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 Sujet du message: La citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Lun 15 Fév 2010 22:17 
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La citadelle de L'Oeil Aveugle


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A l’extrémité du Cap de l’Agonie, étouffée entre la frontière mouvante de Dahràm et des terres sauvages de l’Omyrhy, se tient la forteresse de l’Oeil Aveugle, la citadelle de la très mystérieuse Destinée, celle dont on dit qu’aucun mystère ne lui échappe. Mais pour poser vos questions à cette étrange devineresse vous devrez vous rendre au Cap et surtout le traverser et endurer la puissance brute des éléments déchaînés. Car cette fine et délicate tour barre l’horizon tumultueux d’un océan qui ne connait jamais de répits, avide de jeter à bas ce dernier vestige d’un passé glorieux. En effet, alors que vous évoluerez au pied de la falaise déchiquetée, vous ne manquerez pas d’être écrasé par la majesté des ruines d’une citadelle qui courut tout le long du Cap et garda la Côte des Lamentations. Il faudra en effet, dans la dernière partie du parcours, vous faufiler le long d’une mince chaîne de vie rouillée entre les colonnes fracassées et autres statues titanesques brisées par la fureur du ressac. Si vous survivez aux tourbillons d’écumes belliqueux alors vous pourrez gravir les marches poisseuses du stylet de granit et pénétrer la lourde atmosphère du sanctuaire de la Sphinge.

Là ne vous fiez pas aux gobelins à l’obséquiosité quasi ridicule et au lourd droit d’entrée qu’ils vous extorqueront, car c’est bel et bien la réponse à vos questions qui vous y attendra. Dans la très étroite salle surchargée d’or, de pierreries, de tomes et de rouleaux griffonnés de savoirs perdus, vous trouverez l'Oracle au corps supplicié, Destinée. A toutes vos questions elle répondra et vous donnera des solutions si vous savez écouter et décoder ses paroles sibyllines.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Ven 26 Fév 2010 16:09 
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La sinistre citadelle était vite devenue une sordide prison pour Oona et cela, dès les premières heures passées en la froide et distante présence d’une Sphinge au regard halluciné, qui voyait se former devant elle les péripéties qui lui avaient été contées. Croisant dans la rotondité trompeuse d’un plat en argent défoncé son reflet, l’Aldryde fut profondément touchée par sa laideur, son allure de bagnarde scorbutique. En effet, au milieu de ses derniers bandages apparaissaient son teint hâve, des touffes de cheveux sauvages sans coupe ni forme ou simplement laides et surtout les deux pattes d’araignée galeuse qui pendaient de chaque coté de son corps mal apprêté. Elle en fut profondément choquée ou point d’en vouloir à sa camarade de ne pas l’avoir prévenue de l’état dans lequel l’avait laissée son combat ainsi que sa convalescence. Et sans que la jeune femme ne le sache vraiment se fut le prélude à quelque chose de bien plus horrible.

Ensemble, les visiteuses avaient donc conté leurs déboires à la Sphinge qui avait alors enregistré les données avec la méticulosité froide d’une machine savante, ne s’épargnant aucun détail aussi infime fut-il et les questionnant comme pour vérifier des informations qu’elle avait mystérieusement déjà perçues. Enquêteuse de sa propre mémoire fragmentée. Puis, les premières heures de repos de la jeune femme engourdirent son instinct qui la maintenait en permanence sur ses gardes et alors qu’elle s’enfonçait dans le calme lisse d’un sommeil fade, que sa conscience doucement glissait sous l’onde paisible, l’Aldryde le sentit juste au-dessus d’elle alors qu’il lui maintenait la tête sous l’eau. Désormais il n’allait plus la lâcher, il était resté bien trop longtemps caché en embuscade à la lisière de la conscience à affuter ses armes et à distiller son poison.

C’est alors que commença un nouveau cauchemar pour le petit ange, un cauchemar qui la hanta rigoureusement pendant de longues journées et pendant de bien plus longues nuits, pendant que le petit couple désirait s’abriter de la rigueur du monde hivernal sans parvenir à s’en épargner l’ambiance mortifère. Car dès qu’Oona fermait un œil, l’image de son amour perdu revenait pour la harceler sans ménagement. Désormais elle savait que ce n’était pas son Iles, pas celui qu’elle avait aimé au point de vouloir le fuir tant son absence était impossible à supporter. Non, cet être ne prenait d’ailleurs même plus la peine de revêtir l’apparence paisible du jeune éphèbe pour tourmenter sa proie car dorénavant il avait trouvé les instruments d’un sadisme beaucoup plus pervers. Sans se faire connaître, à l’abri derrière les voiles de l’inconscient, il avait vogué à l’extrême bordure de la conscience de l’aventurière pour y découvrir les secrets qu’elle-même avait oubliés et d’avoir accumulé un tel pouvoir, ce démon pouvait enfin venir parader sans crainte. Oona, savait qu’il se nourrissait de toutes les forces négatives accumulées en elle, à commencer par le regret et l’espoir, ces deux sentiments qui, une fois cumulés, pouvait faire jaillir les plus hauts aspirations déjà porteuses des plus tragiques chutes. La jeune femme savait que le combat était vain, elle aurait beau tenter de le renvoyer encore et toujours, de l’ignorer, il en ressortirait plus grand et plus vil. Elle se résolut donc à fuir.

L’ombre d’Iles était revenue comme un roi dans ses terres en intendance, tout auréolé de la terreur hurlante des milliers de bonnes viandes chaudes qu’il avait tranché en terres impies, un chevalier mué en loup solitaire, fou dangereux et implacable sur le point de se faire couronner pour perpétrer plus de méfaits. Ce démon s’installa rapidement en elle, il se répandit comme une goutte d’encre acide corrodant tout de noir jusqu’à faire éclater toutes les tours de lumière et y laisser une brume à peine iridescente s’accumuler comme autant d’étoiles fracassées. Il lui empêcha tout repos, sautant sur la moindre baisse d’attention pour lui infliger les plus pénibles réminiscences, pour infuser son esprit de ses propres rêves fracassés, pour, au final, reforger l’esprit de sa victime dans un acier hurlant ses complaintes. Une vibrante pointe d'angoisse où venir empaler son propre corps étranger. Une nouvelle citadelle, où il pourrait siéger et être bercé par toutes les gammes d’un martyre totalement intime, roi des chaînes et des fouets dans son palais de supplices. Et la guerrière redevint une ombre parmi la petite cour de la citadelle, piégée entre un manque de sommeil quasi-total et des visions si poignantes qu’elles affadissaient le réel au point de vouloir l’abandonner. Elle chercha dans la solitude une échappatoire à mesure que les changements inéluctables s’opéraient en elle, se bousculant de plus en plus vite en dominos furieux étalés comme un holocauste de noir sur blanc. Malheureusement, le fait que Wydwan s’aventure fréquemment à l’extérieur, empruntant le passage secret pour aller quérir la nacre de certains coquillages à l’abri de la grotte, sembla hâter le processus de décrépitude interne inexplicable. Ce corps athlétique et incomplet d’où les vestiges de ses ailes pendaient en lambeaux de branches pourries était devenu un boulet plein d’insomnie, une horreur plus lourde que la guerrière et qui la forçait à se traîner au bord du coma. Oona ne pouvait même pas se réfugier dans son esprit car ce traître avait accueilli comme véritable maître des lieux, ce seigneur de retour d’une chasse lointaine. L’intendance avait alors fait bien pâle figure et avait été chassée sans ménagement dans les tourbillons d’une errance totale, sans toit et sans espoir.
En spectre hirsute drogué à la mélancolie, l’Aldryde ne se rendit pas compte des ravages que le parvenu lui infligeait. Les jours glissant les uns sur les autres, elle mourait un peu plus sous l’œil incrédule de sa compagne féérique incapable de guérir ce mal muet et qui se réfugiait alors dans d’étranges travaux pour détourner son attention. Chaque chose fut un supplice pour l'aventurière car incapable de les comprendre elle se mit à craindre le jour comme la nuit, le silence et le bruit.

Les sublimes souvenirs de tous ces Iles fantasmés puis dépiautés avec fureur, étalés tout autour d’elle sur l’étale infernale du boucher lui faisaient perdre chaque jour davantage la bataille de la raison et pourtant le petit ange savait que jamais elle ne pourrait profiter de la béatitude des fous, il ne le permettrait pas. Le démon la cernait, l’étouffait, il était en elle et tout autour d’elle, il était sa croix et son suaire, la maintenant en victime sur le crucifix glacé et la couvrant en même temps de ce voile humide et frigorifiant. La jeune femme frémissait d’ainsi pouvoir sentir son corps, de pouvoir toucher sa peau d’olive par le désagréable contact du tissu imbibé et dégoulinant qui l’emmaillotait au plus près. Elle suffoquait enfin en ouvrant toute grande la bouche et inspirant le voile de bave tissée qui coulait alors en elle, s’insinuant plus profondément à chaque soubresaut jusqu’à ce qu’il l’emplisse totalement et inconditionnellement.

Pendant cette lente descente, Oona errait, n’osait plus parler de peur de répéter à hautes voix les chuchotements incessants qui ravageaient son intimité, elle n’osait plus regarder personne, effrayée à l’idée de voir le reflet du reflet de son œil à lui dans les yeux des autres. Dans cette atmosphère de tombeau, parfois éclairé par la présence bariolée de la fée soudain inquiétante de pureté introspective, la Sphinge avançait dans ses recherches. Au rythme de ses comas à répétition, écroulée dans une agonie muette, ou dans ses transes méditatives ou bien encore dans ses travaux de divination l’Oracle semblait progresser. Elle tirait de vieilles cartes de bois patiné pleines de symboles et d’icones cabalistiques sur un tapis moucheté de soleils verts et d’étoiles noires pour contempler en silence le résultat ainsi peint. Jamais elle ne communiquait les résultats, c’était à peine si elle hochait la tête à la fin de ses séances pour être à nouveau dévorer par les visions oppressantes.

Des visiteurs défilaient aussi en petit nombre faisant à plusieurs reprises douter Oona de la réalité qui éclatait soudain sous ses yeux. Dans ces moments là, elle était heureuse de pouvoir compter sur la seconde paire d’yeux de sa compagne qui ne manquait pas elle non plus d’espionner les nouveaux venus brisant l’atmosphère de meurtre de la Tour. Les questions qu’ils adressaient à la Très Clairvoyante étaient le plus souvent d’une platitude vénale écœurante. Ils demandaient à celle qu’ils craignaient tant de pouvoir ainsi les percer à jour, les emplacements de trésors et cachettes restées secrètes, ils la suppliaient presque de leur révéler la date de la mort d’un proche et la somme de l’héritage à la clef tant l’envie de meurtre les démangeait.
Parfois aussi, un peu de mièvrerie douce-amère venait décaper ces tableaux de crasse lorsque un amoureux transi arrivait hagard et dépenaillé, tout collant de son amour sirupeux, pour savoir où se trouvait sa bien-aimée disparue ou prisonnière. Mais parfois aussi de véritables monstres s’engouffraient dans ce mince territoire de neutralité pour partager un peu de leur horreur quotidienne. Et à travers ces prodromes incandescents, la guerrière dans sa folie galopante, ne pouvait se retenir d’y lire les scories du futur.

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Et sur moi si la joie est parfois descendue
Elle semblait errer sur un monde détruit.

Oona

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Ven 26 Fév 2010 16:10 
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Un homme sans âge à l’aspect répugnant, non pas qu’il se négligeait, mais n’ayant plus conscience de son corps se présenta à la devineresse. Il se trainait d’un endroit à un autre, se cognant aux parois de la tour et trébuchait partout alors que son regard courait dans toutes les directions pour chasser les angles morts qui le terrifiaient. Il répondit aux questions des gobelins par des chuintements et quelques bulles jaunâtres s’échappant de son clapet avarié couronné de vestiges de dents noires. Il aurait été pitoyable s’il avait été squelettique et tremblant, mais là il était gros, énorme, presque obèse et emplissait rapidement la pièce de ses mouvements gauches et saccadés ainsi que de son odeur abominable. Les gardiens ne tinrent pas longtemps avant de le pousser chez l’Oracle, bientôt suivi par les deux petits oiseaux de malheur qui allèrent cependant vite se cacher derrière une pile de vieux livres. Vrishnu éveilla sa maitresse et disparut bien vite laissant l’informe tas humain lentement se redresser devant la Sphinge consciente et inquiétante. En quelques secondes l'homme changea du tout au tout, ses yeux brillaient d’une perversité nouvelle et pour un peu il aurait sauté sur l’Oracle. Ses gestes d’ailleurs devenaient de plus en plus brutaux à mesure qu’il peinait à se contenir, essuyant sans relâche le plat de ses mains jusqu’à les rendre écarlates et reniflant de plus en plus bruyamment entre chaque parole.

