Hivann ne rêva pas. Le temps passa en une seconde pour lui, car le souvenir de son envoûtement lui était encore très clair quand il ouvrit les yeux. En revanche, bien évidemment, tout avait changé autour de lui. Plus que l'obscurité de la chambre de Lùthian, c'était dans un noir dont rien ne semblait atteindre son œil qu'il se retrouva. Il dû se baser sur d'autres sens pour deviner où il était. Et de toute façon, ce n'était pas non plus une tâche impossible à réaliser. La pierre humide sur laquelle il se trouvait, les gouttes tombant du haut de sa cellule et les chaînes qu'il avait autour de ses poignets donnaient du sens à tout cela. Ce qu'il avait prédit était arrivé : on savait qu'il avait tué Umordîl et il allait certainement être jugé.
Mais une autre chose lui vint en tête... Ce visage brûlé. C'était arrivé trop vite pour qu'il comprenne, mais cet homme semblait bien le connaître. C'était comme s'il avait d'autres ennemis dont il ne se rappelait pas. Cependant, il n'eut pas à s'interroger bien longtemps. Car comme si on avait attendu qu'il se réveille, une porte s'ouvrit et une lumière éblouissante vint agresser ses yeux. Les torches mouvantes l'empêchèrent de réaliser qui pouvait bien se trouver face à lui, mais ceux qui les portaient l'arrachèrent à ses chaînes et n'attendirent pas même qu'il se mette sur ses pieds pour le traîner à l'extérieur. Sur le chemin, on ne se priva pas même pour lui administrer plusieurs coups sur la tête, le sonnant régulièrement et l'empêchant de comprendre le chemin qu'ils empruntaient. Le seul moment où il eut du répit fut l'instant où on lui fit prendre une sorte d'ascenseur, comme celui qui lui avait permis d'entrer dans la ville haute, mais plus petit et fermé. Mais à la sortie, on recommença à le frapper tout en l'amenant en haut de nouvelles marches. Cela s'arrêta quand enfin, il entra dans une salle particulièrement décorée. Ce n'est qu'en collant son visage contre le tapis d'un formidable ouvrage qu'il comprit qu'en se relevant, il verrait Amaury, le maître nain qui avait orchestré tout cela. Ce dernier l'empêcha toutefois de faire cet effort en élevant sa voix.
"Je vous préviens, Goont. Si vous commencez à me mentir effrontément ou à jouer l'innocent, vous n'apprécierez pas ce que je vais vous faire."
Hivann acquiesça dans un grognement douloureux. La douleur des coups le quitta progressivement et il put réaliser un peu mieux dans quelle situation il se trouvait. Il avait tous ses vêtements, mais aucune arme ni son paquetage. Il avait au moins sa magie, mais elle était affaiblie et il y avait au moins trois gardes derrière lui qui l'avaient emmené jusqu'ici. Deux têtes de moins les séparait en taille, mais ils n'en étaient néanmoins plus forts et nombreux. Quand il releva enfin la tête pour voir son adversaire, il vit que ce dernier n'était pas seul. Trois personnes l'accompagnaient. Il ne reconnaissait aucune d'elle, si ce n'était l'homme au visage brûlé. Ce dernier revêtait une fine armure de cuir ainsi que des lames de jet en bandoulière. Les deux autres étaient cependant un peu plus atypiques : un jeune homme assis dans un fauteuil roulant, tout en bois et de facture franchement discutable. Sa mâchoire édentée pendait, comme s'il était incapable de la fermer et ses yeux semblaient fixer un tunnel sombre tant il ne réagissait à rien autour de lui. Derrière lui, une femme d'âge mûr : probablement le même que celui d'Hivann. Elle n'avait rien de la qualité de vie d'Amaury ou du mage non plus : elle était grosse, son visage était bouffi et asymétrique et elle ne portait qu'une simple robe grise. Quant à Amaury, il n'avait pas changé. Il était toujours aussi pompeux et pédant. En revanche, son habituel sourire avait été troqué contre un visage sévère. Ce qui était certainement normal.
