Lilie se redressa brusquement, sa respiration se fit puissante et bruyante. Elle scrutait la pièce dans laquelle elle se trouvait et son cœur avait repris sa chamade comme s’il ne s’était écoulé qu’un tout petit moment depuis cette confrontation directe avec la mort. Plongeant alors son regard sur son poitrail, elle put constater que ses blessures n’étaient plus qu’un lointain souvenir, et d’ailleurs, elle ne ressentait plus aucune douleur. Elle ne se trouvait plus non plus sous l'emprise de l’extrême fatigue qui l’avait habitée depuis de si longues heures. Son ventre ne criait pas famine, sa bouche n’était plus sèche, et elle était à présent bercée d’une douce incompréhension.
Ses vêtements étaient bien soigneusement placés à ses côtés, apparemment recousus, et l’espace d’un instant, Lilie se demanda si tout ce qu’elle avait vécu depuis sa confrontation avec les petites araignées n’avait pas été qu’un rêve, avant de constater que la fine cicatrice qui sillonnait son ventre était encore toute fraîche.
Avoir survécu à la mort était un réel soulagement qui semblait lui donner des ailes. Elle était pleine d’énergie, pas particulièrement de bonne humeur, mais elle se sentait maintenant prête à faire face à tous les dangers, de front ou en prenant la tangente, maintenant qu’elle avait compris que l'excès de confiance en son environnement n’avait été que pure bêtise. Il n’y avait certes plus grand-chose à craindre en ces lieux, étant donné les moyens qui avaient été mis en œuvre pour la sauver, mais elle n’était pas non plus à l’abri de mauvaises surprises, et le fantôme des heures passées dans ce cocon était toujours là dans son esprit prêt à se rappeler à elle au moment où elle s'y attendrait le moins.
Lilie se rhabilla en hâte et trouva une belle cape verte laissée là probablement pour lui tenir un peu chaud compte tenue du peu d'épaisseur qu'avaient ses vêtements. Sans hésiter, elle la jeta sur ses épaules et commença à examiner de plus près le petit endroit en gardant le silence.
Les murs étaient rocailleux, recouverts d’une teinture ocre qui rappelait des nuances terreuses. Il n’y avait que très peu de lumière, quelques bougies tout au plus, et à part la couchette sur laquelle elle avait été installée, il n’y avait aucun ameublement. Sur la droite, il y avait une ouverture qui donnait sur une autre pièce, vaste, occupée par bon nombre de tables et d’établis. Ce devait être la pièce principale d’une sorte d’infirmerie, à en juger par les ustensiles étranges qui traînaient ci et là, les bandages et les nombreuses plantes mises à macérer dans des fioles.
« Hum hum…en voilà une qui est réveillée ! Alors… ? », murmura une petite voix qui semblait venir d’un autre passage menant à une pièce du même genre que celle que venait de quitter la rôdeuse. Une petite tête sombre et au regard malicieux se montra alors, un sourire franc et amical habillant son visage chaleureux. Lilie avait pourtant fait de son mieux pour rester discrète et ne pas se faire entendre, mais apparemment quelque chose d’autre l’avait trahi. L’homme s’avança à pas de velours et observa l’elfe, attendant probablement une réponse puisqu’il ne semblait pas décider à poursuivre.
« Puis-je enfin savoir où je suis, qu’est ce que je fais ici, qui est-ce que vous êtes, pourquoi j’ai été… guérie, pourquoi je n’ai pas été… »Des larmes affluèrent soudain et elle ne put pas poursuivre sa phrase, son visage se transformant du tout au tout pour exprimer cette soudaine prise de conscience. Ce qu’elle avait vécu était tout bonnement innommable pour elle qui suffoquait encore d’angoisse à la simple évocation du souvenir fatidique, et elle se prit alors à courir en direction de la plus grande ouverture, celle qui la mènerait sans doute vers la sortie de cet endroit où on l’avait pourtant remise sur pied, pour fuir les images qui affluaient dans son esprit. Si ses blessures physiques avaient disparu, son esprit, lui, restait meurtri au plus haut point.
« Revenez, je vais vous répondre, Dame, oh… »L’individu ne se jeta pas à sa poursuite, attendant simplement que la course de Lilie soit stoppée par les deux gardes de l'infirmerie et leurs deux bâtons dressés en travers de son chemin. La rôdeuse s’abattit brutalement contre les armes de bois et se retourna soudain, se sentant à nouveau prisonnière et comme un lion en cage.
« Laissez-moi partir, je veux m’enfuir, je veux retourner dans la forêt, libérez-moi, je vous en supplie ! »L’état de démence dans lequel était à nouveau plongé Lilie ne permettrait aucune discussion et le petit être à la peau foncée comme un Shaakt et aux oreilles pointues en avait clairement conscience. Il étendit alors ses bras courts de part et d’autre de son corps, et son ample vêtement violet qui le recouvrait presque entièrement commença à frissonner avant de laisser échapper une vive lueur blanche irradiant la lumière. Il ferma alors les yeux et Lilie put voir approcher une multitude de rayon opaque, doucement, paisiblement, tandis qu’elle tentait frénétiquement de se frayer un passage entre les bâtons solidement brandis en travers de sa route.
Cette lumière, elle était comme cette hideuse chose qui avait cherché à la transpercer, à s’insinuer en elle et à déchirer tout ce qu’elle était. Elle faisait écho à cette infernale douleur, jusqu’au moment où elle parvint enfin au contact de la chair frémissante de Lilie. Ses muscles se détendirent soudain, son esprit s’embruma quelque peu et elle se sentit soudainement apaisée, bien, libérée de toute crainte. Elle était sous une emprise magique qui lui était indéniablement bénéfique et elle était même capable de le réaliser.
