Partie 4:Une corneille, un chat et une vieille dame
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Rosie sortit de la taverne le capuchon bien callé sur sa tête. Une légère brise vint la frôler la faisant frissonner de la tête aux pieds. La soirée s’annonçait froide et longue.
Elle marchait d’un pas rapide ignorant où elle allait, mais de toute façon elle s’en balançait. Elle avait juste le gout de marcher, de se défouler… de pleurer. Jakadi était partit comme ça sans rien dire ne laissant derrière lui qu’un vulgaire bout de papier. Bien que Rosie ne voulait pas se l’avouer, elle était anéantit par ce soudain départ. Grâce à lui elle avait énormément avancé dans sa quête vers son passé. Le fait qu’il ne soit plus là la déstabilisait.
Pourtant elle avait passé tellement de temps toute seule dans les rues à trainer sans but et sans avenir. Pourquoi n’était-elle pas capable de se mettre à l’idée qu’elle était à nouveau seule. Lorsque Vrank était parti, elle s’en était trouvé attristé mais pas à ce point. La relation qu’elle avait avec Jakadi était différente de celle qu’elle entreprenait avec Vrank. C’était bien plus profond, plus puissant.
Rosie continua à marcher se faufilant entre les derniers marchands qui fermaient boutique ramassant leurs étalages. Au bout d’un moment, elle s’arrêta et s’assit sur un tonneau qui traînait par là. Elle posa ses coudes sur ses cuisses et appuya son visage contre ses poings fermés. Elle laissa tomber quelques larmes en silence.
(Pourquoi je m’en fais pour ça. Il m’a écrit qu’il me reviendrait. Après tout il avait le droit de partir, il a une vie lui aussi.)
Elle resta ainsi en essayant de se consoler. Un homme de petite taille passa devant elle la dévisageant. Rosie leva la tête vers lui.
« Quoi ? Qu’est ce que vous regardez comme ça vous ? Vous pourriez au moins dévisager les gens un peu plus subtilement que ça. Non mais! Ça se peut tu être aussi stupide que ça ?»
L’homme se contenta de continuer son chemin ne réagissant pas à ses propos. Rosie le regarda partir tout en posa sa main sur sa bouche.
(Mais qu’est ce qui me prend?)
Les gens la dévisageaient souvent mais jamais elle n’avait dit quoi que ce soit. Elle se contentait d’ignorer leurs regards un peu comme l’homme s’était contenter d’ignorer ses paroles.
(Une chance qu’il n’était pas plus gros et surtout pas plus susceptible celui là. J’en aurais mangé toute une.)
À cette pensé un sourire en coin apparut sur son visage. Elle se trouvait terriblement drôle de s’être emporter de la sorte.
(Et bien ce Jakadi t’a mis dans tous tes états ma vieille.)
Elle regarda le soleil au loin qui était presque complètement cacher derrière les habitations. Elle se sentit soudainement coincé dans Kendra Kâr et éprouva brusquement le gout de sortir un peu. De grimper à un arbre et regarder le soleil se coucher.
(C’est décider, ce soir je sors faire une escapade à l’extérieure. Je ne me rappelle même plus à quoi ressemble une fleur. Je reviendrai demain matin.)
Elle se leva en un bond prête à se changer les idées.
2
Rosie marchait rapidement en espérant avoir le temps de sortir de Kendra Kâr avant qu’ils ne ferment les portes. Évidemment, il n’était pas bien tard, mais elle ignorait à quelle heure ils les fermaient. Elle se sentait étouffer dans cette ville, ce qui lui donnait le goût de sortir et de voir autre chose que des pierres entassées les unes sur les autres. Elle en avait marre de regarder passer des gens qui n’avaient rien d’autre à faire que de penser à eux mêmes.
(Pourquoi recherchent-ils toujours la puissance et la perfection?)
Elle ne comprenait pas cette envie de dominer qui les prenait tous en leur pourrissant le cœur avec ces histoires de gloire et d’honneur.
La jeune fille déboucha finalement près des grandes portes de la cité. Elle jeta un coup d’œil vers la grande rue qui s’étirait au loin. Malgré l’heure tardive, il y avait encore beaucoup de monde qui y déambulait sans vraiment se soucier de leurs entourages.
