire effet. Je ne m’en rends pas trop compte, comatant presque sur le lit d’aiguilles gelé auprès de la bête morte et maudissant ma stupidité.
(Le sort rend enragé… « Aucun problème, je peux gérer ça… » C’est pas comme si j’allais provoquer gratuitement un sanglier sur son territoire…)(((Perte d'un fluide 1/16 et de la rune Dai)))> suite