N'ayant pas vraiment d'autres solutions, et s'étant malgré tout clairement rapproché de son but, Ziresh se contenta de suivre le fujonien sans poser d'avantage de questions. Ren, quant à elle, avait cessé d'être complètement excitée pour simplement flotter aux côtés de son maître. Elle émettait par ailleurs une petite lumière verdâtre qui éclairait d'avantage la glace de cette grotte. Et pourtant, après avoir quelque peu progressé, le jeune bratien remarqua qu'une lumière naturelle illuminait différentes parties des galeries. Il était bien étonnant que presque personne ne soit déjà passé par cet endroit, surtout les nains ou les humains. Mais après tout, ses cousins devaient tenir à leur tranquillité.
"Cette glace est magique, n'est-ce pas ? demanda innocemment Ziresh. Il y a quelque chose à voir avec la lumière, non ?"
"Pinga sera plus à même de répondre à vos questions, mais oui, c'est bien le cas. Tenez, regardez à votre gauche. C'est au Palais des Glaces que nous nous exerçons à cet art."
Effectivement, en tournant la tête, le loup d'argent put remarquer une espèce de salle ouverte sur le dessus. Mais étrangement, la neige n'y tombait pas. En revanche, à l'intérieur, des dizaines de statues (certaines plus belles que d'autres...) y étaient exposées. Cela dit, elles n'avaient rien à voir avec celles qui décoraient les alentours du village. Ainsi, la statue de glace à l'extérieur, dotée de cette faculté à transmettre la lumière... Elle devait tirer sa source d'un travail magique. Bien que cela aille à l'encontre de cet isolement et cette recherche de tranquillité, le loup comprenait bien qu'il était au sein d'un village bien plus développé qu'il n'en avait l'air. Du moins, spirituellement. Enfin, après quelques minutes de marche, ils arrivèrent dans la salle commune. Pour une salle qui servait à tout le monde, elle n'était pas vraiment décorée. En fait, c'était comme si personne n'avait vraiment d'effets personnels. Toutefois, des couchettes bien sobres étaient creusées dans les murs, à même la glace. Parfois, l'on pouvait y voir des vêtements empilés, de petites amulettes ou autres bibelots. Mais rien de très particulier. Ce n'est qu'après une courte contemplation qu'il réalisa aussi que personne, absolument personne, n'était armé. Il n'y avait pas même un petit couteau rangé dans une des couchettes. Les gens se tenaient simplement là, tous debout devant le feu, tournés vers Ziresh. Quand enfin, il fut suffisamment près d'eux, ils le saluèrent tous simultanément en signant. Ils avaient alors dirigé la paume de leur gueule pour la tendre vers lui. C'était enfin un signe qui leur était commun. Par politesse, il fit de même.
"Bienvenue au village d'Amarok." Fit alors une voix suave et féminine.
Une fujonienne se détacha alors de la meute pour s'approcher de lui, à l'inverse du loup qui l'avait accueilli. C'était une très belle liykor de son point de vue. Elle devait être un peu plus âgée et ses yeux perçants témoignaient d'une grande connaissance. Quant aux bijoux qu'elle arborait à ses oreilles ou ses poignets, couplés à l'originalité de sa robe, ils permirent de suite à Ziresh de comprendre qu'il s'agissait là de la prêtresse Pinga.
"Je vous remercie de bien avoir accepté de m'accueillir. Toutefois, je crains ne pas pouvoir m'attarder. La survie de mon clan en dépend."
"Je comprends ta hâte, mais tu comprendras bien que je ne puis simplement te laisser partir et courir ce danger. Après une telle ascension, il est nécessaire que tu reprennes des forces. Ou bien ton voyage n'aura servi qu'à creuser ta tombe."
Sur ces mots, une autre liykor femelle vint aux côtés de Ziresh pour lui tendre une espèce de racine chaude dont la texture lui rappelait celle du gingembre. Étant plus habitué à la viande, il eut quelques peines à accepter ce présent, mais après tout, il ne pouvait pas refuser une chose pareille (et compte tenu de l'endroit où ils vivaient, cela devait bien être leur seul met). En retenant une moue de dégoût, il mordit alors à pleins crocs dans la racine pour en retirer une saveur affreusement amère. Pinga, quant à elle, continuait de lui parler. Du moins, après que Ziresh aie tout d'abord demandé :
"M'attendiez-vous, vraiment ?"
