L'Univers de Yuimen déménage !


Nouvelle adresse : https://univers.yuimen.net/




Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 4 messages ] 
Auteur Message
 Sujet du message: Les refuges des montagnes
MessagePosté: Ven 31 Oct 2008 16:48 
Hors ligne
Avatar de l’utilisateur
 Site Internet  Profil

Inscription: Lun 20 Oct 2008 21:22
Messages: 22817
Localisation: Chez moi^^
Les refuges des montagnes


Image


A l'est de Henehar, à l'écart de la route vers Gwadh, se trouvent des refuges perchés au pied des montagnes. Ces refuges sont entourés de falaises, de montagnes et de murs construits à l'origine pour protéger les Henehariens des attaques des barbares.

Cela fait plusieurs siècles qu'ils n'ont plus été utilisés. On raconte que des trésors y ont été oubliés dans les galeries qui en partent...

_________________
Pour s'inscrire au jeu: Service des inscriptions

ImageImageImage

Alors il y a une règle que je veux que vous observiez pendant que vous êtes dans ma maison : Ne grandissez pas. Arrêtez, arrêtez dès cet instant. Wendy dans "hook" (petit hommage à Robin Williams)
Pour toute question: Service d'aide
Pour les services d'un GM: Demande de service


Je suis aussi Lothindil, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha


Haut
 

 Sujet du message: Re: Les refuges des montagnes
MessagePosté: Sam 20 Mar 2010 12:27 
Hors ligne
Avatar de l’utilisateur
 Profil

Inscription: Ven 19 Mar 2010 19:11
Messages: 6
La foule mugissait toute proche, ses vagissements envahissaient la cage esseulée d'où Kaghat pouvait sentir les ondes enivrantes qui émanaient du même être stupide et avide de violence nommé spectateur. A quelques mètres de lui grossissait cette masse informe et incontrôlable en expansion constante, une entité pluricéphale forte de tous les bas instincts de ses membres. Une soupe portée à l'ébullition par les plus vils instincts d’une race condamnée à la médiocrité. Enchaîné dos au spectacle, le gobelin ne pouvait se fier qu’aux exhortations beuglées pas la foule en transe ivre du carnage et des massacres à venir. Et pour être franc, le rôdeur était pétrifié de peur.

Deux jours auparavant on l’avait jeté dans pareil purgatoire, où, par un rituel absurde et violent, son courage ou sa bêtise, seules valeurs acceptables pour la foule débile, devaient s’incarner pour ainsi sauver une vie jusque là paisible. Il avait combattu contre d’autres gobelins déboussolés, abattant avec remords ses poings sur le corps de ses frères. Il avait dû frapper encore et encore, ne sachant plus si son bras commandait les vivats ou bien inversement. Le rôdeur avait dépulpé des crânes, aplani des visages, massacré quelques semblables, véritablement transporté par la violence ruisselant des gradins surpeuplés de haine. Un instant il s’était même cru une machine entre les mains de la foule, un automate n’obéissant qu’à la puissance des décibels pour abattre sans remord son jugement funeste. Les autres _ comment pouvait-il s’en souvenir autrement _ tous ses visages, avaient défilé devant lui alors que de sa haute stature il répandait la mort à tout va. Du sang, du sang et encore du sang, plus de rouge pour forcer la teinte du cauchemar. Du sang sur ses mains, du sang sur son visage, du sang partout, épais et âcre, chaque couche coagulant avec la précédente pour former la trame d’une horreur sans nom. Une mécanique primale et vrombissante. Désormais il espérait que tout ceci n’avait été qu’un rêve mais son cœur lui saignait.

Toujours attaché dans sa cage il subissait les roulis enflammés d’une foule qui se délectait de la mort de ses propres frères. La taïga, cette calme futaie d’un blanc absolu ne ressemblait désormais plus qu’à un rêve, un espoir qu'il ne pouvait vraisemblablement qu’avoir imaginé, un songe de traques et de chasses sur les traces du sentiment de liberté. Ici la réalité lui semblait pour la première fois froide et fade, il n’était plus libre et s’était ente les mains de sadiques qu’il devait survivre et se démener. Qu’était-il prêt à leur offrir pour recouvrer sa liberté était sans doute la seule question valable dans son état. Hélas, Kaghat n’avait pas encore atteint cette sagesse car pour l’instant il ruminait. Il distillait sa rancœur jusqu’à des degrés quasi inflammables en attendant l’heure de son jugement par les armes. La haine s’accumulait partout en caillots épineux dans son organisme, ravageant son corps et son âme rien qu’à la pensée d’un passé idyllique si proche. En d’autres termes, il les haïssait tous inconditionnellement.

La défaite était symptomatique de sa race et dès son plus jeune âge on lui avait appris que seuls les dieux régentaient son futur, cependant son orgueil avait été si fort qu’il s’était cru supérieur, vraiment supérieur, un gobelin prêt à gouverner son futur. Et son état actuel d’esclave ne pouvait que lui enseigner l’humilité, la chute en était d'autant plus douloureuse.