Ce qu’il évoqua n’avait rien à voir avec une requête au premier abord _ ni même d’ailleurs par la suite _ c’était une histoire horrible, l’histoire de la perte de son amour, l’histoire de la perte de sa fille, de sa femme, de celle qu’il avait éduquée et qu’il avait aimée deux fois, comme un père et comme un amant. Elle avait disparu sans qu’il comprenne, lui qui l’aimait tant et depuis il la cherchait partout, il avait tout abandonné pour son amour de fille. Plus il parlait, plus il s’éclairait d’une sinistre lueur intérieure, cela lui plaisait de raconter, de forcer quelqu’un à l’écouter, à partager un petit bout du cauchemar de sa vie. Le vestige d’homme, cette boule de chair avariée, abusait sadiquement de cet espace de liberté pour vomir son ballot de purin, pour déballer les restes de son sac de merde bien compactée. Il ne cessait de la décrire encore et encore, il se vantait de la connaître par cœur, de devancer tous ses désirs, elle qui était si gentille, comment aurait-il pu faire autrement ? Mais ses descriptions étaient glauques et morbides, jamais sa petite fille ne semblait être autrement qu’endormie, blanche, son regard tourné vers l’infini et son père.

Cachée derrière les livres, Wydwan traduisait à Oona les paroles gênantes de l’homme ravagé, la tête tournée vers sa compagne mais les yeux rivés droit sur celui dont elle se devait de répéter les insanités. L’Aldryde s’en voulut même de devoir lier ainsi sa camarade à la trame de l’histoire, de l’avoir forcée à conter des horreurs dont elles se seraient bien passées. Mais l'exilée non plus ne pouvait se retenir d’écouter et de regarder ce monstre à la peau d’homme parce qu’elle voyait aussi en lui une part de ce trouble qui la ravageait. Là où son corps à elle disparaissait dans un immobilisme d’autiste en perdant petit à petit de sa substance, en rétrécissant de plus en plus sa marge de manœuvre ainsi que l’écart avec son hôte tortionnaire. Prisonnière entre sa peau et sa peau à lui, cette même substance sans plus aucun pore pour excréter la boue des âmes viciées, l’exilée comprenait que l’obésité de l’homme était une variante, d’une octave supérieure, du même opéra d’épouvante. La Sphinge en revanche ne cillait pas, et lâchait de temps à autre des phrases dépourvues de sens alors que le flot d’images déferlait à travers son esprit qui peinait comme toujours à faire le tri. Et l’homme continuait dans les détails scabreux, son grand sourire pourri dévoilant toute l’étendue de sa joie face à un auditoire qu’il avait dû tant espérer. A chacune des réponses de la devineresse il approuvait bruyamment, hochant la tête en faisant onduler ses cheveux perlés de poux et poursuivait avec plus d’entrain, avouant à demi-mot le meurtre et la suite de sa descente aux Enfers. Il parla et parla encore sans plus écouter personne, hurlant presque sur la fin de son petit conte pour déséquilibrés.

Pas une des deux jeunes femmes n’osa entrer par la suite dans la salle de l’Oracle tant que l’odeur n’en fut totalement chassée et que le temps ne meule cet ivraie infecte dans la poussière des jours tristes.

L’aventurière continua encore elle aussi à dégringoler dans des stades de plus en plus profonds de folie douce, fuyant perpétuellement celui qui gambadait en satyre démoniaque dans les grises forêts calcinées de sa petite âme. Oona n’avait tout simplement pas de réponse car il n’y avait pas de question à poser. Il était là, il était là depuis fort longtemps pareil aux souvenirs d’un père à qui l’on ne s’adresse qu’en dernier recours tant on a enduré son infecte présence. L’oncle fétide s’était donc installé pour une durée indéterminée et la jeune femme, plus que honteuse, se refusait désormais au moindre contact, au moindre effort délaissant ses exercices martiaux aussi bien que la discrète présence de la fée. Ses larmes avaient été pyrolysées bien en aval par le maitre de son âme, ses cris de colère et de souffrance camisolés bien au sec pour plus tard. Au final elle sentait bien que la dernière citadelle de son cœur, cette perle qu’elle avait enfermée dans le plus secret des secrets, avait été prise d’assaut et fracassée. Le précieux contenu s’était alors envolé comme de l’éther et les morceaux à défaut de se recoller entre eux, s’étaient soudés à elle, l’emprisonnant à son tour dans une coquille de peur froide avec dans l’ombre, celui qu’elle ne parvenait plus ni à aimer, ni à haïr. Oona s’était avouée vaincue dès le début espérant la clémence du conquérant mais lui ne cherchant pas le combat, il l’avait accompagnée dans ses geôles plus qu’exigües pour lécher à même cette peau partagée, le divin nectar de souffrance qu’elle exhalait.

Plus rien ne semblait alors rester de la jeune Aldryde égarée et vaincue, le démon l’ayant rendu aveugle au monde extérieur et sourde aux ravages de son propre univers. Cependant, au milieu de toute cette ouate sale, Oona aperçut à nouveau son reflet dans une quelconque vasque de métal patiné. Déformée et cadavérique, elle ne parvint pas à se rappeler combien de temps elle avait erré dans la tour assiégée de son esprit malade et d’une main tremblante elle parcourut la surface de l’improbable miroir tout autant pour s’assurer de sa réalité que de ce qu’il renvoyait. Un instant elle se vit double et replongea dans le désespoir en sentant la présence d’Iles derrière elle, et cette vision de l'Aldryde rendu soudain flou et distant par la vasque lui parla.

« - Oona, tu es possédée et je ne peux rien y faire. Tu as dû ramener cette chose avec toi lors de ta traversée du Sentiers des Senteurs comme tu me l’avais expliquée. Sans doute a-t-il flairé ton chagrin et il en a profité pour y établir son nid, là bien à l’abri avec tout ce stock de chagrin et de sanglots refoulés. »

L’Aldryde le savait parfaitement et elle voulut tuer cette vermine qui lui parlait, elle colla son visage à la paroi froide, les yeux clos alors qu’un silence angoissant déchirait le tumulte de son âme. Aucune peinture de brume ne put signaler les pulsations de son souffle court sur la toile d’argent frais car elle semblait elle aussi absorbée par le miroir. Quand l’Aldryde rouvrit les yeux, Iles avait pris les traits de Wydwan qui s’apprêtait à poser une main compatissante sur le maigre triangle de ses épaules. Tout d’un coup elle voulut la tuer. La tuer pour offrir son âme à la bête qui avait ravagé depuis son arrivée dans ces contrées de ténèbres tous les bourgeons d’espoir qu’elle avait choyée. Elle l’aurait sacrifiée ici et maintenant pour rejoindre les mensonges de son enfance en compagnie de ses sœurs toujours pleine de gaieté et de tendresse. L’exilée l’aurait fait sans hésiter si elle n’avait pas constaté que le trône de son âme était à nouveau vide, le monstrueux roi s’était dissipé dans le reflet déformé de son propre corps. Car prenant un peu de recul pour contrebalancer la déformation, Oona se rendit soudain compte que les panaches de pureté angélique se dressaient avec vigueur de chaque coté de son corps famélique et que par miracle les brandons de sa chevelure avaient ravivé un flamboiement inattendu.

Comme une furie, la guerrière ôta ses guenilles, les déchirant de ses bras sales et maigres pour pouvoir contempler l’image inverse de son corps rachitique, puis avec une émotion toute nouvelle, pour pouvoir le palper et le sentir. Le roi des souffrances cachées avait abandonné ses terres pour un temps, s’exilant aussi rapidement qu’il était revenu, jouissant de cette halte sadique suffisamment de temps pour cueillir les grappes acides d’un mal-être concentré. Une décoction hors de prix qui serait à peine capable de le combler dans son nouveau périple. L’infâme bourreau n’avait même pas laissé à sa victime la possibilité d’un final sublime et désespéré, la fin d’une chute à pleine vitesse avec le sol devenant de plus en plus proche, de plus en plus en réel et salvateur. Il avait juste fui et pour cela elle le haït un court instant car la guerrière aurait voulu ruminer plus longtemps mais elle ne put se contenir et explosa littéralement de toute cette soudain liberté retrouvée. Oona exultait sous les yeux d’une Wydwan presque effrayée, elle se réjouissait de sentir battre son cœur sous le coup d’émotions simples et non plus comme un métronome pour orchestre décédé. Elle tremblait d’excitation et de froid sans vouloir se réchauffer car un nouveau printemps déferlait sur les ruines de son intimité jusqu’à ce qu’il éclaire des tombeaux violés par milliers vomissant les cadavres cristallins des mémoires souillées. Désormais seule à arpenter son esprit, la jeune femme contemplait les conséquences des exactions de cette guerre surréaliste. Elle ne savait pas encore si elle aurait la force d’oublier tout ça, de feindre le mal au combien plus puissant qui la possédait, de regarder les autres avec honnêteté.
Mais pour Wydwan, les choses furent plus simples et sortant un petit couteau de silex, qu’elle passa dans le dos de sa camarade, la fée brandit son arme et mit un peu d’ordre dans la chevelure de sa camarade en répétant qu’il n’y avait rien qu’elle puisse faire.

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Et sur moi si la joie est parfois descendue
Elle semblait errer sur un monde détruit.

Oona

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Ven 26 Fév 2010 16:11 
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Petit à petit, à l’abri de l’hiver qui envoyait ses paquets de mer les plus sentis contre la tour, Oona reprit le dessus, acceptant même d’affronter la réalité de son comportement d’aliénée. Elle finit par reconnaître la folie qui l’avait envahie la faisant se comporter comme un animal en cage dévoré par la rage et l’incompréhension de sa situation injuste. L’Aldryde ne pouvait désormais plus s’endormir qu’aux cotés de la fée qui la veillait avec angoisse comme une sœur cadette effrayée à l’idée de perdre celle qui ne devait jamais faillir et qu’il lui aurait été possible de mépriser et d’haïr sans retenu. La jeune femme finit même par se confier et fit rejaillir les dernières taches sombres de son âme pour qu’elles puissent être disséquées au grand jour. La prêtresse ne pouvait rien faire et s’était bien ainsi, elle restait seulement présente avec la ténacité qu’on lui avait inculquée dès l’enfance afin qu’elle puisse maintenir son rang et son rôle sans jamais fléchir. La petite poupée cuivrée était un roc, une amarre contre la tempête qui s’abattrait à nouveau.

Quand son mental reprit un peu de force, quand elle put enfin dormir quelques heures sans être harcelée par des cauchemars d’une réalité poignante, l’aventurière se décida à reprendre ses exercices. Répétés jusqu’à la limite de ses maigres forces, ils eurent le bienfait de lui faire à nouveau éprouver son corps, de le revivifier pour qu’il puisse accueillir et protéger son âme encore fragile. Sa compagne voulut même l’y aider en exerçant son art consommé du tissage et grâce au carré de silm qu’elle avait défait avec anxiété durant les derniers jours pour en confectionner une petite pelote nacrée, le fée passa et repassa entre les plumes de l’Aldryde. Se servant du duvet comme d’une trame, la noble jeune fille tissa une sorte de minuscule frise protectrice qui se mit à courir, au fil des heures, le long des ailes à la blancheur immaculée, dessinant symboles et signes protecteurs. l’Oracle en revanche restait toujours aussi distante et muette suffisamment longtemps du moins pour que la monotonie des jours pluvieux efface un peu la mélancolie qui s’était abattue dès leur arrivée, suffisamment pour qu’Oona se remette à parler librement, à esquisser un sourire triste parfois et même à apprécier le chant de sa camarade.

La Sphinge passait en effet la majeure partie de son temps endormie sur sa colline de coussins en velours vert, ou plus exactement, elle demeurait immobile et couchée, les yeux clos, comme morte foudroyée dans un jardin printanier. Son serviteur gobelin passait par intermittence dans la salle des trésors, jetant sur la carcasse de métal un regard où se mêlaient le dégoût et la peur à parts égales et parfois il versait une louche de poussière de comète qui enveloppait la Sphinge d’une brume revigorante. Elle reprenait alors vie avec une intensité nouvelle, travaillant avec frénésie quand elle n’était pas absorbée par des visions toujours trop nombreuses. Une fois pourtant elle s’adressa longuement aux deux jeunes femmes, leur contant d’une voix absolument monotone sa triste histoire.