Rosie se trouva peinée de les voir ainsi vaquer à leurs occupations sans qu’ils puissent savoir vraiment à quel point leurs vies étaient pathétiques. Sans qu’ils puissent comprendre qu’ils étaient tous des zombies obéissant au doigt et à l’œil de son souverain sans même se poser la moindre question sur leurs propres existences.
(C’est eux qui font pitié à voir.)
Soudain, elle vit un petit bonhomme se faufiler entre les citadins, laissant tomber derrière lui des bouts de son précieux butin qu’il avait dévalisé. Une femme aux cheveux noirs suivait le petit tant bien que mal au travers de la foule encombrante.
(Mais je le connais celui-là!)
Rosie fit quelques pas en arrière pour se cacher dans une ruelle sombre. Elle attendit sur le bord du mur le bon moment pour étirer le bras afin d’intercepter son jeune ami. Lorsqu’elle vit une tignasse châtaine passer, elle l’agrippa par le collet, et l’attira contre elle. Le gamin se débattit, criant à l’aide, mais la jeune fille posa la main contre la bouche de celui-ci et s’accroupit derrière un vieux tonneau, le tenant fermement contre elle. La poursuivante de l’enfant passa tout droit sans même jeter un œil dans leur direction.
(Il y a tellement de gens dans cette rue qu’elle ne l'a même pas vu disparaitre par ici. Plus ça va et plus je trouve le monde de la ville exaspérant.)
Elle baissa les yeux sur le garçon qu’elle venait [#01FC00d’attraper qui, lui, la regardait les yeux brillants. Rosie lui sourit tendrement. Elle connaissant ce petit garnement. Il l’avait aidée, lui et ses amis, à fuir d’horribles escrocs, il y avait à peine vingt-quatre heures de cela.
« Alors Enrique on joue encore aux voleurs? »
Sur ces mots elle relâcha son étreinte tout en retirant sa main de sur la bouche de l’enfant. Celui-ci tenait toujours dans ses bras divers aliments qu’il avait pris ici et là parmi les marchands. Il recula doucement en arrière.
« Il faut bien que l’on mange.
- Évidemment… »
L’enfant la dévisagea un moment avant de regarder tout autour. Il semblait perplexe.
« Jak n’est pas avec vous ? »
À ce nom, les yeux de Rosie devinrent livides et elle perdit à demi son sourire.
« Euh… non il n’est pas avec moi.
- Il lui est arrivé quelque chose? »
Apparemment, la mine qu’avait affichée la semi-elfe avait tôt fait d’inquiéter Enrique qui était énormément attaché au gobelin. Rosie resta interdite un moment.
(Tu ne dois pas apeurer cet enfant.)
En essayant d’être la plus convaincante possible, elle lui sourit en lui ébouriffant gentiment les cheveux.
« Il est juste parti pour quelques temps. Il ne faut pas s’en faire. Et toi? Tu n’es pas avec les autres de ta bande?»
Le jeune garçon reprit son air enjoué, soulagé d’apprendre que son ami gobelin se portait bien. Il répondit à la question tout en ramassant une pomme qui lui avait échappé.
« Oh! Ils ne sont pas bien loin. Ils doivent m’attendre à l’heure qu’il est. »
Rosie hocha lentement la tête en continuant de regarder son joli minois. Elle fronça légèrement les sourcils.
(Je me demande si Jak va bien.)
Elle repensait à un bout du message qu’il lui avait laissé.
Rosie, j’ai l’impression qu’un grand danger nous guette…
« Un grand danger…? »
Elle ne réalisa immédiatement pas que ces trois mots avaient franchi ses lèvres, mais Enrique lui, n’en manqua pas un bout. Il arrêta de bouger.
« Un grand danger vous dites? »
En l’entendant, Rosie sursauta. Elle venait de réaliser son erreur. Elle s’accroupit près de l’enfant pour être un peu plus basse que lui.
« Non n’écoute pas ce que je dis. Il n’y a aucun danger. »
Le gamin hocha doucement la tête en affichant un joli sourire. Rosie prit alors une de ses petites mains agiles et plongea son regard dans le sien.