Quelqu’un passa derrière lui d’un pas lourd en hurlant quelque chose et l’instant d’après on tirait un freluquet hors de sa cage pour l’emmener à l’abattoir. Kaghat se meurtrit le cou pour observer la scène, pour n'apercevoir que le pur azur à peine moutonné de nuages du ciel de Nosveris qui auréolait le pauvre dam et son geôlier en route vers l’échafaud. Désormais il était le seul enchaîné sous l’arène toute proche de Henehar, un de ces lieux de massacre parmi tant d’autres qui avait fleuri sur toutes les terres clamées par la Sombre Maîtresse. Les nouveaux tyrans, Segteks, Garzoks et autres innommables avaient asservi sans aucun remord leurs frères du nord et faisaient désormais combattre ces prétendus sauvages dans le premier bouge venu. Jetant à leur gré les anciens contre les novices, les plus expérimentés contre les bêtes les plus farouches, foulant au pied des siècles de tradition et de savoir. Et pour cela Kaghat les haïssait. Certes il avait survécu mais il aurait préféré mourir sous les coups d’un vrai guerrier et ainsi participer aux sagas de sa gloire. La vie sur Nosvéris était certes un enfer quotidien mais même les créatures les plus vils avaient su y développer une civilisation mettant en exergue la force mentale et le courage furieux. Deux valeurs d'autant plus rares qu'elles étaient fantasmées et craintes.

Soudain la foule se déchaîna de plus belle, l’assourdissant presque sous des vagues hurlées d’une même sentence de mort. Voilà ce qu’ils chérissaient le plus, la mort et la destruction et le gobelin était persuadé désormais que si l’assemblée avait pu s’immoler au pinacle du carnage, si une main impie avait changé le sang en huile, ils auraient tous lancé la première étincelle. Et pour cela aussi le peau-verte enchaîné les haïssait du plus profond des restes de son âme. Car au-dessus il savait qu’on hurlait, que l’on bavait, que l’on frappait du pied pour appeler l’œuvre du bourreau. Des centaines, peut-être des milliers de pervers venus du sud exultaient et jouissaient du massacre de son peuple en conquérant absolu, sans peur ni remord.
La foule fit même trembler le sol de sa joie malsaine transformant la terre paisible en un vibrant tambour d’exécution alors que le destin d’un frère se brisait. Puis, le silence soudain incongru accompagna la mise à mort d’un innocent seulement coupable d’aspirer à la pureté du grand nord. Le trépas d'un disciple d’une foi qui se ne parviendrait qu’à se fourvoyer en cherchant à se raconter. Un sentiment si innocent et si fragile qu’il ne pouvait qu’être partagé en silence, si évanescent qu’il ne supporterait pas même une explication aux infidèles. Et alors que la tête de l'ancien esclave, ce martyr, roulait dans la boue de l’arène improvisée on venait chercher le prochain condamné. Kaghat s’en rendit à peine compte lorsqu’on le traîna, que l’on défit la chaîne reliée à l’anneau de métal rouillé emprisonnant son cou et qu’au final on le livra en pâture aux envahisseurs avides de massacres en direct.

Lorsque le gobelin reprit soudain conscience, émergeant d’un cauchemar quasi physique, se fut pour être confronté à une réalité bien plus atroce car, alors qu’il pataugeait dans une boue déliée par le sang des braves, des milliers de cris l’enveloppaient. Il n’y avait pas d’autre manière pour véritablement décrire le tumulte qui pleuvait des gradins bondés, une quantité indéchiffrable de grappes de peaux-vertes s’amassaient en cercle tout autour de lui, l’assourdissant de toute part. Le vertige le prit d’un coup et il peina à trouver son équilibre au centre du cercle de l’arène où l'on venait à peine de le catapulter. Le gobelin n’avait jamais ressenti un tel trouble face à une foule dont chaque entité floue n’était que le produit de hurlements et d'antipathie. Partout où il posait les yeux ce n’était que visages déformés par les cris et les déchaînements d’une haine soudain libérée. De toutes parts il était cerné par des pulsions de mort qui écrasaient de leur hauteur pulsionnelle ce qu’il avait cru être ses pires rancœurs. Même sa grande colère était ici minuscule, le gobelin redevenait une marionnette décérébrée. Et malgré le trouble il eut le courage de souhaiter leur mort à haute voix, son cri bientôt balayé par la cacophonie assourdissante.

L’arène était minuscule et infinie à la fois car la collection de portraits cauchemardesques réunis en un si petit endroit semblait tout simplement irréelle. Il était impossible de comprendre la nature du lieu qui cernait le pauvre gobelin. Cela n’avait rien à voir avec la grotte où on l’avait forcé à abattre plusieurs de ses frères sous la lueur de quelques flambeaux réticents à éclairer pareil complot atroce. Ici la mort était reine et elle étalait avec concupiscence sa collection de joyaux carmins sous les yeux exorbités de tous ses aficionados du meurtre spectacle. Dans cet ovale imparfait, dans la boue et le sang, Kaghat était au centre d’une matrice primordiale qui enfermait et recyclait à jamais la naissance et le trépas des plus braves. La seule chose qui fit vraiment sens au bout de quelques secondes furent les corps inanimés semés aléatoirement dans la fange comme autant de présages funeste mais aussi la discrète présence de leur bourreau. Et le rôdeur comprit soudain que c’était ce nom, le nom de l’autre en face, de cet être abruti par les combats, que la foule scandait, le répétant jusqu’à créer un anneau de buée diaphane. La gargouille ! La gargouille ! c’était son nom de tuerie et quand le trouble du novice fut passé la vérité d’un tel sobriquet s’infusa dans l’esprit du gobelin. La créature qui lui faisait en effet face n’était plus qu’un détestable reliquat de ce que le peau-verte était, ou bien peut-être un prodrome poignant. Son corps, pleins de muscles lustrés par son propre sang, était couvert de cicatrices purulentes, sa main gauche même remplacée par une simple lame dégoulinante des humeurs de sa précédente victime. La gargouille n’avait même plus de nez, ni d’oreille et il semblait bien au rôdeur hagard que seul le métal cloué à même le front de la bête permettait de maintenir un semblant de cohésion.

