Les gardes à l'entrée du Haut-Quartier, me voyant arriver en courant, me bloquèrent le passage de leurs lances pour me demander ce qu'il se passait. J'aurais très bien pu le leur révéler, mais m'auraient-ils cru, et puis si ça avait été le cas, le temps que l'information remonte jusqu'au conseil, il serait peut-être trop tard... Alors que mon père ne mettrait que peu de temps à transmettre ce que j'allais lui dire.
Essayant de reprendre un peu de contenance, tout en récupérant un peu de souffle, je m'arrêtai devant eux.
"Pardonnez-moi messieurs, je ne voulais pas vous alarmer... J'avais rendez-vous avec mon père qui, comme vous le savez, siège au conseil et pour qui la ponctualité est un des fondements du savoir-vivre. Hélas, je suis en retard et je sens que je vais le sentir passer... Si vous voulez bien m'excuser..."
Les gardes se montrèrent compréhensifs et s'écartèrent pour me laisser passer. Je filai donc ventre à terre jusque la maison, enjambai les marches quatre-à-quatre et poussai la porte. Avec un grand soulagement, je trouvai mon père attablé et semblant même avoir fini de déjeuner. Je pris alors seulement conscience du temps qui s'était écoulé depuis l'affreuse rencontre dans les bois. Levant un sourcil interrogateur, Círyon s’apprêtait à me gronder et à me poser des questions, mais je l'interrompis avant même qu'il ne puisse ouvrir la bouche.
"Père, j'ai besoin de votre aide! Je... il s'est passé quelque chose dans la forêt, il faut en parler au conseil de toute urgence!
M'intimant de me calmer et me demandant ce qui avait bien pu se produire, il se leva, tira une chaise et m'invita à m'assoir. Je lui racontai alors tout ce qui s'était passé depuis mon départ de ce matin, la balade, les renards et la conversation entre l'homme au visage camouflé et l'étrange créature pestilentielle. Il médita quelques instants sur ce que je venais de lui dire avec une mine grave, puis il m'annonça qu'il devait partir immédiatement pour la chambre du conseil.
Je me sentais libérée d'un immense poids et je fini par ressentir les effets de la faim et de la fatigue... Mangeant quelques fruits et légumes du bout des lèvres, je me levai ensuite pour commencer à ranger la table avec pour but, une fois cette tâche accomplie, d'aller m'allonger un peu sur ma couchette et me remettre des émotions. J'empilai donc les deux assiettes ainsi que les verres et les couverts, puis contournant la table, je commençai à me rendre vers la cuisine lorsque mon regard fut attiré par un petit bouquet de fleur au milieu duquel trônait une seule et unique fleur mauve...
Tout bascula, les verres et les assiettes se brisèrent répandant des bris de faïences et des épluchures sur le sol. C'était exactement la même fleur qui couvrait les racines de l'arbre au pied duquel s'était déroulée la rencontre...
Non, ce n'était pas possible, cette fleur devait être là avant, j'avais dû la cueillir quelques jours auparavant sans m'en rappeler... Et pourtant... Même en fouillant au plus profond de ma mémoire, le seul moment où j'avais rencontré cette plante n'était autre que ce matin... C'est avec horreur que se formèrent des pensées toutes plus improbable les unes que les autres. J'imaginais mon père conversant avec la chose, puis cueillant l'air de rien une de ces fleurs et rentrer à la maison en sifflotant, fier de son méfait... Non, il devait y avoir une autre explication... Je passai pourtant l'heure qui suivit à tourner en rond, ne sachant que faire, croire mes pensées fantasques ou choisir la voie de la raison et arrêter de m'emballer pour une simple petite pousse...
L'heure suivante, je pénétrai tout de même dans le bureau de mon paternel, furetant dans ses papiers et remettant tout exactement à la place que je l'avais trouvé pour ne pas me faire prendre... aucun tiroir, aucune niche ne contenait de document étrange ou ne semblant pas à sa place... Rien n'était verrouillé, ce qui me simplifia les fouilles. Pourquoi cela l'aurait été, puisqu'il n'avait rien à cacher... et pourtant...
Renfonçant un tiroir dans sa loge, je sentis que ça coinçait, il ne se glissait pas tout à fait entièrement dans l'espace qui lui était réservé. Le sortant complètement, je trouvai alors une minuscule clé à la forme bien compliquée pour une simple clé de bureau... Et qui dit clé dit forcément quelque-chose à ouvrir... Je ne voulais pas m'emballer et faire des déductions trop hâtive mais mon cœur battait à tout rompre et la peur ne cessait de grandir en moi. Redoublant d'efforts, je cherchai donc la serrure qu'ouvrait le petit objet. Il me fallut un bon moment avant de trouver ce que je cherchais juste sur le coté de la cheminée...
Un petit tour, un claquement sec et une plaque de bois s'entrouvrit juste à coté de moi. Dans la cavité, un étui avec un ustensile étrange en métal avec une sorte d'aiguille à une des extrémités, une boite avec des sortes de capsules contenant ce qui semblait être un liquide noir aux reflets mouvants et un rouleau de parchemin déroulé portant un sceau représentant un dragon noir sur fond rouge ressemblant à un ordre de mission et estampillé en bas par un "Crean Lorener".
Mon sang ne fit qu'un tour et je manquais de tomber sous le choc... Ce nom de Crean ne m'était pas inconnu du tout puisqu'il avait été prononcé de la bouche d'un des deux protagonistes ce matin... et celui-ci n'était autre que mon père...
"Ainsi je suis découvert!"
Je sursautai et me retournai pour trouver mon père dans l’entrebâillement de la porte. Je ne parvins à articuler aucun mot, c'était comme si j'étais paralysé, tandis qu'il me fixait de son regard perçant. Il se détourna alors et l'oppression que je ressentais disparu.
"Espèce d'immonde salaud! Comment as-tu pu faire ca? lui crachais-je au visage, avant de repenser à la fille qui servait de cobaye et qui n'était autre que moi.. "Que m'as-tu fait?!"
Il posa de nouveau les yeux sur moi et cette force qui m'avait bloqué quelques instants avant revint...
"Tu ne pourrais pas comprendre de toute façon alors à quoi bon t'expliquer..., soupira-t-il avant de reprendre : "Ça change tous mes plans... je pensais être tranquille encore quelques décennies, mais il semble que ce soit fichu. J'aurai dû trouver un point de rendez-vous plus éloigné... Bref, suis-moi, on s'en va et pas d'entourloupes!"
La tension se relâcha et je pus de nouveau bouger, mais je sentais toujours la présence de cette force qui était prête à jaillir de nouveau au moindre instant. Je vis alors aux pieds de mon père une sacoche qui semblait être remplie. Nous allions quitter la ville...
J'étais totalement désemparée, je n'avais aucun choix possible, et j'étais presque sûre que si je ne faisais pas ce qu'il me demandait, il n'hésiterait pas à me tuer, purement et simplement...
Lorsque nous passâmes à proximité des deux gardes, je sentis cette force oppressante augmenter quelque peu comme une sorte d'avertissement, et ces derniers, voyant mon visage déconfit, ne se posèrent même pas de questions et échangèrent un sourire sans doute en repensant à ce que je leur avait dit quelques heures plus tôt... J'avais été vraiment bête sur ce coup-là et ça se retournait contre moi...
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