Visibles de loin, les tours et les fumées noires s'élevant dans la nuit forçaient le respect et l'admiration. Tous, humains, elfes, gobelins et orques travaillaient pour réaliser le même rêve, celui de la suprématie. Orchestré par les puissants et les penseurs, ce ballet ne s'arrêtait jamais. Les bruits résonnaient dans la nuit, les voix et les exclamations s'accordaient avec les coups de fouet qui claquaient de temps à autre.
Les soldats avançaient en colonne bien droite, Hrist avait à son cheval le corps encore inerte d'une jeune inconnue retrouvée blessée dans les marais. Elle se doutait bien que Sirius connaissait la jeune femme, il ne se trouvait pas là avec d'autres survivants par hasard. Elle avait l'intention de les disposer dans des pièces séparées et soigner la jeune étrangère, gagner sa sympathie et tenter de recueillir des informations avec elle. Sirius quant à lui, attaché quelques mètres derrière elle, serait aussi un bon moyen de savoir deux trois choses, toutefois le caractère de l'homme rendrait les interrogatoires difficiles et il chercherait forcément à tromper sa vigilance et lui donner de fausses informations.
Ils passèrent devant des baraquements en bois que quelques Sekteg goudronnaient. Le travail était ingrat et difficile, les vapeurs toxiques et suffocantes firent que Hrist dût se cacher le visage lorsqu'elle passa devant les chaudrons où la mixture noire et fumante était récupérée par les gobelins à l'aide de perche entourée de tissus. La mine basse et noircie, les travailleurs ne levèrent pas les yeux et se pressaient même lorsque l'on passa devant, espérant s'épargner un quelconque châtiment.
Quelques corps de garde patrouillaient à la lueur des torches et les contremaitres jouaient du fouet et vociféraient quelques menaces sur les esclaves maladroits ou trop lents. Au loin, l'aube éclaircissait le ciel, toutefois le soleil n'était pas encore visible. On commença à sentir le large et la mer. Hrist descendit de son cheval, prenant grand soin de ne pas donner un coup de botte au corps endormi qui était attaché à son cheval.
Elle tira les rennes de Calpurnia et mena le groupe armé jusqu'à un petit baraquement dont une porte en bois donnait sur un renfoncement où quelques esclaves s'affairaient à travailler sur un navire.
« Rôk, dis aux soldats d'avaler quelque chose et de se préparer. Je dois voir quelques détails. La traversée prendra un peu moins d'une semaine. »« Z'avez entendu, bouffez un bout d'barbaque. Après vous s'rez au poisson. » Puis se tourna vers Hrist.
« Une semaine... Vous envisagez de faire un détour si long ? »Hrist détacha ses cheveux, les laissant tomber et enfonça l'aiguille dans la robe, entre ses deux seins. Elle dit à son tour :
« Je veux être sûre d'éviter les navires Kendrans et d'Oranan. Allez, fais soigner ta blessure avant de prendre le large. »Les orques commençaient déjà à prendre place autour des feux répartis à l'abri d'une éventuelle pluie. Le repas était essentiellement constitué de viande, des morceaux de sangliers tués dans les marais étaient en train de carboniser sur les braises et les saucisses de cheval cuisaient au bout des dagues et des épées. Ce festival carné rendait l'air presque aussi insupportable que le goudron, mais les orques restaient des orques, quant bien même ceux-ci avaient un semblant de discipline.
« Descendez-moi cette étrangère, je vais examiner sa plaie. »Hrist désigna une paillasse dans un coin, éclairée par les flammes d'un foyer. Elle espérait pouvoir s'entretenir avec l'Elfe sans qu'une fièvre ou qu'un délire n'intervienne et lui fasse perdre la raison.
A la sortie de l'abri, le contremaitre observait le navire, les mains rivées à ses hanches. Il semblait satisfait du changement, Hrist quant à elle, ne reconnu pas immédiatement le navire. La coque avait été goudronnée et un dispositif destiné à envoyer un signal au port pour démontrer son allégeance à Omyre avait également était prévu à l'arrière et à la proue du navire. L'équipage quant à lui avait été envoyé exceptionnellement par Von Klaash, des mercenaires humains qui permettrait de ne pas se faire suspecter en cas de contrôle militaire. La cale avait été aménagée de façon à pouvoir dissimuler une cinquantaine de soldat, équipement compris dans les divers fûts et les caisses de transport.
« C'est du beau travail. » Fit simplement la femme.
