La Science des Âmes Tourmentées - Leçon n°3 : Invoquer des morts-vivantsLa Science des Âmes Tourmentées
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Exercice pratique
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Wulfin lui ordonna alors d'arrêter ses sorts, de faire silence et de se préparer. Les âmes s'enfuirent des squelettes. Les os se dispersèrent en fracas au sol. Les âmes furent dépourvues de leur éclairage verdâtre et Goetius se retrouva une fois de plus dans les ténèbres.
Son adversaire allait se présenter de lui-même. Il ne fallait plus qu'attendre.
Seul le bruit de la brise s'engouffrant dans la grotte et caressant la végétation extérieure se faisait entendre. L'apprenti nécromancien restait immobile. Ses chausses restaient collées au sol comme si elles furent faites de plomb. Il craignait qu'en bougeant, il l'entende. Il était nerveux. Son adversaire ne se montrait toujours pas et des inquiétudes naissaient. Entendrait-il arriver l'ennemi liykor malgré le pas si fugace et léger des siens ? Ne le verrait-il pas dans le noir ? Si c'était le cas, il serait tué avant de s'en rendre compte. Il savait ces questions dénuées de sens, mais il se sentait à son désavantage. L'idée que Wulfin puisse l'aider ou venir à son aide en cas de problème n'effleura même pas son esprit. Lui-même n'aurait pas bouger le petit doigt, il était donc acquis pour Goetius de ne jamais compter sur les autres, "les autres" étant une notion pour laquelle il n'avait que du mépris et de la haine.
Soudain, un bruit à l'entrée de la grotte. Il devinait que c'était celui d'un liykor venant de sauter d'au-dessus du pas de la grotte jusqu'au sol terreux. Ce n'était pas le bruit d'une chute, mais d'un bond lourd mais contrôlé. Il renifla vers l'intérieur et se mit à grogner.
"Wulfin, chien puant ! Ton odeur empeste de la charogne avec laquelle tu copules ! Tu n'as plus rien à faire dans nos sanctuaires... Sors te battre, banni !""Non.""Héhéhé... Aurais-tu peur Wulfin ? Où comptes-tu encore souiller les ancêtres d'un sacrilège ? Veux-tu vraiment provoquer la colère des Géniteurs en te battant avec un des tiens sur une terre sacrée ?""Non."Bleiz semblait faire les cent pas à l'orée de la caverne. On voyait sa silhouette, armée d'une sorte de large pique, s'y dessinait. Il voulait en découdre avec Wulfin mais il avait peur de livrer bataille dans l'enceinte. Peut-être aussi cachait-il sous ses airs d'arrogance une appréhension envers l'attitude du nécromant. Sans doute pensait-il Wulfin capable d'assez de folie pour l'entraîner dans une rixe blasphématoire. Ou connaissait-il ses talents de réveilleur des morts et alors redoutait-il de se retrouver, impuissant, à lutter contre des rebuts d'outre-tombe pendant que son véritable ennemi, en marionnettiste, restait intouchable, protégé par la sainteté de l'endroit.
Toujours était-il que ses réponses sommaires le laissait dans l'impasse et il ne pouvait plus que le provoquer de loin en espérant le pousser à livrer combat à l'extérieur.
Aussi, il ne semblait ni voir, ni sentir Goetius. C'était inespéré. Et le fanatique restait crispé. Il échafaudait des plans à toute allure dans son esprit, il tenait ses bras devant lui, attendant la moindre occasion pour les laisser s'enflammer de ses fluides.
Le bras gauche pour les fluides de nécromancie, c'était intégré. Mais de sa main droite, il ne savait que faire. Il hésita entre sortir son stylet ou invoquer sa magie obscure. Puis il alla jusqu'à se dire qu'il pourrait faire fi des conseils de Wulfin et d'user de nécromancie des deux mains. Mais lui aussi se retrouvait dans une impasse. S'il usait de magie avant que Bleiz rentre au sein de la grotte, il se dévoilerait. Il perdrait son effet de surprise. Il serait handicapé. Il fit cependant preuve de patience et conserva son calme. Il rageait intérieurement. Il savait que la bête de Blakalang s'amusait du désarroi de ceux qui vont être confronté. Elle ne répondait aux diverses provocations que par d'uniques mots y coupant court. Bleiz devenait ridicule au fur et à mesure de ses tentatives, ses incitations à la lutte ressemblant de plus en plus à des supplications frustrées. Aussi en eût-il assez et conclut son discours en disant :
"Cette grotte n'a qu'une sortie, Wulfin. Tu ne peux y rester indéfiniment. Tu t'obstines à t'y calfeutrer, soit. Lorsque tu seras décidé à lui abréger la souffrance de ton insultante présence, je serais présent.""Voilà qui risque de faire une longue attente, Bleiz.", se moqua-t'il.
