< Les rues"
Aaaahh ! Par Valyus c’est insupportable ! Lâche-moi ! "
"
C’est pour ton bien, et pour ton honneur ! "
Le cri se fit plus intense.
"
Aaaaahh ! "
"
La douleur est toujours moins forte que la plainte. Ecoute ! "
Onor se débattait de plus en plus, l’inhibition provoquée par l’alcool ne contenait plus les débordements des messages biochimiques envoyés par les nerfs soumis au rude traitement. Le cerveau du nain commandait désespérément la fuite physique. Son corps, solidement maintenu par l’Instructeur, ne pouvait obtempérer. L’ensemble souffrait ardemment.
"
Ca y est ! " s’écria l’Instructeur. "
Le seau Dwergal ! "
Le forgeron à la barbe de feu posa le bac remplit d’eau et de glaçon. Il jeta un coup d’œil sceptique à la scène. Onor était maintenu la tête à quelques centimètres des braises encore incandescentes de la cheminée de la forge. Son visage roussissait à vu d’œil et de la fumée semblait même naitre sur sa barbe. L’instructeur redressa sa proie et enfonça sans ménagement la tête du guérisseur dans l’eau glacé servant traditionnellement au refroidissement des métaux.
"
Ne t’ai-je pas enseigné que tous les maux viennent de la tête. Il faut guérir la tête ! " s’exclamait le vieux nain.
Des bulles d’oxygène s’échappaient du seau en guise de réponse. Onor agitait frénétiquement les mains dans tous les sens mais sa position rendait tout geste superflu. Dwergal soupira :
"
Instructeur, tu sais qu’on se connait depuis longtemps maintenant et que je respecte tes enseignements, mais je ne suis pas sur que ce soit un bon remède ce que tu lui offres là ! Vous devriez plutôt allez prendre quelques bière à l’Enclume non ? "
"
On en ressort mon cher Dwergal Heaume-de-Pierre ! C’est bien pour cela que je suis ici même dans ta forge et que nous n’en ressortirons que lorsque le voile de l’apitoiement capiteux se lèvera pour l’amener à résipiscence ! "
Sa tirade terminée, il laissa Onor relever enfin la tête de son contenant liquide. Le nain prit une énorme inspiration salvatrice, éclaboussant au passage les deux autres protagonistes de ce traitement de choc. S’agenouillant sur le sol humide, Onor reprenait peu à peu conscience de son environnement proche. Il regardait l’âtre de la cheminée où il avait été soumis au feu de la braise. Autour de lui, outils, armes, pièces et armures s’exposaient à ses prunelles dilatées. Sa respiration haletante témoignait de sa commotion. On lui laissa le temps de se relever et de fixer avec colère les deux comparses. Pointant l’Instructeur du doigt :
"
Vaurien ! Fripouille ! Quelle idée sadique de me traiter comme un fer à battre alors que je mérite la paix et la compassion ! "
L’Instructeur se libéra de son expression espiègle pour afficher le ton sérieux qui sied aux évènements graves. Son timbre se fit plus grave, sa voix prophétique.
"
Tu as retrouvé ta lucidité à ce que je vois, c’est bien… La question Onor, celle qui se pose aujourd’hui, celle qui est primordial, celle qui fera ce que tu seras, cette question là, ce n’est pas de savoir si tu mérites ou nom le destin que t’ont forgé les dieux, non. "
Il reprit un peu de souffle, laissant planer un silence calculé.
"
La mort de tes parents m’atteint au plus profond de mes entrailles mais le deuil est une convalescence. Il y a une contagion dans la mort que nous devons nous efforcer de contrer. L’honneur, la perpétration de la fierté de la lignée, telles sont les cures à ce poids. L’alcool jeune coq ne t’en libère pas ! La question aujourd’hui est de savoir si tu vas te faire supporter le poids de cette convalescence comme un fardeau ou si dans l’euphorie de ce qui reste en vie, tu vas te dresser et rétablir ton estime ici même à Mertar. Mais pour cela il faut partir… "
Onor sembla alors plongé dans une sorte de rêve éveillé qui défilait au son des mots de son mentor.
"
La paroi…elle glisse… instable… cela n’est pas naturelle, cela est voulu ! Tu le sais toi oui ! Tu le sais ! "
Les yeux striés de l’ancien s’abandonnèrent au vide de l’esprit. Absorbé, L’Instructeur gardait l’impassibilité faciale d’une statue, les seuls plissements étant dus au reflet rougeâtre des braises sur son visage.