Elle n’avait tout simplement aucune idée depuis combien de temps elle avait été créée. Des décennies, voire des siècles car pour elle l’écoulement du temps demeurait quelque chose d’incompréhensible. Ses premiers souvenirs étaient épars et sans véritable sens car elle avait dansé, chanté, avait servi et joué dans des palais aériens en compagnie d’êtres gigantesques qui à chacun de ses réveils avaient changé au point qu’elle ne pût plus les reconnaître. La Sphinge avait été une poupée, un très vieux modèle que l’on avait activée à la demande et que l’on avait éteint aussi sec, presque une antiquité qui n’avait intéressée guère plus que des petites curieuses ou des adultes nostalgiques. On l’avait ainsi laissée très longtemps sur une étagère ou dans un coffre, son esprit minuscule et archaïque flottant ça et là sans véritablement comprendre les raisons de son existence en pointillés. Un jour cependant il s’était passé quelque chose, peut-être le palais eût-il sombré, peut-être l’eût-on jetée par-dessus bord par dépit, quoi qu’il en soit la poupée fanée avait coulé jusque dans l’encre quasi physique des ténèbres abyssales. Et celui qui l’avait éveillée, dans un palais bioluminescent tout tremblant sous l’implacable pression, avait été un être fort différent, un colosse bouffi à la peau de crème et avachi au milieu de montagnes de trésors engloutis. Le Seigneur des Méandres Obscurs avait dit être un bâtard de Moura réfugié ici avec toute sa clique de sirènes, hommes poissons et tout autres rapaces attendant les disparitions de navire avec avidité. Et sur les indications de leur seigneur, ils étaient sortis de leur cachette ténébreuse pour fondre sur les navires en train de couler, pour maintenir les éventuels rescapés sous l’eau, pour regarder la vie les fuir à chaque nouvelle bulle d’air et ainsi ramener toujours plus de butin dans le palais des profondeurs.

La Sphinge avait été sa nouvelle acquisition et il l’avait forcée à danser, chanter et mimer des saynètes encore et encore dans les rares pièces dont il avait décidé que l’eau serait absente. Le seul avantage à cette nouvelle vie, avait été qu’on ne l’avait plus éteinte, le fils de Moura n’avait pas craint qu’elle s’échappât et s’était plu même à la voir déambuler sur ses petits pieds qui l’avaient faite si souvent trébucher. Elle avait eu alors le loisir de prendre pleinement conscience de sa vie et d’élargir le champ de ses possibilités jusqu’à de nouveaux horizons. Là encore le temps s’était écoulé sans qu’elle en eut eu la moindre mesure. Sa vie avait été ponctuée par les convocations du maitre des lieux qui avait exigé d’elle toujours plus de divertissement quand il ne l’avait forcé pas à retenir les récits plus ou moins fantasmés ayant un lien avec chacun de ses trésors. Ce train de vie avait été rompu le jour où elle était tombée sur une bien étrange pierre, un fragment de l’antique Dol Zuzaïn, la Pierre des Secrets. Irrémédiablement attirée par son aura bleutée, la poupée s’en était saisie et avait été comme envahie par des océans de savoir qui avaient peinés et avait forcés pour pouvoir pénétrer son esprit étriqué déjà saturé par la monotonie de son existence. Elle avait alors crû qu’elle allait tout simplement se dissoudre dans cette infinité de savoirs et de légendes et elle avait lâché prise, laissant du même coup choir la pierre sacrée. Poussée par une curiosité grandissante, elle s’était fait violence pour garder la pierre au creux de ses petites mains de porcelaine de plus en plus longtemps jusqu’à ce qu’elle fut en mesure d’entamer de petites expéditions dans cet autre monde.

Le changement d’attitude n’avait pas échappé au Seigneur des Méandres qui avait juré de l’envoyer dans le plus brûlant des rifts si jamais elle avait recommencé, mais bien évidement la tentation avait été la plus forte et elle s’était enfuie avec la pierre à travers l’océan. Bondissant gauchement dans les courants jusqu’à que ses jambes eurent disparu, dévorées par la rouille. Elle avait continué sur les mains, poussée toujours plus en avant par la pierre qui lui avait instillé des fantasmes magnifiques et des promesses de gloire qui ne lui avait pas été destinée. Même quand l’un de ses bras l’avait abandonné et qu’elle avait pu alors voir à travers son torse défoncée elle avait continué, certaine d’avoir vu sa liberté dans l’une des nombreuses visions. Finalement, totalement démantibulée, un filet de pécheur l’avait ramenée à la surface et dès son réveil, elle avait commencé sa nouvelle vie. Refusant de servir de jouet entre les mains d’une petite souillon, elle leur avait indiqué l’emplacement d’un premier trésor, puis d’un second et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde ait accouru pour poser des questions à l’Oracle venue des flots. Ses gardiens et ses sanctuaires s’étaient succédés jusqu’à ce qu’elle eut enfin atteint cette tour désolée où, avec ironie, elle s’était retrouvée à récupérer des trésors qui jadis avaient appartenu à tous ses anciens maitres sans doute disparus.

Peu de temps avant qu’elle eut fini son récit, Vrishnu apparut comme à l’accoutumée et se tint derrière elle avec toute la patience d’un père pour sa fille malade jusqu’à que la voix de l’Aniathy faiblisse et qu’elle s’effondre alors doucement dans les bras de son serviteur. Il la replaçait donc sur son matelas de coussins, son lit de printemps, avec moultes précautions l’observant à peine quelques instants, juste assez pour que sa dévotion se change en peur et en un début de colère. Oona comprenait que cette situation devait certainement lui peser et il devait envier les pouvoirs de la Sphinge tout autant qu’il les craignait et cette lâcheté à son tour devait alimenter de nouvelles rancunes. Bien souvent ses autres compagnons en faisait les frais, alors qu’il braillait et les battait pour la médiocrité de la nourriture, pour des fautes innombrables dans des registres somme toute inutiles, des passe-temps de prisonniers, voire même pour leurs simples présences dans cette cage dorée. L’avidité les rongeait tous et comme la plupart des Sektegs, ils leur manquaient le courage ou la force mentale pour partir avec leur part et ne jamais revenir, toujours anxieux de perdre ce qu’ils avaient et désireux d’en gagner davantage.

Plus tard, alors que Wydwan avait emprunté le tunnel pour aller récolter quelques coquillages bien à l’abri de la caverne, Oona était entrée dans la salle aux trésors pour continuer le tri dans les trouvailles ramenées de la tour d’Eurast, toutes deux y avaient d’ailleurs déniché de charmants petits objets. L’Aldryde plus particulièrement avec une collection de petits anneaux et boucles d’oreilles s’était confectionnée des bracelets du plus bel effet. Bref, en entrant dans la pièce silencieuse elle trouva la Sphinge effondrée sur le carrelage tavelé, sa tête figée dans un angle impossible et son bras maintenu en l’air par la torsion du corps déchu. La scène était tout simplement sinistre et l’exilée eut de la peine en voyant cette créature complètement impuissante, contorsionnée à la limite du ridicule ou de l’obscène. Elle s’approcha un peu et vit que le masque fissuré de son visage s’était désolidarisé du reste du crâne laissant entrevoir l’intérieur chatoyant de son étrange cerveau mécanique avec en son centre, coincée sous des spirales cristallines, une petite pierre bleue hypnotisante. L’aventurière aurait bien été incapable de la décrire tant elle semblait complexe et changeante. La pierre était tout à la fois ronde et oblongue et pouvait parfaitement passer pour un cube tant ses arêtes rectilignes se réunissaient en des jonctions sphériques. Les prismes de ses flancs s’évanouissaient en éclats de sphère qui se moulaient l’instant d’après en angles aigus qui se repliaient jusqu’à disparaitre. Il était impossible de simplement comprendre la nature de l’objet et Oona ne put que conclure en la nature divine ou fondamentalement étrangère de la pierre. Sa couleur cependant était parfaitement identifiable, un azur parfait, de cette teinte claire que revêtent parfois les yeux de certains chanceux et chanceuses assurés de capter l’attention même dans les plus grandes foules.

L’exilée tendit la main vers la lumière qui devenait de plus en plus tentante au moment où Vrishnu entra et se rua droit vers sa maîtresse, la plongeant littéralement dans le vase contenant la poudre magique tout en assommant l’Aldryde de toute une gamme de jurons fleuris. Il lui reprochait tout et n’importe quoi au fur et à mesure que la poupée ne parvenait pas à se réanimer, lançant des menaces de mort à l’encontre du monstre qu’elle était, hurlant qu’il savait le début que son but était de la détruire. Finalement, les paupières de l’Oracle clapèrent et d’un geste brutal elle remit son masque brisé en place, chassant de la pointe du menton son serviteur qui n’en finissait pas de remercier tous les panthéons pour sa résurrection et de dénoncer la vilénie de la visiteuse. Quand il fut parti, la poupée tourna sur son reste de corps et entrouvrit la tenture derrière sa colline verdoyante, pour laisser apparaître un vieux miroir dont l’argent malade ternissait tout en gris.

Elle se tortilla encore et posa son coude sur la paroi, scrutant, en équilibre précaire, les restes de son masque, sa main parcourant longuement toutes les fêlures de ce visage de porcelaine éclatée. Le malaise que ressentit Oona devant cette scène surpassa bientôt le précédent, tant la poupée ressemblait alors à un nouveau-né difforme, à moitié dévoré et qui ne parvenait pas à comprendre l’image qui lui était renvoyée. Il y avait quelque chose de profondément dérangeant à voir ce reste de corps mangé de rouille se déployer sans pudeur pour contempler sa propre horreur dans la glace et vérifier la présence de nouvelles balafres sur sa face inexpressive. L’Aldryde ne lui accorda qu’un bref regard et voulut s’en aller, mais alors que la devineresse ne bougeait pas, la guerrière l’observa à la dérobade et capta le reflet cru de l’éclat de son regard. Peut-être fut-ce la familiarité de cette scène dont elle avait tenu le premier rôle il y a quelque temps sans en comprendre la vraie nature qui la força à l’examiner plus en profondeur, car ainsi renvoyé le regard n’était plus inquisiteur mais seulement terrifiant. Comme celui d’une araignée considérant l’agonie d’un moucheron dans sa toile, celui d’un tueur gravant dans sa mémoire sa propre image dans les yeux dilatés de sa victime ou bien comme celui d’un dieu incapable de comprendre les peurs de ses créations.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Ven 26 Fév 2010 16:12 
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Puis les deux poupées volantes furent un jour convoquées par la marionnette en ruine pour une cérémonie de divination, elles s’exécutèrent et observèrent un bien étrange ballet du lever au coucher du soleil. On commença, avec l’aide des gobelins présents, à ôter les tapis miteux et les coussins tristes, on déplaça tout ce capharnaüm de brocanteur d’un coin à un autre de la petite pièce en monticules instables ou milieu d’autres mégalithes de livres tremblants. Tout cela pour dégager un très faible espace de vieilles pierres où une valse atypique débuta. Callée dans les bras de son assistant, ce père et cette mère de substitution, la Sphinge répandit sur le sol de la poussière de comète en d’innombrables allées et venus, saupoudrant ça et là ce reste de rien qui ondulait quelques instants avant de simplement s’évanouir. Si l’Oracle n’avait pas irradié d’une concentration extrême et inhabituelle, les jeunes femmes auraient pu croire qu’elle aussi avait cédé à la folie des lieux en répandant ainsi à l’aveuglette son élixir de vie qui jamais ne tarissait. Par la suite, elle disposa divers objets dans l’espace vide où elle n’avait cessé de tourner en rond des heures durant.

Tout d’abord les trois écus, posés avec grâce sur des écrins brodés d’or et de perles, les uns à cotés des autres, puis de nombreuses chandelles roses, noirs et blanches sans ordre apparent mais aussi quelques petits miroirs et cristaux et enfin deux statues de bronze. L’une représentant une sorte de poisson monstrueux et l’autre un visage en pleurs. La devineresse demanda aux visiteuses de se placer à des endroits très précis et de n’en bouger sous aucun prétexte, elles ne devaient pas non plus parler jusqu’à la fin de la cérémonie. Ensuite elle ordonna à Vrishnu de se tenir, et donc de la maintenir, à un emplacement particulier et déposa deux runes rapportées des ruines de la Tour de l’Atha Ust à chacun de ses cotés. Sur chacune des runes elle déposa une petite bille de cristal à milles facettes qui déjà réfléchissaient la lumière comme de petits arcs-en ciel paisibles. L’Oracle fit une pause avant de donner son dernier ordre et bientôt un gobelin gravit une échelle douteuse jusqu’à l’unique fenêtre du lieu, toute opaque de poussière et de suie, il l’ouvrit.

