Alors que mon corps se change en cet insecte inoffensif et bourdonnant, le Pendentif d’Uraj vibre et deux voix successives résonnent dans mon esprit. La première n’est autre que celle de Hrist, qui répond à mon précédent message. Elle indique être en présence de la régente et promise au trône et pouvoir lui demander séant l’information que je cherche. Une chance inouïe, elle qui a préalablement disparu du Palais pendant un certain temps. Comme Insilbêth s’y est attendu, la guerre civile se fait menaçante, et les anciens alliés de Leodos cherchent à le venger. Sans un chef organisé et puissant à leur tête, cependant, je gage qu’ils n’arriveront pas à grand-chose, et que la nouvelle reine et son frère sauront gérer la situation correctement, d’autant plus avec l’aide de l’elfe grise, si elle reste là pour les soutenir. Elle a beau être particulière dans sa façon de penser tout à fait anarchique et meurtrière, pour ce qui est du crime, elle connait. Pour m’avoir décrit sa notion toute spécifique de la justice, je plains ces pauvres retors qui subiront sa punition. J’espère désormais qu’elle pourra rapidement et efficacement me confier la réponse d’Insilbêth concernant l’accord proposé par le Roi de Valmarin à Illyria.
Le second message me provient d’un autre palais : celui d’Ilmatar, d’où la Reine Aaria’Weïla me donne des nouvelles de Kerenn. Tel que ce dernier me l’avait précisé, après s’être rendu en exploration dans le désert de Sihle, il aurait fait revenir à la vie une ancienne déesse de cette région, Shill, qui lui aurait appris l’existence d’un second artefact qui aurait été la cause passée du Crépuscule des Dieux, ayant déséquilibré les forces d’Elysian. Un second artefact ! Comme si nous n’en avons pas assez d’un à dénicher dans ces vastes régions, objectif duquel je me suis moi-même éloigné pour contrôler un semblant de paix en ce monde en plein changement, et éviter la destruction pure et simple de toutes ces contrées à cause de la soif de pouvoir de quelques-uns. Par chance, d’autres comme Kerenn gardent cet objectif en vue. Un partage équitable des tâches en somme. Le sylphe m’apprend qu’il se rend en ce moment sur l’Archipel de Kanteros avec sa déesse pour le retrouver, ayant eu connaissance de sindeldi en vie. Incroyable. J’ai vu les ruines d’Andarsté. Rien n’a pu en réchapper. Les gris des miens avaient-ils un autre pied à terre sur ce monde, plus secret ? Rien n’est impossible, mais pourquoi alors n’avoir pas cherché à récupérer les expériences fort complexes des ruines de leur antique cité ? Je laisse cette information de côté pour le moment pour me concentrer sur le reste, attendant d’autres nouvelles de la part de Kerenn lorsqu’il pourra m’en donner.
Le message d’Aaria ne s’arrête cependant pas là : elle précise que la situation chez les élémentaires devient complexe à gérer. D’étranges créatures attaquent les différentes cités, de plus en plus difficilement défendues à cause de la perte de leurs pouvoirs magiques. Ces bêtes sauvages, je les connais : c’est celles que j’ai combattu dans les plaines d’Illyria, que j’ai aperçues ensuite en survolant les Crocs du Monde. Des envoyés du Fléau, des créatures malsaines, maudites, agressives, participant à la déroute des peuples et à leur lent déclin. Elle m’assure pouvoir gérer la situation, et m’enjoint à ne pas venir les aider, continuant sur ma route, mais je ne peux m’empêcher de serrer les poings en pensant à Ixtli, qui doit être fort affectée par le mal des élémentaires. J’espère la puissance d’Aaria suffisante pour contrer ces raids. Je lui réponds via le pendant juste avant de quitter la chambre du prince.
(Résistez, je vous en conjure. Si vous ployez, tout ce qu’on fait ici n’aura plus de sens. Préviens-moi si la situation devient trop complexe, et je volerai à votre secours. D’ici là, j’essaie d’enrayer la folie arriviste d’un fou, le Roi de Valmarin, qui entend unir les Royaumes humains sous sa bannière. La situation d’Illyria n’est pas enviable, mais elle aura à sa tête une personne apte à comprendre vos besoins et à vous venir en aide, si elle ne se fait pas déposséder par la guerre menée par le front commun de Valmarin et Sihle. J’œuvre sur ce front, pour l’annihiler dans l’œuf. Prends soin de toi et des tiens.)
