L'autre elfe finit par se retirer, me laissant seul avec son supérieur. Je décide de laisser celui-ci prendre la parole en premier, on va faire semblant de suivre les conventions pour une fois.
"Ainsi, mon apprenti m'apprend que vous êtes géomancienne.""Druide et gardienne de Yuimen pour être précise.""Je pensais que votre sous-race appelait le dieu de la Terre "Tréoré". Vous êtes intéressante comme personne.""Ma "sous-race" comme vous dites, est la même que la vôtre. Je suis une Sindel, même si les apparences jouent en ma défaveur.""Vous, une Sindel ? Et je suis le Roi de Yuimen sans doute."(Blasphémateur.)"Je suis autant une Sindel que vous ou notre Reine ou le prince Naémin de Tahelta, dernier fils du couple Royal."Je finis par reprendre la langue de mes pères, après ces trois ans hors du Naora, le parlé commun était devenu plus instinctif que le Sindel, ma langue d’origine.
"J'ignore lequel de vos parents était des nôtres, mais bon, la question n'est pas là. Que faites-vous sur Sor-Tini, d'où venez-vous, que venez-vous chercher ici ?""Je suis sur Sor-Tini sous l'ordre de Yuimen. Je viens de Nyr 'tel Ermansi avant d'arriver sur Sor-Tini, je viens de la prison y a 5 minutes, sinon je reviens de Niestim où une bataille vient d'avoir lieu."(En parlant de batailles. J'ai une mauvaise nouvelle. Ils ont vaincu, mais la moitié du peuple est mort. Ton père est dans le coma et ils ne viendront pas.)(Et merde !)"Les troubles dans cette partie-là du continent ne me concernent pas.""A part que la bataille qui vient d'être gagnée très difficilement, était contre des orques, des troupes de Leona menées par une de ses lieutenante : Siril.""Si elle a été gagnée, y a plus de problème."Je commence à voir rouge devant l'indifférence du prêtre de Lune. Est-il un chef militaire ou un prélat stupide incapable de se rendre compte du danger d'une situation ?
"Le problème est simple, y a au bas mot dix milles têtes orques, gobelines, plantes, trolls et autres qui se dirigent droit vers les fluides !"La tête du chef change un peu et le gris argenté de sa peau vire au mat tandis que ses yeux s'écarquillent de peur. Manifestement, il vient de se rendre compte que le souci est plus gros qu'une espèce de métisse qui se ballade sur ses terres. Par contre, j'aurais voulu une réaction plus militaire de sa part, qu'il me montre une carte de la région, qu'il envoie des éclaireurs, qu'il donne des ordres. Mais non, rien de tout cela, il reste les pupilles dilatées...
"Et vous comptez faire quoi ?"Il n'est pas mort de peur car il réagit à mes paroles, même si ce n'est pas franchement de la manière escomptée :
"Comment ça faire quoi ? Que voulez-vous que je fasse moi ?""Comment ça, que voulez-vous que je fasse ? Vous êtes un chef militaire non ? Allez au front, montrez la valeur de l'armée sindel !""Mais je ne peux rien faire sans un ordre issus de la hiérarchie.""Envoyez des gens chez la Reine alors, mais d'ici 3 jours au maximum ils sont aux fluides !""Mais je peux pas envoyer des rapports alors que je n'ai rien vu, et que je n'étais pas sensée avoir des personnes dans ces environs-là.""On parle d'une menace sur Tahelta, là. Pas d'un groupe de dryades qui partent en voyage !""Tahelta saura très bien se défendre, ce n'est pas une armée de dix milles têtes qui prendra la ville.""Même s'ils sont pris aux dépourvus complètement ?""La Garde Royale est toujours prête, vous le savez.""J'ai vu ça... Nous avons pu passer à deux personnes, à cheval, sans la moindre difficulté, sans qu'on cherche à nous arrêter !""Ca veut dire que vous n'avez rien à faire là. Gardes, mettez-la aux arrêts !"En plus d'être butté et peureux, il est aussi complètement stupide. Seul le fait que je ne sache pas où sont mes équipements, m'empêchent de démolir une partie de cette maison pour tenter de le faire réfléchir. Je n'appréhende pas la mise aux fers, je sais que je pourrais m'en défaire sans soucis, mais chaque minute passée ici est une minute de perdue. Un elfe apparaît très vite, mais il ne porte rien pour m'emprisonner, par contre son visage est anxieux et je n'ai pas le temps de me questionner de la raison que la réponse vient toute seule.