"Comme le témoigne la statue de glace qui t'a mené jusqu'ici. Je l'ai confectionnée moi-même afin qu'elle puisse émettre une lumière discernable jusque dans les plus grandes tempêtes."
"Vraiment ? s'exclama le bratien, ne revenant absolument pas d'une telle attention. Mais pour avoir construit une telle structure, vous deviez attendre quelque chose de moi, n'est-ce pas?"
"Plus ou moins, répondit la prêtresse en esquissant un sourire. Disons plutôt que c'est toi qui devrait attendre quelque chose de moi. Et je ne parle pas que de la Hallebarde Protectrice..."
Ils savaient donc bien ce qu'il cherchait. En fait, ils devaient en savoir bien plus que les gens d'Akinos ou ses compères de Liykkendra. Aussi, il ne renchérit pas en paroles. Pinga lui dirait tout.
"Il y a quelques jours, une vision m'est apparue. Un seul peuple, uni par le sang et l'amour du Père et de la Mère. Mais les ténèbres ont pénétré le cœur de de certains d'entre eux et ont forcé, après un véritable génocide, leur propre division. J'ai vécu de nouveau le Grand Fratricide. Mais c'était différent, cette fois. Nos frères sombres ne l'avaient pas fait pour leurs terrains de chasse, ou par soif de pouvoir. Il y avait encore quelque chose de plus noir que leur race. Leur seule haine n'est plus capable d'alimenter leur violence pour aller attaquer leurs anciens confrères. Je ne puis l'expliquer, mais même si la haine demeure, la raison de leurs assauts est différente. Et je t'ai vu toi, mon frère. Le seul représentant de sa race, assez courageux pour aller affronter ses frères noirs et renouer avec ses frères blancs. Depuis longtemps, le Père et la Mère m'ont demandé de garder la Hallebarde Protectrice jusqu'à ce que quelqu'un se montre enfin capable de la brandir pour une cause noble. Et tu en es digne, Ziresh. Tu portes la marque d'un dieu."
Ziresh n'avait jamais démontré une véritable croyance envers le Père et la Mère, ou même plus clairement de Yuimen et de Gaïa. Du moins, si certains évènements démontraient leur existence, il n'y accordait pas de foi. Alors entendre que son nom (qu'elle connaissait sans qu'il ne se soit présenté) était associé à la marque d'un dieu, c'était tout bonnement grotesque... Il commençait vraiment à se questionner sur la véritable puissance que renfermait cette relique.
"Je sais, Ziresh. Je sais que tu n'as jamais accordé de foi à nos géniteurs. Mais tu n'as pas à avoir peur car l'espoir repose sur toi et non sur eux. Nous avons tous foi en ta réussite."
Le jeune loup d'argent était gêné, mais il se sentait en confiance. Peut-être un peu trop. C'est sans doute la raison pour laquelle il se confit.
"Je ne comprends cependant pas en quoi je serais "marqué" par un dieu. Je n'ai jamais rien fait de ma vie. La seule aventure que j'ai menée m'a conduit à exterminer tout un peuple. C'est dérisoire, pour quelqu'un qui représenterait la lumière ou la vie..."
"Alors tu ne sais toujours pas..."
Les loups blancs, pourtant silencieux au début, commencèrent à chuchoter entre eux, comme s'ils doutaient tout à coup de ce qui venait d'arriver. Puis Pinga força le silence, simplement en levant la main d'un mouvement sec et nerveux. Enfin, elle s'approcha de nouveau et alla jusqu'à caresser la joue du bratien juvénile.
"Tu es bien marqué, Ziresh. Mais selon bien des peuples, l'on pourrait te considérer comme étant maudit."
Enfin, il s'en souvint. D'un coup, les paroles du troglodyte lui revinrent en mémoire. "Vous avez tué notre dieu et notre peuple par la même occasion. Mais vous êtes maudits et vous le regretterez un jour." Le liykor n'était pas vraiment certain de la véracité de ces dires, mais cela lui avait tout de même fait peur. Et Zacharov, cette maudite fée, ne lui avait pas permis d'en savoir d'avantage... Pourtant, il n'avait jamais vraiment ressenti de problème concernant cette malédiction...