Puis, vient le temps pour moi de suivre le prince et sa garde du corps jusqu’à la salle où l’attend le Généralissime au titre si pompeux. Je m’immisce dans la salle en leur compagnie, ne déchainant apparemment pas leurs capteurs sensoriels de mes bourdonnements légers, et me pose sur un bord de meuble, de facture militaire, pour écouter leur conversation. Le prince semble bien connaître le dirigeant militaire, et s’enquiert de son état. Quelques mondanités inutiles s’ensuivent, fort peu intéressantes, quoique rappelant le mariage prochain de Valérian à la princesse de Sihle, et ils entrent ensuite dans le cœur du sujet. Fort peu respectueux par ma demande de garder le secret de mes révélations, et sans scrupules, donc, il dévoile à son général sa connaissance de l’assassinat de la Reine d’Arden, Ardéliane, et de la mort du Roi Coryphème. Hakan, le généralissime, tente aussitôt de s’expliquer maladroitement sur le premier fait, affirmant qu’il ne s’agit que d’un malheureux incident, contrôlé désormais par leurs troupes. Le Premier Conseiller de l’ex-reine, nommé Gwydion, régit le peuple d’Arden, et est prêt à ployer aux demandes de l’alliance impérialiste. Un vendu, en somme. Je commence déjà à le détester. Le prince, lui, au nom de Mastriani, aurait fui ses responsabilités suite à l’affect que lui a procuré le décès de sa mère. Un faible, dont je devrai peut-être botter le cul pour qu’il s’en sorte les doigts et refuse catégoriquement toute demande des assassins de sa propre mère.
Hakan, comme je m’y suis attendu, ne sait rien de la mort de Coryphème, et lorsque Valérian, ce bavard sans honneur, lui révèle sa successeuse, Hakan s’émerveille en affirmant qu’il s’agit d’une excellente nouvelle, évoquant le chemin du progrès emprunté par Illyria. Si j’avais des sourcils, je les froncerais présentement. Ça sonne faux, comme si la raison de son contentement était davantage le trouble de l’ordre que cela cause à la cité plutôt que le progrès énoncé. Une facilité pour eux pour s’en emparer.
Hakan presse alors Valérian de se préparer au voyage jusqu’à Sihle pour officialiser l’union du prince des mers et de la princesse des sables. Le Roi de Valmarin s’y trouverait, apparemment. Il ne me sera plus utile de rester ici, du coup : Valmarin, suite au départ de ces deux-là, ne sera plus qu’une coquille vide sans grand intérêt. Je devrai me rendre où tout ce beau monde va, afin d’assister, qu’ils le veuillent ou non, à ces épousailles. Je ne sais cependant où ils se rendent spécialement, si c’est directement à Sihle, ou dans un autre port de cette contrée que je méconnais. Ou peut-être même à Arden, où le Roi de Valmarin se trouve peut-être pour y gérer la situation. Quoiqu’il en soit, je dois accompagner tout ce beau monde pour en apprendre plus sur leur destination. Le navire du généralissime servira de moyen de transport, et sera une bonne zone de départ pour ma future expédition. Mais alors que je m’apprête à les devancer en passant par la fenêtre pour arriver avant tous au bateau, j’assiste à une scène pour le moins surprenante entre Hakan et Kariny.
Sitôt le prince parti, le généralissime s’approche de la demoiselle. Près. Trop près pour que ce soit innocent. La forçant à se tourner vers lui en lui attrapant la main sans délicatesse, il lui susurre des mots que je ne comprends pas, avant de faire couler vers elle un regard libidineux, et une caresse de sa main dans ses cheveux et sur sa joue, dans son cou. Un frisson de dégoût me fait vriller les ailes. Vieux pervers. Kariny, elle, est loin d’être aussi vindicative qu’avec moi lorsque je lui ai à peine effleuré la peau. Immobile, en tension, elle semble n’avoir d’autre choix que de se laisser faire. Elle esquive fermement le regard du vieux porc intéressé, sans pouvoir masquer un tremblement de ses mains. Elle n’est pas à l’aise, indéniablement. J’assiste, impuissant, à une agression, un pur harcèlement. Qui sait jusqu’où cet être ignoble a déjà pu aller avec elle, pour qu’elle soit si nerveuse ?! Et la main laissa place à la bouche du militaire, qui vint saisir la peau de pêche, pâle et pure, de la jeune femme. J’ai envie d’intervenir, de péter la tronche de cette enflure et de voler au secours de celle dont je comprends mieux le trouble passé, à mon contact, mais ça serait révéler ma couverture, ainsi que mon pouvoir. Par chance, elle est sauvée par le gong : un serviteur frappe à la porte et elle en profite pour se défiler, après que Hakan se soit reculé, tout sourire, non sans lui avoir murmuré quelques ultimes paroles. Des menaces sur une future rencontre en privé entre eux. J’en frissonne d’horreur. Ce vieil obsédé ne perd rien pour attendre.
Le serviteur s’enquiert de connaître les besoins immédiats du généralissime, chose nettement moins pertinente, à laquelle je ne suis plus tenu d’assister. Je prends donc mes ailes à mon cou, et vole vers la fenêtre, que je traverse pour me retrouver à l’extérieur, avec pour objectif le navire d’Hakan. Pendant mon survol de la cité, je me change en oiseau marin, en cormoran au plumage noir, et vais, lorsque je l’aurai atteint, me percher sur la mâture du navire en attendant son départ proche, toute ouïe pour en découvrir la destination exacte, si je peux l’y précéder.
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