Obéissant aux caprices de l’être protéiforme hurlant pour la tuerie qu’était la foule, ce jouet horrible, la gargouille donc chargea Kaghat. Ce dernier esquiva le premier coup de lame bien trop tard et en fut quitte pour une sévère entaille au bras gauche qui le fit détaler aussi loin que possible en serrant les dents. Hélas le mur de visages haineux lui parut encore plus abominable et il préféra se retourner vers son adversaire qui le cueillit qu’un violent crochet du droit, envoyant simplement le rôdeur face dans la boue. La gargouille n’était pas plus grande que lui, tout deux étaient des gobelins trapus, peut-être même des frères du nord, mais elle frappait avec toute la puissance d’une haine absolue. Chacun de ses coups était un témoignage sanguinaire des horreurs qu’elle avait traversée ainsi que de son propre dégoût.

Un brutal coup de pied fit se rallonger le gobelin alors qu’il peinait en pataugeant dans l’arène gluante, sa bouche déjà puait le sang. A quatre pattes Kaghat parvint à échapper à son adversaire et à s’aider du mur décrépi pour se relever à peine. Son rival apparut devant lui et fendit l’air de sa lame une première fois. Le rôdeur tenta de l’esquiver alors que son torse se zébrait d’une nouvelle entaille profonde. Hélas la suite ne fut pas plus radieuse et le retour, tout aussi violent, manqua de lui arracher la moitié du visage se contentant seulement de faire éclater l’œil droit et toute sa périphérie dans une magnifique gerbe de sang. Le beuglement de sa douleur ne fut rien en comparaison de la clameur qui envahit toute l’arène alors que déjà nombreux étaient les spectateurs à réclamer sa mort rapide. Sous la violence du coup, Kaghat avait cru que son crâne allait tout simplement éclater et le gong résonna longtemps dans sa tête en feu alors que tout tournait autour de lui. Des papillons de nuit, sublimes et délicats phalènes infernaux défilèrent devant lui engourdissant son corps et son esprit. Le borgne tenait son visage ravagé à deux mains, longeant la paroi du tombeau circulaire pour fuir en titubant et en geignant. Mais son ennemi désigné ne l’entendait pas de cette oreille. Sachant pertinemment qu’il s’agissait du dernier amusement de sa journée, il voulut faire durer le supplice. Le monstre de foire s’approcha alors de sa proie adossée et déjà soumise le long du mur pour se délecter de ses derniers instants. Kaghat voyant arriver sur lui son frère difforme fut envahi d’une rage soudaine et lui asséna un direct bien senti avec toute la force de son désespoir, si puissant même qu’il sentit ses propres os craquer. Mais la seule chose qu’il reçu en retour fut un rire atroce, une éructation à vous faire frissonner, coulant aussi bien de la bouche quasi édentée que des deux trous purulents, dernières empreintes du nez de la bête.

Un court instant le rôdeur croisa le regard fou de la gargouille et y aperçut une infinité de rage destructrice ainsi qu’une tristesse absolue, mais bien vite un uppercut le renvoya au sol sans commentaire. Puis un formidable coup de pied le fit presque voler au dessus du sol et quand l’infortuné gobelin parvint à peine à retrouver un semblant d’équilibre, courbé et bavant, se fut pour recevoir un genou droit ses côtes qui se brisèrent à l’unisson comme du bois sec. Et malgré la sentence de la foule toujours plus forte et abrutissante, Kaghat parvint tout de même à entendre distinctement les pas de la mort pataugeant de plus en plus proche dans la mélasse. C’est alors qu’il puisa dans des réserves inconnues, le précieux stock, l’épargne ultime le séparant du trépas pour continuer à fuir l’inéluctabilité. Même si cela mettait la foule en transe et faisait baver son ennemi d'excitation, le peau-verte n’hésitait pas à marteler la boue de son poing grand ouvert pour tirer sur ce rien dégoulinant et avancer encore et toujours. Jusqu’à ce que sa main ne se pose sur quelque chose de dur, du cuir, une sangle. Il tira dessus. Ce qui vint était lourd et potentiellement dangereux mais cela n’arriva même pas à pénétrer son cerveau déjà saturé des hurlements de la foule déchaînée ainsi que de sa propre douleur. La seule chose qu’il fit, fut de se retourner et d’envoyer l’arme droit sur le monstre à ses trousses.

Kaghat tourna sur lui-même meurtrissant un peu plus son flanc, son corps tout entier emporté pas l’élan désespéré se tordit faisant même craquer ses épaules au moment où le choc eut lieu. Et l’arène fut soudain silencieuse. Le casse-tête plein de boue tournoya très loin avant de retourner aux secrets de la matière primaire alors que devant le rôdeur, toujours vrillé sous l’effort, se tenait la gargouille encore plus mal en point. Sa mâchoire pendait lamentablement dans un angle impossible alors que le sang et la morve se déversaient abondamment dans l’écuelle naturelle, le calice de toutes les souffrances. La main droite de la bête s’hasarda quelques instants sur cette nouvelle difformité avant de plonger droit sur la gorge de son ennemi. Le rôdeur suffoqua littéralement alors que les ongles crasseux s’enfonçaient de plus en plus dans sa chair détachant avec précision sa trachée compressée du reste de son cou. Il eut beau frapper avec rage rien n’y changea. Bientôt le sang qui coulait déjà abondamment sur son visage lacéré se mit à battre dans ses tempes et dans son cerveau lui interdisant toute autre solution hormis le martelage ininterrompu de la gargouille. Les deux gladiateurs moribonds étaient si proches qu’ils auraient pu s’embrasser à pleine bouche pour mieux se cannibaliser. Leurs corps transpirant de sang et fumant de fureur se mêlaient presque déjà pour la dernière étreinte. Puis les mouches de l’inconscient s’agglutinèrent de plus en plus nombreuses devant le regard borgne de Kaghat pour lui masquer le réel jusqu’à qu’il n’y ait plus que le noir et le silence rassurants.

