Divers bâtiments attirent mon attention au cours de ma promenade pensive, une forge, une taverne, mais aussi une grande bâtisse fortifiée de pierre blanche qui me semble servir de dépôt d'armes à en juger par les nombreux soldats qui entrent et sortent, bras chargés ou délestés d'équipements. Plus loin, une grande et austère bâtisse rectangulaire porte l'enseigne d'académie militaire, sa vue me sort de mes réflexions stratégiques et organisationnelles et je décide d'aller voir si je peux y entrer, curieux de voir le niveau des soldats de Luminion et de leurs instructeurs. Je pose la question à un militaire qui en sort et, l'accès étant ouvert aux visiteurs désireux de se former d'après lui, je franchis sans plus tarder le seuil de l'académie, tenant fermement Sinwaë par la peau du cou.
Je parviens dans une pièce de taille moyenne, aussi austère et réglementaire que l'extérieur du bâtiment, munie d'un comptoir derrière se tient un petit homme rondouillard au crâne dégarni muni d'un nécessaire d'écriture et d'une liasse de parchemins. Plusieurs soldats vont et viennent par une porte située au fond de la pièce, menant sans doute aux salles d'entraînement, et par celle que je viens de franchir, ils me jettent tous des coups d'oeil un peu intrigués mais c'est le rondouillard qui m'interpelle:
"Bonjour messire, en quoi puis-je vous être utile?"Il jette un regard peu amène à mon fauve et le désigne d'un bref signe de tête à deux soldats présents, qui répondent de même en se plaçant de manière à pouvoir contenir l'Ithilartëa s'il venait à se montrer agressif. La légère tension suffit à faire gronder sourdement mon compagnon et je prends quelques secondes pour l'apaiser avant de répondre au scribe:
"Bonjour à vous. Je souhaiterais rencontrer l'un de vos maîtres d'armes, cela est-il possible?""Certes. Nous avons trois maîtres, spécialisés en combat au corps à corps, avec armes, et armes de jet. Je précise que leurs enseignements sont payants, considérez cela comme une contribution à la défense de Luminion. Tous trois sont disponibles actuellement, si vous le souhaitez toujours," précise l'homme après avoir consulté sa liasse de papiers.
"Je comprends, c'est normal. Puis-je rencontrer votre spécialiste en combat avec armes?""Maître Rolf Baguaudaim, mais certainement. Veuillez me suivre je vous prie."Il m'entraîne par la porte située à côté de son comptoir, la seule de la pièce si l'on excepte l'entrée proprement dite, puis dans un long couloir pourvu de quelques portes de chaque côté. Derrière certaines résonnent de bruits de combat, d'autres sont silencieuses et c'est devant l'une de celles-ci qu'il s'arrête finalement et toque fermement. Une voix lui ayant répondu d'entrer, il ouvre la porte et m'invite à entrer, ce que je fais en le remerciant d'un signe de tête. Bien que j'aie affirmé au Duc être un militaire, ce qui est l'exacte vérité, ma formation au Naora me semble bien lointaine, sans doute serait-il bon que je retravaille certaines bases. Mon existence m'a fait développer une technique de combat bien éloignée de celles utilisées en batailles rangées, encore qu'elle puisse s'y intégrer, et mes connaissances en stratégie sont pour la plupart purement théoriques. Les quelques cinquante années de formation d'Hirdam ne sont qu'une base, que les humains acquièrent en cinq ou six ans. Là encore la différence de perception du temps a de quoi laisser songeur, mais toujours est-il que je n'ai pas poussé assez loin mon apprentissage pour connaître les techniques poussées des coups en apparence les plus élémentaires. Je connais leur existence, je les ai vues à l'oeuvre pour certaines, mais je n'ai jamais même songé à tenter de les reproduire. Une lacune qui pourrait me desservir aujourd'hui, et qu'il me semble utile de combler autant que faire se peut avant de me jeter dans la mêlée.
La salle carrée dans laquelle j'entre fait une quinzaine de mètres de côté, ses murs accueillent plusieurs râteliers chargés d'armes diverses et variées ainsi qu'une série de mannequins de bois articulés pouvant pivoter, pourvus d'armes et de boucliers. Au centre de la salle se tient un Kendran de taille moyenne, simplement vêtu d'une vieille cotte de mailles, qui me dévisage sévèrement d'un regard couleur de glace. Sa longue chevelure grise, réunie en une stricte queue de cheval, ainsi que ses quelques rides indiquent qu'il a déjà une certain âge, mais sa posture souple et fluide révèle que cela n'en pas encore diminué ses capacités physiques. Je soutiens son regard et le salue instinctivement comme je le faisais devant mes instructeurs Naoriens, d'une très légère révérence respectueuse mais dénuée de la moindre servilité.
