Lilie ressassait les dernières paroles de son guide. Sans indication, elle ne voyait pas bien comment elle aurait pu détecter à temps un danger. Trop de facteurs jouaient en sa défaveur. Elle ne connaissait rien de l’environnement désertiques qu’ils allaient devoir affronter, pas plus qu’elle ne connaissait les menaces qui pesaient sur eux. Elle n’avait pas beaucoup eu l’occasion non plus de reposer sa survie sur les épaules de quelqu’un et cette tâche lui semblait donc très ardue.
Poussant un soupire de découragement, elle garda ensuite le silence en adressant toute sorte de pensée au dieu qu’ils révéraient tous les deux. Lorsque le monde se révélait être une source d’angoisse pour la Taurion, cette dernière avait pris l’habitude de se replier sur son univers intérieur spirituel. Il était le seul à pouvoir s’opposer aux craintes viscérales qui assaillaient régulièrement la Shaman.
Au cours de ce début de voyage en direction du désert, le paysage se déclina de bien des façons. Lilie ne comprit d’ailleurs pas pourquoi il était nécessaire de demeurer sur leur garde, alors que de toute part surgissaient de petites maisonnettes peuplées de curieuses petites personnes. Si l’elfe verte avait eu l’occasion d’en croiser ci et là à Eniod, à la Sororité de Selhinae, elle ne s’était pas attendue à en rencontrer tout un peuple ici.
« N’y a-t’il que des Sinaris dans ces contrées ? », avait-elle demandé avec étonnement, entre deux maisons de terre, à l’abri des oreilles, pour ne pas risquer de vexer les promeneurs. Elle n’avait pas perdu une seule miette du spectacle qui s’était offert à elle et avait bien noté les pattes velues de ces petits hommes au tempérament joyeux qui ne portaient même pas de chaussures. Ils déambulaient sur les sentiers en chantonnant ou en échangeant de chaleureuses salutations.
« Ils ont l’air si paisibles, si insouciants. J’aimerais vraiment qu’ils n’aient jamais à connaître le malheur. Pourvu que les forces de Valshabarath soient arrêtées à temps... »
L’humeur maussade de Lilie n’était hélas jamais loin, mais bien heureusement pour elle, Saron parvenait toujours à lui faire voir l’avenir sous son plus beau jour.
Petit à petit, les champs de cultures et les prairies verdoyantes bondées de maisons de Sinaris avaient fait place à un territoire moins accueillant. L’herbe haute et fraîche dont s’étaient de temps à autre nourrit les montures des deux Taurions s’était transformée en paille sèche impropre à la consommation des chevaux. Lili avait néanmoins apprécié de retrouver les rives de l’océan sur leur droite, alors qu’ils s’étaient aventurés sur un sentier peu fréquenté qui longeait l’eau. Ces étendues océaniques qui s’étaient à perte de vue la fascinaient, même si elle avait conscience des dangers qu’elles pouvaient représenter. Son amie Elianna de la Sororité en avait fait les frais.
La terre battue s’était ensuite doucement transformée en sable gris, au moment où sur leur gauche, s’était considérablement rapprochée la silhouette de hautes montagnes évoluant en à-pic. La Shaman n’avait pas perçue cette évolution du paysage, tant la transition avait été longue et discrète. Ce n’est qu’au moment où Saron attira son attention sur la couleur bleuté que prenait peu à peu le sol que Lilie manifesta son étonnement.
« C’est ici que va commencer le désert, l’as-tu remarqué ? », avait-il demandé l’air de rien, en tournant son visage vers Lilie, une main en l’air pour protéger ses yeux de la luminosité afin de mieux contempler le visage de son interlocutrice silencieuse. Le soleil finirait sa course derrière l’horizon d’ici quelques heures à peine, pourtant, la chaleur ne faiblissait pas. La Shaman fit stopper sa monture, en exprimant le fond de sa pensée :
« C’est étrange, maintenant que tu le dis, cette couleur que l’on voit, de plus en plus. On dirait presque que l’océan et la terre ont fusionné pour donner cette vaste étendue. J’étais perdue dans ma tête et je ne me suis pourtant rendue compte de rien ! »
« Et ce n'est encore rien, comparé au bleu azuré que nous rencontrerons lorsque nous y serons vraiment. »
Se rendant alors compte qu’elle n’avait plus été attentive et qu’elle avait depuis un bon moment déjà lâché la garde de son arme, la Shaman se redressa soudainement sur son cheval en plaquant une main moite sur son épée brûlante, pour faire bonne figure, bien qu’elle se fût elle-même prise en défaut.
« C’est que cette chaleur est insidieuse. Elle nous fatigue, s’immisce sous nos vêtements sans crier gare et nous étourdis. », avait déclaré Lilie sur un ton d’excuse, sans être véritablement convaincue de ses explications.
« Heureusement, la tombée de la nuit est proche. Cela dit, j’aimerai vraiment que l’on ait encore avancé un peu avant de nous arrêter si tu veux bien, car l’endroit que nous sommes sur le point de traverser n’est pas recommandé pour y dormir. »
Son ton de voix était ferme et n’invitait pas à la discussion, pas plus qu’aux interrogations. La Shaman choisit donc d’obtempérer et remit sa monture en marche. Après avoir bu de bonnes gorgées d’eau, la vigueur de la Shaman lui était revenue. Ses cuisses la tiraillaient, alors qu’elle chevauchait maintenant depuis des jours sans s’offrir plus de quelques heures de répit au sol pour se reposer et s’acquitter de sa mission.
Une bonne heure plus tard, Saron reprit la parole. La Taurion avait aperçu un peu plus loin une quantité d’ossements faramineuse jonchant la terre bleutée devenue presque sable et avait adressé un regard interrogateur à son ami.
« On raconte qu’il y eut ici une grande bataille. Deux peuples qui s’affrontèrent dans des temps anciens, pour la conquête de ce territoire. Mais avançons, ne nous arrêtons pas, la nuit approche. »
Toute l’horreur de la guerre apparut alors à l’esprit de l’elfe verte, en écho au cauchemar qu’elle avait eu durant la nuit précédente. Les morts se comptaient probablement ici par milliers. La Shaman savait bien que la vie n’était pas immuable, pourtant, voir la mort prendre une telle ampleur lui glaçait le sang. Autour d’elle, l’atmosphère était changeante. Dans l’air semblait régner comme une odeur de charogne et le ciel devenait lourd, oppressant, si bien que Lilie en avait des vertiges.
« Je ne me sens pas bien, Saron... », parvint-elle à peine à marmonner. Le souvenir de ses visions nocturnes mêlées à la réalité du spectacle des squelettes blanchis par le souffle du vent qu’ils piétinaient la plongeait dans un état de conscience modifiée. Comme deux bras qui l’attiraient vers l’arrière de sa monture, dans le vide, elle se sentie chuter vers le sol, incapable de réagir, au moment même où Marno marcha sur un os en biseau qui s’était enfoncé dans l’arrière de sa patte en hennissant de douleur et de colère. Il se cabra alors, menaçant.
Le contact du sable brûlant sur ses paumes arracha un cri de souffrance à Lilie, qui se tut l’instant d’après. Ses yeux stupéfiés avaient rencontré une forme éthérée placée en travers des derniers rayons du soleil faiblissants. Lilie sursauta au moment où de ce nuage informe apparut un visage monstrueux et difforme. La nuit était là. Ils avaient trop tardé...
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Dernière édition par Lilie le Jeu 14 Jan 2016 14:40, édité 1 fois.
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