« Écoute j’aurais besoin que tu me rendes un petit service. Rien de bien important. Je euh… »
Elle hésita un moment mais finit tout de même sa phrase, voyant dans les yeux d’Enrique qu’il était prêt à l’aider.
« Si tu vois Jakadi, pourrais-tu lui dire que je ne suis pas loin de la ville ? De toute façon je devrais être de retour demain matin. Mais si tu le vois pourras tu lui dire ça pour moi? Juste au cas où je ne serais pas en mesure de revenir.
- Oui bien sûr. »
Sur ce, il détala en lui envoyant au loin un signe de la main. Rosie le regarda tourner le coin, puis laissa tomber un long soupir avant de se lever à son tour.
(Un grand danger... c'est bien ce qu'il a écrit. J'ai un très mauvais pressentiment là-dessus. Oh! Jakadi! Je t’en supplie. Reviens-moi vivant!)
3
Rosie sortit de la ruelle et continua son chemin vers les portes de Kendra kâr. Les gardes se tenait entre les portes arrêtant les passants pour leurs poser des questions. Elle n’avait pas envie de leur parler à ceux là. Malheureusement, il n’y avait pas assez de gens pour passer sans se faire remarquer.
Elle entama donc sa route vers la sortit en marchant le plus naturellement possible.
(Peut être que je vais pouvoir échapper à l’interrogatoire qui sait. Et puis, pourquoi devraient-ils poser des questions à ceux qui sortent hein ?)
Personne ne semblait la voir traverser et Rosie s’en réjouit. Chacun de ses pas l’approchait de la sortit et surtout des fleurs.
«Hep! Vous là en rouge ! »
Malgré elle, Rosie laissa tomber sa tête en arrière tout en se retenant de laisser tomber un râlement. Apparemment elle n’allait pas bien et n’était surtout pas d’humeur à perdre son temps. C’était bien la première fois qu’elle manquait de patience.
(C’était trop beau pour être vrai.)
Elle se retourna vers celui qui l’avait interpellé et marcha dans sa direction les pieds traînant, les yeux rivés au sol. Celui-ci la dévisagea un moment avant de lui demander :
« Où alliez vous comme ça, hein ?
- Ben à l’extérieur. Où voulez vous que j’aille ? »
(Oups, tu ne devrais pas prendre ce ton là Rosie. Tu es de mauvaise humeur certes, mais ne lui parle pas comme ça, tu vas t’attirer des ennuis.)
Effectivement il ne sembla pas apprécier la manière avec laquelle Rosie lui avait répondu mais il avait autre chose à faire que de réprimander une adolescente insolente. Il se contenta de lui poser quelques questions avant de la laisser passer au grand soulagement de la jeune fille.
(Et bien, les gens ne sont pas bien susceptibles aujourd’hui. Mais bon, n’abusons pas de la chance, on reste polie maintenant.)
Elle sortit non sans jeter un dernier regard derrière elle avec un dernier espoir.
Finalement, elle continua son chemin et jeta un coup d’œil vers l’ouest pour constater qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps pour trouver un perchoir d’où elle pourra contempler le coucher du soleil.
4
Le blé qui poussait sur les plaines de la grande cité de Kendra Kâr valsait au gré du vent. Rosie courait parmi les herbes hautes à la recherche de l’endroit parfait pour admirer les derniers éclats du soleil. Déjà, le ciel avait pris les teintes orangées du crépuscule et attendait le bon moment pour afficher ses étoiles.
De nouveau seule avec elle-même, Rosie avait pris l’initiative de sortir de la ville pour regarder l’astre diurne disparaitre au loin. Elle courait donc aussi vite que ses jambes le lui permettaient, ne se souciant de rien d’autre que de se trouver un bon perchoir.
Normalement, elle aurait été heureuse de se trouver au grand air après tant de temps, mais c’était tout le contraire. Tout au long de sa course effrénée, des larmes roulaient sur ses joues. Elle éprouvait l’étrange impression que tout le monde l’abandonnait, même si ce n’était pas du tout le cas. Elle n’avait jamais eu de nouvelles de ses parents, Vrank, lui, était parti avec empressement, et c’était de même pour Jakadi.