"C'est pour quoi?"La question abrupte de l'humain me fait hausser un sourcil légèrement surpris, mais je n'en réponds pas moins posément:
"Messire. Je vais combattre aux côtés des défenseurs de votre duché, ces prochains temps, mais je crains que mes techniques "militaires" de base ne soient rouillées et limitées. J'aimerais donc les rafraîchir et les perfectionner."
Inutile de parler de mon désir d'évaluer la valeur des soldats de Luminion, les capacités de ce maître m'en apprendront beaucoup et pour le reste, j'aurais certainement l'occasion de le découvrir si je vais rôder du côté des frontières. Maître Baguaudaim hoche simplement la tête et me désigne un râtelier où se trouvent des épées d'entraînement:
"Montrez-moi un peu de quoi vous êtes capable. Et assurez-vous que votre animal n'intervienne pas, je serais désolé de devoir blesser cette bête splendide pour défendre ma vie."J'opine d'une inclinaison du visage et conduis Sinwaë dans un angle de la salle, l'incitant à s'allonger et à rester bien sagement à cette place. Il me scrute de ses prunelles aux bleus profonds, longuement, puis soupire en posant son museau entre ses pattes et en se tortillant pour trouver une posture confortable. A peu près rassuré à son propos, je vais choisir deux armes possédant approximativement le même poids et la même taille que mes reliques tandis que le Kendran s'empare d'un bouclier rectangulaire cabossé et d'une pique émoussée d'un bon pied plus haute que lui. Une association qui m'inquiète la moindre, je n'ai jamais combattu quelqu'un armé ainsi et je suis raisonnablement certain que cet humain sait parfaitement s'en servir. Il me fait signe de l'attaquer, se tenant en posture ramassée derrière son bouclier, pique pointée entre mes deux yeux et frôlant son arme défensive, prête à jaillir à la moindre tentative d'approche. Je ne vois que le haut de son visage et ses jambes à partir du genou, cibles pour le moins réduites, d'autant plus qu'il lui suffit de lever ou abaisser légèrement son écu pour parer mes coups.
J'aperçois une petite lueur amusée dans les yeux du maître d'armes lorsque, plutôt que de me précipiter sauvagement sur lui, j'entame une approche prudente et mouvante, toute en brusques avancées et soudains replis, davantage destinée à provoquer une réaction de sa part qu'à l'attaquer. Il se garde bien de répondre à mes feintes d'assaut, se contentant de pivoter sur lui-même telle une tour mobile pour me présenter toujours la même muraille d'acier. Je plisse les paupières de concentration, c'est un combattant d'une extrême vivacité et doté d'un excellent sens de l'équilibre, je n'ai plus le moindre doute à ce sujet. Il faut que je trouve une manière d'écarter son fichu pavois tout en dégageant sa pique pour pouvoir l'atteindre, mais cela occuperait mes deux lames et il aurait le temps de réagir avant que je n'en ramène une pour l'atteindre. Équation insoluble qui me taraude un moment, tandis que je le presse de plus en plus près, jusqu'à ce que, fatalement, sa pique fuse subitement!
Je la dévie d'un revers nerveux, à ras la garde de ma lame que je maintiens en contact avec son arme, et m'insinue dans sa défense d'une volte elliptique qui dissimule mortellement ma deuxième arme et son angle bas, bien que tout dans ma posture indique une attaque haute! Je grogne de dépit lorsque ma lame bute durement contre son bouclier parfaitement placé, par Sithi il est plus preste qu'un serpent! Il avance soudain d'un entrechat puissant et propulse son écu dans ma direction, choc brutal et frontal que je n'évite qu'imparfaitement, je me méfiais de sa pique en arme offensive, pas de son bouclier...le choc me propulse trois pas en arrière, manquant me jeter à terre et me sonnant légèrement, je rage de m'être laissé ainsi avoir comme un débutant mais mon visage n'en montre rien et je reprends mon équilibre d'un entrechat fluide.