Le contremaitre avait eu plusieurs idées remarquables, par exemple, un fut destiné normalement à transporter des quantités de vins pouvait abriter sept soldats et là où se trouve le robinet pour faire couler le vin, était rattaché un fut de taille plus modeste qui ferait couler le vin si quelqu'un venait à vérifier la marchandise.
« Sûr. Ca a d'mandé du travail mais les gars ont bien travaillé. Pas vrai ? En tout cas, il est prêt. Vous pourrez embarquer à l'aube, le temps d'installer les dernières victuailles. »Hrist glissa une petite poignée de pièce dans la main du contremaitre et ils se quittèrent. Lui retournant à ses inspections et la tueuse à ses soldats. Les Orques se gavaient de viande et buvaient à même les pichets. Quelques uns chantaient des chansons bien épaisses et Hrist souriait déjà. Ravie de voir que ses objectifs allaient bientôt s'accomplir et qu'elle aurait enfin sa vengeance sur Oranan. Certes, ils étaient trop peu nombreux pour prendre la ville elle même d'assaut, mais les alentours allaient subir son courroux.
Elle mangea chichement, préférant la viande de cheval à celle du sanglier, le vin était douteux mais allongé d'eau, il devenait tout de suite plus convenable, même si pour elle, ça ne valait en rien l'hydromel de Tulorim.
Mais l'heure n'était pas à la nostalgie ni aux souvenirs d'autrefois, la tueuse reporta vite son attention sur l'elfe qui gisait sur le dos à la lueur des flammes. Lorsque Hrist se pencha sur elle, son souffle vint heurter son visage et elle perçut même ce qui semblait être un petit ronflement probablement provoqué par la position dans laquelle cette femme venait d'être posée. Intriguée par ses parures, Hrist essaya d'observer le collier qu'elle portait au cou, mais lorsqu'elle essaya de le soulever, celui-ci refusa d'être manipulé et elle eut l'impression que la totalité de celui-ci était profondément ancré dans la peau blanche de l'Elfe.
« Intéressant. Et elle a de nombreuses cicatrices, certaines sont vilaines, elle a de la chance d'être encore en vie. »« Pfeuh. Parle pour toi, quand on voit l'état de tes bras. Et cette belle cicatrice que tu as au menton. Combien de fois tu aurais pu être creusée ? »Hrist tira sa lame et commença à couper le bandage tâché et moite le long du corps blanc de l'hiniönne. Quelques orques observaient le spectacle avec un intérêt douteux. Le bandage une fois retiré laissa entrevoir une plaie béante et vilaine. La coupure était assez longue et présentait donc plus de chances de s'infecter, d'autant plus que le climat du marais avait déjà rendu le bandage humide et ainsi, transformé ce seul rempart en un vrai bouillon de culture.
Hrist réfléchit un instant, ses expériences passées à l'arène s'étaient terminée en une magnifique leçon de médecine militaire, il fallait que l'opération soit assez rapide pour ne pas retarder l'embarquement, car une fois à bord, une infection se soldait souvent par une mort.
Rôk approcha, mâchonnant une saucisse de cheval qui dégoulinait de gras.
« J'peux vous apporter du fer à blanc si vous voulez. Sinon vous avez un peu de snaria mais pour couvrir tout ça... Pourquoi la garder en vie, déjà ? »« L'isoler. La soigner et gagner sa confiance, elle ne devra voir que moi, ainsi, si le borgne insupportable essaie de me mentir sur deux ou trois choses, je pourrais peut être le vérifier auprès d'elle. Il faudra que les soldats soient silencieux, un accent orque, ça ne s'invente pas. »« C'est malin. Enfin, espérons que ça marche et qu'vous fassiez pas ça pour rien, Hrist. En quoi je vous serais utile ? »« Fais moi apporter de l'eau ... A bouillir à côté. Et... Hm. Disons... Un hameçon et du fil. N'importe quoi de fin et de solide. Pour le reste, je ne te demande pas de participer, soigne toi, tu n'embarqueras pas si ta plaie saigne encore. Allez ! »Penchée sur l'étrangère, Hrist palpa doucement la peau moite et collante de transpiration de la femme. Elle espérait que la fièvre ne tue pas la jeune femme dont le corps était déjà mis à rude épreuve.