La clarté d’une parfaite moitié de lune commença à se déverser dans la haute pièce transformant la scène en un pur instant de féérie. La poussière de comète ressuscita soudain, formant de magnifiques spirales scintillantes et ondoyantes emboitées les unes dans les autres. Elles se dessinaient alors autour de chaque objets et de chacun des protagonistes, puis se fondaient gracieusement dans une plus grande spirale dont la Sphinge et son porteur en était le centre. L’infime lumière était captée par ce rien magique qui l’absorbait alors pour la diffracter et la renvoyer en tout sens, la faisant pulser à l’intérieur des corps de multiples serpents cosmiques. Ces galaxies de galaxies multicolores ondoyaient doucement au son quasi imperceptible de la danse des astres, ce même murmure que produisaient les premiers gros flocons de neige tombant en bataillons blessés sur leurs frères déjà morts. La poupée prononça alors deux mots étranges et les runes s’allumèrent envoyant leur éclat doré dans toutes les directions, projetant sur tous les supports des infinités de symboles incompréhensibles et tournoyants. La devineresse piochait alors de son unique main dans ces tourbillons de lettres, les déplaçait, les éclatait, mais bien vite les lettres se muaient en nouveaux symboles aussitôt pulvérisés par des sens multiples. Le signifié écrasait le signifiant sans raison autre que de reprendre son droit à la vérité qu’ils ne faisaient que se partager de mauvaise fois et la Sphinge fut bien vite dépassée.

Au début les spectateurs étaient béats d’admiration devant ce spectacle à jamais unique mais bien vite l’incompréhension barra leur esprit et ils se lassèrent vite du caléidoscope abscons, même Wydwan qui, en lettrée bien éduquée, avait forcé son attention. Oona remarqua alors que l’Aniathy était de plus en plus en difficulté à mesure que les lettres envahissaient l’espace et la submergeaient de leur sens multiples et cachés. Cependant elle n’en démordait pas et s’échinait à décrypter les mots toujours trop nombreux et c’est avec cette même détermination lente et calculée que le paysage changeait autour de l’Aldryde. Plus précisément, c’était elle qui se déplaçait, ainsi que sa camarade féérique et chacun des objets dans leur robe en peau de boa cosmique qui gravitaient autour de la devineresse. Les bras des galaxies se resserraient de plus en plus et de plus en plus vite manquant de peu de faire se percuter chacun de leur petit centre physique. Les jeunes femmes arpentaient sans se déplacer la piste baveuse d’un escargot disparu, ayant lui aussi léché la brillante trace d’un défunt congénère bien plus important que lui. La lune défilait lentement dans l’encadrement sale de la petite fenêtre alors que les auspices restaient toujours aussi capricieux. Puis, quand le dernier rayon s’évanouit, quand l’Aldryde, la fée, la Sekteg, l’Aniathy, les bougies consumées, les miroirs, les cristaux et les statues commençaient à se monter presque dessus, tout s’arrêta. Les runes brillèrent une dernière fois pareilles à des soleils mourants, avant de disparaître et de laisser le seul bruit des billes roulant sur la pierre briser le silence.
Si elle avait pu sourire, la Sphinge l’aurait fait en s’adressant à ses visiteuses et pour la première fois ses paroles furent empreintes d’une émotion faible :

« - Si l’on peut considérer une réalisation comme un échec, alors s’en fut un retentissant. Je n’ai hélas rien pu apprendre de nouveau sur ces pièces. Comme dans la plupart des divinations, je vous ai aperçu, je nous ai aperçu, ici et maintenant et plus tard aussi, dès le début. Puis après ce fut juste un calvaire pour tenter de retrouver ce bref instant dans les textes de Zewen.

Elle continua son explication avec une certaine fureur dans les yeux, fureur de l’échec mais aussi de ce qu’elle venait de contempler.

- Ces runes sont les mots de Dieu, le pourquoi et le comment de toute chose et j’ai bien orgueilleusement tenté d’espionner la grande bibliothèque du Tout par ce minuscule trou de serrure. Je voulais remonter la trame qui les avait amenées en votre possession et donc à moi-même, pour ensuite parcourir à rebours les chapitres des histoires passées ou futures qui vous concernent, qui me concernent. Hélas lire le langage du divin quand on est aveugle et ignorant est une tâche impossible même en comptant sur la chance.

Elle fit se lever Vrishnu, heureux de pouvoir s’étirer un peu, et demanda à se faire déposer sur son trône mou, les jeunes femmes attendaient avec impatience la suite.

- Je vais donc vous révéler ce que les tarots, le sable et les coquillages m’ont appris depuis que vous êtes revenues. Ces trois pièces sont les symboles majeurs d’une histoire qui en comptent neuf au total mais dont, étrangement, je ne puis connaître par aucun moyen le sens ou la finalité. Peut-être y suis-je trop impliquée et que je suis ma propre ombre. Quoi qu’il en soit il est nécessaire de toutes les retrouver pour découvrir le fin mot de cette histoire. Elles ne sont pas loin d’ici pour la plupart, sur Nirtim, à quelques encablures. Deux d’entre elles se cachent loin au nord des terres de Oaxaca, dans la banquise, dans les ruines d’une très ancienne et très puissante cité. Elles servirent à payer le passage d’un chef Garzok sur le fleuve de la mort. Je crois aussi qu’une autre est prise dans les glaces, dans les montagnes du centre, à proximité des Duchés des hommes et des nains. Collée contre la peau gelée d’un malheureux, elle vous y attend. Les dernières cependant sont en mouvement, l’une dans les mains, d’un gobelin non loin des mêmes Duchés, l'autre en la possession d’un homme qu’il m’est difficile de cerner tant il doit être au courant de la nature secrète de ses écus. Quant à la dernière, la Sphinge choisit précautionneusement ses mots, elle vogue entre les réalités, elle peut être partout et nulle part à la fois. Je ne sais pas encore comment la trouver, mais si vous revenez me voir avec plus de pièces j’aurai plus d’informations à vous donner, assurément.

Cette longue tirade avait fini de chasser les rares traces d’émotions de sa voix d’automate ce qui épaissit encore la solennité de ses derniers mots.

- Voyez ceci, dit-elle en pointant une rognure cristalline là où elle s’était tenue durant la cérémonie, Wydwan voulez-vous utiliser les restes de silm et votre bon savoir pour le monter en pendule ?

Et la fée s’exécuta en emprisonnant avec célérité le croc brillant dans des mailles d’araignée ravissantes, sans même paraître affectée par la pression conjointe de plusieurs paires d’yeux impatients. Elle-même pressée de connaître la suite des événements elle tendit l’objet à la poupée qui ne fit que l’effleurer quand soudain il s’agita. Le pendule se tint presque à la verticale pointant furieusement les trois écus dans leurs écrins. L’Oracle reprit la parole son regard halluciné par des visions soudaines :

- Ceci, pourrait-on dire, est notre consolation, un rebut d’art divinatoire inhabituellement utile. Je sais que sa portée est moindre, cependant il vous sera utile, de ça aussi j’en suis sûre. Maintenant hâtez-vous, partez sur le champ ou bien demain à la première heure et descendez vers les montagnes du centre, vous y croiserez ce gobelin qui détient l’une des pièces, je le vois. »

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Dim 7 Mar 2010 13:43 
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Profitant du sommeil du monstre d’écume opalin, les deux aventurières fuirent la Citadelle de l’Oeil Aveugle par le corridor de statues mortes, s’évitant ainsi un petit détour. Toutes deux avaient décidé de voyager léger, Oona ne prenant que son dernier écu et la rapière Aldryde qu’elle avait finie par apprivoiser non sans être constamment enchantée par sa pureté meurtrière. Au cours des exercices qu’elle avait repris avec toute la passion d’un condamné recouvrant la liberté, l’Aldryde s’était rendue compte à quel point cette simple épine de pin damasquinée des verts les plus somptueux s’incarnait comme le prolongement de son corps. Cette arme de princesse parachevait tout son être, lui restituant une sorte d’équilibre salvateur au milieu des crises qu’elle traversait. Wydwan quant à elle s’était contentée de prendre sa lance de vigne et sa fronde bien qu’elle ait épuisée tous ses projectiles de pollen magique. Toutes deux enfin, conscientes que l’hiver rechignait à abandonner son trône pour quelques mois, profondément enchâssé dans le givre et les embruns glacés qui déferlaient encore en ces lieux, se vêtirent donc chaudement avant d’emprunter le sentier du sud.

Nourrie par les courants froids gorgés de vie, une foule toujours plus grande d’algues et de mollusques étaient venus parasiter le grès éclaté faisant cligner là un œil sous le passage de gros crabes. Ou bien ornant ailleurs un visage d’un sourire mouvant fait de l’union de tous ses corps baveux condamnés à transporter le poids de leur prison sur leur dos. Oona se souvenait parfaitement de la violence brute qu’elle avait dû affronter avec le Surin pour traverser ses boyaux de bustes brisés et empilés par une volonté sadique mais là ce calme était annonciateur des pires auspices. Les petits oiseaux de malheur hâtèrent donc leur progression, voletant sous des ogives vertes suintantes, bondissant sur les corps oubliés d’une foule d’illustres inconnus pour fuir l’angoissante berceuse du doux ressac.

Plus tard, bien plus tard, alors qu’elles continuaient toujours plus au sud, profitant des courants ascendants pour reprendre un peu de force, elles tombèrent sur les restes d’un carnage si prompt à fleurir dans ces contrés désolées. Il y avait autour des jeunes femmes les corps fauchés et mutilés d’une demi-douzaine de bâtards d’orques et de gobelins que la mort et la souffrance avaient rendues encore plus difformes. Elles flânèrent quelques instants au milieu des cadavres encore chauds, dérangeant à peine le festin d’un pitoyable chien sauvage résumant à lui seul les lois de l’Omyrrhy. Dire qu’il était famélique aurait été un doux euphémisme tant on pouvait se demander de qu’elle manière il pouvait ainsi se mouvoir par petits bonds, comme s’il avait dû dévorer ses propres muscles et ne laisser que cartilages et tendons lui donnant ainsi cette allure de diable à ressort. La carpette tendue à l’extrême sur son squelette oscillait entre de rares touffes miteuses et des déserts de peau blanchâtre qui ne manquait pas, à chaque repli, d’être envahis par des colonies de tiques grisâtre. De la vermine dévorant de la vermine, dévorant de la vermine. Et quand le colloque des corbeaux devint trop écrasant de son silence, pareil à une assemblée de mystiques priant avant le sanglant Sabbat, l’Aldryde et la fée reprirent leur route, abandonnant la scène aux charognards et aux opportunistes, les véritables fidèles d'Oaxaca.

Pressée par l’envie, le besoin presque, de terres plus avenantes ainsi que par le désir de connaître la suite de cette ridicule histoire, les jeunes aventurières poussèrent leur course jusque tard dans la nuit, s’autorisant alors un repos bien mérité. Oona, toujours au prise avec ses cauchemars récurants acceptait avec joie cette proximité physique rassurante au moment de s’oublier au sommeil et bien qu’elle ne l’eut jamais formulé, la guerrière remerciait toujours sa camarade de sa simple présence. Elle sentait désormais que sa compagne appréciait elle aussi ce moment d’intimité chaleureuse perdu au milieu des dédales de ronces ou des hais trouées par l’obscurité. Car sans le vouloir l’aventurière avait entendu les paroles de la Sphinge en réponse aux questions de la fée sur le devenir du reste de sa famille. Comme la prêtresse l’avait devinée, ses petits cousins avaient bel et bien atteint le siège du dernier Arbre des Cauchemars seulement pour se voir happer par les flots d’une guerre infinie. Ressuscités encore et encore par un Opium des Songes révélant soudain tout son pouvoir maléfique car plongeant les restes du petit peuple dans une éternité de carnage. Aucun peuple n’était prêt à abandonner les vestiges de son passé, préférant s’acharner à faire jaillir de faux espoirs des masses sanguinolentes des frères massacrés. Même si Wydwan l'avait compris depuis leur séparation, elle savait désormais que le destin de sa famille, de son clan et de son peuple était scellé.
Elles s’endormaient donc l’une à coté de l’autre, l’une chassant en silence les démons de l’autre, espérant peut-être pouvoir échanger leur place dans les rêves. Oona empruntant le frêle corps de son amie pour ne plus rien offrir à celui qui la possédait et Wydwan s’appropriant la force de la guerrière pour pourvoir enfin affronter la tragédie qui l’avait frappée il y a bien trop longtemps.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Mer 21 Avr 2010 14:17 
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Le retour vers la Citadelle de l’Oeil Aveugle apporta au petit ange davantage de questions que de réponses. Certes elle avait récupéré un nouvel écu des griffes chétives d’un petit gobelin et cela sans avoir à courir de grands risques. Ainsi dépeint le bilan semblait tout à fait positif, hélas s’était ignorer la méthode par laquelle ladite pièce avait été extorquée. Oona ne s’était pas surprise à user de la violence face au gobelinot, sachant pertinemment que ce dernier ne l’aurait pas épargné en pareille occasion malgré ses airs bêtas. La jeune femme savait que la stupidité parfois affichée par cette race veule face à l’inconnu n’était en réalité qu’une façade pour masquer les jeux de traîtrise qui se déroulaient dans leur esprit pervers. L’aventurière finit pas se convaincre et réussit aussi à calmer un début de culpabilité ou d’angoisse face à ce qu’elle était devenue en se disant que tout au plus elle avait donné une leçon de vie au jeune peau-verte. Il avait appris à ses dépends que ce monde de cauchemar jouissait de pouvoir traquer et écraser la moindre trace de candeur et d’innocence.