"Vous souvenez vous un peu de ces personnes ?" demanda le maître nain en tendant la main vers ses compagnons.
Mais Hivann ne pouvait rien dire. Il ne tenta même pas de s'expliquer en regardant ces inconnus. L'homme brûlé réagit alors.
"C'est d'une évidence absolue, pour un homme capable de tuer des dizaines de personnes sans sourciller."
Hivann s'interrogea encore. Il ne voyait toujours pas de quoi il s'agissait. Il n'eut pas à poser la question. Le grand brûlé lui rappela tout.
"Je vous avais demandé de finir ce que vous aviez commencé, Goont, dans les égoûts de Darhàm. Il en fut de même pour la prison de cette ville. Vous avez tué la totalité de mes compagnons et préféré me laisser pourrir en espérant que ma torture et mon exécution publique forgent votre nom. Mais non, Goont, elle vous a condamné."
C'était le Grand Lamin. Ce jeune mercenaire, chef du groupe de résistants à Darhàm. Ceux qui luttaient contre Oaxaca et pour qui il avait travaillé afin de partir pour Mertar. C'était grâce à ce travail qu'il avait rencontré ses propres mercenaires et qu'il avait eu l'argent nécessaire au confort de ses enfants. Mais cet homme était allé trop loin en décidant de frapper son fils, Lùthian. Ce seul acte avait su condamner le groupe entier de résistant en les plongeant dans les flammes, grâce au pouvoir de la poudre.
"J'ai vu cet homme, le Grand Lamin, reprit la dame. Il hurlait votre nom... Ce même nom qui a résonné dans l'Auberge du Voyageur. Celui que vous avez forcé à dire à mon fils et à ceux qui l'ont regardé se faire massacrer. Quand je l'ai vu, j'ai su que les dieux me souriaient. Nous avions enfin la chance de vous trouver et de nous venger."
"Elle m'a sauvé, m'a soigné, et nous nous sommes jurés de vous trouver et de nous venger. Nous savions que vous étiez à Mertar... Quand nous y sommes arrivé, nous n'avons pas eu à attendre bien longtemps avant d'entendre votre nom que vous semblez vouloir si bien forger. Maître Amaury nous a aidés, et inversement."
"Désormais, Ser Hivann Goont, vous allez répondre de vos crimes."
Hivann baissa la tête. Il se rappela de tout cela. Ce jeune homme qu'il avait massacré dans l'auberge, c'était ce jeune Lenny. Un jeune homme à belle gueule qui racontait des tas d'histoires autour de lui. Il avait insulté Taé, ce pourquoi le mage s'en était vengé. Désormais, tout lui revenait en pleine visage. C'était sans doute la volonté de Zewen. Un équilibre était restauré. Mais son inquiétude était encore toute autre. Il savait qu'il paierait de toute façon, à Oranan ou ici. Dans tous les cas il risquait sa vie. Mais ce qu'il voulait, maintenant qu'il avait amené toutes les pièces du Fusil, c'était que ses enfants soient libérés.
"J'ai fait ce que vous vouliez, Amaury. Et j'ai ramené les quatre pièces manquants du Fusil de Mertar. Jugez-moi si vous le souhaitez, mais laissez ma famille en dehors de cette histoire."
A ces mots, le maître Amaury ria effrontément. Un rire gras qui eut de quoi glacer le sang du mage. Il comprit immédiatement que ses enfants n'étaient pas simplement partis. Le nain les avait avec lui. Il avait la main sur sa famille, sa lignée, tout ce qu'il avait de plus précieux. Il fit signe à deux gardes de sortir, leur faisant comprendre qu'ils devaient aller chercher certainement les chercher. Une longue minute passa, alors qu'Amaury riait encore et qu'Hivann se tenait encore à genoux, les mains liées dans le dos, en attente d'un instant qui serait probablement funeste.