"Le Dieu Pieuvre t'a marqué, oui. Mais cette "malédiction" peut-être en réalité une bénédiction si tu réussis à l'amener à ton avantage."
"Je n'ai jamais rien ressenti que je puisse qualifier de "maudit"..."
"L'échange du Dieu Pieuvre. Tu lui as été offert en sacrifice avec tes compagnons, mais en l'ayant vaincu, vous avez acquis une partie de ses pouvoirs. Si lui tirait sa force des offrandes dont il avait la disposition, vous aurez désormais la capacité de tirer ce pouvoir de votre propre sang. C'est une malédiction si l'on considère l'incapacité de certains hommes à voir leurs limites : vous pourriez mourir par soif de pouvoir. Mais toi et tes compagnons, vous avez vaincu ce dieu. Je vous sais capables d'utiliser cette force avec discernement."
"Mais... Je ne l'ai jamais utilisée, ni même ressentie !"
"Tu sauras l'utiliser en temps voulu. Tout ce que je peux te dire, c'est que là où tu iras chercher la Hallebarde Protectrice, tu n'auras que trop besoin de la marque. Tu sauras l'utiliser, j'en suis certaine."
Un silence passa. Manifestement, tous les liykors blancs semblaient lui accorder une confiance qu'il n'arrivait même pas à se donner. Non seulement il était maudit, mais en plus on lui demandait d'utiliser une chose du domaine magique pour sa mission...
"Mais alors, où dois-je aller?"
"Dans le Col Blanc, il existe une grotte, bien plus isolée encore qu'Amarok. Pourtant, elle est bien connue des nains et elle a mené beaucoup d'aventuriers vers leur propre fin. Il s'agit de la Grotte de la Faiblesse. Une malédiction l'a frappée, mais je ne puis t'en dire d'avantage sur ses origines. Seulement, elle a affaibli nombres d'envieux pour leur enlever la force qu'ils recherchaient. J'y ai mis la Hallebarde Protectrice il y a de cela plusieurs décennies, comptant sur ce mal pour tenir les mauvaises âmes à l'écart de ce trop grand pouvoir. C'est pourquoi je pense que ta marque peut t'aider. Mais fait attention : bien des créatures peuvent t'attendre dans ces galeries. Et les reliques sont insufflées d'une magie capable d'attirer des entités que tes pires cauchemars ne sauraient représenter.
Deux fujoniens mâles se détachèrent alors des rangs pour venir aux côtés de Ziresh. Ils n'étaient nullement armés et leur nonchalance témoignait d'un manque d'inquiétude certain, en totale opposition avec la peur palpable de leur hôte. En revanche, leur discipline était admirable, car ils n'avaient agi que sur un léger mouvement de l'épaule de leur prêtresse.
"Ces deux guides t'amèneront jusqu'à la grotte en question. Il y a un accès possible à partir des galeries d'Amarok qui te mèneront directement là-bas. Quand tu auras enfin réussi, reviens ici et je t'expliquerai comment utiliser cette relique."
Ziresh ne fit qu'acquiescer, mais Pinga n'en avait pas encore terminé. Elle posa la main sur le front du jeune loup et alors, une douce lueur dorée sembla en émaner. D'un coup, toute sa fatigue et sa faim semblèrent s'évaporer. Même le goût affreux de la tagne s'était effacée. Quant ce soin fut terminé, elle s'éloigna de quelques pas. Ren vint alors se poser spontanément sur son épaule.
"Ton lutinora restera avec nous en attendant. Crois-moi, elle est bien trop incontrôlable pour que tu puisses t'amener avec toi dans cette grotte. Vas-y maintenant. Je crois en toi."
Le loup d'argent aurait eu des tonnes de questions. Pas nécessairement sur sa quête, mais la sagesse de ce clan l'éblouissait. Malgré tout il ne pouvait pas rester plus longtemps. Maintenant qui était magiquement soigné et reposé, il pouvait conclure sa mission. Jusqu'ici, tout était allé étrangement dans son sens, grâce aux villageois d'Akinos ou ces fujoniens d'Amarok. Mais là, tout allait très certainement se corser...
"N'oublie pas, Ziresh, ajouta la prêtresse. Cette arme te servira à éradiquer le mal à l'origine de tout ceci. Pas à te venger."
_________________
|