"Veux-tu que je t'épargne de ce fardeau ?""Vas-tu sortir ?""Non. Tu vas rentrer.""Je n'ai pas ton impiété, Wulfin.""Tu n'auras pas à te battre contre un autre liykor dans ce site sacré, Bleiz.""Je connais tes pouvoirs.""Je n'en userais pas.""Je ne suis pas si crédule.""Tu connais ma réputation, Bleiz. Tu sais que je n'ai qu'une parole.""Si ce n'est pour quelques manigances, pourquoi voudrais-tu me faire entrer ?""Tu vieillis, Bleiz. Ton odorat n'est plus ce qu'il était. Ne sens-tu donc l'odeur d'une proie ?"Goetius s'affolait. Wulfin était en train de signaler sa présence !
Bleiz renifla encore.
"Un humain est là ! Que fais-tu avec un humain ici, Wulfin ?""Qu'importe ? Voici mon marché, Bleiz. Tues-le. Si tu réussis, je sortirais."La bête de Blakalang semblait avoir tout prévu. Ce Bleiz n'était pas un idiot, mais il disposait maintenant de sa parole et d'un défi à relever. En avouant la présence de Goetius, il lui révélait une fausse manigance. Celle de vouloir fatiguer son adversaire avec une proie avant de rentrer dans la danse. Une proie humaine, fragile. Un défi idiot qui serait réglé en moins de deux et qui ne l'épuiserait pas une seconde. Wulfin jouait sur sa réputation et sur sa présumée folie.
Et avec un liykor aussi présomptueux que Bleiz, qui lui nourrissait une telle incompréhension mêlé de haine, cela finit par marcher.
Il s'avança dans la grotte, le bruit de ses pas avançait vers Goetius.
Le fanatique devait réagir promptement. Le liykor était dans l'obscurité totale maintenant, il ne le voyait plus du tout. Rapidement, il invoqua ses fluides de nécromancie dans la main gauche en s'apprêtant à les projeter pour révéler les âmes environnante mais, à peine furent-ils en sa main qu'il fut surpris par la gueule de l'ennemi, éborgné en son œil droit, qui était déjà à moins de deux mètres de lui.
D'effroi, il laissa tomber les fluides de nécromancie. Il s'agissait de survie, alors plutôt se rabattre sur la simple magie d'obscurité qu'il maniait avec aisance que de faire des tentatives hasardeuses. En éteignant les flammes vertes, il se retrouvait alors encore dans le noir. D'une main puis de l'autre, il projeta à l'aveugle ses souffles de malveillance pure. Un râle terrible se fit entendre, et il redoubla ses attaques encore et encore. Il s'épuisait dans sa précipitation.
Puis, délivré par la fatigue de cette frénésie, il cessa. Il était essoufflé et toujours aveugle. En tendant l'oreille, il finit cependant par entendre un bruit. Un bruit qu'il connaissait déjà. Un bruit de crépitement. Le bruit produit par la magie noire lorsqu'elle entrait en contact avec de la peau. Il l'avait touché. Il l'avait touché. La localisant à l'oreille, il était cependant toujours à cran et ne voulait pas prendre le moindre risque. Dans la précipitation de l'idée, il envoya trois nouvelles salves en direction de la source du bruit. Il n'eût en retour aucun nouveau son. Ni un râle, ni un choc, ni des pas, rien. Il commençait à envisager l'éventualité que le liykor ait pu se prendre une majorité des coups portés et ait succombé. Mais il n'y avait qu'une manière de s'en assurer. Voir son cadavre. Il étouffa ses fluides obscurs et tenta de se ressaisir. Il devait se calmer et se remémorer ce qu'il venait d'apprendre. Main gauche. Se concentrer sur ses âmes intérieures, invoquer ses fluides. La pâle flamme de la nécromancie apparut en main gauche. De prime abord, il n'y avait rien à portée de vue. Mais il n'y voyait pas à deux mètres. Cependant, s'il ne voyait que peu, il se rendait bien compte que rien ne l'attaquait plus depuis plusieurs secondes. C'était quelque peu rassurant. Mais Wulfin ne disait rien lui non plus. Il ne troublait pas le silence. Peut-être ne disait-il rien car Bleiz était toujours en vie. Peut-être ne disait-il rien car il n'avait pas user des sorts qu'il lui avait appris. Peut-être ne lui disait-il rien car cela ne le satisfaisait pas du tout et qu'il s'était mis en chasse à son tour.