Enfin, les nains arrivèrent. L'un d'eux portait tirait une chaîne à laquelle étaient attachés plusieurs personnes. Pas seulement ses enfants... Tout d'abord, il y avait Porick, puis Lür, puis Karl, ses mercenaires. Et à la suite, il y avait son fils, Lùthian, le visage blême, puis ses deux filles : Taé et Sujima. Les deux étaient terrifiées, contrairement aux hommes présents qui semblaient tout regarder autour d'eux, sans doute pour essayer de trouver un moyen de s'échapper. Mais ils étaient bien trop incapables de se défendre. Derrière eux, le second garde nain arriva, portant dans ses bras un objet bien insolite...
"Le Fusil... murmura Hivann. Vous l'avez assemblé."
"Vous avez dormi un jour entier, Hivann Goont. Avec toutes les pièces, c'était le temps nécessaire à dix ouvriers talentueux pour assembler cette merveille. J'ai jugé qu'il vous fallait le voir, et voir le pouvoir qu'il renferme."
Les gardes forcèrent les six prisonniers à se mettre à genoux, au niveau du vieil homme. Aucun ne parla, cependant. Amaury empoigna le Fusil. Il était gigantesque, même pour un grand humain comme Hivann. Il faisait presque la taille d'un homme dans sa longueur et le canon, d'un ouvrage nanesque magnifique, lui inspirait un pouvoir monstrueux. L'idée que cette arme puisse cracher un projectile assisté par le feu le fit frissonner. Et cela, d'autant plus lorsqu'Amaury sortit de sa poche un objet tout aussi étrange. Une sorte de pastille métallique au cul plat, brillant.
"Une cartouche de Kéraunos. A ne porter qu'avec des gants, sous peine de recevoir une grosse décharge. J'ai jugé que ce serait une munition convenable pour une première démonstration."
"Je vous en prie, Amaury, ils n'y sont pour rien dans tout ce que j'ai fait ! Ne les tuez pas ! Emprisonnez-moi, torturez-moi si vous le souhaitez, mais ne faites pas ça !"
"Un mensonge..."
Amaury chargea la cartouche dans le Fusil. Pour cela, il fit glisser le barillet et y inséra la munition. Il sembla qu'il pouvait en mettre plus, mais ce nain avait manifestement des intentions de metteur en scène. Il orienta le canon vers la tempe de Porick, puis plus bas, dans le creux de son dos.
"J'ai trouvé votre ami Porick dans les ruines de Mertar. Juste là où se trouvait Umordîl. Un carreau traversait sa gorge... Et j'ai vu l'Exilé. Il n'avait pas ce genre d'arme. Qui d'autre portait une telle arme dans ces ruines, déjà ?"
Hivann baissa la tête. Il était coupable, et c'était désormais une chose connue. Il n'eut pas le courage de lever les yeux quand le hurlement métallique et explosif de l'arme gronda dans le salon. Le choc fut si violent qu'il sentit ses oreilles siffler et l'air et le sol trembler autour de lui. La balle avait traversé le dos de Porick et une décharge invisible le forçait à secouer son corps tout en criant de douleur. Beaucoup de sang coulait autour de lui, et bientôt, la vie le quitta. Alors qu'Hivann tremblait en imaginant la suite, Amaury tendit l'arme à l'un de ses compagnons : Le Grand Lamin. Ce dernier n'attendit pas pour épauler le Fusil, mais le nain l'arrêta et lui tendit une nouvelle cartouche, tout en faisant une description théâtrale de ce que devait attendre désormais Lür, le prochain sur la file.
"Et voici une cartouche d'Hélcéa. Un métal élémentaire de glace. Vous savez déjà comme les choses peuvent être fragiles une fois gelées... Mais je vais vous donner une chance, Hivann."
Alors que le Grand Lamin insérait la nouvelle balle dans le barillet, Amaury s'avança vers lui et se pencha, comme un nouveau spectateur.
"Le jeu de la vérité. Je vais épargner une personne à chaque histoire vraie."
Le canon de l'arme fut orienté vers le buste de Lür, qui plongea ses yeux paniqués dans ceux du mage. Il ne fit que murmurer un mot : "La vérité".