Malgré cela, Oona n’était pas entièrement sereine. A vrai dire elle ne l’était plus depuis longtemps, seule la présence de Wydwan et seulement elle parvenait à la rassurer, leurs deux âmes s’accordant au même subtil diapason pour perpétuer un très silencieux duo. Même au pied de la Tour dont le décor n’était plus qu’une obscure mêlée, une brouille inextricable de gifles d’écume bleu-vert sur fond de soleil couchant assassiné, même face au grandiose des éléments, la jeune femme ne put chasser la crainte grandissante qu’elle devint pire que ses peurs. Mais à nouveau elle pécha par procrastination et s’engouffra dans le passage secret menant à l’antre de la Sphinge, préférant remettre à plus tard son cas de conscience pour mieux en accuser le démon de plus en plus discret qui s’était tant repu de sa douleur.

L’Oracle ne désirait pas les recevoir immédiatement et les deux comparses s’offrir alors un peu de repos en compagnie des scribes gobelins en jouant quelques parties de cartes et en déroulant les ridicules histoires de leur vie. Il n’y avait en effet parmi eux pas plus de traces de héros que de génie, aucun haut fait, pas même les survivances d’un ancien héritage mystique. Leur vie à tous, Sektegs, Aldryde et fée était une question que n’en finissait pas se reposer, une succession de points d’interrogations se crochetant aléatoirement par leur boucle pour former des guenilles crasseuses dépotées au fond de ruisseaux pourries. Ils avaient couru la gloire et la fortune pour certains, d’autres avaient simplement fui, mais au final personne ne se souviendrait d’eux. Sur leur cercueil on graverait à peine _ d’avoir trop rêvé ils sont devenus feignants _ et on y mettrait le feu de peur qu’ils vinssent hanter le repos des honnêtes travailleurs. Et ceux qui arrivèrent par la suite, plein d’écume poisseuse, ne parvinrent pas à donner plus de sens aux divagations paresseuses clapotant dans l’antichambre de la Sphinge. En effet deux jours à peine après leur retour, d’autres visiteurs vinrent encombrer la très petite salle de leur bruyante présence.

En quelques secondes, Oona les détailla et les perça à jour, enjoignant sa camarade féérique de se tenir sur ses gardes, car cette racaille là venait tout droit de la sombre Omyre, encroutée comme il se doit en cette saison par les coulées putrides résultant de la fonte des neiges et crachant toutes les plaies de la campagne à la face grêlées de la fourmilière d’airain. Ces rejetons du mal avaient le sang mêlé de multiples générations de traîtres geignards survivant à peine dans leur propre fange, de l’écume de bassesse distillée pour produire la quintessence de la lie. Ils étaient à mi-chemin entre le gobelin et l’orque, un mariage bien mal consacré d’où rien de bon ne pourrait assurément sortir et cependant ils étaient bien calmes, presque au garde-à-vous devant la porte de l’Oracle. De cette dernière s’échappa d’ailleurs un Vrishnu tout d’hermine vêtu enjoignant avec sa pédance habituelle les visiteurs à tous venir rencontrer la petite prophétesse. Les deux oiseaux de malheur s’engouffrèrent rapidement dans l’embrasure immédiatement suivis des cinq acolytes encore tout dégoulinants, le premier d’entre eux, relevant sa capuche laissant apercevoir une face brune où nez et oreilles étaient absents.

La poupée fracassée les attendait sur son trône de cousins verts miteux et s’adressa sans cérémonie à l’Aldryde.

« - Oona, je dois m’occuper de cette affaire en premier car il en va de notre bénéfice à toutes. Rassemble tes écus, pendant ce temps.

Curieuse de connaître la suite des événements elle s’exécuta distraitement, focalisant toute son attention sur les Sektegs, Wydwan en fit de même après avoir donné un clin d’œil espiègle à sa camarade. L’aventurière vérifia tout d’abord que les pièces se trouvaient bien dans le petit coffre d’argent où elle les avait laissées avec quelques autres effets avant d’observer plus en détail les visiteurs qui venaient de lui passer devant. D’avoir fréquentée cette vermine pendant quelques temps, Oona savait à peu près à quoi s’attendre, elle en avait d’ailleurs instruit sa petite amie et qu’elle ne fut pas leur surprise à toutes les deux de voir ses gobelins parfaitement sages. Aucune main distraite ne cavalait au milieu des coffres bourrés d’or et de pierreries, aucun regard en biais ne lorgnait avidement les armes antiques et les parchemins précieux, ils attendaient patiemment que leur chef ait fini ses palabres avec l’étrange poupée.
Ce dernier commença par offrir à l’Oracle, par l’intermédiaire de Vrishnu, deux tablettes d’argile qui semblaient venir d’une autre époque tant les caractères à sa surface avaient été limés par le temps. En équilibre sur son unique bras, elle dandina les restes de son corps pour les observer longuement avant de hocher la tête. Elle poursuivit après ce lourd silence d’un ton péremptoire inhabituel :

- N’étaient-elles pas sous la grande statue d’Ogamak comme je l’avais prédis ? Tu te dois de me faire entièrement confiance Gëtem, même si pour cela tu dois creuser plus profondément et perdre quelques-uns de tes frères.

- Oui, devineresse, je ne remettrais plus votre parole en doute.

- La crédibilité n’est guère importante face à l’absolu, ce que je dis est vérité et tu ne ferais que perdre ton temps à discuter face à mes prédictions. Enchaîna l’Oracle soudain très autoritaire.

- Je comprends tout à fait soyez-en assuré. Maintenant, O Très Clairvoyante pouvez-vous me révéler le chemin vers les tombeaux royaux d’Astérök ?

Le ton de sa voix laissant apparaître une volonté certaine de faire oublier rapidement ses erreurs passées quel qu'elles fussent.

- Absolument.

Elle pausa.

- J’ai cependant besoin de plus de précisions.

Voyant la contrariété se peindre sur les traits ravagés du gobelin, elle enchaîna.

- Le chemin jusqu’à la tombe royale sera long et dangereux et ce que je t’offre ici c’est une manière de financer la dernière expédition avec de vrais trésors en plus des nouvelles indications. Le temps que tu as perdu en allers-retours inutiles est de ta seule faute, profite plutôt du dégel pour remplir tes poches.

La poupée toujours aussi impressionnante dans les ruines de son corps fit signe à son assistant qui confia à Gëlem un rouleau de parchemin.

- Ces indications te mèneront au Premier Dédale. Applique à la règle les cérémonies que je t’ai apprises et ne t’éloigne jamais du trajet que j’ai inscris. Un seul faux pas et vous éveillerez les Gardiens des Sépulcres.

Elle s’interrompit en proie à ces souvenirs étrangers qui passaient librement en elle.

- Même d’ici je ne peux que frémir face à l’aberration de leur existence. Ils sont l’ombre dans le miroir et arpentent le temps et l’espace à la recherche de ce que nous ne pouvons pas même imaginer. Je me languis de savoir quel pacte les anciens Garzoks ont passé avec eux et qui a provoqué leur si tragique chute.

L’atmosphère de la mince tour déjà appesantie par la suie et l’encens devint encore plus lourde et sombre, physique et écrasante comme si les plus mauvais augures se massaient et se penchaient tous au même moment sur l’assemblée de pilleurs de tombes.

- Va là avec tes frères et tu trouveras la richesse. Emmène ces deux créatures avec toi, elles aussi cherchent les trésors des antiques civilisations. »

A ce moment cinq paires d’yeux flamboyants de la même colère se posèrent sur le couple ailé qui fit tout son possible pour ne pas perdre la face. Gëlem plissa de son absence de nez et se retint au dernier moment de cracher sur les tapis précieux râpés jusqu’à la corde, il acquiesça et l’affaire fut faite. Les adieux furent alors brefs, l’Oracle s’étant en effet prestement retirée pour étudier les tablettes orques antédiluviennes et la troupe d’Omyre pressant le pas pour rejoindre leur campement. Prises au dépourvu et ne sachant pas vraiment quoi prendre, Oona et Wydwan attrapèrent le strict minimum, leurs armes et armures, quelques pièces de monnaie et chapardèrent des restes de fruits secs avant de rejoindre leur nouvelle troupe grondante et pestant.

_________________
Et sur moi si la joie est parfois descendue
Elle semblait errer sur un monde détruit.

Oona

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MessagePosté: Mer 21 Avr 2010 14:19 
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Les Sektegs parlèrent peu, progressant rapidement droit au nord, ne se reposant qu’un couple d’heures pour profiter de la pleine lune qui leur laissait ainsi tout le loisir de battre la campagne en sécurité. Les deux plus costauds avaient sur leurs épaules un madrier auquel était suspendu le strict nécessaire en ration et autres ustensiles. Dès le début du périple l’Aldryde et la fée s’y établirent en passagère clandestine, bercée par la ballotement de la cargaison et les ahanements des porteurs. Bien qu’originaire de la Cité Noire, Oona comprit qu’ils étaient bien trop discrets et disciplinés pour y avoir grandi toute leur vie. Ce n’était pas de simples soldats en maraude, des écorcheurs pilleurs de caravanes mais plutôt des éclaireurs tout de cuir, de peaux et de muscles sans doute capables de disparaître et de frapper habillement au moindre signe de danger. Du moins c’est ce qu’elle s’imaginait en sombrant petit à petit dans le sommeil. Et ce fut la chaleur d’un feu qui la réveilla alors que le soleil commençait sa course dans le gris-bleu d’un ciel printanier. Les cinq gobelins mâchonnaient leur ration en s’imaginant déjà fracturer les tombes pleines de trésors qui les rendraient riches à ne plus savoir qu’en faire. Oona profita de ce moment de calme relatif pour aller voler près du chef et en apprendre un peu plus sur la destination, ce n’était pas quelque chose qu’elle aimait beaucoup faire mais les mystères s’ajoutant aux énigmes, elle préférait rompre la glace pour avoir plus de précisions.

Gëmek ne la regarda même pas et pour toute réponse pointa le nord-ouest, crachant quelques mots à propos d’un arrêt pour récupérer les autres soldats et des ruines qui s’étendaient au-delà de la banquise, dans le Glacier Soupirant. La jeune femme préféra ne pas insister, haussant des épaules en guise de réponse aux interrogations muettes de Wydwan et quand elles observèrent ladite direction ce fut pour apercevoir de la fumée serpenter de plus en plus haut et de plus en noire. Malheureusement pour elles, la troupe s’y dirigea directement comme allécher par une infecte odeur de chair brulées de plus en plus envahissante. Les aventurières avaient beau papillonner autour de la troupe, les collines leur masquèrent la vue jusqu’au dernier moment avec la volonté quasi théâtrale et presque sadique de les éblouir de toute l’horreur de la scène.