"Les Tarouans ont été attaqués. D'impressionnantes troupes d'Oaxaca se dirigent vers Mariasan !"(Les Tarouans sont les êtres intelligents qui peuplent la plaine de l'autre coté du fleuve. Mariasan est la ville proche des fluides.)(Merci pour les informations.)A nouveau, la réaction du prêtre de Lune est décevante, autant pour moi que pour son subordonné.
"Vous avez entendu ce que j'ai dit. Arrêtez cette métisse, elle n'a rien à faire ici !"L'elfe ne sait plus du tout comment se conduire. Il arrive avec une annonce grave et on lui demande de m'arrêter, sans se soucier de son message. Il hésite durant quelques secondes à se rebeller, mais finit par se diriger vers moi.
"Je vous arrête."Il me fait pitié, et je décide de le suivre, surtout pour ne plus voir la face du chef. A peine sommes-nous sortis et la porte fermée que le capitaine me regarde :
"Il est trop vieux. D'ici moins de dix ans, il doit prendre sa retraite et rentrer s'occuper de politique à Tahelta. Il ne risquera pas une affectation à la Cour pour quelques orques.""Mais vous n'allez pas rester sans rien faire, quand même !""Nous sommes tous mains liées dans ce campement, à part vous en fait !""Ah bon ?"Demandé-je en montrant mes poignets toujours attachés par cette foutue corde qui commence à m'énerver ! L'officier sourit et tranche mes liens de son couteau.
"J'aurais pu le faire quand vous étiez en prison, mais ça aurait paru louche.""En prison ?""L'aéril, le rat bleu c'était moi. J'avais pour ordre de vous surveiller, de vous mettre en confiance et d'obtenir des renseignements. J'espérais que vous réfléchiriez à voix haute.""Ca m'arrive, vous aviez vos chances. Mais généralement, je discute avec ma faera.""C'est vrai que c'est pratique les faeras pour les débats intérieurs.""Et maintenant, que va-t-il se passer ?""Je vais aller démolir votre cellule de prison d'où vous vous serez évadée. Et vous vous allez récupérer votre cheval, vos équipements sont sous l'abreuvoir. Comme je l'ai dit, nous avons les mains liés. Sans ordre du prêtre de Lune nous n'auront pas l'autorité pour bouger nos troupes. Oubliez de trouver des troupes ici, ils ne bougeront pas. Retournez à Tahelta, convainquez la Reine du bien-fondé de l'ordre que vous demandez et nous agirons.""Ca sera trop tard. Il faut attendre la fin du deuil officiel pour qu'elle me reçoive. Et il faudra encore près de quinze jours. D'ici-là les fluides seront pris."La situation est manifestement désespérée. Nous sommes à quelques pas à peine des portes de la prison quand l'elfe s'arrête, me prend par les épaules et me regarde droit dans les yeux.
"Trouvez Naémin de Tahelta ! Trouvez-le exilée. Un ordre de sa part ne saurait être désobéi. Il est le prince héritier. Trouvez Naémin et expliquez-lui la situation. Il est notre seule espoir !"Je suis surprise par l'intonation tragique prise par le Sindel, mais je comprends l'idée et la peur qui l'habite. Il n'a donc jamais connu la fureur des combats ou tellement peu. Pour ma part, je ne parviens pas à me décider sur ce que je dois faire. Ou plutôt je sais ce que je DOIS faire, mais pour une fois ça ne correspond pas avec ce que je VEUX faire. Je voudrais pouvoir aller chercher et sauver mon père, mais je n'aurais pas le temps de retourner à la forêt et de revenir jusqu'aux fluides avant l'arrivée des troupes de Leona.
(Tu n'as pas le choix. Si tu veux sauver ton père, tu dois sauver Sor-Tini. Si tu veux sauver Sor-Tini...)"J'irais chercher Naémin. Je reviendrais au plus vite..."Le coeur gros devant l'échec de mon premier plan, je me raccroche au plan dérisoire du capitaine et cours pour récupérer mon cheval et mes équipements. Une fois tout mon barda récupéré, je saute sur Harniän qui n'a pas été descellé et m'enfuie en direction des fluides...
((( >> La double armée)))