Durant la soirée, je reste plongé dans un profond mutisme, les yeux un peu perdus dans le vague, réfléchissant intensément. Isil semble curieuse de mes pensées, mais elle se contente d'attendre patiemment, en vain car en réalité je n'ai pas vraiment l'intention de partager mes cogitations, n'en voyant pas l'utilité. Mais, peu avant d'aller nous coucher, elle finit par essayer de me tirer les vers du nez en remarquant doucement:
"Elladyl, tu n'as pas dit un mot."
Je la regarde au fond des yeux durant quelques secondes, inhabituellement sérieux, puis réponds avec simplicité:
"Parfois, les mots ne servent à rien. Je sais que tu iras, c'est ton chemin, c'est pour cela que nous sommes venus jusqu'ici."
Elle me regarde de même, avant de répondre
"Oui, j'irai. Mais cela ne te plait pas et tu crains ce qui risque d'advenir."
Sans la quitter des yeux, je secoue lentement la tête et réplique doucement:
"Bien sûr, je serais triste que tu ne reviennes pas. Mais cela ne change rien, c'est ton chemin, celui que te dicte ton coeur, alors je n'ai qu'une chose à dire: suis-le."
Isil me regarde encore un instant avant de s'adosser sur son siège en répondant :
"Bien. Je m'étais attendue à ce que tu protestes plus. Tu resteras ici ?"
Je hausse les épaules et réponds sereinement:
"Protester? Pourquoi? ça n'aurait aucun sens, aucune utilité."
Puis je lui souris en ajoutant un peu timidement:
"Je t'attendrai, si tant est que tu en aies envie."
Méditative, elle me regarde un instant en penchant la tête sur le côté avant de sourire et de répondre:
"Ce serait plaisant. Et qui sait, peut-être parviendras-tu à apprécier les liykors?"
J'incline légèrement le visage avant de répondre:
"Alors je serai là à ton retour." Un sourire légèrement dubitatif, puis j'ajoute: "Ils n'ont pas l'air si méchants, finalement, peut-être m'habituerai-je à eux."
Isil sourit, un sourire qui ne tarde pas à se faire un peu taquin :
"Peut-être, s'ils ne te mangent pas avant."
Je hausse un sourcil, un peu inquiet, puis ris doucement en répliquant:
"Ils ont du bétail bien gras, pourquoi se casseraient-ils les dents sur un maigrichon comme moi?"
Puis je serre doucement une main d'Isil entre les miennes et ajoute avec un petit sourire diabolique:
"N'oublie pas ce que je t'ai dit: si tu reviens blessée je te soigne à la manière Eruïonne, alors fais attention à toi!"
Elle rit légèrement à ma première remarque et presse légèrement ma main en disant, l'air plus sérieux:
"Je ne promet rien, si ce n'est que je ferai de mon mieux, et Lhyrr aussi".
Je riverlonguement mon regard dans celui d'Isil, comme pour regarder au fond de son âme, puis murmure:
"Vous êtes forts et dignes, vous reviendrez."
Je me lève, m'approche jusqu'à lui faire face et demande doucement en levant les mains vers son visage, tout en gardant une distance respectueuse:
"Je peux?"
L'Elfe se lève à son tour, prend mes mains et pose un baiser sur ses paumes en disant:
"Que ce ne soit pas un adieu."
Je souris avant de secouer négativement la tête en répondant:
"Ce n'est pas un adieu, c'est un cadeau que j'aimerais te faire, Isil, un cadeau symbolique qui a pour nous une grande signification. Permets-tu?"
Elle incline la tête sur le côté, sa curiosité piquée, et acquiesce à ma demande. Je pose mes mains de part et d'autre de son visage avec beaucoup de douceur, puis dépose un chaste baiser sur son front en murmurant quelques mots dans ma langue avant de reculer et de lui traduire mes paroles:
"Cela veut dire: Puissent tes pas être sûrs et te ramener aux tiens et à la source."
C'est ce que nous disons à nos proches qui quittent la tribu pour aller chercher de la nourriture ou de l'eau dans le désert, ou encore combattre nos ennemis, une bénédiction rituelle signifiant que ceux qui restent seront en esprit avec ceux qui partent. J'ajoute cependant, avec un air vaguement gêné:
"Je ne fais pas vraiment partie des tiens mais..."
L'Hinïone a un petit sourire, à ces mots, puis elle incline légèrement la tête en demandant:
"Mais ?"
Je rive à nouveau mon regard à celui d'Isil et, après une légère hésitation, complète:
"Mais j'espère que cela viendra."
Elle hoche la tête avec un petit sourire, gardant le silence cette fois, qu'y aurait-il à dire de plus? Je souris avec une grande douceur et lui souhaite bonne nuit en frôlant sa joue du bout des doigts, puis je me retire pour aller me reposer un peu, la journée a été longue.
Le lendemain à l'aube j'assiste au départ de mes compagnons de route, serein et confiant, du moins en apparence, et leur dis simplement:
"A bientôt, prenez soin de vous."
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Elladyl, Eruïon errant de son état.
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