Poussées en avant par leur curiosité elles avaient en effet dépassé Gëmek pour se retrouver tout à coup au bord au bord de la falaise et être frappées par une vague immonde de cris et d’odeurs épouvantables. Là, à leurs pieds, dans une rade de presque une lieue de long grouillait une horreur dégoulinante de sang et de graisse, un tapis de corps informes écorchés avec soin, couche après couche, suintant et fumant dans l’air froid du matin. Tout bougeait, se contorsionnait et souffrait de concert, un gazon fou vibrant de terreur et alimenté en permanence par des navires délabrés surfant dans les boyaux jusqu’aux plages de galets souillées. Le chef de la troupe passa à coté des petites voyageuses riant de leur dégoût et de leur stupeur, leur décochant quelques mots avant de descendre plein d’entrain vers ce qu’il venait de nommer la Baie des Tripes. Au bout d’un long moment angoissant, écrasées qu'elles étaient par la majesté infernale du lieu, les exilées comprirent qu’ils s’agissaient d’une boucherie gigantesque et surréaliste qui avait envahi toute la rade.
De la mer, teintée du sang caillé revenait une armada misérable de navires de pêche traînant derrière eux les carcasses encore secouées de spasmes de tout ce que la mer pouvait compter de gros gibier. Car ils ne pêchaient pas, ils chassaient, leurs instincts sauvages leur interdisaient toute patience n’étant pas récompensée par la tuerie. Ils chassaient avec délectation les phoques et les morses, parfois même les dauphins et les baleines imprudentes, les harcelant sans relâche sur les côtes et les grèves où le dégel permettait à ces gros mammifères de mettre bas. Puis ils les traînaient là, où des légions de boucher sautaient à la gorge encore chaude des bêtes pour les saigner, étouffant leur beuglement de détresse sous la violence de rires carnivores. Les orques et les gobelins les dépeçaient encore vivant, séparant avec toute la dextérité du boucher né, les couches de graisses du muscle frétillant de douleur, qui à son tour était tranché jusqu’à l’os.

Des feux acres d’algues calcinées empuantissait l’air jusqu’à la nausée, prêts à donner ses lettres de noblesse à cette étale de l’enfer. Les diablotins pataugeaient dans les entrailles traînant sur leur crochet les livres de viande, les pattes et les crânes en braillant à qui mieux mieux la qualité de leur office de bourreau. Ils naviguaient au milieu des carcasses tréssautantes d’agonie où parfois même les yeux injectés de peur clignaient, s’agitaient encore alors qu’on trifouillait dans la forêt de leurs cotes pour excaver les précieux organes. Viande et peau, tout cela était prestement boucané dans la noire fumée, la graisse et les tripes bouillies et marinées dans d’immenses chaudrons. Les enfants du mal grouillaient par centaines dans une parfaite anarchie, une impossible entreprise de transformation qui ne faiblissait jamais, qui ignorait les imprudents écrasés par un gros morse se débattant, qui ignorait les malades et les infirmes se battant avec la vermine galeuse pour des restes pourris. Bref, c’était une forge irréelle où se façonnait l’extinction d'un nouveau monde à peine exploré.

Profondément choquées et déboussolées, les deux femmes ne purent descendre qu’en s’enroulant profondément dans leur cape et leurs vêtements, serrant les dents pour retenir la nausée et le dégoût. Heureusement, le campement de fortune des pilleurs de tombes était suspendu dans un des lacets menant à la baie et elles n’eurent pas à descendre jusqu’en bas pour suivre Gëlem partant chercher des provisions avec l’intégralité de sa troupe. Toute la troupe hormis une masse sombre tout au fond de la tente rapiécée, un infirme marmonnant dans son coin occupé à coudre quelque chose d’invisible. La puanteur semblant moins forte à l’intérieur de l’abri, les aventurières allèrent y bourdonner ravi de cet écran qui masquait tout autant l’atrocité des lieux que les odeurs. Désormais elles n’avaient plus qu’à s’accommoder des vagissements lancinants des centaines de bêtes trucidées sans la moindre forme de pitié. L’infirme leva les yeux vers les intruses et sa capuche de fourrure glissa emportant tout son manteau et découvrant ainsi les ravages de son corps. Plus tard elles apprendraient au milieu de son charabia incessant que toutes ces tortures étaient le résultat d’un chaudron de goudron balancé depuis les remparts de Pohélis, mais pour l’instant la gêne grandissait en elles, tant la charpie soudain découverte s’accordait à merveille avec la Baie des Tripes. Des jambes, il ne restait que des moignons noircis, sa peau, ce patchwork improbable, était tendue et diaphane, une sorte de toile aspergée de mauvaise teinture boueuse sous laquelle glissaient des muscles trop roses. Le malheureux n’avait plus vraiment de forme, tout juste des reliefs, des bosses ça et là entre deux ravins cicatriciels qui laissaient deviner les contours de ce qu’il avait pu être. Son esprit non plus n’avait pas été épargné. Que ce soit par la guerre ou par la douleur, pourtant si souvent appréciées par les peaux-vertes, Tok, tel était à priori son nom, avait été mué en une stèle brisée dont on ne pouvait que lire et relire le même discours.

Ce fut d’ailleurs leur seul distraction durant le trajet jusqu’à Astérök, l’entendre débiter des histoires sans queue, ni tête et essayer d’y remettre de l’ordre. En effet, alors que la vingtaine de gobelins cheminaient vers le nord, s’approchant de plus en plus de l’horizon aveuglant du glacier, l’Aldryde et la fée avaient pris place dans l’unique carriole tractée par un solide bœuf musqué au destin déjà scellé. Là, à l’abri du monde extérieur, du froid et des autres, elles bavardaient et laissaient le temps s’écouler. Tok leur confectionna, comme il l’avait fait pour chacun des membres de la troupe au fur et à mesure des périples, des pelisses de grandes qualités. Il semblait en effet que seules ses mains soient encore en état de fonctionner car même à leur petite échelle, il fit du travail remarquable transformant de vieux gants polaires en manteaux de fourrure tout à fait convenables. Dans cet espace d’infinis nuances blanches et froides ou bien à l’abri dans l’obscurité du traineau le temps ne semblait plus avoir de réalité, il s’écoulait à peine, prisonnier lui aussi des glaces, ne gouttant que pour marquer les jours et les nuits.

Durant la première semaine donc les jeunes femmes remontèrent patiemment l’histoire du groupe de Sektegs, déduisant que la plupart d’entre eux avaient été enrôlés de force puis envoyés loin au nord, sur Nosvéris pour attaquer la grandiose cité de Pohélis. La lutte avait été acharnée mais les forces d’Oaxaca avaient triomphé grâce à leur brutalité sans pareille. Pour les estropiés comme Tok, les déserteurs ou les voleurs comme Gëlem, ce nouveau monde n’offrait rien de bon et ils avaient décidé de rebrousser chemin dans l’espoir de sauver autrement leur tête. Sans doute avaient-ils été hypnotisés par les sagas des prisonniers contant les richesses des anciennes cités disparues, quoi qu’il soit, Gëlem était parti trouvé l’Oracle et était bel et bien revenu avec des indications sur l’antique cité d’Astérök. Comme bien d’autre avant lui il aurait pu mourir sur ce glacier, dévoré par les loups, les ours, ou bien se faire congeler en une nuit par les températures glaciales. Mais il triompha de ces dangers et bientôt ils furent nombreux à le suivre dans ses pillages, creusant toujours plus profondément à la recherche des fantasmes de leur propre avidité.

Tuk parlait même en dormant et par sa voix déchirée par la douleur la guerrière et la prêtresse pouvaient s’imaginer toutes les splendeurs et les périls qui les attendaient au bout du monde, à l’extrême nord des terres d’Oaxaca, là où jadis s’était élevée un empire aussi surprenant que magnifique. Cependant à l’aube du onzième jour, cheminant depuis bientôt deux jours sur la glace éternelle et soupirante, une agitation particulière pénétra jusqu’à l’intérieur de leur abri, les forçant à sortir. Le spectacle était vraiment magnifique et elles ne comprirent pas l’inquiétude des gobelins. Tout autour d’eux ce n’était que blancheur immaculée et aveuglante parfois rehaussée d’un bleu plus pur que le saphir. Il n’y avait plus de limite entre ciel et terre, les jeunes femmes auraient même pu croire qu’elles étaient mortes ou bien que le monde avait suspendu sa course à tout jamais, ce qui au final, pensa Oona, n'était guère différent. Le calme était total hormis le craquement des piétinements dans la neige glacée et les chuchotements angoissés. Gëlem alla chercher quelque chose dans le chariot glissant désormais sur des patins et à sa sortie l'aventurière l’apostropha.

« - Je ne vois aucun ennemi, ni aucune tempête.

- C’est parce que tu ne sais pas regarder. Crois-moi tu étais plus en sécurité à l’intérieur. Tu vois cette tache blanche là-bas sur la mer. Là, au bout de ma main, juste après la crête de roche.

Plissant les yeux dans ce bain de pureté éblouissant, Oona finit par distinguer quelque chose se mouvant à peine.

- C’est un vaisseau fantôme, une arche damnée et le problème c’est que nous devons nous approcher du bord du glacier pour éviter les crevasses à l’ouest. Prie pour que les courants la face dériver.

- Une arche damnée ? Enchaîna l’Aldryde vaguement inquiète.

- Tuk aurait mieux fait de vous parler des chevaucheurs de failles et des tempêtes de glace plutôt que de vous bercer de toutes ces sornettes. Les humains de Nosvéris les nomment icebergs et même eux les redoutent. Ils se détachent des immenses banquises très loin dans le septentrion et dérivent en appelant à eux les âmes des morts en mer, les noyés, ceux qui ne pourront jamais avoir de sépulture. Les revenants investissent alors ce navire de glace et le tractent avec leur rancœur droit sur les vivants pour expier leur damnation. Certaines légendes racontent que des villages entiers de pêcheurs ont été décimés par ces vaisseaux avançant contre la marée pour se jeter sur le rivage et larguer leurs soldats morts-vivants.

Soudain une brise glacée se leva emportant les capuches auréolées de douceur de certains soldats.

- Heureusement le temps semble avec nous. » Conclut Gëlem avant d’invectiver ses frères pour les remettre en marche.

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Et sur moi si la joie est parfois descendue
Elle semblait errer sur un monde détruit.

Oona

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Mer 21 Avr 2010 14:20 
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Hélas ce qui se déchaîna par la suite n’avait rien d’un bon auspice et la troupe dut resserrer les rangs au plus près du traineau autant pour compenser les effets des bourraques de givre que pour ne pas se perdre. En moins d’une heure le calme avait laissé place à une tempête de tous les diables dans laquelle il était impossible de voir où l’on posait le pied. Oona avait hasardé un pas à l’extérieur pour le regretter immédiatement tant le vent violent avait manqué de l’emporter au loin dans ce bloc monochrome hurlant qu’était l’horizon. En quelques secondes la jeune femme avait été gelée et nul doute que sans sa pelisse elle aurait perdu un membre, son petit corps bien incapable de résister à pareille température. Le chef avait tout d’abord cru qu’en continuant face au vent son intensité finirait par baisser, hélas tel ne fut pas le cas et ils avaient obliqué plein nord pour se réfugier près de l’arête rocheuse bordant le glacier. Tous connaissaient le poids de pareille décision et tous étaient prêts à courir ce risque s’ils ne mouraient pas avant transformés en statue de glace.

Ce fut quand Tuk se tut enfin, devant les yeux éberlués et inquiets d’un Gëlem venu se réchauffer qu’ils comprirent que la situation n’allait faire qu’empirer. Le chef gobelin se mordit la lèvre, prêt à rouer de coups l’infirme tremblant de toute part mais préféra sortir comme une furie. Les deux jeunes femmes le suivirent bien emmitouflées. Dehors le spectacle avait tourné au pur fantasme, à nouveau le silence était total, seulement perturbé par le délicat murmure des flocons dégringolant en masse des nues obstruées. Les cristaux dansaient dans cette bulle de calme par millions alors qu’alentour la tempête faisait toujours rage, comme si les vents s’étaient soudain séparés pour emprunter des routes contraires et offrir l’angoisse du blanc sonore aux voyageurs. Quelqu’un voulut parler quand une gigantesque masse sombre déchira l’espace devant eux repoussant dans un souffle plus que glacé et avec pareille facilité la neige, les gobelins et le chariot.

Tout fut projeté au loin alors que la forme gigantesque percutait avec une violence inouïe le glacier lui-même, déchirant et fracturant sa symétrie parfaite dans une gerbe de diamants gelés et tranchants. Le choc fut assourdissant et sembla se propager à l’infini alors que les failles s’étiraient à perte de vue, éclatant en ramifications mortelles. Le sol geignit et se contracta ne parvenant qu’à endurer l’assaut qu’après de très longues secondes où tous tremblaient tellement ils peinaient à se redresser et à faire face au danger. L’iceberg était bien là, enchâssé profondément dans la glace gémissante dressant son profil aquilin ou milieu d’une forêt de cristaux scintillants comme autant de trompettes de givre bruissant pour saluer sa venue. C’est alors que tout d'un coup lui aussi se craquela. Doucement, il se fissura comme si des paupières ensommeillées s’entrouvraient, comme si une bouche pâteuse parvenait enfin à articuler. Le promontoire s’écroula dans un ultime choc, tout d’abord bien droit puis il tangua et s’effondra sur le flanc. La masse semblait dérisoire face à la présence impériale de la nef de glace et cependant les voyageurs n’étaient que des larves comparées à ce minuscule morceau.

