Après avoir quitté la milice, je regagne rapidement l'auberge et retrouve Isil dans notre suite, attablée en train de rédiger une lettre. Par la porte-fenêtre ouverte, j'aperçois Lhyrr qui folâtre dans les jardins, non sans garder un oeil quelque peu désabusé sur Sinwaë qui s'échine à retourner un coin de terrain, sans doute dans l'espoir d'y dénicher une taupe. Amusé par la scène, je rejoins Isil et glisse un baiser au creux de son cou avant de réaliser, en voyant la lettre posée devant elle, que je possède un objet qui pourrait lui être utile. Je sors aussitôt de mon sac le nécessaire d'écriture télépathique qui s'y trouve et le pose devant elle:
"Si tu veux donner des nouvelles rapidement à ta famille ou à Callirhoé, utilise donc ceci. Ils recevront en pensée ce que tu écriras, c'est immédiat."
Elle hausse un sourcil dubitatif et amusé, me répondant:
"Tu me fais marcher?"
Je la dévisage d'un air malicieux, puis je reprends le nécessaire et me concentre sur ma compagne avant d'écrire quelques mots:
(Non, mais ça peut toujours s'arranger, quelques pas suffiraient, le lit n'est pas loin...)
Retenant un rire au sursaut qu'elle a lorsque les mots lui parviennent, je repose le matériel devant elle en glissant une caresse sensuelle sur sa joue au passage, puis je reprends avec un peu plus de sérieux:
"A part, ça, la milice n'arrêtera pas Fergaim. Nous avons mis le pied dans une affaire complexe et dangereuse..."
Isil semble faire un effort de volonté pour revenir à ce sujet indubitablement moins plaisant et me questionne:
"Comment ça?"
Je soupire doucement et tire une chaise pour m'assoir en face d'elle avant de répondre:
"Il est protégé, ce n'est pas le premier venu. Il a des puissantes relations dans la milice, au sein du clergé, de la noblesse. Le capitaine à qui j'ai fait mon rapport m'a invité à aller voir un de ses homologues, un certain capitaine Eïniel, ami personnel de Fergaim, si je souhaitais une rapide promotion."
Une moue peu amène prend place sur mon visage à ces mots, mais je n'en poursuis pas moins:
"Brëanal, le capitaine en charge du quartier pauvre, tente depuis longtemps de coincer Fergaim, en vain. D'après lui, cette histoire d'inspection n'est qu'un leurre, jamais l'Ithilauster ne se déplace en personne dans ce genre de magouilles. Il a déjà assassiné bon nombre de témoins, à tel point que Brëanal a installé un camp secret dans la forêt de Telemnalda pour les protéger en attendant d'avoir des preuves suffisantes. Il monte des dossiers, recueille des témoignages, mais pour l'heure Fergaim est intouchable. Il souhaiterait que nous conduisions ceux que nous avons libérés à ce lieu secret pour les protéger, ils seraient sans doute rapidement éliminés s'ils restaient ici."
Isil hoche pensivement la tête avant de répondre:
"En ce cas, nous devrions partir au plus vite, peut-être en prenant un bateau pour nous rendre plus difficilement traçables. Je ne doute pas que Fergaim ait des yeux partout."
Je hausse légèrement les épaules, songeur:
"Au port plus qu'ailleurs, d'après ce que nous en savons. Si nous louons un bateau, Fergaim n'aura aucun mal à savoir où nous aurons accosté, mais cela lui ferait perdre quelques jours, sans doute. Pourquoi pas, donc, pour autant que nous prenions soin de rejoindre la côte assez loin de ce camp qui doit impérativement rester secret."
Elle secoue la tête:
"Nous n’aurions pas besoin de louer l’équipage, nous pourrions simplement acheter un petit bateau, si nous restons à côté des côtes et que le temps reste clément, nous n’avons pas besoin de beaucoup de bras pour le diriger. Et si nous partons de nuit, il serait très difficile de juger de notre direction."
Je hausse un sourcil en précisant:
"Je n'y connais strictement rien en navigation, mais je sais que ces eaux sont dangereuses à cause des récifs de coraux, prompts à éventrer un navire. Penses-tu avoir les connaissances nécessaires pour nous amener à bon port?"
Elle esquisse un léger sourire en hochant la tête:
"Si nous parvenons à mettre la main sur une carte des récifs, ce qui ne doit pas être trop difficile, et que nous rejoignons la terre si le temps de gâte, je devrais y arriver sans trop de mal. J’ai navigué à plusieurs reprises et en dirigeant moi-même le bateau entre Khonfas et Eniod."
Je pèse le pour et le contre durant quelques instants, pas vraiment enchanté à l'idée d'aller me promener dans ces eaux inconnues sur un frêle esquif, mais je finis par soupirer de manière sérieusement dubitative:
"Bien, alors tentons... mais souviens-toi que j'ai ton poids en métal sur le dos, je nage très mal avec ça..."
Toujours souriante, elle se lève pour relever ma tête d'un doigt sous le menton et se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres avant de se reculer, restant baissée afin de garder son visage face au mien:
"Je ne parle pas d’une petite barque, je parle d’un catamaran d’une quinzaine de mètres de coque, j’en ai vu quelques-uns sur le quai. Les seules gouttes qui toucheront ta belle armure seront celles des embruns."
Je glisse une main derrière sa nuque pour la gratifier d'un long et brûlant baiser avant de lui murmurer:
"Soit, nous voyagerons par mer et..."
Des coups pressants frappés à la porte me coupent net et me font me relever vivement, mes mains fusant vers les poignées de mes lames à l'instar d'Isil, tandis que je demande d'une voix forte:
"Qui est là?"
Une voix étouffée par la porte, mais indubitablement inquiète et connue, me répond:
"C'est Ephedyn, il faut que vous veniez, vite!!"
La jeune femme va rapidement ouvrir la porte en demandant ce qui se passe, à quoi Ephedym réplique qu'il y a une émeute dans les quartiers pauvres, une nouvelle qui me fait grincer des dents. Je ne doute pas une seconde qu'il y ait du Fergaim là derrière, l'ambiance était déjà explosive et il suffirait de peu pour que la situation ne dégénère vraiment. Lhyrr nous rejoint, le regard déterminé, tandis qu'Isil enfile son armure et ceint ses armes. A l'Ithilauster affolé, je demande encore:
"Qu'est-il arrivé?"
"Un groupe de guerriers a mis le feu à la maison de Lhemryn et a voulu l'emmener de force, lui et sa famille, quand ils sont sortis. Les voisins ont tenté de s'interposer, il y a eu un ou deux morts et c'est en train de dégénérer..."
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