Tout en suivant le parcours imposé mentalement par Anouar, je repense à la phrase du garde.
(Tu crois qu'il voulait dire quoi exactement ?) (Ton papier est signé de Naémin, son absence touche particulièrement la population en cette période troublée.) (D'ailleurs, tu trouves pas la ville trop calme ?)
Les rues sont vides de tout habitant. Même si nous autres elfes nous dormons, comme tout le monde, il règne une agitation constante d'habitude, due au fait que jamais tout le monde est endormie aux mêmes heures. C'est d'ailleurs pour cette raison que les magasins sont généralement ouverts toutes la journée. Aujourd'hui les portes sont closes, les volets sont bouclés et les rares personnes dehors sont des soldats en armes, par groupes de quatre ou cinq.
"Hé vous, attendez !"
Je me retourne, étant la seule personne dans l'étroite rue, et constate que la personne qui vient de me héler ainsi est un elfe d'âge moyen, à peine un millénaire aux cheveux blancs comme la neige. Il est accompagné de quatre autres elfes que je ne distingue pas dans l'obscurité. Il porte une lanterne qu'il élève à hauteur du visage. Sur son torse brille une cotte de mailles de mythril bleu, à n'en pas douter. Il est équipé de pied en cap et s'avance, sur de lui, le sabre au clair.
"Qui êtes-vous ? Que faites-vous dehors ?" "Je pourrais vous retourner la question." "Milice de Nessima, ça devrait vous suffire."
Je hausse un sourcil, n'a-t-on donc plus le droit de se balader dans Nessima durant la nuit, dans le quartier riche de surcroît sans être ainsi interpelé. J'ôte de ma poche le laisser-passer de Naémin et le tend au garde.
"Ceci devrait vous suffire."
Le garde range son sabre et, à la lueur de sa lanterne lit le parchemin. Son regard se durcit au fur et à mesure qu'il prend connaissance du contenu. Il finit par lever la tête, le visage assombri et me tire dans une ruelle à l'écart.
"D'où venez-vous ? Comment connaissez-vous Sa Majesté ?"
Au ton du garde, je commence à mieux comprendre la réflexion du garde de la porte. Manifestement, il crois que mon laisser-passer est faux et les derniers mots sont teintés d'un mépris que j'ai rarement connu pour un compatriote.
(Dis-en le moins possible !)
"Je viens de Tahelta et j'ai connu le Prince Naémin à Kendra Kâr la Blanche." "De Tahelta dites-vous. Pourtant vous n'êtes pas arriver avec les cynores de la ville." "En effet, je suis arrivée il y a à peine une heure." "Ca fait déjà quasiment deux jours que tous les cynores et les navires encore entiers sont partis, comment avez-vous quitté la ville ?"
Je n'ai pas le temps de répondre qu'une dame en bleue s'approche de nous et pénètre dans le cercle de lumière. Elle est jeune, une centaine d'année de plus que moi à vue de nez. Manifestement, elle va juste de l'autre coté de la ruelle, elle passe devant moi. Les traits de son visage me dit quelque chose, sans que je puisse me rappeler exactement qui. Il en est de même pour elle, qui s'arrête à quelques pas de moi avant de faire demi-tour et de revenir près de moi.
Quand elle s'approche mon coeur fait un bond... c'est impossible, totalement impossible, et pourtant cette démarche... ça ne peut être qu'elle !
(Possible...) (Tu l'as fait exprès de me conduire là ?) (Disons que j'ai forcé un peu la main de Zewen.)
Elle prend la lanterne du garde et la lève vers mon visage, rendant visible le sien par la même occasion.
"Lothindil ?" "Sarya ?" "Vous la connaissez ?"
Le garde s'adresse à mon aînée et non à moi. Celle-ci d'un air détachée hausse les épaules et répond : "C'est ma soeur, ça se voit pourtant."
J'ignore la position de ma soeur dans la ville, mais elle ne doit guère être élevée, malheureusement vu son jeune âge et il faut bien reconnaître que mes yeux verts et ma chevelure font que la ressemblance ne saute pas forcément aux yeux.
Le garde nous observe durant un long moment, derrière moi, Harniän piaffe. Autour de nous, des volets s'ouvrent légèrement et la lumière de l'intérieur des maisons vient s'ajouter à celles de la lanterne de la milice.
"Oh après tout, je m'en fous."
Il me rend mon papier avant de faire demi-tour, non sans m'avoir lancé : "Faites attention à vous. Rentrez au plus vite, vous ne devriez pas être dehors à l'heure qu'il est."
"Que fais-tu ici ? Je te croyais entrain de courir l'aventure dans les vastes terres." "Pas ici, pas maintenant. Si tu veux parler, emmènes-moi dans un endroit plus discret." "Dis-moi d'abord ce que tu fais ici en pleine nuit alors qu'il y a un couvre-feu." "Je viens à peine d'arriver, je ne fais que passer et j'ignorais qu'il y avait un couvre-feu." "Toi tu t'apprêtes encore à faire une bêtise... T'as vraiment pas changer avec toutes ces années." "J'ai changé bien plus que ne pourrais le croire, Onòro, mais ce n'est pas l'endroit pour t'expliquer ça." "Comme tu veux, suis-moi, je rentrais au temple, tu pourras y rester jusqu'au lever du soleil."
C'est ainsi que nous traversons les rues, en silence. Je n'avais jamais réellement imaginé nos retrouvailles, mais même si j'en avais été capable, elles n'auraient pas été ainsi. Le silence qui s'installe est aussi lourd qu'une chape de plomb, rythmé seulement par le bruit des sabots de ma monture sur les pavages et je regrette que ma soeur se soit trouvée là, à cet instant précis. J'aurais aimée garder son image d'avant, craignant de savoir ce qu'elle est devenue et craignant qu'elle rejette ce que je suis devenue.
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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