Imitant son aîné, le petit vaisseau lui aussi se fissura en plus petits morceaux et avant que ceux-ci ne finissent par revêtir forme humaine, Gëlem avait retrouvé ses esprits et s’époumonait en vain à faire relever ses frères, les battant même quand les injures ne suffisaient pas. Mais tous étaient fascinés par le délicat ballet de mort qui se préparait. L’une des formes de glace frémit alors, secoua son manteau de givre comme un loup s’ébrouant, envoyant partout des stylets adamantins mortels, puis une autre s’étira pareil à un nourrisson endurant la douleur de sa première inspiration pour hurler une gerbe d’étincelles froides sur les spectateurs réalisant soudain l’imminence de leur mort.

Ils tentèrent alors de fuir ces géants de glace désireux d’expérimenter toute les possibilités de ces corps indestructibles, Oona et Wydwan peinant à décoller à moitié transies de froid. Le plus grand des êtres de glaces, couronné de délicates épines d’argent et maniant un sceptre au bleu spectral, ouvrit une gueule énorme, un gouffre béant d’où s’échappa un hurlement de rage chargé d’un torrent de lames de cristal.
L’Aldryde bondit de justesse alors qu’elle sentit le froid létal la frôler, elle atterrit sur les rotules en grimaçant et devant elle, son amie s’écrasa, le corps transpercé de dizaines d’éclats d’où perlaient déjà le sang bleu de la noble fée avant de geler en grappes de mûres délicates. Les yeux qui fixaient l’aventurière étaient calmes, à peine interrogateurs et le visage toujours si lisse, si parfait, elle n’avait pas souffert.

L’Aldryde tremblait de tout son corps tant à cause du froid, que du choc, elle haletait et tendait une main mal assurée vers la dépouille de sa camarade immobile et paisible. Une ombre grandit ne lui laissant pas le temps de faire ses adieux, Oona se retourna les yeux pleins de larmes et se fut alors la stature du roi des spectres qui s’imposa à elle. A peine eut-elle le temps de bondir pour se mettre hors de portée, ses ailes grelottantes ne lui étant d’aucun secours, que le sceptre la cueillit avec une force hors du commun, l’envoyant valser aux pieds d’un Gëlem tentant d’armer une arbalète. Immédiatement les plis de la cape moulèrent le corps de la jeune femme, se repliant délicatement à l’intérieur de la douce pelisse pour préserver son intégrité, ne laissant apparaître d’elle que son visage impassible, les yeux fermés, tournés vers un monde intérieur bien plus terrifiant.

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Et sur moi si la joie est parfois descendue
Elle semblait errer sur un monde détruit.

Oona

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Ven 11 Juil 2014 00:28 
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Une simple pancarte de bois, brinquebalant, épuisé par le temps était la seule indication de cette route. Sirat resta pensif devant l'horizon terne, les tourbes entouraient le chantier naval et le protégeaient. La route, rocailleuse, se creusait au travers, contournant la vase. Une brume cendré, suintait d'arbre squelette aux contorsions menaçantes. La lumière semblait avoir été absente de cet endroit depuis fort longtemps et chaque parcelle de végétation se parait d'un camaïeu de noir. L'eau était morne et épaisse, survolé par des nuées d'insecte. Un silence pesant étouffait le marécage. L'endroit tout entier semblait être figé hors du temps. Sirat se demanda ce qu'il y avait eu avant ce triste marais. Le croassement d'un corbeau réveilla l'enchanteur, qui lança sa monture sur le chemin. Le volatile ouvrit le passage se posant sur les branches décharnées. Un battement d'aile, un rameau et un cri grossier et il repartait jusqu'à un autre perchoir.

Peu à peu, la végétation changea. Le fange impropre et noirâtre laissa place à un paysage écorché. L'oiseau se posa sur une pampre qui barrait l'horizon de Sirat. Ils se regardèrent, l’œil de l'animal scrutait l'enchanteur. Du haut de son cheval, il jaugeait cette perle luisant qui le contemplait. Il lui semblait que l'être à plume réfléchissait et était doué d'une raison ou y voyait il le reflet de la sienne. Il y eu cet instant perdu dans le temps où il tenta de comprendre le corbeau. Mais, il s'envola, hurlant encore une fois. Dans son sillage il laissa des plumes et derrière ces plumes un paysage dévasté par la mer. Une falaise, balayé par les ressacs, surplomber par la tour. A vif, la terre était laissée au supplice des éléments marins. La végétation était devenue plus vivaces, les racines s'ancrant bien profondément sur le sol. Des arbustes rabougris avait remplacé leur défunt voisin qui peuplaient le marais. Ils se pliaient au vent, reprenant après chaque bourrasque leur forme. L'enchanteur se cacha le visage de sa cape, les vagues commençaient par lécher la terre, puis plus il avançait plus l'espace devenait un promontoire perdu aux tortures d'une houle agressive. Elles s'écrasaient plus durement, Il s'enroula un peu plus dans sa cape pour se protéger. Il pria son destrier de tenir la route. Le vent soufflait son mécontentement et un froid humide s'engouffrait dans chaque parcelle de son armure, frigorifiant le guerrier. Plusieurs fois, l'idée de rebrousser chemin lui vint à l'esprit. Mais, la possibilité qu'une réponse à ses questions se trouvait en haut de cette tour qui fêlait ce paysage chaotique, lui fit garder le cap.

Elle se rapprochait au loin, se dressant au bout, massive, imperturbable face à la mer démontée.Une vague se fracassa alors et son cheval se cabra, il dut forcé sur les rênes en cuir afin que la bête de s'emballe pas. Il fit une embardé à droite, puis à gauche. Il se hissa finalement sur ses sabots arrières manquant de faire tomber son cavalier. Celui-ci peu adepte de l'équitation, s'accrocha de toutes ses forces, resserrant les jambes, s'agrippant comme un forcené. Il se voyait déjà à terre. Trempé, essoufflé, la monture se calma, il porta son visage à l'oreille de l'animal et lui murmura.

Tout doux mon beau, on y est presque.

Ils reprirent leur route, pour arriver devant un porche en pierre de taille émoussée. Le portail en ruine d'une ancienne cité. Elle devait jadis longée la falaise. Le beffroi était encore loin et ces vestiges étaient le bienvenue, car ils offraient une protection appréciée. Les colonnes millénaires, se livraient à lui, en une arcade compacte et colossal. On aurait pu y faire passer un éléphant, l'enchanteur s'extasia comme un enfant tandis qu'il pénétrait dans l'ancienne citadelle. Les sabots résonnèrent sur les dalles. Il discernait encore les vagues, frapper les murs. Ces ruines devaient être là depuis si longtemps. Cette forteresse se lovait dans la crevasse et abritait le chemin jusqu'au donjon. Le sentier tournait et virait entre les murs éboulés et les colonnes en granit.

Il distingua des motifs singuliers qui attirèrent son attention, spirales et formes géométriques. Il ralentit le pas de sa monture et descendit. Les formes avaient subi l'érosion. Il souleva son casque pour mieux les voir. Elles étaient identiques à celle de son heaume. Intrigué et suivant sa logique il escalada un angle de mur pour se retrouver devant d'autres gravures. Il les suivit, longeant un muret qui devait jadis être un étroit corridor. Il déboucha alors dans une salle circulaire, une partie du dôme s'était effondré et laissait passé la lumière du jour. L'ellipse était décrite par des colonnes en forme de statue, femme et homme géant tenant le plafond de leur main. Le temps les avaient déformés et rendu impropre, mais il était sur maintenant qu'une civilisation ancienne avait vécu ici. Sur l'enceinte des gravures étaient encore visibles. Sirat frotta la poussière et les observa. Des courants étaient dessinés, ils semblaient dansés, puis ils finirent par se rencontrer. Un homme sans visage était dessiné, seul, il écrivait sur un livre. Sirat plissa les yeux, le temps avait détruit certains éléments.

Les lignes décrivaient d'étranges courbes, il observa la fresque et découvrit quatre personnages. Le premier était noire ébène et accompagné d'une femme, l'enchanteur les reconnues Yuimen et Gaia, l'autre couple masculin, l'un avec une tête de mort l'autre aux yeux exagérément rouge Thimoros et Phaistos. Les estampes s'emballaient, frénétique d'autres humanoïdes, le monde, les étoiles. Sirat avait le souffle coupé, il avait sous les yeux ce qui ressemblait à la genèse du monde. Le reste était brouillon, effacé, mais semblait décrire les hommes, les animaux et des guerres. Un temple? Une nécropole? Une ville où un bastion militaire, il ne savait pas tout avait été détruit. Il resta perplexe sur le sens de tout cela, une antique culture avait vécu ici, peut-être les premiers hommes, peut-être avait elle côtoyée les dieux. Finalement, il se demanda si un jour il s'était posé la question, celle de savoir d’où la vie. Cette peinture pouvait être une fable, un délire qui se perpétuait en légende orale. Cette épopée aura alors accroché une histoire similaire déjà entendu et son esprit aura fait le reste.

Dans tous les cas, cette découverte venait de faire naitre chez lui une interrogation qui ne l'avait jamais effleuré auparavant. Il jaugea son casque et les sillons précis similaire sur les maçonneries. Sa vision venait de changer, il ne le considérait plus comme un objet utile et pratique, mais le contemplait comme une part d'histoire, une pièce d'un tout bien plus grand. Il reprit son chemin dans le sens inverse, toujours perdu dans ses pensées.

Il sauta à terre et remonta sur son destrier. Possédé un bout de ce passé lui plaisait, il se sentait moins étranger à ce lieu, plus légitime et cela le confortait dans sa décision d'aller voir ce qui se cachait au fond de cette tour. Il s'imagina naïvement les anciens propriétaires de son heaume, peuplant cette citadelle, éclatant et clairvoyant. Il esquissa un sourire constatant sa candeur, celui-ci disparu quand il arriva au pied de la tour

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MessagePosté: Sam 9 Aoû 2014 16:20 
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Les murailles s'écartèrent pour laisser place à une cour au sol terreux. La porte d'entrée de la tour était en face de lui. Sur le côté gauche un petit feu de bois, au braise fumante cachait un gobelin. Le Sekteg n'avait pas réagi quand l'enchanteur avait pénétré les lieux. Il se contentait de regarder le tison, obnubilé et immobile. Sa peau avait des reflets émeraude, pastel, son corps trapus et musclé tenait un sceptre qui se recourbait sur lui-même. Ses cheveux bruns, luisait et était attaché dans un chignon qui rappelait ceux des Oranien. Il était assis sur un minuscule tabouret de bois, vieillot et usé avec lequel il se berçait contre le mur derrière lui. Sirat descendit de son destrier et s'avança vers le seuil du beffroi. Il épiait du coin de l’œil, une réaction du gobelin, mais il ne broncha pas. La porte massive ne semblait pas avoir souffert du temps, elle s'ancrait solidement dans un porche en quartz fuligineux. La vision était étrange on aurait pu croire que l'intérieur de la pierre recélait une fumée encore active, alors qu'il n'en était rien. Il caressa la roche, c'était la première fois qu'il voyait une construction dans un tel matériaux. Il approcha sa main de la poignée quand le sekteg arrêta de se balancer.
Sirat tourna le visage pour plongé son regard dans celui de l'être vert qui le fixait intensément. Ses yeux rougeoyant et froncés, son nez massif, sa bouche dans une moue de contrariété dévisageait l'enchanteur tout entier.

On ne demande pas la permission?

Sirat resta interloqué et vexer.

Pourquoi te demanderais-je la permission.

Le gobelin esquissa un sourire espiègle.

Car si tu veux la voir tu dois me payer.


Sirat grogna sous son casque, il avait affronté les treize et juré fidélité à Oaxaca, ce petit être présomptueux l'énervait.

Et si je te tuais

Le gobelin leva les yeux au ciel agacé.

Ton arrogance te le permettrait surement, mais eux me vengeraient aussi rapidement.