(Je les fais tous fuir! Tu n’es qu’une sale petite gamine de sang mêlé. Personne ne veut de toi.)
Sans ralentir son rythme, elle secoua la tête, honteuse de ce qu’elle venait de se dire. Elle devait arrêter de se rabaisser et de croire qu’elle ne valait rien.
(Et puis de toute façon, pour l’instant, j’ai une préoccupation bien plus importante.)
La jeune fille jeta un coup d’œil vers l’ouest. Le soleil allait bientôt toucher le sommet des montagnes qui s’élevaient au loin. Le temps pressait.
(Je ne dois pas manquer ça !)
C’est alors qu’elle aperçut ce qu’elle cherchait, juste à l’orée du bois. Un arbre imposant était profondément enraciné à quelques mètres à peine d’une rivière. Il était juste assez haut pour avoir une bonne vue sur l’horizon.
(Allez, un petit effort. Tu y es presque.)
Rosie essaya malgré elle de gagner encore plus de vitesse. Mais cela eut plutôt l’effet de la ralentir puisque une douleur atroce déchira sa cuisse droite, là où elle s’était blessée dans les catacombes du temple de Thimoros. Elle souffrait mais tentait de l’ignorer.
(Le soleil, l’arbre, le soleil, l’arbre… ne pense à rien d’autre...)
Malgré son mal, elle atteignit rapidement l’arbre et prit le temps de l’observer un instant. Il était tellement grand que ses branches les plus basses étaient hors de portée.
(D’accord, il est haut, mais c’est ce qu’il faut après tout. Non?)
Sans perdre une seconde de plus, Rosie attrapa la hache qui pendait à sa ceinture. Elle la planta profondément dans le tronc, juste à la hauteur de ses hanches, puis recula de quelques pas afin de prendre son élan.
(Allez! Voyons voir de quoi tu es capable.)
Elle prit une grande inspiration et fonça vers l’arme qu’elle avait solidement enfoncée. Elle bondit sur le manche, et y posant le pied droit, se propulsa un peu plus haut, pour ensuite, avec le pied gauche, se donner une poussée sur le tronc afin de gagner encore plus de hauteur. Elle agrippa de justesse la branche la plus proche, évitant de s’écraser au sol. Après avoir respiré un bon coup, elle ramena avec souplesse ses jambes vers le haut afin de se hisser sur la branche. Sa robe ayant été raccourcie par les derniers évènements, la tâche s’avéra plus aisée.
Du haut de l’arbre, elle perdit tout vertige lorsqu’elle vit le paysage qui s’étendait à perte de vue. Le vent faisait danser les champs, donnant l’étrange impression de se trouver devant une mer déchainée. Au loin, la cité de Kendra Kâr brillait d’un éclat orangé sous les chauds rayons du soleil, comme si chacune de ses pierres avait été taillée dans de l’ambre pure. La vision qui s’offrait à elle était de toute beauté.
« Cette ville est beaucoup plus jolie de l’extérieur.»
Elle laissa ses yeux parcourir le ciel qui, au loin, comblait la terre d’un baiser embrasé par le soleil qui se joignait à eux. L’astre éternel allait continuer son long voyage à l’autre bout du globe pour revenir le jour suivant, donnant sa place à la Lune. Rosie le regarda ainsi disparaitre sans une pensée, se contentant tout simplement de l’admirer. C’est alors qu’une voix douce retentit.
« N’est-ce pas magnifique ? »
Rosie sursauta et tourna la tête vers sa gauche, là où elle avait cru entendre la voix. Une femme y était assise tout près d’elle, avec sur le dos, une longue cape rouge. Ses cheveux d’or lui touchaient à peine les épaules, ce qui lui donnait un air espiègle. Rosie ouvrit la bouche, complètement paralysée.
« Ma…man?»
La femme lui sourit doucement avant que son image ne se dissipe avec les derniers éclats du soleil. La jeune fille resta là à observer le vide, ne bougeant plus d’un seul pouce.
