<<<La voilà. La cité à la réputation si douteuse.
Bien sûr d'ici elle ressemble à n'importe quelle ville portuaire. Des navires de toutes les tailles vont et viennent, ramenant ou allant chercher de nouvelles marchandises allant du blé aux esclaves en passant par les prostitués.
Les affaires semblent bien tourner d'ailleurs car le port fourmille d'activité.
Les hommes aussi fourmillent d'excitation alors que nous sommes en train d'amarrer.
Immédiatement après nous déchargeons quelques caisses, j'ignore ce qu'elles contiennent mais elles sont immédiatement récupérés par des portefaix que les pirates semblent connaitre.
Laeten donne ensuite à la plupart l'autorisation d'aller en ville. Le voyage en mer est terminé, ils peuvent se détendre comme ils le souhaitent. Les autres s'occupent encore des tâches à faire à bord en attendant leur tour pour mettre pied à terre.
Le Shaakt vient me trouver, équipé d'un livre d'une bonne taille.
"Tu devrais venir avec moi, il va falloir vendre les marchandises qui ne nous servent pas."Il m'indique d'un geste la direction à prendre en partant à nouveau dans un long monologue explicatif.
"Voilà comment ça se passe ici. Nos marchandises sont stockées dans un entrepôt sur le port. Il n'y a pas à s'inquiéter, il est surveillé par les meilleurs mercenaires qu'on peut trouver ici et d'autres bons combattants fidèles au capitaine. "Il me tend son bouquin et m'invite à le lire.
"Il y a là-dedans l'inventaire de tout ce qu'on possède. Ce livre est extrêmement important. Nos vivres, nos matières premières, nos prises. Tout ce qui se trouve à l'intérieur du navire jusqu'aux membres d'équipages."J'hoche la tête, je devais admettre que j'étais plutôt impressionné. Le registre était bien tenu et on s'y retrouvait assez rapidement.
A côté de certaines lignes se trouvait même, si j'avais bien compris, le prix de revente des biens.
"Les prix affichés sont ceux de revente minimum alors il ne faut pas hésiter à en demander plus pour avoir une marge de négociation assez grande mais j'imagine que tu vois de quoi je veux parler. "Je fronce un sourcil tout en observant les chiffres. Mouvement que le Shaakt doit percevoir puisqu'il répond à l'interrogation que je venais de me poser.
"Je me suis basé sur le prix de vente au moment de notre départ, généralement nous partons quelques mois ça ne fluctue pas beaucoup même si j'ai déjà eu quelques surprises. "Je referme le livre sans un mot avant de le lui rendre. Il incline la tête avant de poursuive ses explications tandis que nous quittons le port pour nous engager sur une grande rue longeant le fleuve.
"Nous nous rendons chez un receleur. Pas n'importe lequel, il fait partie des plus grands de la cité. On lui donne la liste de nos biens et il s'occupe de tout revendre selon les prix que tu viens de voir. Ça nous permet de repartir sans attendre et lui de se faire une belle marge sur ce qu'il revend. Tout le monde y trouve son compte et c'est le principal."Nous bifurquons dans une ruelle bondée où sont alignées une multitude de petites boutiques. Epicerie, cordonnerie, tannerie, les vitrines et les étals se suivent.
Une idée saugrenue me vint en tête, est-ce que tous les produits ici étaient issus de pillages ?
Le moindre bout de tissu, de cuir ou d'armure était-il le fruit d'un travail acharné où était-ce simplement un objet volé et revendu ensuite ?
Darhàm aurait ainsi basé toute son économie sur le larcin. Etrangement cela me paraissait formidable.
Le shaakt poursuit son monologue, ouvrant un passage à travers la foule à coups d'épaules.
"Bien sûr cette fois c'est un peu diffèrent. Grace à vous nous pouvons réparer la Baliste."Il m'adresse un regard souriant même si le reste de son visage fin n'en laisse rien paraitre.