Il pointa sa cane en direction des murailles et Sirat découvrit une vingtaine des congénères du douanier le pointant d'arbalète, d'arc et de lances du haut des fortifications.
Sirat restait médusé, il n'avait pas fait attention aux autres tabouret dispersé autour du feu, son orgueil l'avait aveuglé. Depuis combien de temps était-il suivi. Il sera les dents en colère contre sa suffisance. Depuis l'ile maudite ce sentiment l'avait corrompu, il venait de subir une sévère leçon et que l'enseignant soit un sekteg la rendait encore plus dur. Il enleva son casque, laissant sa chevelure maltaise s'envoler.

Très bien, tu as gagné, je suis Sirat et je te demande le droit d'entrer dans la tour.


Je sais qui tu es, je m'appelle Astvorth et je fixe le prix du droit d'entrée.

Comment savais-tu qui je suis


Elle t'attend, ne commence pas à poser des questions inutiles elle ne répondra qu'à une seule.

Je ...

Astvorth le coupa net.

Le prix s'élève à deux mille yus.

Sirat manqua de s'étouffer à l'annonce d'une telle somme.

C'est cher

La vie est rude par ici et c'est le seul commerce.

Sirat resta songeur en pensant à la vie dans ces ruines frappées par l'océan. Il conclut rapidement qu'il n'y avait bien que des gobelins pour s'accommoder d'un endroit pareil. Il rechercha dans son sac, sa bourse, la sous-pesa et l'ouvrit pour en sortir l'argent. Les yeux d'Astvorth s'illuminèrent devant la petite montagne que formait le pécule dans les mains de l'enchanteur. Il descendit de son strapontin et récupéra la monnaie. En faisant demi-tour pour retourner à sa place, il frappa la porte de sa canne.

c'est bon, tu peux entrer.

Il engouffra son butin dans son sac en cuir marron qu'il tenait en bandoulière et se remit à sa place. Sirat posa la main sur le pommeau, le pressa et le tourna. Une série de claquement éraillé se fit entendre et la porte s'entrouvrit.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Dim 10 Aoû 2014 16:37 
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En s'ouvrant elle dessina une trainée en raclant la poussière sur les dalles. Il faisait sombre et Sirat ne voyait pas devant lui. L'obscurité semblait se mouvoir et pourtant il ne distinguait rien, il se retourna et vit Astvorth sur le perron juste derrière lui. Il tenait une torche et lui tendit. Sirat attrapa la torche remerciant le gobelin d'un hochement de tête, qui sans aucune réaction retourna à ses occupations. Il plongea le flambeau dans l'opacité et éclaira son chemin. Celui-ci était pavé de vieille pierre polie, les murs de brique étaient recouverts de cendre. Des toiles d'araignées décoraient le corridor tel des linceuls filandreux. Sirat s'avança, lentement pas à pas sur ce tapis fourmillant, il entendait grouillé tout autour de lui, un bruissement constant semblait rendre les fondations vivantes. Il pouvait presque sentir le frôlement de pattes sur son cou, ou les minuscules corps tomber dans ses cheveux et se débattre. A plusieurs reprise il se contorsionna afin de faire disparaitre ces insectes un peu trop entreprenant. Un escalier en colimaçon se dégagea enfin et l'enchanteur s'engouffra dedans trop content de quitter ce couloir.

L'escalier était aéré par des meurtrières dans les façades, ce qui le rendait impropre et inhabitable pour les blattes, arachnides et autres. Sirat soupira de soulagement, mais se ravisa très vite. Ces mêmes aérations rendaient l'endroit humide et plus il montait plus le froid se faisait ressentir. L'ascension lui parut interminable, il dut s'arrêter deux fois, pour reprendre son souffle. Son armure bien que faite d'os, n'en restait pas moins une cuirasse lourde. Il sentait sa sueur le geler à chaque bourrasque s'insinuant dans le bâtiment et la lumière faillit s'éteindre à plusieurs reprises. Au bout il poussa une porte en bois qu'il referma aussi-tôt derrière lui.

A l'abri du vent et des insectes, Sirat découvrit une salle en cercle. En fait des colonnes formaient tour à tour deux courbes, à la manière d'une cible. En son centre un lac se dessinait comme un cerceau dans le carrelage en marbre. Des aqueduc, naissant de l'enceinte, tailladait le sol pour alimenter le bassin. Il en dénombra huit, le tout ressemblait à un gnomon. Au mur des chandelles rendaient obsolète sa torche qu'il déposa sur un bloc d'albâtre. Un silence pesant régnait. Il avança vers le premier arque de colonne.

Le plafond en voute était strié d'une multitude d'arête écarlate. En observant bien il remarqua que sol était lui aussi rayé, des lignes carmin s'intercalaient entre les rigoles d'eau et pointaient vers le réservoir au centre.

La terre est enfin parmi nous


La voix cristalline avait percée la sérénité de l'endroit.

Qui est là?

Est-ce là ta question?

L'élocution était parfaite, féminine et délicate, elle résonnait dans toute la pièce et il ne trouvait pas sa source. Il chercha du regard.

Non, bien-sur ce n'est pas ce que tu veux savoir. Tu es impétueux, mais pas stupide.

Une jeune femme humaine au teint blafard se tenait non loin de lui, prêt d'une colonne. La tête recouverte d'une cape céruléenne, elle le scrutait, de ses yeux argentés et sans vie. Il s'approcha d'elle. Elle avait les traits fins, des mèches brunes barraient son visage. Elle se détourna de lui et alla s'asseoir devant le puits.

Es-tu prêt à prendre ta place, Sirat? Tu pries Zewen, mais es-tu conscient de ce que cela implique, de ton rôle envers ce monde.

Je me suis engagé auprès du chaos, au côté d'Oaxaca.

Son rire raisonna dans la salle.

Le chaos est le souffle de chaque chose, enfant.

L'eau frémissait légèrement, elle plongea sa main dedans et très vite les ondulations furent plus importante.

La vie n'existe que par le mouvement, l'immobilisme est l'absence d'essence. Si tu accélères le courant de cette fontaine tu finiras par ne plus voir aucun mouvement, pourtant elle ondulera toujours. Le temps la définit.

Sirat restait perplexe, sans trop comprendre les divagations de son hôte. Elle s’esclaffa devant le faciès hébété du colosse.

Nous savons ce que tu as fait et nous aurons besoin de ce que tu feras. Des êtres proclament par l'argent et l'immobilisme la mort de toute vie.


Sans que Sirat ne puisse l'appréhender, elle se déplace et se retrouva son corps contre le siens. Elle s'était déplacée si vite qu'elle aurait pu le tuer sans qu'il s'en aperçoive. Elle faisait une tête de moins que lui, sa peau émacié était glacé. Elle leva le visage vers lui découvrant sa chevelure lisse et noir. Ses yeux étaient vide, il voyait son reflet à travers, ses lèvres cyanosé s'approchèrent des siennes. Le géant était paralysé, tandis que l'aveugle lui murmura.

Tu as été choisie Zélote par celui qui danse avec les fluides, embrasse ton destin.

Ses lèvres s'emparèrent des siennes. Le contact étonnât l'humoran, enivrant, il percevait un arôme inconnu, qui pénétrait en lui. Il discerna chaque parcelle de son corps. Il lui semblait plongé dans un espace éthéré, chutant indéfiniment. Quand il ouvrit les yeux, elle s'éloignait déjà. Sirat caressa sa bouche.

N'ais-je pas le droit à une question?

Elle fit volt face, l'air perplexe.

Depuis le début on me parle d'une question et d'une seule, que je pourrais vous poser.


Elle pencha la tête d'une manière qui lui fit penser à N'kpa. Ses yeux se plissèrent de manière incrédule, puis se froncèrent de collèrent.

Imbécile, tu penses encore à elle !!

Il n'avait pas fait attention, mais sa pensée pour son amante l'avait trahie.

Tu veux savoir où elle est, si elle vivante alors qu'elle te détournait de ton destin !!

Le ton était monté. Elle ne cachait pas sa colère et l'eau de la fontaine s'ébranlait, tandis que la salle entière résonnait de ses cris. Comme si elle y était obligé elle abattit son regard sur lui, dans un rictus d'exaspération.

Elle est à Dahram... Mais elle est morte.

La première lame avait éveillé un sentiment de soulagement en lui, la deuxième l'avait crucifié.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Mar 12 Aoû 2014 14:01 
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la voix de l'oracle bourdonnait aux oreilles de Sirat. Il ne percevait plus les phrases, tant la douleur inondait son âme. Des larmes coulèrent sur son visage sans qu'il ne puisse le contrôler. Ses jambes flanchaient, son univers se déformait. Sa peine le submergeait, il ne percevait plus rien d'autre. C'est le cri de l'aruspice qui le réveilla.

Dehors !

Elle leva la main et il fut projeté hors de la pièce, la porte se referma derrière lui et il termina sa course dans le corridor de l'entrée. Avachit dans la poussière, troublé, il leva les yeux en direction de l'endroit où il y aurait dû avoir un escalier. Mais il n'y avait rien, un mur de pierre vieillit et sale barrait l'endroit. Le couloir était devenu une impasse. L'escalier avait disparu, derrière lui la porte entre ouverte qu'il avait passé quelques heures auparavant.

Il resta par terre, sonné, abattu. Il trouva la force de se relever et se hissa à l'extérieur. Astvorth l'attendait toujours devant son feu. L'humoran alla s'asseoir au côté du gobelin, appuyant son dos sur le mur.

Il ne fait pas bon la mettre en colère.

Sirat détourna le regard du brasier pour jauger son voisin.

J'ai un service à te demander.

Le Sekteg hocha la tête et siffla. Un gobelin malingre et le visage haineux apparu devant eux montant un Brok'nud. Le sanglier effraya la monture de l'enchanteur.

Poum est peu loquace, mais il fera ce que tu lui demandes. tu peux avoir confiance en lui, il a le sens de l'honneur exacerbé.

Astvorth ne put réprimer un sourire. Sirat chercha dans sa bourse, mais Astvorth l'arrêta.

Non, pas d'argent entre nous, je serais te rappeler que tu m'en dois une.

L'enchanteur se releva et le remercia. Le duo improbable prit alors le chemin retour. Astvorth épia leur départ, satisfait.

A bientôt Zélote

...

Astvorth n'avait pas menti, Poum ne parlait pas. Sirat n'avait pas envie de parler et cela l'arrangeait bien. Il pensait à son amante et ne pouvait s'en détacher. Arrivé au croisement pour Omyre, Sirat se tourna vers lui.


Va à Dahram et cherche une humoran au pelage gris répondant au nom de N'kpa. Elle possède le même collier que le mien.


Il pointa du doigt l'artefact reçut à l'île maudite.

Je vais à Omyre tu sauras me retrouver.

Le Sekteg avait le crane lisse et recouvert de cicatrice, qui lui donnait un air encore plus mauvais. Son nez retroussé offrait ses narines en spectacle immonde. Ses oreilles recouvertes de boucle d'oreille et de clou tintaient à chaque mouvement de tête. Il cracha par terre pour toute réponse et s'éloigna en direction de Dahram.

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 Sujet du message: Re: La Citadelle de l'Oeil Aveugle
MessagePosté: Mer 19 Nov 2014 22:06 
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Vous atteignez bientôt la sortie du marais. En fait, vous êtes arrivés à ma mer, mais celle-ci n'a rien à voir avec l'étendue calme que vous avez quitté. Le vent s'est levé et de lourds rouleaux se jettent au pied de hautes falaises de pierres. Depuis ces falaises, vous voyez avec stupeur un cap rocheux s'élancer dans la tourmente. À l'extrémité, une tour noire s'élève, partiellement en ruine.
Kraagor pose un pied sur le rebord de la falaise et tend une main puissante :

« Le cap de l'agonie ! Ce n'est pas la première fois que j'y viens, mais je n'ai jamais osé aller jusqu'à la citadelle de l’œil aveugle. On dit la devineresse bénie de Zewen et connaissant le destin de tous... pour une fois, j'aimerais la consulter, pour savoir si votre histoire de trésor est vraie. »

Naasha grinça :

« Et puis quoi encore ? Cela signifie que nous ne sommes plus qu'à quelques jours de Dahràm. Pourquoi irions-nous consulter une prétendue devineresse qui va sûrement tenir des propos sans queue ni tête ? D'autant plus que si tu n'y es pas allé, j'en déduis que ça doit être dangereux... »

Le garzok hoche la tête.

« Oui, c'est vrai. Si vous ne voulez pas y aller, tant pis. Vous avez raison, le voyage est encore long... »


Il avait fait une drôle de tête en apprenant que leur objectif était à Caix Imoros. Il n'aimait pas l'idée d'un tel périple.

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