_________________

Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
il y a un chemin à parcourir et il faut le parcourir,
mais il n'y a pas de voyageur.
Des actes sont accomplis, mais il n'y a pas d'acteurs.


Haut
 

 Sujet du message: Re: Les refuges des montagnes
MessagePosté: Mer 21 Avr 2010 16:03 
Hors ligne
Avatar de l’utilisateur
 Profil

Inscription: Ven 19 Mar 2010 19:11
Messages: 6
Le rôdeur ouvrit un œil et on lui confirma que tout ceci n’était pas un cauchemar car une voix rocailleuse lança en effet quelques mots :

« - Il est réveillé patron.

Et le patron sans doute pressa sa poigne de fer sur la tête meurtrie du Segtek, le forçant à fixer sa face de porc noir. Il éructa :

- Tu aurais mieux fait d’y rester vermine. La suite sera encore pire. »

Et Kaghat replongea dans l’inconscient pour se réveiller plus tard dans un autre décor. Sous une tente harcelée par le vent glacial on l’avait de nouveau enchaîné bien droit à un poteau dégoulinant encore de résine et le simple fait de déglutir lui était un supplice. Accompagnant la chute de quelques voiles de douleur, le bourdonnement dans le crâne du gobelin décrut lui aussi. Au milieu du brouillard de ses souffrances il se rendit compte qu’il y avait une demi-douzaine d’autres esclaves enchaînés eux aussi bien haut par le cou comme de la volaille en tête de gondole. Aucuns d’eux ne pouvaient bouger mais certains échangeaient quelques paroles brèves au milieu du tumulte qui fit soudain sens dans le monde caché tout autour du rôdeur. Au-delà de la tente, transportées par les bourrasques assassines, les clameurs éclataient en cascade sans jamais s’arrêter. Le public avide était à nouveau là. Kaghat comprit qu’on l’avait transporté vers une autre arène, qu’on l’avait à peine maintenu envie seulement pour qu’il meure au nom du spectacle, pour qu’il accompagne le pain rassis et le vin aigre.

Lentement le rôdeur porta une main à son visage crouté et la douleur le lança de plus bel, il s’imaginait horrible mais la vérité était bien pire. Bien que cela fut à peine possible, les beuglements animal de la foule décuplèrent alors qu’une voix aboyait des sollicitations et des insultes quelque part. Bientôt un orque colossal débarqua tout sourire sous la tente et déambula au milieu des futurs gladiateurs, un petit peau-verte enragé à son flanc et à peine retenu par la pogne de son maître flairant déjà son futur repas. Il s’attarda à peine devant le jeune gobelin en mauvais état et donna ses ordres à quelques assistants voutés qui libérèrent bientôt leurs frères promis à la gloire éphémère de l’arène. Kaghat se retrouva en rang, titubant presque au milieu d’autres guerriers d’un jour, il s’hasarda à les dévisager de son unique œil quand son voisin de droite lui lança :

« - C’est toi qui as tué la gargouille pas vrai, le borgne ? Je m’emparerai de ta gloire avant de mourir aujourd’hui. »

Il se para d’un rictus mauvais et fit glisser entre ses lèvres une sorte de silex aiguisé qui disparu bientôt dans les replis de sa bouche. Le rôdeur eut un bref éclair de lucidité alors que son cœur se mit à battre plus vite. Il regarda vivement de l’autre coté vers un autre combattant promis au trépas qui glissait discrètement une lame rouillée entre les bandages de son avant bras. Lorsque ce dernier surprit le regard circonspect de Kaghat, il fit un pas en avant, le menton et les lèvres prêts tout aussi à l’invectiver qu’à le mordre. Aussitôt le fouet lacéra le dos du gobelin qui reprit sa place en criant entre ses dents gâtées. D’ici quelques instants on allait à nouveau les envoyer au centre d’un univers de violence sans borne où ils se devaient de triompher pour en devenir les dieux esclaves. Et le rôdeur, pour la première fois de sa vie ne savait tout simplement plus quoi faire, ni quoi penser. Il aurait voulut hurler et pleurer, mais il serrait les dents dans une grimace de colère, il aurait voulut fuir et mourir, mais il attendait docilement contracté par la haine. Il n’était tout simplement plus maître de son destin et la seule chose qui était sûre désormais était qu’il ne pouvait plus faire marche arrière. L’injuste sentence avait déjà été proclamée et les jurés s’agglutinaient désormais dans leur box pour voir le couperet s’abattre et sonner la fin de cette séance.

L’orque massif passa devant suivi par son bâtard monstrueux, dont la difformité consanguine éclata soudain à la pleine lumière de l’arène, dévoilant ses membres tordus aux extrémités presque gélatineuses. Alors que les vivats explosèrent, le monstre hideux et apeuré se colla aux flancs de son maître ressemblant à ce moment à s’y méprendre à un mollusque pourrissant blotti dans les restes de sa coquille. Il couinait et geignait, recroquevillé sur lui-même pour mieux se mordre convulsivement les membres inférieurs scarifiés. Tout juste un chien apeuré, une larve pitoyable, l’illustration du sort des faibles. Pour le rôdeur il ne faisait plus aucun doute qu’il n’était plus sur Nosvéris, il savait que quelque chose de bien plus grand et de bien plus pur que lui s’était brisé il y a longtemps. Désormais, tous erraient comme des sauvages sur ces restes de monde lancés à pleine vitesse les uns contre les autres.