"Nous devrions rester à quai plusieurs mois. Peut-être un an. Mais le capitaine à prévu beaucoup de choses pour vous ne vous en faites pas. Vous devrez d'ailleurs allez le voir demain. C'est ici."Nous nous arrêtons devant une joaillerie qui ne payait pas de mine tant les écrins étaient laids ou en mauvais état. Deux colosses sont adossés au mur de chaque côté de la devanture, gardant la porte.
L'un d'eux semble reconnaitre mon guide et lui ouvre la porte après un léger signe de tête.
La boutique ressemble à la vitrine. Sale, une odeur de tabac à pipe, exposant des bijoux contenu dans des boites usées ou des tissus aux taches de différentes couleurs m'extirpant une grimace de dégout.
Un troisième gros bras se trouve dans la boutique et ne se gêne pas pour nous surveiller sans même ciller.
Je plante mon regard dans le sien et il y répond par une grimace qui ressemble à un clébard me montrant ses dents. Je m'immobilise un instant, sur le point d'exploser, comment pouvait-il oser me dévisager ainsi, moi, alors que j'agissais pour un dieu. Une haine noire s'élève jusqu'à mes joues, les chauffant de colère, fissurant presque mon masque d'homme sain d'esprit.
"Aaaah Malaggor. Ravi de te voir."La voix attire mon attention, quittant le regard qui allait me faire commettre un meurtre.
Derrière le comptoir, vêtu de couleurs étincelantes, parés d'or et d'argent. Un homme grand, fin, au nez aquilin, semble ravi de voir l'elfe noir. Il nous invite à approcher tout en déposant un sac devant nos yeux.
"Commençons bien. Voilà les gains de vos ventes durant ton absence. Pas terrible je le crains. J'espère que tu as mieux cette fois."Le shaakt sourit, récupérant le sac et y jetant un bref coup d'œil. Aucune feuille n'attestant les achats. Je fronce les sourcils. Ce type pouvait très bien l'avoir totalement arnaqué mais il n'avait pas l'air de s'en soucier.
Le receleur patiente avec un sourire de circonstance qui m'insupporte.
Le pirate hoche finalement la tête avant de lui tendre un paquet de feuilles qui écarquillent les yeux du destinataire.
"Autant que ça."Il épluche les papiers avec un air sérieux, lâchant quelques marmonnements et quelques sourires satisfaits.
"Excellent. Vous avez fait une bonne prise cette fois. J'imagine que vous avez dû ramener le navire pour tout transporter. Ça dépasse largement le tonnage de la Baliste.""Exact. On ne peut rien te cacher.""Il est encore en bon état ?" Demande-il intéressé ?
"Il y a quelques réparations à faire mais le Capitaine m'a bien précisé qu'il ne voulait pas te le revendre."Les petites dents blanches du Shaakt se montrent, faisant miroir avec celle du receleur qui répond amusé.
"On ne peut rien caché non plus à Laeten."Il tapote les feuilles sur le comptoir pour bien les aligner avant de reprendre un air plus sérieux.
"C'est en cours de déchargement j'imagine. Je m'occupe du reste. Passe mes salutations à ton capitaine. Dis-lui que c'est toujours un plaisir de faire des affaires avec lui."
"Je transmettrai. Tu devrais me voir plus souvent nous allons rester à terre un moment et ensuite c'est monsieur Rougine qui me remplacera sur la Baliste."Ein me désigne, tournant vers moi le regard du receleur qui m'adresse ce fichu sourire.
"Enchanté monsieur Rougine. On me nomme Finaud. J'ai hâte de travailler avec vous."Abruti. Penses-tu être le seul à pouvoir afficher un tel visage de faux cul. J'affiche un air ravi tout en répondant d'un air enjoué.
"Moi aussi. Appelez-moi Eldros."Nous nous adressons un regard lourd de sens, aucun de nous n'est dupe.
C'est le Shaakt qui nous interrompt dans notre échange.
"Allons-y monsieur Rougine. J'ai encore beaucoup de choses à vous montrer. Au plaisir Finaud."Il détourne enfin son regard, nous saluant d'un signe de tête.
"A la prochaine !"Nous quittons la boutique mais avant de partir, je m'autorise un dernier regard vers le gorille qui fronce les sourcils.