- « Hey, réveille-toi ! »
Ylias me secoue l’épaule. L’après-midi a été longue. Très longue. Je n’ai pas vu les nains repasser dans l’autre sens, mais leur brouette n’est plus sur la plage. Je présume qu’ils sont repartis de l’autre côté. Il ne nous restait plus qu’à attendre la tombée de la nuit. Et en été, le soleil prend des airs d’insomniaque.
Je me lève, Ylias a déjà allumé deux torches, crépitant joyeusement et envahissant notre refuge humide d’une lumière chaude et flamboyante. Heureusement que le jeune homme a trouvé de quoi les confectionner, parce que la nuit est sombre. Une épaisse couche de nuage, menaçant de crever à tout instant, nous sépare des éclats de la lune. Sur la plage, l’obscurité est complète.
Nous nous mettons en route. Gagnés par l’excitation d’une probable découverte, nos pas sont rapides et vifs. Sans tarder, nous arrivons à la grotte que nous avions quittée quelques heures plus tôt.
- « Tu as remarqué ? On n’a pas passé le petit bras de mer de ce matin. L’eau est beaucoup plus reculée, la marée est descendue. J’suis sûre qu’il n’y a plus d’eau dans la grotte. »
- « Allons vérifier ça ! »
Je ne voyais le visage d’Ylias que par intermittence, au rythme des flammes de sa torche, mais je devinais le sourire se dessiner sur ses lèvres.
Pour escalader les rochers, nous devons effectuer quelques tours de passe-passe avec nos torches. En avoir une seule pour deux aurait été plus confortable pour nos mains, mais cela aurait été trop imprudent, tant la nuit est enténébrée. Comme plus tôt dans la journée, nous arrivons sur la plate-forme rocailleuse, que nous contournons pour atteindre l’entrée de l’abri-sous-roche. Cette fois, plus d’émerveillement, plus de lumière. Juste l’orangé de nos flammes qui dansent sur les murs, faisant chatoyer çà et là quelques diamants.
Nous nous enfonçons dans la caverne, laissant derrière nous le bruit des vagues qui s’échouent sur la plage et les grondements sourds d’un orage naissant. Rapidement, nous arrivons dans la zone couverte par l’eau en journée. L’humidité est étouffante. Le chemin, pour autant qu’on puisse parler de chemin, n’est pas facile à emprunter. Il nous envoie dans le fond de la grotte, en une descente abrupte. La mousse qui couvre les roches la rend glissante à souhait et, plus d’une fois, j’ai dû m’agripper aux parois glaciales et mouillées pour ne pas tout dévaler sur les fesses. Ylias n’a pas beaucoup plus facile que moi. Il me précède et avance prudemment, la torche brandie devant lui.
(J’ai l’impression qu’on descend au fond d’un puits !)
J’ai du mal à imaginer que tant d’eau s’engouffre ici la journée, pour laisser tout cet espace libre une fois la nuit tombée. Mais il est vrai que la mer s’y engouffre par différents côtés, car la grotte était, cette après-midi, complètement entourée d’eau.
- « On y est. On est au fond. »
Devant moi, Ylias s’immobilise. Nous sommes en effet au bout du boyau, donnant sur une petite salle, bien plus étroite que la première, constellée de pierres précieuses. Nous ne savons pas vraiment ce que nous cherchons, je présume que l’arc n’est pas posé tel quel sur un autel érigé en son honneur.
Impatiente, j’effectue le tour de la pièce, éclairant de ma torche les moindres recoins de pierre, de roche, de mousse. Derrière moi, Ylias s’écrie :
- « Ici ! »
Il me désigne, dans la roche, un dessin gravé représentant un souffle de vent. Ça ne peut être que ça. Ylias réfléchit à voix haute, me faisant part de son raisonnement.
- « D’accord. Un souffle de vent… C’est sans doute un indice. Le vent nous indique une direction… Là, sur la droite. Donc… »
Tout en raisonnant, il se lève et se dirige dans la direction indiquée.