(Ça y est ! Je vois des fantômes maintenant !)
Elle ne comprenait pas ce qu’il venait de se produire, mais ce dont elle était sûre, c’était qu’il s’agissait bien de sa mère. Une femme blonde au regard malicieux et au sourire naïf. L’adolescente se souvenait de ce visage qui lui était apparu une fois, et elle savait qu’elle ne se trompait pas. Finalement, elle finit par détacher ses yeux de l’endroit où elle avait vu l’humaine apparaître.
(Parfois, l’imagination me joue des tours.)
Elle reporta plutôt son attention sur l’horizon. L’obscurité avait rapidement pris du terrain et avalait complètement la plaine. Rosie s’en rendit réellement compte lorsque le dernier rayon solaire fut englouti par les ténèbres. Oubliant l’étrange apparition, elle risqua nerveusement un coup d’œil vers le sol et réalisa avec effroi qu’elle n’était même plus en mesure de voir le bout de ses orteils. Sa respiration commença à s’accélérer.
(Qu’est ce qui m’a pris de venir ici ?)
D’un geste vif, elle s’accrocha à l’arbre, retrouvant soudainement son vertige. Dépourvu de l’astre lunaire, la nuit était plus noire que le néant lui-même et Rosie s’en rendit bien compte.
D’ailleurs, cette obscurité ne pouvait que lui rappeler les mauvais moments passés dans les catacombes du temple. Elle avait le sentiment d’y avoir replongé tête première, comme si cette mission n’avait toujours pas été achevée. Sentant bien que la panique ne faisait qu’aggraver les choses, la jeune fille ferma les yeux, essayant tant bien que mal de se rassurer.
(Calme-toi! Tu es en dehors de Kendra Kâr, perchée sur un arbre bien haut. Rien à voir avec des catacombes.)
Elle entama une sorte de méditation qu’un elfe lui avait montrée une fois. Elle ignorait qui il était, mais elle l’avait déjà connu et elle se souvenait de ces longs moments de silence passés auprès de lui. Son image venait tout juste de lui revenir. Un elfe blanc aux longs cheveux de charbon et aux yeux d’émeraude.
(Finalement, je n’ai peut être pas tout oublié. Jakadi avait raison. Tout est encore là, dans ma tête.)
Déjà, elle sentait l’angoisse la quitter. Encore quelques minutes comme ça et tout irait mieux.
(Quand tu reviendras Jak, tu seras fier de moi. Je te raconterai ma vie moi aussi. Du moins, une partie.)
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Rosie eut la soudaine impression de basculer dans le vide et ouvrit les yeux. Elle agrippa le tronc de l’arbre sur lequel elle était toujours perchée.
(J’ai bien failli tomber dans le vide!)
Apaiser par sa méditation, elle s’était assoupie. Ce qui n’est pas vraiment une mauvaise chose lorsque l’on est fatigué comme Rosie l’était, au contraire. Mais le simple fait qu’elle se soit endormie sur une branche bien haute, rendait la situation plus catastrophique quand on pense à la distance qui la séparait du sol. D’ailleurs, la jeune fille en était bien consciente. Il n’était pas prudent de rêvasser dans de telles conditions.
Elle jeta un coup d’œil dans les environs. La lune avait enfin daigné faire son apparition dans le ciel de Yuimen et éclairait la nuit de sa douce lumière. Déjà, tout semblait moins menaçant. Tout semblait plus calme, moins sinistre. Étrangement, la forêt avait l’air plus vivante la nuit qu’elle ne l’était le jour. L’endroit grouillait de petites créatures qui se faufilaient, entre les herbes et les arbres, profitant de l’obscurité pour tenter de passer inaperçu.
C’est alors, qu’une petite lumière scintilla à peine l’espace d’une seconde, ce qui n’empêcha pas d’attirer l’attention de Rosie. Pourtant, elle avait beau plisser les yeux pour mieux y voir, tout ce qu’il y avait, c’était une petite corneille jouant du bec au sol.
(Ce devait être une luciole. La pauvre doit s’être fait dévorer par l’oiseau.)