"Pas mal du tout le coup bas. Mais tant que vous n'aurez pas écarté mon bouclier vous ne passerez pas. Il y a une solution à votre problème, une technique que l'on appelle "Passe-bouclier". Réfléchissez, pourquoi vous êtes-vous trouvé face à mon bouclier?""Parce que je ne l'ai pas écarté. Votre garde n'était pas ouverte, bien que votre pique ne soit plus une menace.""Exact. Vous avez utilisé votre première arme pour dévier ma pique, la deuxième pouvait soit vous servir à écarter mon bouclier soit à tenter de me toucher, mais pas les deux. Conclusion?""Ma première arme doit impérativement dégager votre pavois, et la deuxième dévier votre pique et s'insinuer dans votre garde.""Excellent. Voyez si vous pouvez mettre cela en pratique."Plusieurs essais me sont nécessaires pour parvenir à une ébauche de résultat, il me faut user d'un coup puissant pour le déstabiliser et je peine à garder assez de vitesse pour l'atteindre correctement. Je souris, amusé de songer que c'est exactement là que je voulais en venir. Ma technique de base ne suffit plus, il faut que je l'élève, que je l'investisse de toute ma volonté et de toute mon énergie intérieure, mais comment? Le point crucial, le pivot de cette technique, n'est autre que ce fichu pavois. Il faut donc que je renforce la puissance du coup destiné à l'écarter, mais aussi la précision et la vivacité du suivant, destiné à écarter son arme et à le toucher, et cela sans y perdre en force. Mes premières tentatives sont brouillonnes et le faible usage imparfait que je fais de mon ki ne suffit pas mais, peu à peu, ma technique s'affine et l'angle de mes attaques se peaufine, si bien que je parviens tout de même à le mettre en péril à deux reprises. Sans pour autant parvenir à le toucher, mais cela ne tient plus qu'à la dépense très modérée d'énergie interne que je m'autorise. Sa pique m'a touché à trois reprises, assez sèchement pour me déstabiliser. C'est une arme redoutable que celle-ci, dotée d'une allonge surprenante et rapide. Rolf Baguaudaim en utilise les deux extrémités mais n'hésite pas à s'en servir de taille à l'occasion, prompt à assommer ou contusionner son adversaire comme avec un simple bâton. J'aurais quelques belles marques ce soir, cela ne fait le moindre doute, mais ça n'a aucune importance et je répète cette technique jusqu'à la maîtriser parfaitement. Ce n'est que lorsque l'une de mes lames d'entraînement se pose avec la légèreté d'une feuille contre la peau de son cou que le maître daigne grogner une approbation avant de me faire signe de reculer:
"Bien. Vous m'avez fait transpirer avec vos déplacements voltigeants, mais dans une bataille rangée il est rare d'avoir autant de place à disposition. Voyons un peu ça."Il dispose trois quintaines munies de boucliers et d'épées en ligne au centre de la salle, puis deux autres leur faisant face à quelques trois mètres, laissant entre elles l'espace pour un combattant. Il m'invite alors à tenter de mettre en pratique la technique que je viens d'apprendre contre le mannequin placé au centre de la rangée de trois, ce qui m'oblige à me positionner entre les deux autres pantins de bois censés représenter mes alliés. Mon espace est effectivement très restreint, mais je le maîtrise suffisamment pour dégager le bouclier de ma cible d'un coup puissant sans étriper au passage mes compagnons factices. Mais à l'instant où ma deuxième arme s'apprête à atteindre les côtes du mannequin, la pointe émoussée d'une pique maniée par Rolf me percute l'estomac, assez fort pour que je me plie en deux, souffle coupé!
"Deuxième ligne, mon cher...Les piquiers adoptent des formations diverses, carré, rectangle, losange, cercle, mais toujours basées sur une coordination entre les deux voire trois premières. Les rangées suivantes servent à combler les vides, ou à remplacer une première ligne épuisée. Une triple rangée de piquiers bien entraînés peut arrêter net une charge de cavalerie lourde, ou de loups Garzoks."Je dois réitérer l'expérience plusieurs fois avant de trouver une manière de contourner cette défense redoutable, je n'ai pas affaire à un adversaire mais à deux, dont l'un est inatteignable et protège celui qui est devant lui. Cela ne laisse qu'une étroite faille, de la largeur du corps du premier combattant très exactement. En sortir c'est se manger la pique de l'un de ceux qui se trouve derrière, et j'y goûte à bien des reprises avant de parvenir à rester parfaitement dans l'angle mort des armes de ce fichu deuxième rang.
