Je sors de mes pensées par les chuchotements de Fenouil, il me demande ce qu'il y a marqué sur le message de Vadokan et qu'il préfère les chiffres.
"Il dit qu'il va enquêter seul vers la maison Kartage, tu te souviens, c'est une des maisons suspectes." J'ai aussi parlé très bas pour pas me faire remarquer. "J'espère que les autres vont bien, tu en connais ? Car moi non, mais c'est bizarre de se dire que c'est les seules personnes de notre monde sur celui-ci, c'est comme une famille, tu ne trouves pas ?" Gagner sa confiance et m'en faire un allié va être important pour la suite, même si je pense que j'ai pas besoin de faire d'effort. Celui-ci est une montagne de naïveté... Ou le plus grand comédien que je connaisse. En tout cas sacré personnage que ce Sekteg. Il continu à me parler de comment il est arrivé ici : par hasard et sa curiosité, il ne faisait que se promener dans la région pour ça. Peu crédible, mais pourquoi pas ? On a vraiment affaire à l'innocent du village ?
Il continu de me parler de sa vie sur Yuimen et oublie vite de faire silence. Certains des passagers le remarquent et j'y fais les yeux ronds pour le calmer. Il me parle de son travail à l'auberge, oh quelques menues tâches de service, rien de folichon. Rien d'un aventurier en tout cas. Mais il m'explique ça avec une telle honnêteté, qu'on ne peut que le croire. Après tout, une petite vie simple et tranquille, à l’abri des tracas du monde. Il me pose la même question, ça va être difficile de répondre honnêtement, tant mon identité doit être préservé, mais je m'essaye tout de même.
"Mon métier, difficile à dire, disons que je gagne ma vie en réalisant des missions pour ceux qui m'en donnent, comme ici en fait. Je travaille pour qui paye au mieux, tant que ça ne va pas à l'encontre de mes principes. Donc pour ça j'ai beaucoup voyagé sur Nirtim. J'ai vu Oranan, Bouhen, Kendra Kâr, et même jusqu'à Shory. Mieux que ça, il y a trois ans de ça, j'ai fait l'expédition vers Verloa, un continent éloigné et inconnu." Je ne peux évidemment pas lui dire que je viens d'un autre monde et que j'ai déjà été sur un autre monde il y six mois. Il ne pourra comprendre et se poserai trop de questions. Encore plus si c'est un agent de l'ennemi, même si j'en doute de plus en plus.
C'est à quel arrêt qu'on débarque que me demande Fenouil. Ça tombe bien, on va devoir faire quelques changements et abandonner notre premier train. Si je lis bien le prochain arrêt sur un des panneaux de lumière du train, nous sommes à une des escales. Effectivement le train arrive à une gare, ici d'un coup l'ambiance change. Fini les belles lumières, fini le lisse et la propreté. On s'en le poids des âges. Il y a plus de monde, les gens parlent fort, parfois crachent au sol. Nous sortons discrètement et je demande à Fenouil de me suivre prêt sans regarder les gens. Je repère le prochain train, il est sur un autre quai et nous l'attendons juste deux minutes avant de voir arriver une machine plus ancienne et usée. Nous montons et nous installons au milieu d'un peuple à l'allure plus modeste, à la mine morne et renfrognée. Nous essayons de nous faire les plus discret possible, mais certains nous fixent. Sans doute se demandent-ils qui nous sommes ? Mais pas d'hostilité, beaucoup d'indifférence ou de gêne ?
Nous repartons avec quelques secousses qu'on n'avait pas dans le précédent train. Nous traversons des quartiers plus denses, je suis toujours aussi mal à l'aise face à l'absence de végétation et la saleté qui colle sur les murs. Nous mettons bien une vingtaine de minute avant de changer encore de train, et dix minutes de plus avant d'arriver sur le dernier. De train en train c'est comme une descente dans un gouffre de misère. Je comprends rapidement qu'on va au cœur du problème d'Izurith. Tel que je l'imaginais, ou plutôt le redoutais en rencontrant le Seigneur Valaï, je me retrouve face aux inégalités les plus criantes. Je me dois de continuer pour savoir pourquoi une telle misère. Mon compagnon Fenouil semble très peiné de voir tout ça. Le train est sale, nous sommes dans les déchets laissé trainé là depuis longtemps. Reste de nourriture, papiers, cendres. Et les murs couverts de peintures, de lettres, de symboles. Des insultes, beaucoup de d'insultes. Je ne comprends pas tout, mais je suis submergé par le flot de dénuement. Tout pue, ça sent l'urine, des relents de vomis, de moisissure. Tout est à l'abandon, des gens dorment dehors, à même le sol. Je suis choqué par tout ça, je ne pensais pas à ce point, vraiment il y a un problème sur Izurith.
Un grave problème.
Nous sortons du train, bousculé par une foule hagarde. Certains nous remarquent et s'écarte avec crainte, ne sachant pas quoi penser. La nuit est tombée, je regarde Fenouil juste à mes côtés. "Il va falloir être fort et solide dans ce monde. Ne te laisse pas impressionner par ce que tu vois et suis-moi juste à mes côtés." Et ce conseil vaut aussi pour moi. Nous arrivons dans une grande avenue, une foule importante s'y déplace, de nombreuses enseignes de lumière tapageuse essayent chacune de rivaliser d'originalité. Des boutiques probablement. Je visualise mentalement l'endroit où l'on doit aller par rapport à la gare, sur cette rue il faudra tourner à droite et prendre des ruelles avant d'arriver à l'établissement suspect numéro un. Nous marchons, déterminé vers notre but. Je trouve mon chemin, en évitant le regarde des gens louches, posés sur le côté. Mais que font tous ces pauvres gens ? C'est impressionnant, mais je n'ai pas peur pour nous. Je sais que je peux nous défendre en cas de pépin. Mais il ne faut pas provoquer inutilement, et passer en discrétion.
Les ruelles puent la mort, littéralement. Sombres et inquiétantes, nous poursuivons sans tarder, passant à coté de gens très louches qui nous regardent avec avidité. Il ne fait pas bon de rester là. Je continu sans chercher les regards des hommes, sans montrer mes émotions, comme si j'étais un habitué. Ne pas montrer son étrangeté, ce qui ne sera pas facile pour Fenouil. Un bruit sourd et continu derrière une porte de métal. Je vois une enseigne qui parle d'un club de nuit au nom avec une lettre et un chiffre. O2, quel drôle de nom. On est bien devant l'établissement suspect. On va devoir entrer et voir là-dedans ce qu'il en est, mais en aurons-nous le courage ?
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