Ne voyant pas l’intérêt de s’en faire pour un insecte, la jeune fille se concentra plutôt pour trouver une autre façon de descendre de l’arbre. L’idée de se laisser tomber à cette hauteur ne lui plaisait pas du tout. C’était trop facile de se tordre quelque chose comme ça. Elle se mordit la lèvre inférieure en constatant que même la hache, qu’elle avait plantée plus bas, était hors d’atteinte et qu’essayer d’y accéder s’avérerait plus périlleux encore que de sauter tout simplement.
(Quelle idée aussi que de grimper à un arbre !)
Elle balança doucement les jambes, les yeux toujours rivés au sol, perdue dans ses pensés. De toute façon, elle n’était pas pressée. Personne ne l’attendait et elle n’avait rien à faire de sa vie. Pourquoi descendre devrait être une urgence alors ? La jeune fille appuya la tête contre l’écorce du tronc. Elle allait encore une fois faire l’erreur de s’endormir, quand une petite plainte stridente retentit. Elle tourna la tête vers la source du bruit, là où la corneille se trouvait toujours. Cette fois, Rosie vit clairement trois lucioles voleter autour de la bête en essayant d’éviter les coups de bec rageur de l’animal.
(Pourquoi ces étranges bestioles luminescentes s ne s’éloignent pas tout simplement.)
Rosie éprouva une certaine pitié pour les petites mouches à feu. Elle avait l’impression qu’elles n’étaient pas tout à fait ordinaires. D’ailleurs, ces insectes brillaient trop pour n’être que des lucioles comme les autres. Le gros bec noir passa à deux cheveux de happer l’une des bestioles. Celle-ci poussa un petit cri aigu avant de s’attaquer furieusement aux yeux de l’oiseau.
« Ce ne sont pas des lucioles ces trucs là! »
Sans même réfléchir, Rosie bondit en bas de sa branche pour voler au secours des petites créatures. Grave erreur puisque son atterrissage fut désastreux. Lorsque ses pieds entrèrent en contact avec le sol, son pied droit versa en laissant entendre un léger craquement qui s’annonça très désagréable aux oreilles du semi-elfe.
« Aïe… Mais qu’est ce qui t’as pris de sauter comme ça? Tu t’es peut être cassé quelque chose. »
Elle eut soudainement l’impression qu’un choc électrique traversa son pied et fila le long de son mollet. Des larmes lui montèrent aux yeux tandis qu’elle tenait sa jambe à deux mains.
« Non… non…non… un nerf… J’ai dû me coincer un nerf! »
La douleur n’était certes pas horrible, mais la sensation, elle, était monstrueuse. L’oiseau, lui, n’avait rien manqué de la chute catastrophique de Rosie et sembla trouvé qu’elle était bien trop près. Il se mit à croasser à l’intention de l’adolescente, une lueur menaçante brillant dans ses yeux qui semblaient avoir été remplacés par deux billes jaunes. Oubliant à moitié sa jambe, Rosie dévisageant l’oiseau qui n’avait plus du tout l’air d’une simple corneille. Ses plumes noires étaient beaucoup plus hérissées et celles sur son crâne avaient de drôles de reflets rougeoyant. L’oiseau, curieux, fit pivoter sa tête à la manière d’un hibou pour observé le semi-elfe sous un autre angle. Un frisson traversa la nuque de celle-ci.
(Qu’est ce que c’est que ce truc ?)
La bête eut tôt fait ce se désintéresser du nouvel arrivage et repris sa chasse aux lucioles. Elle sautilla plus loin afin de suivre les créatures scintillantes. Se rappelant ce pourquoi elle était descendue, Rosie se décida à agir contre le drôle d’oiseau. Elle lui jeta une pierre, en espérant lui faire peur comme on le fait pour n’importe quel petit animal; mais la créature ce contenta de jeter un grondement sinistre et désagréable à l’intention de la jeune fille.
(Décidément ce machin à plume n’est pas normal.)
Voyant qu’une roche ne suffisait pas à l’effrayer, Rosie s’approcha à quatre pattes de l’oiseau pour tenter de le repousser. Cela eut plutôt l’effet contraire. La créature noire ouvrit violemment ses ailes imposantes pour impressionner la jeune fille et servir d’avertissement.
