La Reine acquiesça à la demande d'Alistair et ordonna à une garde de lui servir de guide. Pendant ce temps, Darion boudait toujours, clamant qu'il ne se joindrait pas à eux pour cette mission et se contenterait d'aller faire un rapport à Bouhen. Trouvait-il seulement que cela était inutile, non versé aux arts de la diplomatie et de la patience comme pouvait l'être l'assassin, ou cachait-il réellement quelque chose comme celui-ci l'avait suspecté ? Il était difficile d'être sûr du verdict avec si peu d'éléments en mains, mais le « héros » d'Aliaénon était plus enclin à suivre son intuition première.

Alistair suivit donc son guide à l'extérieur de l'arbre colossal qui abritait la cour de la Reine et le suivit à travers la cité... qui semblait, de ses yeux, rien de plus qu'un village, si ce n'était un hameau. Les aldrydes étaient certes nombreuses, mais les structures, elles, étaient inexistantes, vu de l'extérieur. Cela donnait un sentiment de ruralité extrême, propre aux agglomérats de cabanes dans les bois, tellement petits qu'ils ne prenaient pas la peine de se donner un nom. La grande cité de Sartori lui donnait simplement l'impression d'être un pittoresque village de campagne. Et ce malgré les gigantesques arbres qui l'entouraient ; ils ne suffisaient pas à grandir la ville pour quiconque était coutumier des grandes cités de Yuimen. Tulorim, Oranan et même Yarthiss semblaient démesurées en comparaison avec cette région de la Forêt des Faeras. Non pas à cause de la taille des « bâtiments », mais simplement par la fréquentation des rues, le sentiment que tous étaient entassés les uns sur les autres. Et il venait tout droit de Kendra Kâr, géante parmi les géantes, capitale officieuse de la coalition contre Oaxaca, dans laquelle un pas ne pouvait être fait sans marcher sur les pieds d'un parfait inconnu.

Leur observation de la ville ne dura pas bien longtemps, car ils furent rapidement présentés à Kalad'aes, une aldryde au port altier vêtue d'une robe grise légèrement luisante. Elle ne semblait pas particulièrement enchantée de les voir. Elle déclara que, si la Reine regrettait ses loyaux services, il était trop tard pour venir les réclamer de nouveau, cette guerre « absurde » ne la concernant plus. Alistair camoufla un sourire carnassier. « Absurde ». Là était sans doute l'hérésie dont les matriarches de la sororité de l'oubli salvateur s'étaient offusquées. Cette guerre, aux yeux des officielles de Sartori, avait été déclenchée par les mâles s'étant honteusement rebellés ; elle n'avait rien d'absurde, elle n'était que l'auto-défense justifiée d'un système légitime. Pour trouver cette lutte absurde, il fallait trouver cette contre-attaque absurde. Et pour trouver cette contre-attaque absurde, il fallait trouver ce système absurde. Illégitime. C'était du moins l'hypothèse de l'assassin, qui ne mit pas longtemps à aborder le sujet.

« Alistair, émissaire de Kendra Kâr et, depuis quelques minutes, conseiller de la Reine Calliopée, » se présenta-t-il. « Et voici Loona, » ajouta-t-il en désignant la jeune femme, qui la salua d'un simple signe de tête. « Sa Majesté la Reine a effectivement le besoin de vos services, et c'est pourquoi je suis là. Elle semblait regretter votre éviction, si je puis me permettre. Pas les matriarches de... Comment était-ce déjà... de l'oubli salvateur. Elles n'ont pas daigné m'expliquer quel crime vous avez commis, mais serait-il juste de dire que cela a un rapport avec votre propre interprétation de la légende du Feu dans le Ciel... Et de votre position concernant les mâles de votre espèce ? »

Le pavé était lancé, il ne restait plus qu'à attendre sa réponse avant de se montrer un peu plus agressif dans son jeu.

Darion sembla dubitatif aux paroles d'Alistair, clamant qu'il pourrait effectivement se rendre auprès des rebelles, mais que ce serait certainement vain, car elles se doutaient déjà probablement qu'ils étaient du côté de Sartori, donc de la sororité ou de la Reine. Il ajouta que tuer la Reine pourrait bel et bien mettre fin à la querelle entre le clan de ses fidèles et celui des Matriarches de l'Oubli, ce à quoi l'assassin ne répondit pas immédiatement. Après tout, peu importait si celui-ci pensait qu'assassiner la Reine finirait d'asseoir le pouvoir de la sororité, l'important c'était qu'il ne soit pas dans les parages quand le comploteur ferait son double-jeu.

Le guerrier attrapa alors Alistair avant de le plonger de nouveau dans les ombres, les faisant tout deux réapparaître au pied d'un arbre décoré de fleurs et de mousse. Ils purent apercevoir la richesse de la Matriarche nommée Fadrin'ias, éclairée d'étranges lumières provenant de loupiotes faites à partir des champignons qu'ils avaient pu voir sous l'Akrillarbre. Darion fit ainsi appeler la personne pour laquelle ils étaient là et bientôt une servante se dépêcha d'aller la chercher. Lorsqu'elle sortit finalement de son trou, elle sembla particulièrement grincheuse, toujours aussi raciste et sexiste. Elle apostropha immédiatement Alistair, le nommant simplement étranger et lui demandant comment il osait troubler son repos alors qu'ils devraient être en train de lécher les bottes de la Reine.

« Comprenez, Ma Dame, que je ne suis pas là pour contenter la Reine, » commença-t-il, prenant des pincettes. « Je n'ai fait que la conseiller pour tenter de résoudre ce conflit paralysant nos accords commerciaux avec l'Ynorie au plus vite. Et ce jusqu'à... »

Il prit la peine de regarder autour de lui pour être certain qu'ils ne pouvaient pas être épiés puis se pencha légèrement en avant, murmurant avec un ton de conspirateur.

« Jusqu'à ce que la Reine me demande de vous assassiner, Ma Dame, » déclara-t-il. « Je lui ai dit que je le ferai pour ne pas la contrarier, mais j'ai bien conscience qu'elle est la personne coincée dans le passé dans cette histoire, celle qui ne fera que créer de nouveaux conflits et créer des carnages. Je ne peux pas laisser une telle chose se produire. »

Il laissa uniquement une seconde à son petit discours de faire effet avant de continuer sur sa lancée, sortant le mycélium de sa poche pour le montrer à la Matriarche.

« Voyez, Dame Fadrin'ias, ce qu'elle m'a donné pour parvenir plus facilement à vous tuer. Mais je suis venu ici en paix. Je suis venu pour vous prévenir, car maintenant qu'elle a envoyé quelqu'un pour vous tuer, elle ne peut plus reculer et devra tout faire pour se débarrasser de vous. Je ne peux pas laisser la guerre civile qui pointe le bout de son nez sous sa direction démarrer, pas alors que les rebelles arrivent. Le conflit durerait alors bien plus longtemps et je ne sais pas à la faveur de qui il tournerait. Kendra Kâr ne peut pas laisser cela se produire. »

Il avait proféré ces paroles d'un ton presque solennel. Heureusement, il n'avait pas assez parler avec Darion, s'en méfiant comme la peste depuis qu'il l'avait rencontré, pour que celui-ci connaisse suffisamment sa psychologie et ne lise en tout cela des mensonges éhontés. Au pire des cas, il penserait qu'Alistair n'est qu'intéressé par les récompenses du Roi de Kendra Kâr et fait du zèle pour se faire accepter de la sororité... Probablement comme lui-même en fait.