- « On devrait creuser ici. Mais on n’a pas de pioche avec nous. Ça ne va pas être simple de s’en procurer ici, à Khonfas. Je pense que si nous retournant à la taverne du… »
Je ne l’écoute plus. Accroupie devant ce dessin, mes pensées se perdent. Mes doigts effleurent la gravure, mes yeux la contemplent avec précision. Une petite irrégularité sous mon index attire mon attention...
(Peut-être que si je… Ouais !)
J’ai appuyé. Un mécanisme sourd se met en route. Sous mes yeux ébahis, je regarde la roche bouger, se mouvoir et… s’ouvrir sur une petite trappe. L’arc est là. Ylias est derrière moi, il a rapidement laissé tomber son discours pour observer le phénomène. Tels des enfants devant un tour de magie, nous sommes abasourdis. Je n’ose pas toucher l’objet, de peur qu’il ne s’agisse que d’un mirage.
Lové dans un grand coffret orné de coussin de velours, l’arc est là, en parfait état. Le bois qui le compose est aussi blanc que la neige et finement taillé. Orné de fleurs et végétaux, il me semble extrêmement fragile.
Réalisant que nous y sommes arrivés, que nous avons TROUVÉ L’ARC, je bondis de joie, poussant de petits cris de victoire qui résonnent dans toute la grotte, joyeusement accompagnée par Ylias. Nous dansons, nous sautons, nous fêtons cette trouvaille spectaculaire.
Une fois l’euphorie calmée, j’ai toujours du mal à réaliser notre exploit. Cet objet, recherché depuis tant d’années par de multiples personnes, c’est nous, NOUS qui l’avons.
(On l’a trouvé ! On l’a trou-vé ! Youhouu !)
- « Allez, vas-y. Toi d’abord. »
Ylias hésite encore un instant, comme s’il voulait graver à jamais ce moment dans sa mémoire. Délicatement, il prend l’objet entre ses mains.
- « Waouw ! Il est super léger ! Regarde ça ! »
Il me tend l’objet. J’ai peur de le briser. Avec précaution, je l’accueille entre mes doigts et le manipule doucement, le tournant dans tous les sens pour en observer les multiples détails.
- « Tu sais, il est incassable. Il est léger et semble fragile, mais il est solide comme la pierre. »
Le Taurion a beau m’en avertir, je prends toujours grand soin à manipuler l’arc. Sa taille est idéale, il n’est pas trop grand, pas trop encombrant. Mais suffisamment pour que les flèches soient puissantes. J’ai hâte de voir Ylias s’en servir pour découvrir avec lui toutes les possibilités d’une telle arme. Elle me fascine, littéralement.
- « Allez, t’as l’air tellement admirative que j’vais être sympa. Je prends les torches, et tu portes l’arc jusqu’à la grotte dans laquelle nous dormirons. Ne restons pas ici. »
L’elfe parlait d’un air moqueur, en me faisant un clin d’œil. C’est sans doute idiot, mais je suis heureuse, oui, et fière, de pouvoir l’apporter dans notre refuge improvisé. Il ne faut cependant pas que je donne trop raison à Ylias et une petite pique se doit d’être rétorquée.
- « Gnagnagna ! Moque-toi seulement ! Comme si tu n’étais pas en extase, toi ! Avoue que tu ne tiens pas en place et que tu rêves de l’essayer ! »
Un large sourire me prouvant que j’avais raison illumine sa figure. Puis, il se met en route, premier à remonter le long tunnel glissant menant vers la salle de l’entrée de la grotte. Le trajet de la remontée me semble moins long que la descente. Nous apercevons enfin l’entrée, donnant sur un ciel toujours aussi sombre, lacéré d’éclairs blancs, éclairant le temps de quelques secondes l’ensemble de la côte. La pluie tombe à violemment, il règne dans la grotte un boucan infernal.
_________________
|