On tira sur leur chaine à leur en briser les vertèbres et l’instant d’après les gladiateurs furent écrasés par les hurlements des spectateurs en transe. Le soleil, les nuages, les contreforts majestueux tout cela n’avait plus de consistance, l’arène n’était plus que vibrations et pulsions. On les disposa en hexagone, dos à dos, chacun séparé de quelques pas pour qu’ils ne puissent que fixer les gradins extatiques, puis le maître de l’arène recula et au son des tambours le combat débuta.

Immédiatement le voisin de Kaghat tint sa promesse et lui décocha un violent coup de pied dans ses côtes toujours bleuies et brisées. Le rôdeur en eut le souffle coupé et il s’effondra en bavant, recroquevillé en position fœtal, tremblant de tout son corps, cette fois-ci il était prêt à mourir. L’autre fit glissé son silex hors de sa bouche non s’en afficher un sourire satisfait et logea son arme entre le majeur et l’index de sa main droite, transformant ainsi ses propres poings en arme létale. Il enchaîna par d’autres coups de pieds bien sentis sur la loque inerte qu’était le rôdeur, jusqu’à ce que ce dernier tente de fuir à quatre pattes, jusqu’à que le moment qu’il attendait se réalise. Un reliquat d’honneur vicié lui interdisant peut-être de s’acharner sur un adversaire à terre bien qu’il fut plus probable que cela aurait juste gâché son plaisir. Le jeune gobelin luttant pour retrouver son souffle, la bouche pleine de sang et de boue, entrevit son adversaire le contourner avant de recevoir de plein fouet un crochet du gauche qui le fit presque se redresser sous la violence du choc. Complètement sonné, vacillant sur ses genoux, Kaghat vit son adversaire foncer droit sur lui et l’instant d’après il crut mourir alors que la griffe lacérait son abdomen.

Pour lui s’en était fini, il s’avouait vaincu mais la douleur ne faisait que progresser lui interdisant tout relâchement, on allait l’éviscérer et il ne pensait pas que pareille souffrance fut un jour possible. Des deux mains il se saisit du poignet de l’autre gobelin lui interdisant tout mouvement, rassemblant toutes ses forces pour retirer la courte lame de son ventre bandé de muscles meurtris. Le jeune peau-verte savait qu’il n’aurait pas de seconde chance et plus il forçait, plus il souffrait, son souffle était court, son cœur au bord de l’agonie, tout son corps vibrait de tension. Soudain le gladiateur, voyant qu’il perdait l’avantage frappa de son autre poing sur la vilaine cicatrice courant sur le visage de Kaghat et ce dernier explosa de souffrance, chutant dans le noir absolu. Convulsant au bord du malaise, son martyr ne fit que s’amplifier alors que le rôdeur ne parvenait plus à comprendre quoique ce soit, il sombrait dans la géhenne qui brulait son esprit de tout l’arsenal de ses brasiers et tisons. Littéralement il vit rouge mais plus rien n’avait de sens. Autour de lui les images et les sons surgissaient de manière désordonnée, les cris étaient saccadés, les images troubles, floues, le monde n’était plus qu’un tourbillon carmin strié d’ombres mouvantes et hurlantes.

Déchirant cette vision infernale, le visage de son ennemi se découpa au dessus de lui, armant son ultime frappe, prêt à l’égorger. C’est alors que le gobelin perdit totalement le contrôle de lui-même, ses spasmes de douleur le firent trembler en tout sens et, bavant comme un dément, il tenta de se relever pour frapper l’entre-jambe de son adversaire de son pied tendu. Celui-ci ploya en jurant mais revint immédiatement à la charge et Kaghat renouvela sa punition écrasant avec force le bas-ventre du gladiateur. Cette fois-ci il accusa le coup et tomba à genou. Le rôdeur toujours dévoré par des contractions incontrôlables rampa presque jusqu’à son rival et lui décrocha un direct mou avant de s’effondrer sur l’épaule de ce dernier. Il fut aussitôt repoussé et la griffe se planta dans son bras d’où le sang jaillit encore, du sang pour noyer la raison. Brayant comme un dément, le borgne répondit à nouveau par la violence de ses poings, une fois, deux fois, trois fois et alors que son adversaire accusait la charge, il écrasa ses deux bras sur le dos sanguinolent.

Kaghat y grimpa et recommença à marteler son ennemi en boucle, comme s’il n’y avait soudain plus rien d’autre dans son esprit que cette sourde pulsion de carnage. Encore une fois la vérité était bien pire, le rôdeur était devenu une immonde bête ivre de sang et totalement incontrôlable. Une bête faible et tremblante dévorée par la peur de la mort et brulant ses ultimes instants de vie pour repousser le spectre ricanant. Puis le gobelin se saisit des oreilles de sa monture et commença à tirer dessus en tremblant de plus bel alors que l’autre se cabrait en hurlant, parvenant même à couvrir l’enthousiasme assourdissant du public. Et Kaghat plantait ses ongles dans le cartilage pour tirer encore plus fort, il vibrait de rage, bavant, suant et dégoulinant de son propre sang. Quand soudain les chairs lâchèrent et tout fut arraché en lambeaux, les oreilles volèrent dans un festival d’agonie hurlante. Mais le borgne n’en n’avait pas fini et il continua à buriner de ses poings le visage en sang sans jamais s’arrêter, son corps était désormais une machine détraquée réclamant plus de meurtre. Son crâne était un outil, un marteau qu’il abattait violement sur celui de son défunt rival enfin libéré de cette atrocité.

