Earnar sentit les hautes vagues s'échouer contre la coque de la Baleine Blanche et le mouvement de balancier du navire n'en était sans doute que plus pénible pour ceux n'ayant pas le pied marin. S'il dut à plusieurs reprises se maintenir aux filets dans le quartier du cuistot, la traversée n'était pas des plus pénibles. Les mots de Rif, le quartier-maître lui revinrent en mémoire. Earnar espérait qu'une mutinerie n'explose pas alors qu'il était encore sur ce bâtiment, quant bien même le second mériterait un tel sort.
Le coq le fit sortir de ses rêvasseries et le nomma "le p'tit bleu". Imperceptiblement, il se figea, affolé d'avoir été découvert, cependant au bout d'un moment, il comprit que ce n'était que le terme employé pour lui dire qu'il était nouveau sur ce navire. Il lui fourra une brioche dans les mains et lui demanda son opinion sur son goût. Arrachant un bout de cette brioche rebondie et moelleuse, il s'en délecta et lui assura qu'elle était délicieuse, puis le coq prit la peine de répondre à ses nombreuses questions. Il lui révéla tout d'abord qu'il était originaire d'Arden et que la reine Ardélianne dirigeait la cité depuis un peu plus de trente ans en compagnie de son mari, à présent décédé.
Arden n'était pas une cité de marchands mais plutôt de cultivateurs et de laboureurs d'où les terres sans doute arables qui peuplaient cette zone du monde d'Elysian. Y avait-il cependant seulement des terres à cultiver ? N'y avait-il pas des ruines de l'ancien temps, un temps bien avant le Crépuscule des Dieux ? Earnar devait y faire un tour mais il avait besoin de beaucoup plus d'informations et pour cela il allait jouer cartes sur table avec le cuisinier de bord. Veillant à ce que personne ne les regarde, il entreprit tout d'abord de lui révéler sa véritable nature et sa véritable mission.
- En réalité, je suis un elfe et je suis ici pour une unique raison: prévenir votre reine du danger qu'elle encourt, elle et Elysian toute entière. Contrairement à mes frères et sœurs, je vois le danger de ne pas prévenir les humains, y compris le royaume d'Arden. Et si vous ne me croyez pas, voici une preuve du danger tout sauf potentiel.
Earnar exhiba la tête de la créature. Créature qui méritait bien un nom, même s'il ne voyait pas encore lequel.
- J'ai tué trois de ces créatures en venant à Illyria, mentit-il, et je n'ai jamais rien vu de semblable. Ce sont des chasseurs et elles ont compris que les elfes et les hommes sont ses proies, alors m'aideriez-vous pour votre patrie ? Connaissez-vous quelqu'un d'assez proche de la reine Ardélianne pour m'introduire auprès d'elle officiellement ou du moins officieusement ? Arden peut-elle rivaliser face aux autres cités comme Sihle ou Illyria ? A-t-elle une armée ou des mages qui la conseillent ?
Le coq le regarde avec scepticisme lorsqu'il lui parle du fait qu'il est là pour prévenir leur reine du danger qu'elle encourt, elle et Elysian toute entière, cependant, à la sortie de la tête de la créature, il la regarde avec des yeux écarquillés et s'en approche pour la regarder sous toutes les coutures, l'étudier un peu, avant de répondre :
- Attends un peu, là, arrête ton char. C'est quoi ce danger ? En quoi il menace notre reine et Elysian. T'es un elfe, pourquoi j'devrais te croire ? Y'a des bêtes bizarres qui rôdent dans les terres isolées, ça vient p'têtre de là bas, p'têtre que c'est rien qu'du fumier c'que tu m'racontes. Et puis pourquoi tu voudrais v'nir nous aider ?
Le coq ne semblait absolument pas disposé à le croire et Earnar ne pouvait lui en vouloir, les humains ne considéraient pas les elfes avec sympathie. Enlevant son masque, il lui révéla sa nature, risquant de là-même à lui en révéler plus qu'il n'en faudrait. Devrait-il le tuer à la fin pour éviter qu'il ne révèle ses secrets au capitaine ?
- Me crois-tu maintenant ? As-tu entendu parler du Crépuscule des Dieux sur Elysian ? La première fois cela a entraîné la fin de la magie sur ce monde et la chute de vos Dieux et normalement nous pensions que tous les Dieux étaient morts jusqu'au dernier lorsque l'épouse du dieu de la magie a créé un artéfact permettant d'amener un équilibre dans ce monde en créant les élémentaires il y a mille ans de cela.