« Merci… », fut la seule chose qu’elle fut alors capable de dire en se relevant. Elle laissa les gardes tranquilles et vint alors s’asseoir aux côtés de l’être habité par la magie de Gaïa. Ses inquiétudes n’étaient plus, mais sa curiosité, elle, restait intacte et intarissable.
« Je suis Marti, Marti Velth, et vous, vous êtes la future Gardienne de la Forêt, c’est la raison pour laquelle vous avez été épargnée… de justesse. »Lilie, ce coup-ci, ne broncha plus, se contentant de sourire tout naturellement. Elle était contente de constater que son esprit ne s’emballait plus, et invita Marti à poursuivre.
« Nous respectons au plus haut point les Gardiens, ils nous protègent et c’est la raison pour laquelle nous avons tant besoin de vous, enfin, quand vous aurez pris un peu de poil de la bête, comme on dit. Ce qui s’est passé tout à l’heure est un tragique et très regrettable accident, nous en avons tous été très affligés, vous pouvez me croire sur parole. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous guérir à l’aide de mes sorts de soin et apparemment ça a été un franc succès. »Puis il embraya joyeusement sur la suite des choses qu’il avait encore à confier à Lilie, profitant de la petite demi-heure qu’ils avaient encore devant eux avant que le sortilège ne cesse de faire effet.
« Vous êtes donc ici dans la cité des Orgamii. C’est le nom de notre…peuple. Nous ressemblons aux elfes noirs, mais sans doute n’en avez-vous jamais rencontré. Même couleur de peau, de cheveux, même origine aussi ! Mais nos destins, eux, se sont séparés il y a des milliers et des milliers d’années. Nous avions été chassés et exilés loin de Khonfas, la grande ville Shaakt du continent d’Imiftil. »Il remua alors sa toge et Lilie put voir apparaître trois paires de bras, atrophiés, qui craquaient à chacun de leur mouvement. En temps normal, et en tenant compte de ce que Lilie venait de vivre, elle se serait sans doute une fois de plus effrayée de cette vision, mais bien sûr, sous l’effet de la magie qui l'habitait, elle ne broncha pas.
« Pourquoi est-ce que vous avez été chassés ? », demanda-t-elle sans lâcher des yeux les membres qui s’agitaient d’une drôle de façon et qui semblaient totalement désarticulés.
« Pourquoi…pourquoi…nous nous le sommes toujours demandé ! Le prétexte qui nous a été donné est que l’on est une forme d'aberration magique, un échec de la déesse Valshabarath, et une offense à la race Shaakt. Pourtant, notre Reine arachnéenne a été envoyée à Khonfas par la grande Déesse des elfes noirs elle-même, en cadeau, alors comment y croire ? Une Déesse ne se trompe normalement jamais !
Au début, elle était assez petite, docile, vénérée à Khonfas, tout ça parce qu’elle produisait d’adorables petites araignées qui servaient de chair à canon sur les champs de bataille. Tout allait bien, elle était nourrie, gavée pour être toujours plus productive, et ce qui devait arriver arriva : elle tomba malade, ou du moins, c'est ce qu'ils prétendirent tous ! »Lilie ouvrit de grands yeux en découvrant cette histoire qui était entrain de lui être livrée. Tout ça semblait remonter à des temps très anciens, et elle avait du mal à voir le lien avec le présent de ce peuple réfugié sous la Forêt.
« Elle s'était mise à grandir, grandir, et encore grandir, prête à exploser ! Personne ne sut dire pourquoi, et nous, nous n’étions pas encore là. Elle ne produisait plus de combattantes arachnéennes, et Khonfas subissait défaite sur défaite, jusqu’au jour où elle finit littéralement par... se vider. Je vous épargne les ragoutants détails, bien peu intéressants qui plus est, mais c’est à ce moment là que le premier Orgamii vit le jour, du ventre de la Reine, accompagné d’une quinzaine d’autres membres de cette espèce, tous des mâles, avec deux bras et six pattes accrochés sur le torse, et capable dors et déjà de marcher et de parler, ainsi que de combattre et parfois même d’user de la magie. Nous aurions très bien pu nous intégrer dans la cité, nous rendre utile au combat ! Mais non, non ! Comprenez bien, nous n’étions que des pauvres mâles, des dégénérés ne ressemblant à rien ni personne et forcement, ils ne voulurent pas voir une autre espèce que la leur se développer au sein de leur ville. »Il rangea alors ses pattes qui finirent par se calmer et se leva, invitant Lilie à le suivre tandis qu’il continuait son discours. Marti voulait apparemment la conduire hors de l’infirmerie et elle lui emboîta donc le pas, attentive et avide de connaître la suite.
« Notre Mère la Reine ne s’était pas développée comme l’avait souhaité la Déesse, voilà ce qu'ils disaient ! Mais nous préfèrons croire que c'était tout simplement l’évolution naturelle que Valshabarath a voulue pour son peuple d’elfes noirs à Khonfas, seulement, sa volonté ne fut pas écoutée.
Toujours est-il que ce fut un grand drame, et notre Mère fut exilée loin de la ville avec sa maigre progéniture humanoïde à nourrir. On ne tuait pas le fruit de la déesse Valshabarath, mais apparemment, on pouvait le bannir. »Après cela, il resta interdit et l’air grave qui s’était figé sur son visage témoignait du dégoût qu’il nourrissait à l’égard des Shaakts de Khonfas. Lilie n’essaya pas de briser le silence, se contentant d’observer les couloirs dans lesquels ils avançaient en saluant les quelques Orgamii croisés aux airs nobles. Elle se demandait simplement quelle allait-être leur destination, mais elle n’allait pas tarder à le découvrir.