« Mais… Il y a quelque chose qui cloche.»
Effectivement, la corneille avait quelque chose de bien plus étrange que des yeux jaunes. Elle avait deux paires d’ailes plutôt qu’une. Le semi elfe dévisagea la bête ne sachant plus du tout de quoi il s’agissait, hésitant entre prendre les jambes à son cou ou poursuivre sa mission. L’étrange corneille, elle, ne se posa pas de question et se jeta furieuse sur Rosie s’attaquant à sa chevelure.
« Aïe! Mais lâche-moi! »
Elle avait beau se débattre, l’oiseau semblait déterminer à ne pas la laisser s’en tirer aussi facilement. Fatigué de se faire ainsi tirer les cheveux, Rosie saisi la bête par le cou non sans avoir gouté à de vilaines morsures. Pris au piège, l’oiseau continua de battre des ailes furieusement, frappant avec violence les bras de la jeune fille. Elle tenta de tenir l’animal d’une main pour pouvoir maitriser, tant bien que mal, ses quatre ailes de l’autre. Cela permis plutôt à l’étrange corneille de se libérer et de s’attaquer au visage du semi-elfe.
Heureusement, Rosie eut le réflexe de se couvrir de ses bras et de s’aplatir au sol. La créature aurait bien pu lui arracher les yeux.
(Définitivement, tu as besoin de t’entrainer Rosie. Tu n’es pas en mesure de tenir tête à un chien ni à un oiseau.)
Pendant que Rosie commençait à se trouver pathétique, l’oiseau s’en prenait à ses oreilles.
« Hé mais… arrête! Tu vas finir par me l’arracher.»
Fatiguée, Rosie le frappa avec force l’envoyant valser un peu plus loin. Le pauvre corvidé s’écrasa contre un arbre. La jeune fille en profita pour jeter un œil en direction des créatures luminescentes qui n’avaient toujours pas déguerpies. Sois elles étaient stupides de ne pas être partit, sois elles tenaient à quelque chose. La deuxième hypothèse s’avéra être la bonne, puisque les bestioles tournaient autour d’un objet presque complètement ensevelit dans le sol. Rosie s’approcha d’elles toujours à quatre pattes. La chose enfouie semblait faite de cuivre mais ainsi enterré, il était pratiquement impossible de déterminer de quoi il s’agissait.
Piquée par la curiosité, Rosie le toucha du bout des doigts. L’une des lucioles se jeta contre son index et le mordit. Surprise, la jeune fille retira sa main en ne lâchant plus la bestiole des yeux. Elle était loin de ressembler à une mouche à feu. Elle brillait beaucoup plus, ses ailes étaient bien plus imposantes et ses traits étaient beaucoup plus humains qu’insecte. La seule chose qui pouvait vraiment donner l’illusion d’une luciole, était sa taille. Elle atteignait à peine deux centimètres de hauteur. Rosie contempla un instant la créature fragile qui scintillait tellement qu’il était impossible de discerner les traits de son visage.
(On dirait une toute petite fée.)
Elle sourit doucement à cette idée. Quelle petite fille ne rêvait pas de rencontrer un jour une de ces créatures magiques? Rosie tendit donc encore une fois la main vers le trésor des fées, mais cette fois, elle entreprit plutôt de creuser autour de l’objet pour le dégager. Les fées s’en prirent immédiatement à ses mains. Sûrement avaient-elles peur de se faire voler leur bien. Les petites créatures n’étaient pas très dangereuses donc Rosie ne s’en fit pas pour ça.
(Je vais sortir ce truc de là et après je vais les laisser tranquille. Elles vont bien voir que je ne leur veux aucun mal.)
À force de creuser, Rosie put enfin comprendre de quel objet il s’agissait. Bientôt, le cuivre laissait place à du verre. On aurait pu croire à une petite cage. La jeune fille réalisa bien assez vite, lorsque les petites fées se précipitèrent à l’intérieur, qu’il s’agissait plutôt d’une jolie lanterne. Une lanterne qui servait apparemment de maison aux trois petites créatures ailées.