Lorsqu'on lui apporta les hameçons et la marmite avec un fond d'eau à bouillir, la tueuse choisit le plus fin, quant au fil, il était difficile de se procurer quelque chose d'assez fin. Hrist confrontée à un dilemme, n'eut d'autre choix que de peler un cordage pour obtenir de petites cordelettes assez fines. Bien que la longueur faisait défaut, elle pouvait néanmoins fermer la plaie et se mit au travail.
L'opération était assez inconfortable, un gobelin tenait la tête de la femme évanouie et Hrist à la lumière irrégulière des flammes essaya tant bien que mal de fermer le plus proprement possible la coupure.
« A mon avis, celui qui a fait ça ne lui voulait pas que du bien... »Les cheveux lui tombaient devant les yeux et le travail minutieux faisait transpirer la Sindel qui sentait quelques gouttes couler le long de ses tempes et de son nez.
Reprenant son souffle à mi-chemin, la tueuse mis dans l'eau bouillante les feuilles de snaria et repris de plus belle. L'hameçon perçait la peau rougie et le sang coulait à certains endroits où les croûtes cédèrent lors de ses manipulations. Les doigts collants, Hrist essuya la plaie refermée à l'aide d'un bout de sa cape préalablement trempé dans l'eau bouillante.
« Ca devrait suffire pour éviter que ça s'infecte. » Dit-elle en versant un gobelet d'alcool de marin. Elle respira les vapeurs et recula son visage.
« Moui... Même la mort ne voudrait pas d'une telle odeur. »Le corps blanc de la femme était ruisselant de sueur mais la plaie ne saignait plus et les croutes retirées pour mieux fermer et recoudre, donnaient un aspect plus propre à l'Elfe. Cette dernière écoperait tout de même d'une remarquable cicatrice, comme une signature malsaine qui défigurerait le corps déjà parsemé de coupures.
Hors de l'eau, elle écrasa dans sa main les feuilles de snaria et les déposa à même la plaie et demanda à ce que l'on bande la femme Hiniönne pour elle, estimant qu'elle en avait assez fait.
« Tout ça pour potentiellement contredire Sirius. C'est de l'amour ou de la haine ? Quoique ce soit, c'est animé ! »Au loin, le ciel s'éclaircissait et les premiers soldats embarquèrent. Les hommes de Von Klaash étaient déjà à leurs postes, taciturnes et minutieux, les marins expérimentés travaillaient vite et le navire fut prêt plus tôt que le contremaitre ne l'avait estimé.
« Rôk, il y a plusieurs cabines sur ce navire, une dizaine au total, pas très grandes, certes, mais la banquette est plus confortable. Votre grade vous octroie le droit d'en choisir une. Quant à Sirius. » Qu'elle désigna du doigt
« Il logera dans la mienne, je tiens à l'avoir à l'œil. Mettez l'étrangère dans l'une des cabines, pour que tout se passe bien, elle ne doit voir personne. Surtout pas un Garzok. »--- --- --- ---
La cabine de Hrist était celle de l'ancien capitaine de la Veuve, la tueuse souhaitait être la seule à commander ses possessions, la seule exception à la règle était le navire sur lequel se trouvait Von Klaash, malgré ses manières douteuses, ses connaissances en mer dépassaient grandement celles de Hrist et d'elle même, s'inclinait face aux décisions du Capitaine Von Klaash.
Le confort y était assez chiche, le lit était sec et le bureau était bien éclairé par les vitraux opaques et les nombreuses bougies. Il y avait même un rangement plein de chandelles et de cartes et drapeaux divers. La première chose à faire était de trouver un endroit inconfortable pour Sirius. Le mobilier n'avait pas été conçu pour que l'on y attache des fers et le prisonnier livré avec, aussi, elle n'eut pas d'autre choix que d'imaginer son " invité " simplement entravé des poignets jusqu'aux jambes. Le bureau quant à lui, semblait solide et serait un excellent endroit où allonger le corps de Sirius si elle devait lui soustraire des informations en usant la manière forte.
« Gardes. Faites entrer le prisonnier. Installez le dans un coin. Rôk organisera les tours de garde au pas de la porte.»Le voyage serait ingrat pour les soldats Garzok, Hrist avait demandé à ce qu'ils ne sortent pas de la cale une fois qu'ils se trouveraient en eaux ennemies. Si un navire humain venait à les aborder pour fouiller le navire, ils devraient être prêts à se cacher bien avant l'accostage. Hrist espérait que ce genre de situation n'arrive pas, mais faute de pouvoir tout prévoir, il valait mieux trouver une solution qui préserve ses soldats, pas ou peu préparés à un assaut en pleine mer.