(Et ça piaille, et ça piaille ! Elle aurait fait gaffe à son gamin, il ne se serait pas tiré)
Je la voyais, cette femme, tourner comme une hélice dans ce boui-boui infâme. Elle n’était pas jolie, mais la faune qui rodait ici ne s’en souciait guère, et je craignais, si elle continuait a importuner les clients, qu’elle ne se retrouve avec des fers aux pieds, vendue en tant qu’esclave ou soumise a la vindicte des hommes, de ceux qui payaient pour se satisfaire sur des proies non consentantes. Mais le rugissement de l’alcool dans mon sang était encore trop fort, et je ne me sentais pas assez sur de mes jambes pour me lever et aller la voir. Pas pour l’aider bien sur, juste pour lui dire de partir, avant qu’elle ne prenne un mauvais coup. Une seconde passa, ou peut être une heure, et je me rendis compte qu’elle était devant moi, qu’elle me parlait. Je forçai mes oreilles usées à écouter.
« S’il vous plait, vous m’entendez ? J’ai besoin de vous, Mon fils a disparu. Je n’ai rien à vous proposer, un gobelin a volé mes économies, mais je ferai n’importe quoi pour vous récompenser, s’il vous plait »
Son ton était larmoyant, et me vrillait le crane. Mais, derrière toutes les couches d’alcool et de vieillesse qui se superposaient dans mon esprit, un souvenir revenait, doucement, sans relâche.
(Tu aidais les gens dans sa situation avant, tu te rappelle. Tu étais un homme bon. Et tu vas laisser cette femme sans aide ?)
Je détestais cette voix qui me parlait parfois, celle de ma conscience, que je me représentai toujours comme une vieille femme revêche. D’habitude, je réussissais assez facilement à la faire taire, mais, je ne sais pour quelle raison, elle ne cessai de revenir, encore et encore. Il allait falloir que je la fasse taire, et le seul moyen que je connaissais pour cela ... c’était d’aider cette femme, même si ça me déplaisait souverainement.
« ‘Tendez, ‘ger pas m’ame »
Je n’étais pas très compréhensible, et je le voyais à son visage qui se ferma soudain, comme si elle venait de comprendre qu’un alcoolique ne pourrait lui être d’aucune aide. Il fallait que je reprenne un peu d’emprise sur moi, afin de lui présenter une face et une élocution plus digne de ces problèmes.
Je me relevais d’un pas un peu plus assuré, malgré la migraine qui me martelait les tempes et me tint droit, enfin, aussi droit que je pouvais, face à la femme qui me regardait d’un air circonspect.
« Désolé pour le comportement des clients de ce bar, ils n’ont pas l’habitude d’aider leur prochain »
Elle me dévisageait, comme si elle tentait de voir au delà de la crasse et des années.
« Et vous, vous allez m’aider ? Ou vous aussi vous allez tourner la tète et reprendre un verre ? »
Bien entendu, elle doutait de moi, qui ne le ferais pas. Mais si elle était venue jusqu’ici, c’est qu’elle devait vraiment être désespérée, et moi, pauvre alcoolique, si je pouvais l’aider, je le ferais.
« Si vous voulez bien, je vais aller me rafraichir dans ma chambre, pour être un peu plus présentable, et ensuite, nous pourrons aller discuter de cela dans un endroit un peu plus tranquille. Au fait, je suis Gabriel, et vous ? »
« Rose, je m’appelle Rose »
« Vous pouvez me suivre, si vous ne voulez pas rester dans cette salle toute seule, je monte juste dans ma chambre »
Je vis à son regard qu’elle avait peur, mais que, d’une certaine façon, elle savait que je ne lui ferais pas de mal. Après tout, je n’étais qu’un poivrot qui voulait l’aider, elle n’avait aucune raison de me craindre. En lui faisant signe de me suivre, je commençai à me diriger vers l'escalier qui menait vers ma chambre, que j’avais eu la présence d’esprit d’acheter un jour ou j’étais sobre et possesseur d’argent. D’une démarche assurée, elle me suivit, évitant de prêter l’oreille aux blagues salaces et propositions grivoises des hommes dans la salle. Devant la porte, je me tournai vers elle.
« Désolé, ce n’est pas du grand luxe, mais c’est propre et rangé, j’espère que ma chambre ne vous importunera pas trop »
A son regard, elle s’attendait à trouver une pièce digne d’une porcherie, et je pus voir dans ses yeux la surprise quand je lui fis signe d’entrer, avant de fermer la porte. Mon petit chez moi, comme je me plaisais à l’appeler, n’était pas beau, ni luxueux, mais il était propre et bien tenu. Moi-même je me faisais souvent la réflexion que toute la rigueur que j’avais perdu dans la gestion de ma vie se retrouvait dans cette pièce, qui reflétait mieux que tout d’où je venais. Au mur, des bannières représentaient le village d’où j’étais originaire, et, comble du luxe, un petit miroir trônait dans un angle de la pièce, reflétant la lumière du soleil sur les draps de mon lit.
« Vous pouvez vous asseoir, si vous le désirez, je vais me changer et me nettoyer, mais rien que vous ne puissiez pas voir ... Je resterai pudique »
Elle restait toujours silencieuse, comme ébahie par ce calme et cet ordre dans une auberge par ailleurs aussi propre que les mains d’un préposé aux latrines. Je me délestais de ma chemise en lambeaux, puis de mon tabard et enfin de ma cotte de maille en ruine. Avec un peu d’eau et un drap, je tentai de faire une légère toilette mais renonçait bien vite en voyant le liquide virer au brun dans la soucoupe. J’enfilai ensuite un justaucorps bleu, délavé mais en bon état, attachai mes chevaux épars en une queue de cheval, puis me tournait vers Rose.
« Alors, maintenant, redites moi tout, afin que nous puissions retrouver votre petit garnement. »
_________________ Gabriel, Humain du peuple de Wiehl, Guerisseur lvl 1
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