"Qu'avez-vous fait à mon encontre, Ser Goont, quand vous êtes parti chercher ce Fusil ?"
Hivann réfléchit... Il craignait la menace du nain, mais pour dire vrai, à part trouver les parties du Fusil, il ne se rappelait pas avoir orchestré quoi que ce soit contre Amaury. Pour tout dire, à la fin, il pensait davantage à se rendre pour sauver ses enfants. La seule chose qu'il avait faite...
"J'ai envoyé Lür protéger ma famille, car je pensais que vous trouveriez Umordîl."
C'était vrai... Et pourtant, cela ne suffit pas. Encore fois, le même grondement sourd rompit l'air dans la salle et le projectile pénétra la chair du pauvre Lür. Mais son corps, cette fois-ci, se givra d'un coup. Il eut le temps d'expirer seulement une épaisse vapeur alors que son buste venait s'écraser sur le sol... Et se réduire en morceaux de chair congelée infâmes. Cette vision écœurante, Hivann ne put pas la soutenir, mais Amaury l'y força en l'attrapant par la nuque.
"Je vous ai donné une chance... Mais vous ne voulez pas jouer. Je sais que vous avez parlé de moi à Elrandil et que vous avez brûlé le Sanctuaire Perché. Cela valait bien au moins l'exécution de votre complice. Bien, au suivant !"
Le Grand Lamin passa cette fois-ci le Fusil à la mère de Lenny, celle-là même qui l'avait sauvé et voulait venger son fils. Amaury, lui, lui passa une nouvelle munition dont il fit encore une fois la description.
"Une balle de Xiuhl. Juste tiède au toucher, mais avec une arme comme le Fusil de Mertar, le métal peut chauffer jusqu'à une température remarquable. De quoi faire souffrir mes ennemis..."
La femme orienta le canon vers le ventre de Karl. Mais lui ne réagit pas contrairement à ses précédents compagnons. Il fermait les yeux, seulement en attente de ce qui allait lui arriver.
"Je sais que vous avez tué Umordîl. Je sais que depuis votre départ, vous orchestrez le moment où vous vous retournerez contre moi. Je vous donne des chances de sauver vos amis, mais vous continuez de mentir effrontément. Est-ce que je dois vraiment vous en donner encore ?"
"Oui, maître Amaury... Je vous en prie, laissez-les !"
Mais cela, encore, ne suffit pas. La troisième balle fut tirée dans le même bruit assourdissant et traversa le ventre de Karl. La douleur, en revanche, fut insoutenable. Humble au départ, il ne put s'empêcher de hurler de douleur alors que la munition le brûlait et laissait échapper une odeur de cuisson insoutenable qui le prenait aux entrailles. Il n'allait pas s'arrêter. Et vus les airs des trois bourreaux, ils ne semblaient pas enclins à l'exécuter pour le libérer de ses souffrances.
"Tuez-le !" supplia Hivann.
Mais Amaury ne fit que rire... Cependant, quelque chose le coupa dans son élan assassin. Un garde fit irruption dans la salle et marcha vers lui. Dans la confidence, il lui confia un mot à l'oreille, élargissant plus encore son sourire malsain.
"Et bien, faites entrer !" dit-il avec engouement.
Et le garde partit. Ils restèrent ainsi, tous là, deux cadavres, trois vivants effrayés et un être agonisant, surveillés par leurs assassins. Après une longue minute suivie par les cris de Karl, le garde arriva. La personne qui le suivit eut tout pour effrayer Hivann. Il en reconnut immédiatement la robe ynorienne et son masque d'or. Elle se mit aux côtés des bourreaux, avant de retirer ce qui cachait sa face. Un visage brûlé, liquéfié, borgne et à la mâchoire encore apparente se dévoila. Elle bégaya, la voix enrouée par ses blessures.
"Vous me reconnaissez, Hivann."
"Iwa Ishwari." répondit-il, honteux de ce qui lui était arrivé et redoutant désormais tout ce qui allait arriver.