Le rôdeur se stoppa soudain, se redressant d’un bond sur ses jambes flageolantes, il suffoquait, son seul œil valide cherchant en tout sens une aide au milieu du paysage absolument rouge. Réfugié sous la paupière supérieure craquelée, le globe apeuré se cacha pour ne laisser comme seules traces que quelques larmes souillées. Le gobelin fit quelques pas comme un aveugle, battant l’air sans parvenir à se situer. Il s’écroula sur le flanc alors que de l’écume jaillissait de ses lèvres et que son corps tremblait à tout rompre. Petit à petit le brouhaha s’effaça et le corps de Kaghat se tétanisa, les dernières parcelles de son passé s’enfuyant bien loin dans les bourrasques, entre les contreforts vert-croquant, vers le nord calme et lointain. La suite il ne la vit que par interludes violents de noir et blanc, une sorte de cauchemar qu’il ne pouvait pas fuir, son corps complètement crispé.

_________________

Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
il y a un chemin à parcourir et il faut le parcourir,
mais il n'y a pas de voyageur.
Des actes sont accomplis, mais il n'y a pas d'acteurs.


Haut
 

 Sujet du message: Re: Les refuges des montagnes
MessagePosté: Mer 21 Avr 2010 16:04 
Hors ligne
Avatar de l’utilisateur
 Profil

Inscription: Ven 19 Mar 2010 19:11
Messages: 6
Pendant quelques jours, le rôdeur supposa qu’on l’avait nourri et que quelqu’un avait bien dû étaler ce cataplasme infâme sur ses plaies, un vague mélange d’urine et de glaise mais il ne parvenait pas à mettre de l’ordre dans sa mémoire. La dernière chose dont il se souvenait vraiment était le début du combat et la douleur affreuse dans ses côtes, par la suite tout était brouillé. Dès que le gobelin, toujours enchaîné et gardé bien à chaud pour les futures réjouissances barbares, tentait de se remémorer ces moments difficiles il était pris de nouveaux spasmes, son sang se mettant à battre très fort dans ses tempes. Kaghat décelait pourtant à l’orée de sa conscience une force sourde reprenant difficilement son haleine, une haine farouche qui s’était emparée de son corps pour le consumer tout entier. Il en frémit encore davantage. Malgré tout la fatigue l’emporta sur toute autre appréhension et le gladiateur passa la majeure partie de son temps à dormir et quand il entendit la voix brutale du maître des lieux, il était déjà résigné à son sort. Il entendit même les murmures d’une foule nombreuse au moment où la porte grinça sur ses gonds rouillés, mais ce n’était que des réminiscences malheureuses.

Ce qui l’inquiéta immédiatement fut qu’aucun n’autre combattant ne fut extrait des ténèbres pour l’accompagner au dehors. La chaîne autour du cou lui meurtrit chacune des vertèbres avec une précision sadique à mesure qu’il était presque tracté par l’orque titanesque jusqu’en haut des marches humides. Ses pas étaient mal assurés car tout son corps souffrait. Son ventre se réveillait à chaque foulée lui rappelant douloureusement que ses côtes étaient en fort mauvaise état et qu’une profonde balafre suppurait encore. Kaghat était meurtri des deux cotés et il ne put donc qu’alterner entre deux souffrances jusqu’à la surface et même bien plus tard. Car, une fois ébloui par la grise lumière des cieux encombrés, ce fut une autre main, celle d’un vieux gobelin tout en maille et en cuir qui se chargea de lui déchirer le cou pour une destination inconnue. C’est à peine si on prit le temps de lui jeter sur les épaules un reste de cape alors qu’une petite troupe se constituait, deux autres guerriers peaux-vertes emboitant le pas maladroit du rôdeur, ne manquant pas une occasion de le bousculer pour hâter son démarche hasardeuse.

Entre la douleur de ses côtes et le tiraillement de la chaîne, Kaghat se résolut à marcher aussi raide que possible, ce qui lui permit, entre deux spasmes fulgurants, de distinguer par-dessous sa capuche le petit camp qu’ils quittaient rapidement. Sous cette faible lumière vespérale, le campement des forces d’Oaxaca ressemblait à champ de bataille déserté, les corps inertes fumaient à peine à chaque respiration faiblarde sous les tentes de fortunes lustrées de givre fondu. Si le songe s’était prolongé, peut-être aurait-on vu défiler entre ses macchabées les grandes toges immaculées des prêtres chargés de l’extrême-onction ainsi que leurs acolytes prêts à balancer les perdants dans les buchés. A vrai dire le rôdeur ne savait même pas si ses barbares avaient de pareils rites, à les voir ainsi rompre le silence matinal en s’ébrouant, en crachant et en urinant partout, il doutait de sa parenté avec pareille engeance. Même dans ses pires souvenirs, il ne se rappelait pas avoir jamais rencontré endroit plus immonde et désespérant, les tanières les plus tristes et les cabanes les plus désolées avaient au moins le luxe d’offrir une quelconque chaleur. Même sans feu et au milieu des tempêtes les plus féroces, il était au milieu de ses frères de race, une fieffée bande de voleurs, de menteurs et de lâches certes mais une bande, une famille ridicule et bienheureuse.

