Je reste en retrait alors que Sha'ale s'approche des portes de la cité Thorkine, puis frappe trois coups au moyen du heurtoir massif disposé sur l'un des battants. Bien loin des légers heurts auxquels je me serais attendu au vu de la probable épaisseur des portes, ce sont de véritables coups de tonnerre qui résonnent dans les montagnes! Je souris pour moi-même en me disant qu'un seul coup aurait suffit, tout en examinant les environs, rendu un peu nerveux par l'ampleur du son produit. Les minutes s'écoulent sans que rien ne bouge, et si cela me rassure concernant les alentours, je commence à me demander si les Thorkins vont se décider à nous ouvrir...
Les lourds battants de pierre pivotent soudainement, sans le moindre bruit à ma grande surprise, et trois Thorkins en sortent aussitôt, que j'observe avec curiosité, n'ayant que très rarement vu des représentants de cette race. Ils sont de petite taille, trapus, barbus et chevelus, leurs traits sont rudes, comme taillés dans la pierre de ces montagnes qu'ils affectionnent. Néanmoins, leurs ornements pileux sont très soignés, ornés de parures, et leurs vêtements sont de bonne facture, tout comme les haches qu'ils arborent ostensiblement. Sha'ale les salue aussitôt en leur demandant très poliment l'autorisation pour nous de visiter leurs galeries, puis nous présente alors que le nain l'interroge sur notre identité. Je me retiens de lever les yeux au ciel lorsque il avance que j'ai obtenu les faveurs des Hinïons, ce qui est quelque peu exagéré, mais au fond je ne suis pas mécontent de le laisser palabrer avec les gardes, sachant que les relations entre les Thorkins et les Sindeldi ne sont pas forcément des plus cordiales. Mon ami Woran se débrouille d'ailleurs très bien, le chef des trois défenseurs semble satisfait de son discours et souligne qu'ils n'apprécient pas les esclavagistes, mais qu'en revanche ils font confiance aux Taurions et Hinïons pour empêcher les indésirables d'approcher. Une information intéressante, qui me confirme que leurs relations avec le peuple d'Ethëll sont bonnes, ce qui serait loin d'être anodin si les Shaakts venaient à envahir Hidirain. Ces derniers semblent par ailleurs fouler un peu trop souvent les montagnes au gré du Thorkin, et lorsque je passe devant lui après qu'il nous ait autorisé à passer, je lui adresse un sourire cordial en disant:
"Les ennemis des Shaakts esclavagistes sont mes amis. Faites appel à moi si d'aventure vous aviez quelques problèmes avec eux, je serais ravi de mettre mes lames au service d'Hidirain et de Rock Armath."
Le Thorkin me dévisage avec une certaine méfiance teintée de surprise, mais approuve d'un hochement de tête en remarquant toutefois de son ton bougon:
"Mouais, enfin tâchez déjà de ne pas vous perdre dans les mines de notre cité, sans quoi vous aurez d'autres préoccupations que les Shaakts, Sindel."
J'éclate de rire à ses paroles, lui rétorquant:
"N'ayez crainte, maître Thorkin, les joyaux que je convoite brillent sous les étoiles. Ils sauront me ramener de vos profondeurs, si merveilleuses soient-elles!"
J'emboite sans plus tarder le pas à Sha'ale qui déjà franchit les portes, et nous nous retrouvons vite à arpenter le sol d'une galerie de vaste taille qui plonge en pente douce dans les entrailles de la terre. Dès que nous sommes hors de portée d'ouïe des Nains, je complimente mon ami:
"Tu t'es rudement bien débrouillé avec ces Thorkins, je ne pensais pas qu'ils nous laisseraient entrer si facilement!"
Nous parcourons une centaine de mètres avant de parvenir au terme de la galerie d'entrée, et le spectacle que je découvre alors me fait siffler doucement entre mes dents de stupéfaction. Un vide, immense, colossal, si démesuré que je me demande par quel miracle la montagne ne s'est pas encore effondrée...La galerie tourne à angle droit, se poursuivant sous la forme d'une rampe vertigineuse à flanc de paroi, dépourvue de la moindre barrière, mais plutôt que de m'y diriger immédiatement, je m'approche du rebord avec prudence, peu désireux d'emprunter ce raccourci déconseillé vers la ville proprement dite, située en contrebas. Incroyable vision que cette caverne qui pourrait contenir, qui contient, toute une cité! Les ténèbres et les lueurs se mêlent pour former un tableau de toute beauté, majestueux, grandiose. Je remarque que la majeure partie de l'éclairage provient de puits de lumière percés dans les plafonds presque indiscernables dans leur obscurité, disposés de manière à éclairer savamment de véritables palais artistement sculptés autant qu'un invraisemblable dédale de rues, de ponts, d'escaliers, de demeures de toutes tailles. Un grand nombre de torches ou de lampes semblent compléter ce dispositif, mais de là où nous sommes, ce ne sont que de minuscules lucioles rougeoyantes qui, seules, ne nous permettraient pas même de distinguer le sol avec netteté. Après quelques instants de contemplation émerveillée devant cette manifestation incontestable de la grandeur de ce peuple, je me tourne vers Sha'ale pour lui demander:
"Par Sithi, tu as vu ça?! J'imaginais bien que c'était grand, mais là..."
Je secoue la tête, encore incrédule de ce que j'ai pourtant sous les yeux. Je rajoute à mi-voix:
"Si on veut avoir une chance de trouver quelque chose dans cette immensité labyrinthique...m'est avis qu'il va nous falloir trouver plus d'informations sur ces reliques, et si possible un plan, ou mieux, un guide, sans quoi..."
Je laisse ma phrase inachevée, n'éprouvant pas le besoin de souligner davantage l'évidence: nous pourrions sans doute errer des années là-dedans sans parcourir deux fois la même galerie, et sans espoir de jamais retrouver la sortie à voir le nombre incalculable de tunnels dont on distingue tout juste les entrées. J'aperçois à cet instant un Hinïon lourdement chargé d'une hotte qui remonte la rampe, s'approchant de nous, et je le hèle sans hésiter:
"Bonjour! Dites-moi, pourriez-vous nous indiquer un endroit dans cette cité où nous pourrions obtenir quelques renseignements?"
L'Elfe s'arrête un instant, essoufflé par la longue montée, puis me répond:
"Il y a l'Auberge du Troglodyte, juste au bas de cette rampe, si vous ne connaissez pas la ville je vous suggère de commencer par là. Le tenancier pourra vous fournir un guide si vous êtes prêts à débourser quelques yus. Un investissement que je vous recommande sans hésiter, rien n'est plus facile que de se perdre dans ce dédale."
Je le remercie chaleureusement de son conseil, puis lorsque il a repris son chemin je me tourne vers Sha'ale:
"Je propose de suivre ce pertinent conseil, qu'en dis-tu? Enfin, de toute manière il faut descendre, pour commencer."
Ce que j'entreprends de faire sans plus attendre, nous avons tout le temps de discuter au fil de la longue et vertigineuse descente qui nous attend, si besoin.
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