Non sans appréhension, il décida d'en avoir le cœur net. Après tout, il avait appris à se servir des âmes pour éclairer l'endroit. C'était le moment où jamais d'user de ce sortilège. Il expulsa ses fluides, qui tournicotèrent avant d'aller se fixer sur quelques unes des âmes qui infestaient l'endroit. En attendant, la lumière apparaissait puis disparaissait de part et d'autres. Là où était Bleiz, il ne s'y trouvait plus. Pas plus que le cadavre au sol qu'il espérait trouver et, s'il s'était enfui par l'entrée, la seule véritable source de lumière de l'endroit, il l'aurait vu. Goetius tourna son regard vers le promontoire sur lequel se situait auparavant Wulfin. Il y était toujours, dans l'exacte même position. Les yeux de l'apprenti se fixèrent sur lui, plein d'incompréhension. Bleiz avait-il donc disparu ? Dévisager son maître ne l'aidait pas. Il se contentait de le fixer à son tour avec un air méprisant, une grimace dégoûtée.
Il n'avait fait attention car son essoufflement camouflait le bruit, mais le bruit de crépitement, bien que plus faible, était toujours présent. Il était à peine audible. Et Bleiz devait le maudire à ce moment-là, car ce fut grâce à lui qu'il comprit. Son adversaire, blessé, était allé se carapater de l'autre côté de la montagne d'ossement. Il n'eût pas le temps de mettre cette révélation à profit. A peine le comprit-il que le liykor décida de prendre les devants et, dans un grand rugissement, de repartir à l'assaut. En renversant plusieurs os sur son passage, il sauta plusieurs mètres devant lui avant de se précipiter vers sa proie. La lumière dévoila son torse blessé d'où s'échappait une fumée noire. Son bras et son épaule droite avait été touché plusieurs fois, en hauteur, et la brûlure maléfique s'étendait jusqu'à la base du cou. Plus haut, la moitié droite de sa gueule était à demi-dévoré par les brûlures obscures, qui suintait d'un sang noirâtre. Pour ultime attaque, il projeta sa godendac en sa direction. Goetius n'aurait pas eu le réflexe de l'éviter en la voyant arriver vers lui. Au contraire, il se figea. Mais il n'en eût aucun mal car sans doute à cause de ses blessures, de son œil absent ou de l'effet de ces deux handicaps cumulés, le jet n'atteint son but. La godendac passa d'une tête au-dessus de la cible. Aussitôt, l'apprenti nécromant, fluides nécromantiques toujours en main, décida de dévoiler l'âme du liykor.
Le loup terrible fut aussitôt poursuivi par les esprits des trophées accumulés dans l'espace. Il ne comprit clairement pas la nature de ces apparitions qui se mirent à lui foncer à travers le corps en des râles infernaux. Il s'en débattait à grands coups de griffes, puis gesticulant dans des gestes confus. Se battre contre ces visions d'horreur était devenu sa plus grande préoccupation et il sembla instantanément oublier Goetius, Wulfin, l'endroit où il était, tout le reste. Il luttait contre des fantômes inoffensifs.
Goetius ne le craignait plus maintenant. Il se sentait puissant, fort de part sa connaissance. Lui savait les esprits inoffensifs, mais Bleiz n'en savait absolument rien. Et cette information, cette minuscule information changeait absolument tout. Rien que pour ça, il ne regrettait pas de s'être mis en recherche du savoir des nécromants. Et grâce aux simples bribes qu'il avait appris ce jour-même, il avait l'aval sur une créature qui n'aurait fait qu'une bouchée de lui jusqu'alors. Et là, l'ennemi était à sa merci.
Mais il n'en ressentait pas pour autant du plaisir. Il ne pouvait pas s'en amuser. Les cris d'effroi de Bleiz et les hurlements des esprits lui tapaient sur les nerfs. Il se surprit alors à contredire sa pensée de la dernière seconde en s'affirmant qu'il n'userait plus de ce sort qu'en cas d'ultime recourt. Ces bruits étaient ignobles, allaient dans les aigus, lui vriller les tympans. Il était difficile de faire plus désagréable.
