Eaux TroublesBrulis
L'oracle n'eût rien pu dire de plus sur sa vision. Lui et Xenair, coopérer ? Mais pourquoi ?
L'idée que les dieux sombres aient des plans pour lui effrayait Agadesh. Les prédictions de l'oracle étaient irrévocables. Il lisait les lignes suivantes, déjà écrites dans le livre de Zewen, cela se passerait qu'il le veuille ou non. Mais... Dans quelles circonstances cela pourrait être possible ? Agadesh s'imaginait mal pouvoir sombrer dans le feu de la colère et la malveillance, mais d'un autre côté, il n'avait jamais eu à vivre avec sur le long terme.
Toutes ces informations ne faisaient que soulever des questions supplémentaires, le perturbaient toujours plus. Il en avait envie de vomir. Il en avait envie de pleurer.
Le nomade était resté statufié après cette dernière phrase de l'oracle, en était resté mutique. Manisha avait préféré ne rien ajouter. Comme l'oniromancienne et son mari ne pouvait pas plus l'aider, la liturge le guida dehors alors qu'il gardait le regard fixe et la bouche muette.
Ils quittèrent leur domicile et descendirent les dalles ramenant aux rues d'Oranan. Agadesh marchait comme un vieillard, descendant laborieusement marche par marche, comme s'il avait du mal à rester debout. Manisha guida leurs pas le long d'une rue, et le bédouin força pour s'appuyer contre un mur. La liturge ne savait pas où se mettre, que faire et que penser.
Il bafouilla, la tête penchée collée au mur :
"Je... Je ne comprends pas."Manisha resta muette.
"Est-il possible... que je devienne mauvais ?"Elle pleurait, mais sa voix se voulait rassurante :
"Vous... Vous êtes quelqu'un de bien Agadesh, n'en doutez pas.Agadesh s'emportait, et il se surprenait à pleurer à son tour sous cette pression :
"Mais... Vous l'avez entendu comme moi ! L'individu que je recherche, Xenair... C'est un monstre ! Il a bafoué mon peuple. Sa vie n'est qu'une suite de meurtres, d'hécatombes et pratiques obscures. Et moi, je serais un jour à ses côtés ? Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir m'arriver pour que j'en arrive là ? Vous... Vous me connaissez à peine Manisha. J'en ai fait, des choses horribles dans ma vie, mais c'était toujours pour de bonnes raisons ! Vous savez ce que ça fait vous, de tuer encore et encore ? De lutter sans cesse pour votre survie et celle des vôtres ? On croit devenir fou. Dans le désert, je pouvais supporter ça... Le clan, le roi, Balamon, Bes, Eshmoun, tous... Leur présence m'aidait, il n'y avait même pas besoin de parler. Mais là, je n'en peux plus.""Moi, je suis là Agadesh, avec vous. Calmez-vous, respirez. N’interprétez pas trop vite les paroles de l'oracle, on sait juste que vous coopérerez à un moment donné. Peut-être l'abuserez-vous ? Peut-être lui feriez-vous entendre raison ?"Le fils du désert hurla de plus belle, attirant l’œil de mercenaires non loin.
"Raison ?! Il n'existe aucune raison pour les gens de ce genre ! Cela fait longtemps qu'il l'a perdu, la raison !"Cette attitude agressive n'arrangeait rien à l'émotion de Manisha, qui se sentait presque attaqué :
"Je ne sais pas, Agadesh, je ne sais pas...", dit-elle comme pour se défendre.
"Je... Je suis désolé, Manisha. Je... Je suis quelqu'un de dangereux. Je dois... Je dois quitter cette ville. Au plus vite. Je sens... Je sens que si je reste, un malheur s'abattra sur vous. Aidez-moi à quitter cette ville. Maintenant.""D'accord. D'accord. Je vous emmène jusqu'à la zone d'embarcation des vaisseaux elfes gris, vous pourrez y prendre un cynore qui vous mènera à Kendra Kâr."Manisha le mena par les rues d'Oranan. Agadesh suivait comme un automate, l'esprit enfermé dans une bulle d'effroi s'auto-alimentant. Elle se fit à un moment arrêter par un garde lui demandant pourquoi cet empressement soudain à quitter la ville. Il le remarqua à peine, la liturge avait cependant réussi à s'en défaire rapidement.