"Bien, vous avez compris l'idée, il nous reste un peu de temps avant la nuit, voulez-vous que nous abordions une autre technique? Je me dois de vous informer que l'apprentissage de l'une de nos méthodes revient à quatre cent yus, et cinq cent pour les plus évoluées, ce qui n'est pas négligeable."C'est en effet une somme, mais je vois cela comme un investissement à long terme pouvant me sauver la vie, ce qui n'a pas de prix à mes yeux. Et puis, ces montants doivent en bonne partie financer la défense de Luminion, ce qui ne peut qu'aller dans le sens de mes objectifs. Sans compter qu'avoir des relations au sein de cette académie peut s'avérer utile, un point à ne pas négliger.
"J'ai les moyens et c'est un plaisir de subventionner les défenses Kendranes, poursuivons. Et réservez-moi également votre journée de demain si cela vous est possible.""Soit. Alors je vous propose d'aborder la technique dite de "l'estoc droit", que j'ai utilisée à deux reprises pour vous pointer si vous l'avez remarqué. Très utile lorsque l'espace latéral est réduit. Mais je ne vais pas vous apprendre quel usage faire d'un coup d'estoc, juste vous en montrer un aboutissement."La technique de l'estoc droit ne me pose pas grande difficulté, l'aspect purement technique du coup m'est aussi naturel que de marcher et la structure de Ki nécessaire à ce geste est très simple. Il ne fait qu'en accentuer la force et la vivacité et doit être modelé afin de produire une très brève explosion destinée à un soutenir un unique assaut puissant, rien à voir avec l'incroyable complexité de certaines danses. Néanmoins je dois me contraindre sévèrement pour me limiter à focaliser toute ma volonté et mon énergie dans ce coup qui me semble presque trop basique pour être efficace. Mes danses de guerre habituelles sont faites de courbes plutôt que de droites et je ne m'expose que rarement autant que le nécessite cette fente très prononcée. Elle exige en effet d'avancer un pied très loin pour fuser droit sur l'adversaire, ce qui rend mon équilibre plus précaire et complique toute tentative ultérieure de repli.
Il me faut bien des essais pour parvenir à surmonter ma réticence et me lancer en avant sans retenue, tendu uniquement en cette pointe prompte et franche, mais je finis par lâcher prise et parviens enfin à produire un résultat satisfaisant. Une bonne heure m'est encore nécessaire pour travailler l'équilibre et la précision de cet ample pas, et une deuxième pour trouver différentes manières de me replier ou de prolonger cette attaque sans mettre ma stabilité en péril car il serait insensé de supposer qu'elle mettra systématiquement un terme au combat, malgré son efficacité surprenante. Je poursuivrais bien l'entraînement mais Sinwaë manifeste des signes d'impatience fort compréhensibles et maître Baguaudaim me signifie que c'en est assez pour aujourd'hui en reposant ses armes sur les râteliers. Il se tourne ensuite vers moi et demande:
"Que diriez-vous d'aller boire une bière ou deux, histoire de nous détendre un peu après ces efforts?"J'accepte sa proposition sans hésiter, cela me donnera l'occasion de lui poser quelques questions sans rapport direct avec cette formation martiale mais aussi, certainement, de faire connaissance avec quelques soldats de ce duché. Peut-être pourrais-je également me renseigner à propos des bâtiments disponibles et avoir quelques pistes pour en trouver un qui soit adapté à mon projet d'ouvrir ici une commanderie de l'Opale, qui sait? Et, plus prosaïquement, il me faudra aussi dénicher un coin pour me reposer cette nuit car je n'ai pas vu la moindre auberge dans le bourg.
***
(Note pour GM:
Apprentissage des CCAA:
-Passe-bouclier:
Le combattant assène un coup puissant de son arme secondaire sur le bouclier de son adversaire pour le déstabiliser et lui faire perdre le bénéfice du caractère défensif de l'objet, puis enchaîne avec un coup de son arme principale pour passer la garde adverse. (For+0.5/lvl, bonus de caractéristique défensive non rp du bouclier ignorés) Conditions : avoir deux armes en main et un adversaire équipé d'un bouclier.
-Estoc droit:
Une jambe en retrait pour stabiliser votre appui, l’autre s’élance vivement en avant. Vous frappez alors avec énergie votre adversaire dans le but de le transpercer (For+2/lvl)
Total: 2*400=800 yus.)