C'en était assez, il fallait en finir vite. Mais le liykor restait dangereux pour lui. Il ne pouvait risquer de s'y confronter lui-même. Le déploiement de force qu'il exécutait était certes chaotique mais risquait toujours de lui coûter cher. Mais s'il ne pouvait lui-même s'approcher, il avait maintenant le moyen de faire s'en approcher d'autres à sa place. Il décida donc de mettre à profit ses précédentes leçons et profitant de ce temps pour envoyer ses fluides contre des crânes au hasard. Les quatre squelettes humanoïdes furent pourvues d'une mission simple : le faire taire. Il les fit récupérer de grands os à terre, des fémurs de trolls et d'autres grandes créatures qu'ils devaient manier de leurs deux mains, qui pouvaient servir d'autant de masses. Le liykor continuait de s'agiter en tout sens, faisant valdinguer des ossements avec fracas. Il heurta ses pieds contre des fragments d'os brisés au sol et, dans le même geste, il écrasa par mégarde une longue pointe dans son talon et relâchant un rugissement de douleur. Le sang s'écoulait vivement de son pied. Le rouge de son sang glissait sur le blanc des os et inondait le sol.
A cet instant, ses cris commençaient étrangement à ressembler à ceux des esprits ; l'on entendait en eux tout son malheur. L'angoisse, la souffrance physique, la frustration, la rage et le désespoir se mêlait en une sirène horrifique. Cette musique donna le sourire à Wulfin, mais elle ne faisait qu'irriter toujours plus Goetius.
A cet instant, il aurait été difficile de dire si Bleiz avait ne serait-ce que remarquer la présence des morts-vivants s'approchant de lui ou si les âmes l'attaquant lui avaient fait perdre toute attention sur tout le reste. Lors qu'ils s'approchèrent, ses gestes brusques, confus et brutaux suffirent à décapiter deux d'entre eux pendant que les deux restant s'étaient mis à le rosser de grands coups de fémurs dans le dos, dans le ventre et contre la gueule. Une dizaine de coup plus tard, il s'effondra lourdement au sol. Comme il ne supportait plus tout ce bruit, il en profita pour enfin faire taire les âmes et révoquer les squelettes. Les esprits se remirent à voguer en rond et les squelettes, qui se disloquèrent, leurs os tombant et rebondissant sur le corps du liykor.
Bleiz ne criait plus. Il ne se débattait plus. Sa face était en charpie, ravagée. Elle suintait de sang. Sa mâchoire n'était pas seulement déboitée. Elle était décalée vers la gauche de son visage, et tendait vers le sol, ne tenant au reste de son crâne que par quelques lambeaux de peau s'y accrochant comme si cela avait encore une quelconque importance. Il n'était pas tout à fait mort. Il semblait vouloir tousser, mais il ne faisait que s'étouffer dans son sang avec quelques gargouillis et expulsait difficilement quelques gouttes de sang qui lui retombaient de toute façon dessus. Dans une mare de son propre sang, il souffrait de quelques spasmes et autres tremblements. On aurait dit un poisson fraichement pêché essayant vainement de nager dans l'air.
Comprenant que ce n'était pas tout à fait fini, le fanatique alla pour l'achever. Non pas par compassion, il était bien incapable de ressentir ce genre d'émotion mais pour le forcer au silence une bonne fois pour toute. Il vit son visage détruit et eût une mimique de dégoût. Il rencontra brièvement son regard. Son dernier œil était toujours illuminé du souffle de la vie, mais il n'était déjà plus là. Il s'agitait encore, mais il ne s'arrêtait nulle part. Il regardait dans le vague. C'était clair. Il n'était pas encore mort, mais il s'agissait déjà d'une âme en peine.
Goetius sortit son stylet de la poche, plaqua d'un pied la tête du liykor contre le sol et lui enfonça d'un geste sec la courte lame noire dans la tempe. Il y eût un craquement. Celui du trou percé dans l'os. C'était un bon poignard. Au sortir de l'arme, un filet de sang s'échappa. Le liykor était mort. Vraiment mort cette fois-ci. Il ne faisait plus aucun bruit. Il n'en ferait plus aucun. Ceci était bon.
La Science des Âmes Tourmentées - Leçon n°4 : Lier une âme-compagnon