Un silence régna. Seules ses filles se tournèrent vers la femme en reconnaissant ce nom. Elles regardèrent ensuite Hivann, comme pour chercher à comprendre ce qui avait pu arriver à Oranan. Mais le risque planant autour d'elles les en empêchant. Il était difficile de savoir quelles étaient les intentions de cette femme, tant son visage déformé, autrefois pourtant si magnifique, l'empêchait de montrer une quelconque expression. Dans un élan désespéré et incohérent, Hivann pleura et supplia.
"Je vous en supplie, Iwa, sauvez mes enfants ! Laissez-les !"
"Je ne puis, cher Hivann."
"Pourquoi ?" demanda-t-il encore, comme oubliant ce qu'il avait pu faire.
"Pourquoi ?" me demandez vous ? Mais parce que vous avez tout détruit autour de vous. Parce que vous m'avez trompée comme vous avez trompé votre femme. Parce que vous avez violé le Pavillon d'Or qui a fait de moi la femme que j'étais. Parce que vous m'avez détruite. Parce que j'ai réalisé que mon amour pour vous n'était qu'un jeu, un instrument. Parce qu'il est temps que je fasse couler autour de la honte que vous m'avez infligée un fossé de sang. Entendez-vous, Hivann ?"
"Iwa... Je..."
"Taisez-vous."
Elle n'eut pas même besoin de crier cet ordre. La colère qu'elle transpirait était si ambiante que même ses alliés en tremblaient.
"Vous auriez dû veiller sur vos enfants, Hivann. Aujourd'hui, plus rien ne les sauvera."
"Iwa..."
"Tenez, Hivann. Je hais toute votre abominable famille de Goont. Cette lignée de démons. Et vous le tout premier que j'ai si follement aimé."
Hivann baissa encore la tête. Jamais, de toute sa vie, pas même quand il fut trépané, pas même quand on le condamna à l'exil, il ne se sentit aussi mal et faible, et incapable de se défendre. Il sentait qu'en une seconde, il pouvait tout perdre.
"J'ai une haine incommensurable pour votre fils Ethian, qui marche dans vos pas, et manipule et le Pavillon d'Or, et la République, et l'armée ynorienne. J'ai horreur de votre fille Thôko qui alimente une capitale prestigieuse de drogues qui pourrit leur esprit. J'ai du dégoût pour votre fille Taé qui expose son corps et son nom au monde entier, comme si le sang qui coule autour de votre famille ne l'atteignait pas. J'ai de la répugnance pour Sujima, qui porte ce nom et qui ne se gêne pas pour voler tout ce qu'elle peut autour d'elle, ne craignant aucune représaille. Et quand à votre prétendu soldat de fils, Lùthian, un beau soldat ma foi : incapable de se battre ! Sans honneur, sans gloire, sans rien d'autre qu'un nom !"
Le vieil homme sentit une grande colère monter en lui, et il tenta un instant de se lever, mais, seulement de sa voix, elle le remit à sa place.
"Laissez-moi finir. J'ai horreur de ce que vous avez fait à Oranan. Que vous ayez autorisé l'emploi de sorts monstrueux qui ont dévisagé notre prestige. Du fait que vous ayez peuplé le bagne de personnes illustres et le Pavillon de monstres, si bien que vous avez blessé la République de façon permanente. J'ai honte, tellement honte de savoir que vous m'avez salie, que vous m'avez manipulée et qu'il aura fallu que j'attende d'être détruite pour commencer à comprendre ce que vous êtes. Que je puisse nommer votre nom avec cette pensée : celle que vous êtes un monstre lâche qui s'est caché dans l'Exil. Que je puisse dire ceci : "Hivann Goont n'est et n'a toujours été qu'un démon"."
Tout semblait se sceller. Amaury lui donnerait le Fusil, et elle tuerait probablement ses enfants, et enfin, lui. Et effectivement, il le fit. Il ne présenta pas de nouvelle munition cette fois. Seulement, il en donna une à cette femme, désormais impressionnante, qui colla le canon contre la tempe de Lùthian. Ce qu'il y avait de plus effrayant, c'était qu'il ne semblait pas même vouloir y échapper. Il avait gardé cet air sinistre du moment où son père l'avait quitté dans sa chambre à celui où on s'apprêtait à l'exécuter. Un air d’acceptation de la mort. Hivann ne put le supporter. Dos au mur, il dressa son corps tout en restant à genoux. De grandes larmes coulaient sur ses grosses joues.
