Le même rire sinistre sort de l’Ombre sans que je puisse en distinguer la provenance, ce rire irritant qui me dresse le poil et fait monter en moi un stress bien connu, celui de me retrouver face à une instance ô combien plus puissante que moi et potentiellement hostile. Ça n’est pas de la peur, c’est plutôt une angoisse. Non pas une angoisse qui fait la panique, mais une appréhension emplie de pressentiments négatifs. Et puis, plus rien, l’obscurité refait une nouvelle fois témoignage de silence pesant, et seul le souffle crispé de Sidë me parvient en plus des battements de mon propre cœur, qui ne font que me rassurer quand à mon état : je suis encore vivant, et non dans un passage létal menant droit au monde des Morts, là où je saurais avoir perdu la vie. On ne voit pas deux fois les Enfers avec du sang chaud dans les veines… Ou en tout cas, c’est ce que me souffle ma conscience en ce moment tendu.
Puis, interrompant ce silence, l’être invisible consent enfin à apporter une réponse à ma question. Enfin réponse… façon de parler bien évidemment, puisque, rentrant dans le rôle du maître de la situation et des lieux, défenseur ayant la connaissance du terrain et de ses possibilités, il fait preuve d’une confiance insolente. Aucune réponse ne m’est réellement apportée, seulement une remarque sur mon courage ardent aussitôt rabaissée par une moquerie basse et vile. Aucune indication sur ce que cet inconnu désire réellement, donc, même si ses hypothèses funèbres me font frémir… Les mots ‘âme’ et ‘mort’ résonnent dans mon esprit comme deux menaces triviales et pesantes.
(Qui est-il ?)
Lysis ne m’apporte que le silence en réponse, et bien vite, comme en réaction à ma demande mentale, la brume noirâtre se dissipe petit à petit, dévoilant à mes yeux une silhouette évanescente dissimulée sous des habits sinistres. Elle semble faite de brume, et je ne peux voir le moindre de ses traits sous son capuchon large dissimulant son visage, ni même la couleur de sa peau, sous des gants de cuir noir.
Aux deux menaces précédentes, l’être ayant décidé de se dévoiler avarement, offrant juste une silhouette floue en échange du brouillard sombre, en ajoute une troisième, me promettant d’éventuelles souffrances en plus de ma mort et de la capture de mon âme… Mais je ne crains pas la souffrance. Ça n’est qu’un témoin peu agréable de la vie qui coule en moi, et rien ne saurait plus me rassurer à cet instant qu’un tel témoignage.
Enfin… quoi qu’il en soit, il conclut sa petite plaidoirie sardonique par une chute pour le moins prévisible, prévenant que ça n’est pas son rôle ici, maintenant.
(Ce type fait un léger complexe de supériorité. Comment peut-on être nanti d’un tel excès de confiance en soi ?)
(En étant conscient de ce qu’il est ?)
(Qu’est-il ?)
De nouveau, le silence s’abat sur mon esprit, alors que sa question me percute avec une étrange répercussion en moi…
(Comme s’il ne savait pas ce que cette tanière abritait… Il se fiche de moi !)
Ma réponse est directe, vive, sans doute un peu trop…
« Oh je me baladais dans les Bois Sombres histoire de me détendre un peu, cueillir un bouquet de gobelins ou ramasser quelques orques pour mon déjeuner. Puis j’ai croisé une petite armée d’araignées mécaniques qui voulaient s’en prendre à cette coquette grotte et je les ai massacrées gentiment avant de succomber à la curiosité. »
Mon regard noir tente de percer les ténèbres de son capuchon en le fixant intensément et de manière sans doute un peu provocante… puis je poursuis, plus sérieusement.
« Vous savez pertinemment pourquoi je suis ici. À quoi cela vous servirait-il de l’entendre par ma propre bouche ? Vous-même ne vous êtes sans doute pas égaré, n’est-ce pas ? Si ça n’est pas pour me tuer, ou me torturer, pourquoi donc êtes-vous en travers de ma route ? à vrai dire, si vous tenez tant à ce que je vous donne la raison de ma présence ici, j’aimerais avant tout que vous formuliez vos hypothèses. Pourquoi croyez-vous qu’un Sindel et une Earion armés jusqu’aux dents se sont-ils rendu au plus profond d’un territoire hostile pour se perdre dans une tanière oubliée ? Hmm ? »
Mon regard brûle de cette lueur défiante. Cela peut passer pour de l’insolence, sans doute… Mais dans ces paroles, je cherche avant tout à en savoir plus sur celui qui me fait face et sa façon de penser… Va-t-il se dévoiler en répondant à mes provocations ?
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