"
Tu dois partir Onor, et me laisser le soin de tirer ça au clair. Ton rôle n’est pas de te morfondre ici, ce n’est pas ça. Ce que je t’ai enseigné, tu dois t’en servir pour aider tes frères nains et tes sœurs naines. Onor tu es unique, tu maitrise les fluides de lumière, tu es celui qui sert pour guérir. Sert Mertar, sert ta nation ! "
Onor s’emporta aux mots du nain. Sa main droite au cœur, il frictionnait son manteau encore trempé.
"
Quoi ! Partir alors que mes géniteurs ont péri dans des circonstances invraisemblables, où tout le monde se convainc et veut me convaincre qu’il ne s’agit là que d’un accident. Foutreries ! Toi-même tu admets, on les a assassiné, c’est un attentat. Je dois trouver qui a fait une telle horreur et pourquoi ! Pourquoi… "
Onor s’assit et replongea dans sa peine. La perte de proche était pour un nain la souffrance la plus dure à endurer, mais perdre ses parents avant l’âge, cela était aussi terrible que de perdre un enfant, cela était une injustice au chemin de la vie. Dwergal fixait le sol d’un air sombre. L’Instructeur reprit son interlocuteur d’une franchise touchante.
"
Ce n’est pas partir loin ni pour toujours Onor, c’est t’écarter de l’activité de la ville pour me laisser œuvrer en paix et pour te permettre à toi, Onor, de retrouver une certaine sérénité et éviter une dérive que je sentais venir et qui m’inquiète. Pour cela tu dois quitter l’atmosphère moribonde de Mertar tout en restant proche de Mertar. Partir pour mieux revenir. Apprendre pour mieux comprendre. Tu reviendras grandi et grand, et ta grandeur t’offrira de grandes opportunités. Quant au mal qui entame la vie de cette ville et qui a pris celle de tes parents, tu dois me laisser faire jusqu’à que tu sois prêt. "
"
C’est beaucoup de grands mots pour un petit être. " répliqua-t-il résigné.
Regardant le forgeron et le nain à la barbe blanche.
"
Que dois-je faire Instructeur ? Où dois-je me rendre pour acquérir cette connaissance qui me permettra de tout comprendre, même peut-être les elfes qui sait… "
Un sourire discret apparu sur le visage de l’Instructeur. Il se frotta les mains.
"
A la bonne heure mon petit… "
Fouillant dans sa petite sacoche il en retira un petit morceau de papier qu’il tendit à Onor. Ce dernier s’en empara et le lut en fronçant les sourcils.
"
C’est l’adresse de la milice ça non ? Je croyais qu’ils se défiaient de la magie là bas. "
"
C’est plutôt vrai ! " ricana le nain, "
mais ne sous-estime pas tes aptitudes à y entrer et à y servir fidèlement Mertar, hors de Mertar ! Ta magie les servira plus qu’ils ne le pensent…et tu sais toujours te servir de ta mailloche je pense. "
Onor regarda de nouveau le petit bout de feuille et sentit venir en lui un sentiment qu’il n’avait plus ressenti depuis la mort de ses parents. Le désir…le désir profond d’agir et de se battre pour un objectif, des idéaux, la patrie naine. Tout ce temps gâché à boire, ressasser, boire, s’enivrer, déprimer. L’atonie l’avait fais devenir ce qu’il haïssait et refusait le plus au monde : un légume.
"
Valkyor, je t’avais perdu ! Instructeur… j’irais, foi d’Onor. "
Un mollard vint s’écraser sur le plancher de la forge de Dwergal, qui approuva d’un signe de tête. L’Instructeur cracha à son tour. Onor prit congé de leur présence, ravivé par un nouveau feu tout aussi flamboyant que celui qui animait la forge dans son activité. Avant d’en franchir le seuil, il se retourna une dernière fois vers son mentor.
"
Trouvez qui a fait ça à mes parents. "
"
Je ferais tout pour " répondit l’aîné avant qu’Onor ne disparaisse définitivement.
L’encadrement de la porte se rabattit dans un bruit sourd, il ne restait désormais que deux nains dans la forge. Le forgeron dévisageait l’Instructeur. L’Instructeur lorgnait le forgeron. Finalement, l’artisan rompit le silence.
"
T’es quand même un drôle de nain toi, tu l’as convaincu en aussi peu de temps qu’il faut pour dire chouffe*! "
"
La rhétorique c’est comme la musique, il faut savoir jouer des cordes sensibles " répondit l’Instructeur. "
Et pour convaincre, la vérité ne peut suffire… "