- Cette catastrophe commence à se reproduire en ce moment même, j'ai vu les arbres se corrompre tout comme les créatures dont celle que je t'ai montrée, j'ai rencontré un peuple aborigène qui vivait dans les bois, des humains, leur chef a été corrompue par la même magie qui est à l'œuvre contre toutes formes vivantes. Ces périodes de trouble et de faiblesse attirent les ambitions des autres cités et en règle générale cela finit en guerre totale, enchaîna-t-il avec force et conviction.
- Mon rôle depuis que j'ai touché un fragment de l'âme de la déesse Merïarvi, la dame des mers est de préserver le fragile équilibre de ce monde. M'aideras-tu pour préserver le royaume d'Arden ou me dénonceras-tu au capitaine ? Qui puis-je contacter afin de demander une audience dans les formes à la reine et de lui proposer la réunion d'un conseil pour équilibrer les forces des différentes cités humaines ?
Il tenta de le rassurer sur ses intentions, mais il doutait lui-même que l'humain continue de l'écouter alors qu'il savait à présent que c'était un elfe.
- En restant chacun de notre côté, nous périrons tous, elfes et humains. Ces créatures ne sont qu'un signe avant-coureur du danger qui vient et elles ne viennent pas des terres isolées, tu peux me croire, je parcours les lieux assez fréquemment. Des civilisations entières ont été rasées par la première catastrophe, j'ai pu étudier certaines ruines. Arden est en danger, pas seulement par le fait que d'autres créatures pourraient apparaître dans vos cités mais également parce que les cités aux alentours pourraient en profiter pour envahir Arden. Me crois-tu ou dois-je te faire écouter la voix de ma déesse pour te convaincre du bien-fondé de mes requêtes ?
Le coq le regarda longuement et son regard brilla d'incertitude à son égard. Il se demandait sans doute si il doit le prendre pour un fou ou non et écarquilla les yeux lorsqu'il lui montra ses traits d'elfes. En dépit de ces mots emplis de sagesse, il continua à le considérer avec méfiance, quoi qu'en donnant l'impression de comprendre les paroles d'Earnar et de s'en inquiéter. Finalement, il lui répondit :
- Je te dirai les quelques rares trucs que je sais sur comment entrer dans la palais, mais ouais, j'aimerais bien une autre preuve si t'en as une. Et puis, écouter la voix d'une déesse, qui dirait non.
Il ajouta cette dernière phrase avec un sourire proche du grivois. Earnar apprécia peu le sourire du coq, il allait être vite déçu en apercevant qu'il ne valait mieux pas traiter à la légère une déesse.
- J'espère qu'elle te répondra tout comme elle m'a répondu, fit-il en sortant sa dague. Touche le pommeau et tu entendras sa voix dans ta tête, elle ne sera que murmure en principe.
Earnar en appela la déesse pour qu'elle réponde à son appel et il entendit de nouveau ses murmures répétant inlassablement les mêmes mots. Ixtli avait-elle raison en affirmant que cela n'était que le fragment ancien de l'âme de la déesse ou au contraire, continuait-elle de vivre et de voir le monde à travers son porteur ? Quoiqu'il en soit, vu le manque de réaction du coq, il en conclu qu'il était le seul à pouvoir les entendre, hormis peut-être les Aigails comme Ixtli et les Earions d'Elivagar. Il décida de lui prouver sa bonne foi d'une autre manière.
- Voici aussi une preuve vivante que je sers la déesse. Es-tu convaincu ? demanda-t-il d'un air impatient en activant son muutos.
S'il ne pouvait entendre les paroles de la déesse, par contre il sursauta en voyant l'activation du muutos. Il mit quelques temps avant de pouvoir parler, pour finalement dire :
- Clairement, tout ça m'dépasse. J'comprends rien à tout ça, rien à c'que tu m'dis. Enfin, si t'es vraiment là pour aider... J'connais personne de haut placé au palais, par contre, y'a ma sœur qui bosse comme servante là bas. Elle pourra p'têtre t'aider. Tu la trouveras à l'auberge de la Couronne du Voisin, son mari, Dinamor, est l'tenancier. C'pas loin du château.
Earnar hocha la tête, prenant bien note des informations. Il allait devoir passer incognito dans le château mais ce n'était guère la première fois qu'il pénétrait par effraction dans un endroit protégé. Il désactiva son muutos et les ridules à la surface de sa peau s'estompèrent pour enfin disparaître à la base de son tatouage en forme de Drakarn. Il finit par remettre sa capuche, cachant à nouveau sa véritable nature.
- J'aurais espéré passer par la grande porte, mais cela me conviendra aussi. Ne dis à personne ce que je t'ai révélé, mes secrets doivent être préservés.
Il lui jeta un dernier regard avant de remonter sur le pont supérieur afin de distribuer le reste de brioche à l'équipage, puis il se remit au travail en ajustant les cordages.
((1665 mots))
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