L’une d’elles sortit pour se poser délicatement sur le bout des doigts du semi-elfe. Cette fois elle semblait plus reconnaissante.
(Elle est magnifique…)
C’est alors qu’une ombre noire jailli devant elle et passa à deux doigt de gober la fée. La corneille aux yeux jaunes et aux quatre ailes semblait de nouveau en forme et prête pour un nouvel assaut.
« Non mais! Tu vas les lâcher! Sont-elles appétissantes à ce point là?»
Pour toute réponse, la corneille émit un grondement sonore digne des chiens les plus féroces. Les fées allèrent se réfugier dans leur lanterne, tandis que l’oiseau furieux picorait rageusement la vitre qui le séparait de son repas. Rosie se remit sur pieds et prit l’oiseau en prenait le soin cette fois de couvrir les ailes des ses mains comme on le ferait avec un pigeon. Quoi que la bête était un peu plus grosse que cet oiseau voyageur.
Cette fois, l’étrange corneille ne se débattit pas, elle se contenta de faire pivoter sa tête à presque 90 degrés vers Rosie. Toutes deux se regardèrent fixement droit dans les yeux. La jeune fille se fascina pour les deux billes jaunes qu’elle ne pouvait plus lâcher du regard. Un faible son biscornu résonna dans sa tête.
« Quoi ? La… la rivière ? »
Elle ne comprenait pas ce qui se passait et elle essaya de tourner les yeux en direction de la rivière en question mais elle en était incapable. Les yeux anormaux du corvidé retenaient toute son attention.
« La rivière ? »
L a pauvre ressemblait désormais plus à une marionnette qu’à une jeune fille. Le sombre oiseau était beaucoup plus dangereux que ce qu’il laissait voir. Rosie marcha vers la rivière tenant toujours l’oiseau, les yeux toujours plongés dans les siens. Elle s’arrêta au bord de l’eau.
« Vraiment ? »
Elle posa un pied dans l’eau et puis l’autre sans même réaliser ce qu’elle faisait. Elle avança dans les remous de la rivière, s’enfonçant toujours plus dans l’eau toujours plus profonde. Au fur et à mesure que l’eau montait, elle soulevait les bras pour éviter à l’oiseau noir de se faire mouiller. L’eau lui atteignait maintenant le cou, alors la bête sombre lâcha un long râlement et Rosie ouvrit les mains pour le laisser s’envoler. À peine eut-il rompu le contact visuel que la jeune fille perdit pied et s’enfonça complètement dans les profondeurs de la rivière.
C’est à ce moment là que Rosie sentit l’eau glacial contre sa peau. Elle avait l’impression que son cerveau était complètement engourdi et eut donc beaucoup de mal à comprendre ce qui venait de ce produire. Par contre, elle sut tout de suite qu’elle devait se sortir de là. Elle essaya de nager du mieux qu’elle pouvait, malgré le courant sous marin qui l’attirait vers le fond. Non sans fournir beaucoup d’effort, elle parvint à remonter à la surface et s’accrocha à un rocher.
Par chance le courant ne l’avait pas emmené trop loin. Elle vit bien rapidement les petites fées briller un peu plus loin, la corneille toujours après elles. Furieuse, Rosie réussi à atteindre le bord et à se hisser hors de l’eau.
(Sale bête!)
Malgré les tremblements qui assaillaient son corps et son pied qui la suppliait de le ménager, elle marcha vers l’horrible oiseau qui venait de renverser la lanterne pour s’y percher. Malheureusement pour lui, il ne vit pas arriver le pied de Rosie, par contre, vous pouvez être sûr qu’il l’a bien senti.
(C’est tout ce qu’il mérite!)
Sans perdre un instant, après avoir faire tomber la bête de son perchoir, la jeune fille saisit la lanterne et ses habitants. Ensuite, elle arracha avec empressement sa hache de l’arbre. Pas question qu’elle ne la laisse là. Sans même vérifier où était maintenant l’oiseau malfaisant, elle courut vers la grande cité de Kendra Kâr. Finalement l’idée de passer la nuit en forêt ne lui plaisait plus du tout.
(Je préfère encore les faux miliciens aux corneilles maléfiques.)