"Là, c'est le cynore pour Kendra Kâr ! Il est sur le point de partir !"Le fils des dunes sembla émerger de ses pensées à cette évocation et il fit un premier pas pour partir, attraper le cynore avant qu'il parte. La main de Manisha l'arrêta dans son élan.
"Attendez ! Ne partez pas comme ça !"Agadesh se retourna, ne rajoutant rien.
"Promettez-moi, une fois que vous en aurez fini... avec ce Xenair, avec votre quête, avec toute cette histoire... de revenir. De revenir me voir."Cette sensation recommença dans le cœur du nomade. Elle était si belle, dans sa robe blanche. Et elle pleurait, à cause de lui. Son visage rougeoyait d'avoir produit tant de larmes. Il n'avait pourtant pas de doute. C'était elle, la femme qui faisait brûler son cœur. Mais il devait la laisser.
Il lui prit le visage entre les mains et l'embrassa tendrement. Le goût de leurs salives se mélangeait à celui salé des larmes. Lorsque ce fut fini, le front contre son front, il lui répéta dans ce qui tenait plus du soupir ému que de la véritable phrase :
"Je vous le promets. Je vous le promets. Je vous le promets. Je vous le promets. Je vous le promets."Il se retourna vers l'embarcadère du cynore. Les elfes gris étaient déjà en train de plier bagage. Il fit signe de l'attendre. Il s'avança vers un elfe qui récoltait le prix du trajet Oranan-Kendra Kâr et eût un dernier regard, le cœur lourd, vers Manisha. Peut-être ne pourrait-il jamais tenir sa promesse, peut-être ne laissait-il ici de lui que les cendres de son passage.
Intervention GMique (GMX)
(méthode peu conventionnelle, mais je sais pas comment intercaler un post...)
Après s'être occupé du règlement des voyageurs précédant Agadesh dans la file, l'elfe gris se tourne vers lui. Dans sa tenue élégante, non sans rappeler un uniforme - d'autant plus que sa veste bleu marine arbore une broderie en fil d'argent représentant deux lettres, A & G, mêlées avec ce qui ressemble à un vaisseau des airs stylisé - il s'adresse à l'homme du désert avec la mine avenante, au sourire quelque peu artificiel, de celui qui a à coeur la satisfaction de la clientèle :
"Vous souhaitez sans doute gagner Kendra Kâr ? Cela vous coûtera 65 yus. Nous atteindrons la ville dans les délais habituels, quatre heures sans doute, en raison du temps clément. Mais hâtez vous d'embarquer, nous ne pouvons nous permettre de retard, certains de nos clients ont des affaires pressantes."
Disant cela, il balaie du bras l'air derrière lui, désignant le cynore accueillant déjà un nombre de passager approchant de sa capacité maximale.
Une fois qu'Agadesh aura remis les yus à l'employé d'Air Gris - celui-ci les glissera dans une sacoche qu'il porte sous sa veste, près du corps - le décollage pourra s'effectuer, sans encombre.Brulis (Suite)
Le cœur ailleurs, Agadesh acquiesça de la tête à l'interrogation de l'elfe et lui remis la somme demandée. Il regarda une nouvelle fois derrière lui et s'avança vers le cynore.
Fenghuang
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Playlist d'Agadesh
Quand on voyage vers un objectif, il est très important de prêter attention au chemin.
C'est toujours le chemin qui nous enseigne la meilleure façon d'y parvenir, et il nous enrichit à mesure que nous le parcourons.
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Paulo Coelho, Le Pèlerin de Compostelle