Le camp fut bien vite oublié et alors que la petite troupe gravissait en lacets interminables les majestueux flancs des fjords infinis du sud de Nosvéris, Kaghat revivait doucement. Ces terres, il les connaissait à peine et pourtant il s’y sentait enfin libre, il respirait mieux, expirant à chaque bouffée à peu de sa douleur. Ils marchaient déjà depuis plusieurs heures, mais le plafond de nuages semblait toujours aussi bas, le gris tenace masquant un soleil timide presque absent. Les quatre minuscules silhouettes fendaient le vert des pentes moussues et des sommets touts empierrés comme une petite vipère en quête de chaleur qui, hélas, à chaque sommet et à chaque col, devait serpenter à nouveau vers l’ombre des vallées. Ne s’arrêtant que pour se désaltérer à l’onde glacée de quelques ruisseaux ou grignoter des rations dont le rôdeur ne voulut pas deviner la provenance. Et les gobelins repartaient dans le grincement de leurs lourdes armures et le murmure constant de leur souffle plein d’insultes et de malédictions à l’encontre de ce nouveau monde qu’ils haïssaient. A de nombreuses reprises, ils frôlèrent le plafond duveteux si proche pour le fuir encore et encore, plafond qui fréquemment se fendait d’averses torrentielles impromptues s’arrêtant prestement une fois le décor détrempé. La nuit venue, le gobelin fut enchaîné bien en vue de ses gardiens qui plaisantèrent autour d’un maigre feu, observant du coin de leur œil jaune ce sauvage qui les inquiétait presque tant il semblait stoïque face à cette nature hostile et son destin inéluctable. Et en effet Kaghat ne chercha même pas à fuir durant la nuit ni le jour suivant, bien sûr il savait ses chances de recouvrer ainsi la liberté quasi nulle mais surtout il ne sentait tout simplement pas prêt. La rumeur de colère se faisait de plus en plus forte en lui et le gobelin redoutait que son corps échappe à nouveau à son contrôle, il préféra donc attendre le moment opportun.

Hélas ce qu’il sentit de dérouler autour de lui le lendemain, n’avait rien à voir avec un bon présage. La troupe arriva en effet sur un minuscule plateau de tourbe collante, coincé à la jonction de deux crêtes de granit luisant, où déjà les attendait un autre petit groupe et au milieu un peau-verte enchaînée. A son allure, Kaghat sut immédiatement qu’il s’agissait d’un gladiateur, à sa manière de se tenir le torse bombé, arrogant et résolu face à son destin, esclave et pourtant demi-dieu de carnage. On ôta bientôt sa cape au rôdeur et celui qui semblait être le chef de l’autre groupe s’avança pour évaluer les chances de son propre champion face à ce nouveau venu. Il cracha noir et lâcha :

« - Me fais pas croire que c’est ce sale chien galeux qui a terrassé la gargouille et massacré un des gars de Rankouz !

- Disons que pour la gargouille ça a été match nul. Elle s’est effondrée sur lui et on l’a cru mort mais je l’ai vu se déchaîné comme un furieux la semaine dernière. Crois-moi, t’en auras pour ton argent. Lui répondit le gobelin qui avait mené le convoi quand soudain l’autre gladiateur le coupa dans une nouvelle tirade mercantile.

- Moi, les furieux j’aime bien ça. Je vais te le dompter ce bâtard !

- Evite de l’envoyer rejoindre ses ancêtres trop vite, j’ai envie de m’amuser avec lui à la prochaine arène. Rétorqua celui qui était désormais le nouveau maître de Kaghat. »

La transaction fut scellée par un échange de quelques pièces, une poignée de main mais surtout par les coups d’un marteau sur le rivet soudant désormais les deux chaînes de chaque esclave entre elles. Immédiatement après cela, le combat débuta et dans l’esprit du rôdeur tout fut blanc, un calme absolu présageant des pires tempêtes de colère. Son adversaire, sans doute habitué à ce genre de configuration, agrippa les maillons à pleine main et tira comme une brute, menaçant de tomber à la renverse alors que Kaghat eut presque le cou rompu sous le choc. S’extirpant de la boue l’instant d’après, il crut revivre un cauchemar alors qu’à nouveau les coups pleuvaient nombreux et impitoyables. Son adversaire entreprit de le faire réagir à grands coups de botte jusqu’à qu’enfin Kaghat tente de s’enfuir pour être aussitôt ramener au sol par la chaîne qui l’étranglait petit à petit. L’autre se tenait bien campé sur ses jambes enroulant avec toute la force de ses muscles bandés le lien les unissant autour de son coude, jusqu’à ce que le rôdeur fut tout proche de lui. Il voulut poursuivre son manège en lui décochant un gauche fulgurant pour mieux le tracter à nouveau par la suite, pour presque le pêcher. Mais le rôdeur esquiva de justesse le coup, profitant du peu d’espace de mouvement qu’il lui restait, puis s’empara lui aussi de la chaîne pour se hisser au niveau de son rival et le saluer d’un crochet à la mâchoire. Le public apprécia bruyamment ce retournement de situation.

Pied contre pied, si proches qu’ils respiraient l’haleine de l’autre, les deux esclaves continuèrent leur duel, chacun d’eux utilisant sa force et son poids pour peser sur les maillons rouillés et ainsi ouvrir une brèche dans la garde de l’autre. Kaghat s’y montra particulièrement doué en décochant deux droites précises dans la face de son adversaire. Mais celui-ci sourit et relâcha soudain deux brassées de métal faisant perdre l’équilibre au rôdeur, puis il lui asséna la vengeance de son propre droit tout enroulé de métal. Les dents du trappeur volèrent par poignées dans un éclair de douleur absolu alors qu’en lui s’éveillaient des spasmes de violence pure qu’il eut presque peur de relâcher. Son adversaire n’allait guère lui laisser le choix et surgissant par derrière, il lui enserra la nuque au creux de son coude qui craqua et se contracta d’angoisse. L’autre ne voulait pas le tuer, du moins devait-il redouter son châtiment s’il gaspillait ainsi les ressources de son maître, Kaghat n’en n’était pas moins au bord de la suffocation. Il battait des mains à la recherche de son adversaire, il ne parvenait pas à l’atteindre mais soudain il trouva la chaîne maudite qui pendait sur le flanc. Le rôdeur s’en saisit, la faisant tournoyer une fois avant de l’envoyer loin derrière lui. Il fit mouche et l’étreinte se desserra suffisamment pour qu’il s’échappe et s’empare à nouveau de son arme improvisée pour battre son ennemi à plusieurs reprises.