"Iwa... Je t'en supplie. Je te le demande sur l'amour que j'ai pour eux, sur tout ce que j'ai de plus précieux. Pas au nom de mes enfants que tu détestes, mais de ta famille que tu chéries. Je t'en prie, je te demande leurs vies. Je me trancherais les veines si tu le souhaites. Je boirais le même acide qui t'a défigurée si cela peut les sauver. Je pourrais m'abandonner à la montagne et laisser les charognards dévorer mon corps, si bien qu'il ne resterait de moi plus que cette pierre qui trône en mon front. Je t'en supplie. Grâce pour mes enfants. Tu m'as entendu à Oranan... Je n'ai plus la volonté de récupérer tout le pouvoir que j'avais. Je veux me rendre. Je veux payer de mes péchés. Par pitié, je joindrais les mains sur je les avais pas attachées, je pleurerais sur ton sein si je le pouvais. Fais de moi ce que tu veux, mais ne leur fais pas de mal !"
Cette déclaration, si sensible, qui ne lui ressemblait pas, sembla faire flancher tout le monde autour de lui. Les airs sévères des bourreaux se radoucirent... Et Iwa Ishwari baissa le canon. Elle s'approcha seulement de lui, à petits pas, comme attendrie. Un instant, Hivann eut peur qu'elle change d'avis et même, qu'elle retourne l'arme contre lui... Mais il l'accepta vite. Si cela pouvait sauver Lùthian, Sujima et Taé, alors c'était un sacrifice qu'il était prêt à payer. Elle arriva face à lui, qui ferma les yeux. Elle pointait toujours l'arme vers le sol, et puis, très douce, elle se pencha vers lui. De sa main libre, douce, épargnée par l'acide qui eut raison de sa beauté, elle caressa le visage du mage, de manière presque complice. Elle passa ses doigts dans sa barbe, puis sur sa joue. Elle lui caressa même le crâne. Dans ces actes, il sembla pour le mage qu'il redécouvrait ce qu'il avait pu vivre avec elle. Ce seul instant où il fut à sa merci, il se rappela de courts moments, des fragments de lorsqu'il était avec elle. Aucune culpabilité vis à vis de son adultère, de sa trahison pour Inoka. Juste, ces caresses. Sur ces douceurs qui effacèrent le danger autour de sa lignée, Iwa s'adressa à lui, chuchotant d'une voix douce et moins atteinte par ses blessures.
"Voilà... C'est bien cela, aimer."
Elle continua à le caresser un moment, comme cédant à cette démonstration d'amour... Mais il n'en fut rien. D'une jalousie incroyable, elle retira sa main, arrachant tout l'espoir qu'avait pu nourrir le vieil homme. Et d'une dextérité inattendue, elle épaula le Fusil qu'elle orienta directement vers le front de Lùthian. Le même grondement funeste résonna dans la salle, alors que l'arme crachait le feu et que le projectile traversait le crâne de l'enfant. Ses sœurs hurlèrent et se jetèrent sur lui, comme dans un élan désespéré pour le ramener à la vie, alors qu'Hivann assistait sans pouvoir rien faire, à la mort du dernier de ses fils. Il voulut se lever un instant, mais la douleur de cette vision le paralysa. Bientôt, il fut pris d'une nausée qui déforma toute la vision qu'il avait de la pièce. Ses bourreaux se changèrent en silhouettes immenses qui couvrirent sa vue. Au centre de cette nouvelle obscurité, il ne put que voir l’œil ignoble d'Iwa, puis le corps gisant de son fils, jusqu'au moment où il sombra.
_________________ Multi de Ziresh et Jôs.
Ser Hivann Goont, Archer-Mage niveau 10.
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