A chaque coup, le feu en lui s’intensifiait, les flammes languissant pour plus de violence et de haine. Quelqu’un aboya quelque chose derrière le fou furieux mais il ne s’arrêta pas pour autant, faisant tournoyer son fléau toujours plus vite. A peine eut-il le temps d’apercevoir quelqu’un derrière lui qu’on tenta de l’assommer, ce fut alors que la fournaise explosa en lui.

Kaghat attrapa sa tête bourdonnante à deux mains et tituba alors que tout tournait rouge autour de lui, son esprit soudain labouré par une douleur insensée qui semblait jaillir du plus profond de son être. La souffrance de son corps était soudain négligeable face à ce tison chauffé blanc qui vrillait son cerveau, fourrageant grossièrement dans la mêlasse grise hurlante. Toujours relié par la chaîne à son adversaire, ce dernier se releva à l’autre bout du plateau, un bras pendant bizarrement et le visage en sang déformé par la haine. Il regarda le camarade qui l’avait sorti de ce mauvais pas en soufflant comme un bœuf et avança résolument vers le sauvage qui vacillait non loin du bord du plateau. A nouveau il l’envoya valdinguer d’un coté puis de l’autre grâce au cordon de métal avant qu’il ne s’effondre tout proche du vide, si leur destin n’avait pas été lié, nul doute qu’il l’aurait balancé comme de la vermine. Mais là il comptait bien le rouer de coup jusqu’à ce que son maître les sépare. Kaghat bavait et toussait alors qu’il ne sentait plus du tout la douleur dans son cou et qu’un univers fracturé se déchaînait autour de lui, le précipice à ses cotés ressemblait soudain à une bruyante cascade de sang coagulé et du ciel tout envahi de nuages noirs et rouges roulait le tonnerre jusqu’à sa cervelle. Il se saisit d’une pierre dans chaque main, se redressa et lança la première avec toute sa haine droit sur son l’autre gladiateur, qui l’esquiva largement, puis il chargea sans retenue. Surprenant son rival, il écrasa sa face avec le galet, encore et encore, utilisant son autre main pour déchainer une autre pluie de coups désordonnés. Le sang, la chair et l’os volèrent alors droit sur son visage crispé par la haine et la violence jusqu’à ce qu’on tire à nouveau sur sa chaîne, pareil à un dresseur retenant un simple chien trop entreprenant.

Mais le rôdeur n’était plus lui-même et c’était une bête bien plus féroce qui venait de s’emparer de son corps tout entier. A quatre pattes presque il courut sur l’autre gobelin le ceintura et le renversa dans le même geste, puis, hors d’haleine et tout tremblant de rage il tenta de l’escalader jusqu’à son visage. Son nouvel ennemi, le repoussa d’un coup de genou et dégaina un petit couteau bien décidé à saigner cette bête enragée. Kaghat stoppa l’arme avec la propre paume de sa main qui se mit à pisser le sang, pour enchaîner avec un formidable coup de tête. La douleur traversa son cerveau mais au lieu de le faire sombrer dans l’inconscient, elle continua jusqu’aux fournaises de sa colère et les raviva pour qu’elles brillent comme milles soleils mourants. Attrapant la maudite chaîne, il l’enroula autour de la gorge de son ennemi et se cambra pour la tendre au maximum, ravageant sa nuque et son dos, bloquant le sang et sa respiration. Bientôt tout deux convulsèrent et se boxaient maladroitement comme deux lièvres se disputant les faveurs d’une femelle, mais le rôdeur gagnait en force à mesure que les terres en flammes autour se trouvaient masquées par un voile noir de plus en plus épais. Voile noir qui masqua les formes encapuchonnées d’une dizaine de Sektegs dévalant le haut de la crête en hurlant pour se jeter sur les envahisseurs esclavagistes.

Quelques flèches et javelines allèrent se figer ça et là, alors que Kaghat bavait de plus bel en poursuivant son œuvre de mort, l’autre agonisant lui griffant le torse à pleine main en vain. Deux fois plus nombreux, ces nouveaux venus réglèrent prestement leur compte à leur cousin utilisant la puissance du nombre et de leur charge féroce. Quand tout fut à nouveau calme et que la pluie commençait à goutter en grosses larmes, l’un d’eux s’approcha du rôdeur en piteux état, la tête penchée en arrière pour aspirer la triste ondée. Le gladiateur tout tremblant ne comprit pas ses paroles mais il les savait porteuses d’un futur moins atroce.

_________________

Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
il y a un chemin à parcourir et il faut le parcourir,
mais il n'y a pas de voyageur.
Des actes sont accomplis, mais il n'y a pas d'acteurs.


Haut
 

Afficher les messages postés depuis:  Trier par  
Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 4 messages ] 


Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 0 invités


Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
Vous ne pouvez pas éditer vos messages
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages

Aller à:  
Powered by phpBB © 2000, 2002, 2005, 2007 phpBB Group  

Traduction par: phpBB-fr.com
phpBB SEO

L'Univers de Yuimen © 2004 - 2016